Ritsos témoin

 

« Il subsistait de ce qu’il donnait »[1]

Ritsos témoin

 

une ombre bleue au-dessus des rochers

et encore, jusqu’à la tendresse en nous, la trace

d’une palme de mouette

– une petite croix sur le sable de notre esprit… 

 

Lettre du 11-3-50 à Kaitoula

 

 

Témoigner, au sens que cet acte a pris au vingtième siècle – dans des situations historiques apparentées par la seule brutalité – , dire les violences massives où celui ou celle qui parle aurait pu ou plutôt aurait dû (selon les visées d’un  pouvoir persécuteur) être englouti ou, à tout le moins, se trouver définitivement condamné au silence, à l’effacement sans traces – , est-ce là ce que firent les poèmes écrits par Ritsos dans les camps sucessifs où il fut interné ?

« … je suis resté longtemps sans papier, sans crayon, sans musique/ sans jamais savoir où se levait le soleil /sentant comme étrangère la main de l’air sur ma main/ sentant comme étrangère la bouche de la cruche sur ma bouche/ sans raser ma barbe, sans écrire de vers » écrit-il dans sa vaste « Lettre à Joliot-Curie ».

« Sans écrire de vers » ? Ritsos, au temps de ses diverses détentions, en écrivit pourtant, dans les conditions les plus hostiles. Le recueil Temps pierreux, Makronissiotiques porte, après le dernier vers du dernier poème, la date suivante : « Makronissos, août-septembre 1949 ».

Il ne suffisait pas, dans « l’horreur de Makronissos » (comme dit Ritsos lui-même), de trouver un crayon et du papier. Il fallait encore dissimuler, à chaque fois, la chose une fois écrite. « Ces poèmes sont restés enterrés sur place dans des bouteilles scellées », écrit Ritsos dans l’avertissement  dont il les accompagna, en 1975, lors de leur publication en Grèce[2]. Et il précise qu’ils furent « déterrés en juillet 1950 ». (On pense, si différentes que soient les situations, aux témoignages enfouis dans le sol d’Auschwitz, ou aux « archives » du ghetto de Varsovie. On peut penser encore aux poèmes qu’écrivait durant la nuit Anna Akhmatova – dans les années          – avant de les confier à la seule mémoire de Lydia Tchoukovskaïa et de brûler le papier où les vers étaient tracés.)

 

*

Témoigner en poèmes ? C’est, dans bien des cas, parler de – et pour – nombre d’autres connus ou inconnus. C’est donner voix – comme dans les vers qui suivent (extraits de « Temps », dans  Temps pierreux) –  à un « nous » terrible : un « nous » totalement dominé, humilié, écrasé.

 

Dans notre dos, le feu du couchant.

Appel du soir. 7 heures.

Le couchant sur le visage du sous-brigadier,

le couchant sur la tête rasée des déportés

et plus bas, la mer.

 

4ème Bataillon de Makronissos,

12 « cages »,

10 000 déportés.

Coucher du soleil. 

 

Chacun de nous porte sur les épaules

la fatigue de 12 heures de pierres,

la soif de 12 heures de soleil,

la douleur d’autant d’années,

la sentence d’une vie entière

et même ce petit baluchon

aux pelotes colorées par le crépuscule. 

 

Crépuscules, nuits où semblent se dissoudre les détenus… Combien dévorant peut être le noir chez Ritsos ! Non loin de cette obscurité par moments sans dehors, on pourrait entendre, soudain, le hululant-aboyant Nuits de Xenakis, une « Musique pour 12 voix mixtes » datée de 1967-68.

Cependant, le poème-témoignage, chez Ritsos – par exemple « Pourtant » dans Temps pierreux encore – sait aussi s’attacher à deux ou trois individus vus quand et où personne n’a plus (en dehors des gardiens) d’yeux pour eux.

 

[…] à l’heure où tombe le soir parfois,

quand la petite Ourse suspend sa petite lanterne à l’ouverture de la tente

et creuse de ses ongles une légère ornière dans la terre sèche,

Pétros, Vassilis ou le père-Antonis

cherchant un gobelet ou une cuillère au fond du baluchon,

laissent traîner leurs mains – ils s’oublient

et autour d’eux l’air se courbe et se fige comme l’huile dans une jarre

et le silence se fait comme la meule quand l’eau ne coule plus. 

 

Oublieux d’eux-mêmes, ces détenus épuisés et sans plus d’espoir ? Le poème s’insinue là où, pour ces abandonnés, auront fait défaut les attentions des proches, voire les plus élémentaires soutiens d’un humain à l’autre ou ne serait-ce que le souci de soi; avec une sobre tendresse, les vers disent et forment, autour des gestes tâtonnants, les simples courbures de l’air qui s’immobilise ; ils nous font entendre les inflexions de ce qui fut, là-bas, jadis, le silence.

 

*

 

On sait, ou on conjecture, que, depuis des siècles, ou plutôt depuis des millénaires, des masses d’humains ont été, par décisions de maints pouvoirs, anéanties. Mais, jusqu’aux temps les plus récents, ce fut quasiment sans traces, ou du moins sans qu’aucune victime ait pu, fût-ce un instant, faire entendre sa voix… Il s’est trouvé, au vingtième siècle – par les effets de la démocratisation, qu’en Europe d’abord, un certain nombre de ceux qui furent engloutis ou qui furent au bord de l’être, ont pu parler, ou plutôt écrire. Ainsi naquirent des journaux personnels, ou des lettres que les combattants de la première guerre mondiale envoyaient à leurs proches. Et un certain nombre de ces traces devinrent – grâce aux développement des journaux – publiques ou, éventuellement, se firent œuvres d’une nature nouvelle.

Des lettres: plusieurs des poèmes écrits par des détenus de Makronissos adoptent ce tour. « Je vais bien, Petite Mère… mon soleil…/ Je me hâte d’apaiser tes craintes. Je vais bien. » ainsi écrit, entre autres, le poète Menelaos Loudemis ; il est vrai que bientôt le poème lui-même révèle qu’il ne peut espérer être une vraie lettre, un message qui arriverait à destination : « Aujourd’hui, j’ai atteint le millier de lettres. Mais je sais…/ Que tu ne reçois plus de messages depuis longtemps. » Dans « Temps » (déjà cité) de Ritsos, c’est au milieu du poème qu’on voit les vers adopter le mouvement d’une lettre à la mère : « Ah, mère, quels jours difficiles passons-nous ».

Tout autre, évidemment, la « Lettre à Joliot-Curie » que Ritsos écrit sur l’île d’Aï-Stratis où, de Makronissos, il a été transféré – « afin de ménager l’opinion publique »  (comme le souligne Pascal Neveu) – et d’où il sera libéré en 1952. Cette lettre-poème est écrite au nom de ce qui ne peuvent, eux, se faire entendre : « Joliot, nombreux sont ceux qui déposeraient leur signature au bas de ma lettre/ mais ils ne savent pas écrire ». Et c’est une lettre qui se veut constitutivement « ouverte » –  à tous les vents l’espace poético-politique mondial.

Joliot-Curie, en 1949, avait témoigné, du côté des dénégateurs des camps soviétiques, contre Kravchenko (l’auteur de J’ai choisi la liberté) lors du procès que celui-ci avait intenté aux Lettres françaises, hebdomadaire qui, sous la plume d’un prétendu « Sim Thomas » (une pure fabrication due à l’un des membres de l’équipe), l’avait grossièrement diffamé. On ne peut oublier aujourd’hui combien l’espace mondial de ce temps  – celui de la guerre froide (et, bientôt, de la guerre de Corée), celui des « bords » entre lesquels on était sommé de choisir à tout moment – était en proie à de brutales manipulations.

Comment Ritsos dut-il et put-il se situer politiquement et poétiquement en ce temps-là et dans les décennies qui suivirent ? C’est ce qu’il serait passionnant de suivre en détail… En tout cas, les célébrations idéologiquement calculées semblent n’avoir eu que peu d’emprise sur lui ; elles ne le privèrent pas du sens ironique de l’obscurité ou de la saveur de l’anonymat. C’est le temps de la gloire qu’évoque d’abord le poème « L’élément personnel » (dans Le mur dans le miroir et autres poèmes [3]): « A peine se fut-il couché qu’ils l’enlevèrent de son pauvre lit, / l’habillèrent d’un costume splendide – épaulettes, galons dorés ; / une couronne dans ses cheveux – olivier ? lierre ? ou laurier ? – il ne savait […] » Mais, dans le même poème, un retournement doucement sarcastique ne tarde pas : « Et lui suspendu dans les airs, / hors de lui-même, presque avec aisance, il prenait appui sur les planches, / mais seulement du bout des orteils de son pied droit – parce qu’à ce pied, / dans leur précipitation, ils lui aavaient laissé l’une de ses chaussettes trouée/ qui bâillait de satisfaction. Et cela lui permettait de penser encore,/cela lui permettait d’être lui aussi un inconnu dans le monde. »

 

*

 

Sa notoriété mondiale n’épargna pas à Ritsos, sous la dictature des colonels (à partir d’avril 1967), d’être de nouveau interné. Il connut de nouveaux camps, dans  les îles de Yaros, Léros, Samos… Sont datés de ce temps-là, et des ces îles-là, tous les poèmes qui composent le recueil traduit par Pascal Neveu (avec une préface de Bernard Noël) sous le titre Pierres Répétitions Grilles [4] : leur force est, page après page, date après date, à couper le souffle.

Dater un poème, ou une série de poèmes, Ritsos n’est pas le seul, bien entendu, à l’avoir fait. Une position historico-poétique se manifeste évidemment à chaque fois dans un pareil geste… Le recueil entier des Contemplations est bâti par Hugo (autobiographiquement et historiquement) selon les dates affectées aux successifs poèmes. En un mouvement sans doute plus proche de Ritsos, il est arrivé à Mandelstam de faire d’une date le titre même d’un poème : « 1er  janvier 1924 »[5]. Et Celan a désiré penser la venue (la provenance, l’angle d’impact) de chaque poème selon sa date…

Pour Ritsos, il était n’était pas moins nécessaire d’inscrire les noms de lieux. Les dates sont à chaque fois nouvelles (selon le simple fil du temps). Les noms des lieux, dans Pierres Répétitions Grilles, sont, eux, répétitifs. Mornes, ils martèlent l’enfermement, l’impuissance ; ils piétinent dans le gris, dans le noir… Et ils rappellent le « temps pierreux » – le temps localisé de force  – que Ritsos avait vécu à Makronissos[6].

 

*

 

Ce sont des scènes de terreur que font voir certains poèmes de l’ensemble Grilles. Par exemple « Malgré tout » (daté de « Samos, 29.01.69) :

 

Entassés dans la pièce du haut. Minuit passé. Personne

ne parlait ni ne pleurait. L’énorme gardien tenait la lampe.

Les autres poussaient de leur arme. Ils devaient sauter

de ce balcon à celui d’en face. La distance n’était pas longue. En bas,

on distinguait à peine la rue pavée, profonde comme un puits,

faiblement éclairée par les ampoules vertes de la cave à charbon

et la vitrine de la boucherie. Un par un, ils sautaient. Le bruit de chute

résonnait lourd en bas. Puis les gardiens retirèrent leurs chaussures,

leurs chaussettes, et posèrent deux larges planches pour passer

sur le balcon d’en face en tenant la lampe. 

 

Et le poème s’achève sur une dernière « chose vue » pleine de sens (opposant, implicitement, à la misère corporelle des détenus, dite ailleurs dans le recueil, la propreté et la prospérité corporelles des gardiens). Néanmoins, voici que, dilaté, cet ultime détail luit quasi onirique :

 

Leurs pieds

étaient grands, beaux, éclairés, propres ; leurs ongles brillaient. 

 

*

 

« Choses vues »…Nombre de poèmes-témoignages disent la structure même – dans les camps, sous la surveillance et l’oppression exercées par les gardiens – du visible ou des rapports d’entrevisibilité. Par là s’exerce la résistance dont est capable la poésie de Ritsos – qu’on pourrait comparer à l’extrême précision de la prose d’Antelme lorsqu’elle s’attache, dans L’espèce humaine, à dire et défaire les relations de puissance en jeu dans les échanges de regards entre détenus et bourreaux.

Parfois, ce qui surgit dans un poème de Ritsos a tout l’air d’un souvenir – celui, par exemple (dans « Perquisition », daté de « Samos, 05.02.69) d’une irruption policière dans un logement au temps de la vie… libre : «Après vous, messieurs, – dit-il. Pas d’inconvénient. Fouillez partout ;/ je n’ai rien à cacher. […] ».

Ou bien c’est comme un rêve que rayonne le visible tel qu’il est dit dans les vers de Ritsos : alors – par exemple dans « Reconstitution du sommeil » –  il ruisselle de nuit

Ou peut-être (et c’est alors à Vladimir Holan que Ritsos serait apparenté) est-ce la diction poétique même qui prend l’allure de la parole d’un dormeur se réveillant et faisant irruption parmi quelques autres – nous, peut-être – en train de converser : voici que le poème profère à cet instant des choses moins « vues » qu’intenables. 

 

*

 

Tout, dans les poèmes de Pierres Répétitions Grilles, n’est pas lié – ne se laisse pas   arrimer (ne serait-ce pas une défaite ?) – à la situation du détenu. La poésie résiste, en secret, par sa seule existence, avec la liberté (souffles, vides, énigmes) des rapports internes qu’elle crée. C’est sûrement pourquoi Ritsos (comme le rappelle Pascal Neveu) s’acharna à en maintenir la possibilité et la présence non seulement pour lui-même mais aussi pour d’autres prisonniers.

Et puis ce sont, dans certains des poèmes datés des camps (spécialement dans ceux de Répétitions), les rayonnements familiers et énigmatiques du passé grec – celui d’une tout autre Grèce. Mythes ou récits de jadis, noms magnifiques, statues.

Le « nous » pourrait-il être alors celui, retrouvé ou réinventé pour un instant, de la communauté antique ? Il n’y aurait là, sans doute qu’illusion et Ritsos n’y glisse pas. «[…] quand les lampes furent allumées, lit-on dans un poème daté  de Léros, 31.03.68, nous sommes rentrés pour recourir encore à la mythologie, cherchant/ quelque plus profonde corrélation, quelque lointaine et générale allégorie/ qui adoucirait l’étroitesse du vide personnel. Sans rien trouver. /Pauvres nous sont aussi apparus Perséphone et les grains de grenade/ devant la nuit qui tombait lourdement et l’absence absolue. » 

Dans le poème « Héraclès et nous », après l’évocation du grandiose (« Grand et fameux, dit-on, enfant d’un dieu, et tant de maîtres avec ça : – / le vieux Linos, fils d’Apollon, qui lui apprit à lire et à écrire ; Eurytos, / l’art de l’arc ; Eumolpos, fils de Philammon,/ le chant et la lyre […] »), le « nous » (annoncé dans le titre) s’impose à distance des mythes et privé des ressources du passé :

 

[…] Nos seuls

diplômes : trois mots : Makronissos, Yaros et Léros. Et si, maladroits

vous paraissent nos vers, un jour, souvenez-vous seulement comment ils furent écrits,

sous le nez des gardiens, et la baïonnette toujours sur nos flancs.

 

*

 

Les présents monstrueux que dit (fût-ce, syntaxiquement, au passé) le témoin Ritsos ne se laissent former en poèmes que soutenus d’emblée (et contre l’intention, propre au pouvoir, d’anéantissement sans traces) par le geste qui les destine, qui les donne à de l’attention… Attention publique, mondiale, alertée, pour Ritsos, par certains des poètes ou artistes les plus célèbres  du siècle ? Sans doute. Mais l’écoute que cherchent les poèmes puissants et subtils de Ritsos, ou plutôt qu’ils anticipent dans leur constitution même, est – par rapport à toute réception concrétisée – toujours plus proche (déjà là, comme un silencieux support élastique où s’imprimerait chacun des traits discrets des vers) ou plus loin (jamais réalisée, promise à être indéfiniment ravalée, à travers tout futur, en un suspens indéfini).

Et puis l’attention qui brûle au sein des poèmes-témoignages de Ritsos est aussi – communiquant avec celle qu’appellent les poèmes – faite des regards réciproques des détenus : on y sent de la fraternité, sans doute, mais aussi des dangers ou, soudain, une glaçante sidération.

Comment se faire aujourd’hui lecteur  du poème-témoignage « Vers quoi ? » (dans Pierres) ? On y découvre, entre un « il » et un « nous », dans une infrangible dureté, un rapport devenu – à vous tirer les larmes – absolument impossible ?

 

Avec le temps, il avait commencé à parler avec amertume ; (étrange ; lui

si dévoué, loyal, discipliné pour dire mieux), évidemment pas

de personnes ni d’événements – plutôt en général etvaguement, ou avec gêne,

peut-être même avec peur.

 

« Ne pas comprendre, mais voir parler », disait Celan. C’est ce que semble suggérer la suite de ce  même poème :

 

Ses mains,

une torsion, comme les racines d’un arbre en terre étrangère,

en une terre profonde, et comme nôtre.

Personne

ne le croit plus ; ne le regarde plus dans les yeux – qu’il dise ce qu’il veut

 

Et l’énigme du non-rapport se fait – en images absolues – totale :

 

Non que nous ayons eu peur de cet apeuré – pas du tout. Une vitre

plus haut, du cinquième étage, jetait sur lui une douce lueur,

lui éclairait le visage come s’il portait un masque de verre.

Et nous

alors nous portions les mains au visage comme pour nous cacher

ou comme pour soutenir un mur qui penche. Entre nos doigts

tombaient des morceaux de plâtre, des pierres, de la poussière, des pièces cuivrées ;

nous nous baissions, et les ramassions ; – sans nous agenouiller devant lui.

 

La dureté, enfin, devient celle même de l’eau ou de l’air :

 

Et dans le miroir, en face, quelque chose de blanc, d’infiniment blanc –

un vieux peigne en os dans un verre d’eau,

et la lumière sereine de l’eau dans le verre, dans le miroir, dans l’air.

 

Yaros, 24.05.68

 

 

 


 

 

le recours à la mythologie… : « répétitions » ?

Des puissances ? « aura »… ou une autre manière de dire ce qui se dérobe ?

Mais, dans Répétitions « Ni la mythologie » PRG p80

 

Ainsi finit le jour, dans ses couleurs éclatantes, si belles, sans

que rien ne change pour nous. Les gardiens, oubliés dans leur guérite.

Une barque flotte dans les eaux basses, sous une lumière rose et or, étrangère ;

les filets dan la vase pêchent de noirs poissons, gras et visqueux

reflétant les lueurs du crépuscule. Ensuite, quand les lampes furent allumées

nous sommes rentrés pour recourir encore à la mythologie, cherchant

quelque plus profonde corrélation, quelque lointaine et générale allégorie

qui adoucirait l’étroitesse du vide personnel. Sans rien trouver.

Pauvres nous sont aussi apparu Perséphone et les grains de grenade

devant la nuit qui tombait lourdement et l’absence absolue

Léros, 31.03.68

 

Un temps autre que le temps historique orienté ? Eternité ? non-temps mélancolique ?

Ironie, au présent,  dans le rapport aux sources du passé ?

Indifférence des dieux : « la plus rayonnante indifférence » …

 

Poèmes datés (Keeley p22)

 

« Vers quoi ? » dans  Pierres répétitions grilles p33.  Poème dont chaque trait (dans la sobriété de la traduction) porte… alors qu’en lui bouge une douleur dont on ne sait ce qui l’a causée, ce qui l’entretient dans un entre humains dont on ne peut caractériser les deux côtés…

Un « il » est entendu et vu parler..

De quoi ? c’est aussi éludé : « évidemment pas / de personnes ni d’événements – plutôt en général et vaguement, ou avec gêne,/ peut-être même avec peur. »

On voit ses mains d’homme qui parle de la sorte :

 

« […] Ses mains,

une torsion, comme les racines d’un arbre en terre étrangère,

en une terre profonde, et comme nôtre. »

Puis le poème se tourne vers ceux qui écoutent… ou n’écoutent plus, ne veulent pas, devraient… on ne sait, un « nous » inquiétant:

«  […] Personne

ne le croit plus ; ne le regarde plus dans les yeux – qu’il dise ce qu’il veut.

Non que nous avions peur de cet apeuré – pas du tout. »

Et c’est l’entre, la séparation infranchissable, que dit, en visions extraordinaires et simples, toute la suite du poème

« […] une vitre

plus haut, du cinquième étage, jetait sur lui uen douce lueur,

lui éclairait le visage comme s’il portait un masque de verre.

Et nous

alors nous portions les mains au visage comme pour nous cacher

ou comme pour soutenir un mur qui penche. Entre nos doigts

tombaient des morceaux de plâtre, des pierres, de la poussière, des pièces cuivrées ;

nous nous baissions, et les ramassions ; – sans nous agenouiller devant lui.

[…] »

 

 « Vers quoi » ?  Ou : « en quoi ? »… En quoi le poème se rend-il visible, audible, mémorable ?

ce qui se joue dans le poème se rejoue, autre, dans la destination du poème, dans l’écoute qu’il suppose ou non, ou, d’emblée, dans ce qui se fait support en quoi ses traits s’impriment

………

Chaque poème forme un présent (la question n’étant pas de savoir s’il est au passé ou au

 présent)… actif par rapport à des instants effectifs (et survenus pour plusieurs : c’est l’un de intérêts aussi d’avoir d’autres poèmes écrits par d’autres).

Poème qui fait revenir des instants en les ouvrant là où ils étaient clos, dominés, en proie à… Un espacement interne là où il y avait étouffement. Ce n’est pas une compensation, un renversement en son contraire, dans la mesure même où cela est arrivé à des gens qui jaais n’auront accès à ces poèmes…

Présents qui n’ont lieu qu’en se rendant capables de recevoir de quoi se constituer. Ils anticipent une réception, une possible écoute, une future mémoire qui leur donne d’emblée ce en quoi marquer. Ils acceptent que ce soit entièrement risqué. C’est sûr, dans la célébrité, et c’est très risqué, dans le pur malentendu. Et au sein de tout cela ils reonstituent la simplicité du recevoir de quoi se donner (ce qui est à recevoir de l’avenir est aussi comme un reversement dans l’avenir d’un soutien ancien, enfantin, biographiquement, ou plus en amont,  de génération en génération ce qui a permis une continuité… d’où les figures mythologiques… Mais tout cela est en jeu, en question, risqué, le poème peut soutenir tout cela qui pourtant le porte

 

« Un prétexte

 

les cages vidées dans la cour

les bouteilles vides sous l’arbre

quand tombe le soir sur les hangars

quand la statue noire

assimilée aux ténèbres

 

ne représente plus rien. »

« Le heurtoir », trad Gérard Pierrat, Gallimard  1980 cité par Jacques Ancet (« le témoignage universel de Yannis Ritsos »

 

statue qui est… par elle-même (sans plus représenter… dans ce moment-là, à cet instant-là)

et devient de la même substance que les ténèbres (comme il arriverait dans certains grisaillements de Morandi où boîtes et bouteilles sont latéralement dissoutes soutenues perdues)

 

Une sorte de droit… Où quelle force, d’où venue, pour supporter l’absence de droit ?

 

D’où sans doute des dimensions spéciales de la desnation de ses poèmes, non pas après-coup, mais constitutive – en même temps que le geste de s’aracher au silence , à l’acrasement, à l’impuissance, au dénuement – dans  leur manière de se donner de l’écriture même en train de se réaliser.

D’où encore la disposition contitutive de la Lettre à Joliot-Curie.

*

 

 

lieux et temps communs ; partagés avec d’autres. Porximité avec d’autres poètes ? Bien sûr…

Poèmes de Makronissos.. Monde de pierre . Charilaos Michiotis (p10). le poème intitulé « Makronissos » commence par : « C’était une loque pierreuse/ une île-loque ». Le poème de Kyriakos Simopoulos intitulé « La pierre de Makronissos »

Comparer, évaluer perd-il son sens ici ?

.

Cependant ce que disent ces poèmes n’est pas toujours, du moins à preière vue,  lié à la situtation du prisonnier. Il y a là un acte de résistance… Liberté poétique ? Pas au sens d’une « évasion ». Les mythes, les statues… rayonnement mystérieux. Une autre Grèce (au sens d’Allemands de Benjamin… statues : « Quand il épuisait tout, autour de lui et en lui,/ et c’était comme si tout s’enfonçait, – alors il se souvenait et prononçait/ un seul mot : statue (et, naturellement, il entendait / une statue grecque, nue). » – début de « Un mot », dans PRG p205).

D’un autre côté, nombre de poèmes dient des détails , ceux, souvent, de la vie ordinaire…  Mais comme un souvenir ? une vision ? un retour de la vie ordinaire à distance PRG p.195 « Crépuscule marin » qq ch d’allégorique s’y glisse, enfle doucement le poème ; cett « grande pelote de laine noire »

C’est aussi, et surtout, la constitution même de ces poèmes – leur puisance sobre, leur sidérante justesse – qui effectue leur autonomie maintenue, retrouvée : elle n’est pas gouvernée par la situation imposée. Souffles, vides, énigmes, liberté de la pensée poétique. Rien qui soit pour autant de l’ordre du lumineux,rien qui rejoigne de l’idéologique, rien qui s’affiche…

Travailler les éoutes et non écoutes, les attentions persécutrices et les attentions soutenant…, les orbes et enveloppes.

Dans la lettre à Joliot (p2) le « nous », avant de demander l’écoute, est à l’écoute :

Rien que des pierres, beaucoup de pierres,

et pourtant, Joliot, sur ces pierres

nous écoutions secrètement le soir,

l’oreille collée à nos blessures,

nous écoutions passer la liberté et la paix.

 

ET le geste de donner (« Don du poème » dit Mallarmé : poème dont la posibilit de l’écrire ets à receoir de lapossibilité anticipée, déjà là et différée, de le donner

appeler induire ce en quoi il puisse y avoir trace

(Ce peut être, furtivement, dans une brève lettre glisséé comme encore ou déjà poème, dans e la proximité de l’un à l’utre, ais qui aussitôt déjà s’étend

« une ombre bleue au-dessus des rochers et encore, jusqu’à la tendresse en nous, la trace d’une palme de mouette – une petite croix sur le sable de notre esprit… » lettre du 11-3-50 à Kaitoula

 

Problématique et sûr, le poème dans son geste  cf « Celui insatiable » PRG p204 admirable poème, les choses à dire se donnent au poème dans et par le geste où celui-ci se donne

 


 

 

 

 

Lire, relire Ritsos dans le temps – années, décennies.

Mais ne pas soumettre cette lecture multiple au seul temps historique, politique.

Les poèmes de Ritsos sont-ils immergés dans l’histoire de leur temps ? Datés.. 

Pour le lecteur d’aujourd’hui, ils en réémergent tout moment, ou différemment selon les moments. Ils semblent être descendus comme au-dessous du temps historique, dans la nuit du non-temps, mélancolique (Holan).

nuit-temps des détenus, d’un temps infiniment coûteux, mais par moments comme inorienté, au revers de monde où le temps historique, selon les pouvoirs ou selon ceux qui y résistent, est omniprésent, trop sollicité. le « noir » devient chez lui déterminanT

Pour nous, dans nos présents divers, ces poèmes réemergent ruisselant de nuits (et je réentends soudain, mentalement – et je voudrais réécouter comme jadis, au temps de sa création ou peu après –  en écrivant ce mot, le terrible hululant-aboyant Nuits de Xenakis, cette « Musique pour 12 voix mixtes datée de 1967-68 ») et de violences et oppressions multiples . Et pourtant, ils sont neufs (et parfois d’autnt pls ils nous happent dans leurs présents faits de pure évidence et d’énigme.

On n’a pas les mots, pas les pensées, pour interroger l’intrication de Ritsos avec l’histoire de son temps.

Il y a bien sûr la simplicité brutale des incarcérations répétées et prolongées.

Il y a les questions que soulèvent son type d’engagement politique. De quel regard voir ça ? D’où, géographiquement ou historiquement ? C’est le temps d la guerre froide.

Ne pas lire avec un savoir et des jugeents politiques extérieurs les textes écrits par qui était sous l’emprise de la violence de la dictature. Poèmes enfouis.

 

L’instrumentalisation, par les PC, des luttes, de la sincérité pure, de la révolte, du désir de révolution, d’un avenir tout autre. Nul doute que cela contamine certains poèmes de R

L’instrumentalisation de la résistance à l’URSS, à Staline au profit d’une politique de puissance et de formes nouvelles d’exploitation.

Le « réalisme », là, donnant tous les droits à ceux qui ont besoin de se permettre les pires excès, la jouisance du cynisme.

 

La question pour moi aujourd’hui lisant Ritsos :

comment une pareille poésie peut-elle être alliée (mais comment ? en toute connaissance de cause ? par des illusions ? des évitements ?) (le communisme : renversement ou détournement du meilleur pour le pire ? ou le pire était-il déjà là d’emblée ?) à de l’appartenance  à ce qui est l’instrument de l’Urss.

Résister au forces alliées au nazisme ou à celles ralliées à la dictature : comment cela peut-il se faire sans s’appuyer (alors que l’Angleterre et les Usa aident les ennemis) sur les soutiens de Moscou ou des « partis frères » ?

 

Nous ne savons pas encore comment (nous) parler de tout cela.

 

Ritsos, nous disons-nous, n’était peut-être pas averti de ce qu’était devenu le communisme en URSS. Voilà qui peut paraître douteux.

Mais, indépendamment desfaits massifs en URSS, le style même d’adhésion ne fait-il pas problème ? Ne devrait-il pas alerter ?

Kazantzaki. Istrati ?

(je voudrais savoir : je parler en lectur naïf… Je ne donne pas de savoir ; e m’interroge, sans trop d’espoir, en visant ceux qui pourraient savoir, et citer.)

Ritsos témoin ?

si la poésie témoigne, ou la musique, ou la danse ?

témoin : au sens de violences collectives dans quoi celui ou celle qui fait œuvre (du « je » autobiographique à certains déplacements… mais alors mesurés et sensibles avec une acuité, une effectivité singulièrement irréfutable)

a été pris, écrasé, voire menacé de disparaître,

des violences où sa vie, son émergence et son inscription en de espaces-temps communs, son accès à des possibles, son pouvoir de lier, se lier, nouer dénouer, et sa capacité de (se) donner, de marquer dans…

tout cela donc est menacé, soit dans une énorme négligence, soit intentionnellement et symboliquement

 

Etrange situation : R est su vu (à partir de quel moment ?)  du monde (il est vrai que ce terme est faussement clair : l’opionion ? laquelle ? ) alors même qu’il est incarcéré.

Rien à voir avec la situation de ceux – Chalamov – qui sontmenacés de disparaître sans traces. Plutôt Soljénitsyne ?  Akhamatova.

Pourtant ; pas de théâtralité. Etrange contact entre l’écrasement partagé avec tant… et la visibilité mondiale, il est vrai disputée, arrachée.

 

Réduire Ritsos au rôle de témoin ? Alors que son principal effort fut peut-être de maintenir la possibilité de la poésie malgré les circonstances.

 

On peut craindre que la lecture de pareilles œuvres soit d’emblée réductrice, guidée trop du dehors historico-politique (avec de surcroît l’adhésion a priori à une cause.. dont la précision initiale, contemporaine, peut virer au vague, aux bons sentiments, à un unanimisme qui n’engage à rien.

 

On peut se demander si alors on n’oublie pas la poésie comme telle.

Et pourtant…

 

La poésie et l’ici maintenant détruit… Moins rapporter des faits que du de fait nu. Friedländer : citer le poème comme tel…

 Les dimensions alors en décoposition du présent. L’espace et le temps deviennent si réels, cassants, cassés, calcinés.

Mais Ritsos : pas menacé d’oubli comme tant d’autres.

Il y a une sonorité, une netteté, une sûreté.

Et en même temps la puissance poétique : celle de faire remonter ou venir out ce en en quoi cela, si réel, a trouvé sa possibilité.

Il restitue cela à des nuées terribles

La mythologie, un passé énorme, du non temps…

de l’énigme… (cf  B. Noël : les oracles)

 

la plus grande clarté se met à béer… elle ne se rejoint pas elle-même

elle accepte des souffles :

communication fluide immédiate avec les divisions et localisations du monde – sans grande solution (ce qui échappe aux emprises politiques)

 

Poèmes enfouis à Makronissos :  cf Pachet des fgts grecs.

rouleaux d’Auschwitz ; Akhmatova-TchoukovskaÏa ; poèmes de Mandelstam ; les archives de Varsovie

 

La constitution de « camps », de « côtés » ou de « bords » (« de quel bord es-tu ? » : injonctions familières au milieu du siècle)…

Des deux côtés, dans la guerre froide (et sans pour auant tout égaliser ou symétriser), certains, h politiques ou agents divers, au-dedans et au dehors des sociétés auxquelles ils appartenaient ont trouvé l’ccasion d’exercer leurs talents, de libérer du cynisme, et de ne pas avoir de freins dans l’exercice de ce qui, sous couvert de « service », peut bien être d’abord l’assouvissement de leurs pulsions.

Nul doute alors que tout ce personnel ne bénéficie de ce qui se perpètre de plus inacceptable dans l’autre camp.

Information, censure, « désinformation », etc.

 

C’est aussi à travers tout ça, plus ou mois su ou ignoré, présences opaques dan l’espace mondial, que les poèes témoignages ont à percer.

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Témoignage : à ne pas prendre d’un air trop pieux, voir avec bigotterie (bêtise de l’accuei, de l’écoute, de la réception.. ; Qq ch de cela à la fin de Etre sans destin)…

Les victimes ne sont pas des saints (vouloir les sanctifier, voilà ce qui conduit à l’excès de pathos sur les musulmans). Les retrouver… c’est avori affaire à des gens porteurs d’une expérience de la limite, mais c’est aussi les retrouver dans la vie ordinaire, tels qu’ils ont maintenant à revivre, et pour une part tels qu’ils furent avant. Spiegelman, Kertesz… Ils sont l’un et l’autre… Les victimes en se faisant témoins se différencient. Le plus capables de porter et transporter leur expérience sont celles qui sont les plus sensibles à la pseudo-sanctification, qui secouent cela, s’en déprennent, défont ces stéréotypes pleins de bonnes intentions. Le faire œuvre est un des aspects de cette différenciation. Certains témoins en viennent à s’enfler de vanité, de rivalité, et, même, de bêtise. Francine Christophe : le rapport aux jeunes.

l’oeuvre joue peut-être un rôle de mesure… Le faire oeuvre comporte une humilité, un sens des autres...

Divergences dans les conséquences éthico-politiques-littéraires que les témoins entendent tirer de leur expérience (ultra, infra..) dès le moment où elle leur vient enfin à dire ou, ensuite, dans d’autres types d’interventions…

Il faudrait ne pas craindre ces difficultés, ne pas rêver, là en particulier, d’une unanimité  onctueuse.

 

Poèmes-notes… : ce qui y semble avoir été pris au vol (« ce qui ne s’inventerait pas » – Diderot ? Le conteur « parsèmera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels, et toutefois si difficiles à imaginer que vous serez forcé de vous dire en vous-même: ma foi, cela est vrai, on n'invente pas ces choses-là ». Diderot met en pratique la poétique qu'il énonce. D'un détail, il donne vie à deux contrebandiers, à des amants mal assortis, à une femme qui refuse les accommodements de la société. De ces personnages de son temps, il fait des héros dignes des tragédies antiques. Loin des bienséances et des règles classiques, ils incarnent l'Amitié, l'Amour, le Respect de soi. Quelques pages suffisent à Diderot pour donner l'illusion de la réalité et esquisser une poétique.), ne se donne que comme détails aigus. Et puis quelque chose balaie… quoi : dans le poème même l’oubli ? ou ce qui ne laissa pas de traces ?

chaque détail noté donne aussi la non-présene de ce qui ne fut pas noté, de ce qui aura été balayé dans le vide

 

Témoignages : des points d’évidence absolument irréductible, combustion déchirant les rapports pré-existants.

 

 Le poème surgit dans des rapports langagiers, dans l’interlocution. On dirait la voix, la diction (à l’atattaque), et le contenu de paroles de qq un qui sommeillait à une table commune et bruyante ou grandiloquente ; il sort soudain moins du sommeil que d’une absorption intense, en lui-même ou plutôt dans une continuité noire froide. Il interrompt, en rapport avec tout ce qui est dit, mais aussi contre…

Ce qui est à interrompre, c’est moins des opinions que des postures. Le poème disjoint……

…….

Grilles Des « il y a »… au passé ? Des présents décalés ? qqch de constats… De la parataxe. Du récit( p ex « Isolement » p159)… historique (politique) ou onirique ? Qui raconte ? qui sait ?  qui a vu ?  Pour qui raconter ?

Détails puissants en tant que « sans signification ». P ex dernier vers de « Le fauteuil », p160 : « Le fauteuil est au sous-sol, et dessus la souricière » On cherche qq ch de significatif, on essaie (opérations quasi instantanées de la lecture…, tâtonnements dans l’appréhension du texte) de l’allégorique… ça marche trop bien pour être acceptable, ces interprétations dérapent, et c’est avec d’autant plus de force qu’émerge le pur de fait…

 

Dans Grilles de la structure de témoignage est travaillée. Disputes transparentes d’instances (poétique ? policière ?)  pour qui il y a visibilité, constatation possible, bilan.

Mais il y a aussi, glissés dans les poèmes, des doutes sur les regards favorables. cf« Ultime obole » (PRG p157)

Vivre sous les regards des gardiens et dans les entreregards des codétenus.

L’aspect militant (cf Antelme).

Avoir assisté à une scène terrible. «Malgré tout » (« ils devaient sauter »). Du réel ? du rêvé ?

 

PRG « Reconstitution du sommeil » (daté… 69) : détails quotidiens fantastiques surgis de la nuit.

Que veut dire « reconstitution » ici ? Faire revenir, faire venir ce qui a échappé, ce qui n’a eu lieu qu’en s’échappant ?

Le sommeil… ?

 

+++ … des évidences qui se dérobent aussitôt ? ce qui apparaît de l’un à un autre ? dans l’entre … Alors même qu’on est dans la visibilité à quoi sont condamnés des détenus

du regard  impliqué

 

« Perquisition » (daté… 69) : ce n’est certainement pas une perquisition policière effective ;  c’et des bribes de vie, de choses restées, vues sous un regard (« après vous, messieurs ») inquisiteur haineux ou glacial.

….

Le poème semble intempestif-irrésistible. Il semble faire effraction (un peu comme ceux de Holan) à la manière d’une parole de qui semblait dormir pendant la conversation des autres et se réveille et dit quelque chose qui disjoint les propos, leurs rapports entre plusieurs – et cpdt en effectue qq chose, en donne une substance… comme tranchée, suintant de danger et de douleur…

Et dans les rapports aux discours militants, à ce qui peut devenir très vite administratif, soudant, étouffant…

 

Le poème lui-même est habité d’espacements. Le sens est évident ou soudain suspendu. Il a lui-ême qq ch d’un souffle.

 

Témoignage ? Un des pbs fdtaux : témoigner des autres… , de l’inenveloppable, du non récupérable. Contre toute commémoration ?  Il y a l’unanimité du militantisme. Bien sûr.

Et puis Ritsos, au temps des poèmes de PRG, écrit sous le regard ou dans l’écoute du monde… (du monde en quel sens ? Partage ? déchirement ? )Comment est-il possible  qu’il soit d’autant plus juste ?

 

Le poème se fait en rapport avec des présences qui échappent ou dont il ne restera rien, avec ce qui fut leur sentiment peut-être non ressenti de se perdre sans traces…

 

« Ont-ils seulement existé ? » Poésie-Gall p84-85

 

 


[1] « Celui insatiable », PRG p204

 

[2] Cité par Pascal Neveu dans sa « Note du traducteur » en tête de Temps pierreux, Makronissiotiques,  Ypsilon Editeur, 2008.

[3] Traduit du grec et présenté par Dominique Grandmont, Poésie/ Gallimard

[4] Ypsilon éditeur, 2009.

[5] « Qui a posé ses lèvres sur le front las des siècles/ Peut, tendre fils,  se souvenir/ Comment au-dehors, dans la congère de seigle, / Le temps s’allongeait pour dormir. » Ainsi s’élance le grand poème de Mandelstam (Le Deuxième Livre 1916-1925, traduit du russe et présenté par Henri Abril, Circé 2002).

[6] D’autres poètes de Makronissos se contraignirent à dire ce lieu et ce temps de pierre. « C’était une loque pierreuse/ une île-loque » murmurait Charilaos Michiotis, dans un poème intitulé « Makronissos ».