Voilà, c'est ici
.... non pas un berceau,
magique Eden sans horloges,
ni une tombe sans fenêtre, mais un endroit
où rentrer et d’où sortir
W.H. Auden, « Thanksgiving for a Habitat » (août 1962)
Voilà, c’est là – « à la maison ».
Maison ? Ce peut être un logement, entre plusieurs autres (à tel étage, etc.).
Il y aura sûrement je m’en tiens, allusivement, à une certaine généralité, je tâtonne, dans le probable – comme en jouant, enfant, à l’aveugle – là où tout est prévisible et toujours un peu différent...
il y aura donc, si c’est une maison, un escalier intérieur, en bois (craquements, la nuit) ou, pour un logement, un escalier collectif (en béton, sans doute, avec bruits, cris, dévalements et rires, ou affrontements).
C’est là où rentrer (couloir ou petite entrée, avec portes, certaines vitrées, d’autres non).
Là où s’effacer du dehors. Où être libéré de la lumière du dehors, de l’entr’exposition.
Là où se soustraire à la plupart des autres. Pour retrouver, éventuellement, les proches, et leurs seuls prénoms. Et, avec eux, malgré eux, ou même seul (mais jamais sans souffles de présences passées, possibles...), se refondre : dans un élément interne sui generis.
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Fendant le temps, ce dedans, quel qu’il soit, entamant l’espace, (ciel de nuit ou d’aube, lune rouillée, écume, nuages filant)...
C’est ainsi qu’on le vit ou le rêve – pas seulement en s’endormant...
Un dedans je continue à tâter la banalité même, nécessaire, enfantine c’est une création continue, entretenue. Avec ses bruits intérieurs. Ceux de l’électricité, du gaz, de l’eau, le frigo – mais tels qu’ils se confondent par moments en un grésillement, en bruit de la durée même.
Tant de choses restent allumées (la télé, une radio, un réveil, un oeil rouge ici et là)
(mais ce qui – à moi seul ? – revient de jadis, c’est encore, du temps de guerre – neige jaune dehors sous un réverbère –, un petit poële, sa fenêtre de mica, son cercle de clarté rose légèrement tressautante sur le plancher.)
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Tout, dans la maison, se redécouvre toujours (en rentrant, pour la dix-millième fois) comme est prévisible un corps qu’on dénude, où l’on retrouve tout ce que comporte un corps qui vit en même temps qu’on le touche – ses endroits montrés cachés, ses organes visibles ou devinés sous la peau, tout ce qui est découvert avec inquiétude ou ravissement, des reliefs et de dangereux orifices (etc. : pour ne pas aller jusqu’à ce que deviendrait un corps qu’on dépouillerait doucement).
Intimement différencié, oui, le dedans de la maison – pour vivre avec les proches ou même, si on est seul, pour écarter les uns des autres les différents moments de soi-même. Selon les besoins, ou les désirs, ou les états : cuisine, par exemple, WC, s.d.b., chambres... Il faut donc ces portes, ces blocs d’espaces distincts, avec leur air particulier...
(La maison faite pour rythmer les écarts et mélanges entre individus et états ? Auden réclame un escalier, quelques marches au moins : « Le glissement du personnage/ avec immatriculation, nom et prénom, / à l’Adam ou l’Eve nus, et inversement,/ ne doit pas être désinvolte ou abrupt : un escalier le retarde... » )
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Enfant, on a place dans les prévisions des autres. Mais on sait, avec un autre flair qu’eux, s’interroger sur ce « dans ».
Questions-palpations élémentaires affamées (joue contre la vitre, à hauteur, peut-être, des platanes): comme ça tient, pourquoi, qui l’a voulu, qui l’a fait...
Et la peinture sur les cloisons, ou le papier (l’excitation enfantine quand on changeait cela, les odeurs fraîches), tout près de la peau, les traces figées du pinceau, des empreintes dans le mastic, des éraflures, des décollements. Et il y avait du secret très pauvre, des complicités avec ces consistances – et de la peur, à croire sentir un sang d’encre, celui du souci, battre dans les murs mêmes...
Et maintenant... : soulever de l’ongle la peau du mur, ou bien y écrire au crayon rouge – oui, là,
sur cette peinture bleue-usée, brièvement illuminée par les rayons d’un soleil bas qui affluerait (avec des cris de mésanges acharnées à crever le papier du beurre sur le bord de la fenêtre ouverte)
d’au-delà des maisons voisines ou à travers les branches d’un grand sapin – une demeure agitée d’oiseaux...
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Ce qui dure ou enveloppe les durées, comme on l’aura respiré-interrogé, enfant (ou, pour tout le reste de l’existence, en s’endormant, simplement) !
Mais en temps de guerre, vinrent – pourraient toujours venir – de drôles de réponses : racines de maisons, soudain mises à nu (sous un ciel nocturne entièrement éclairé)...
Et ensuite, pour des années : décombres blancs (plâtras exposés, pleins de flaques verdâtres, à peine séparés du trottoir par quelques tiges de métal).
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Et maintenant, pour une minute, il faudrait (comme pour vérifier) retrouver la circulation directe, crue, qui semble parfois (à l’aube, peut-être, dans l’épuisement, au bord de l’effacement) s’établir
entre l’air qui constamment bat en s’unifiant-différenciant dans la maison et ...
l’élément tel qu’il se condense dans un poème (entre – ou sous – les mots ou tous les moindres traits) pour en réaliser la tension interne.
Deux puissances ? L’une passant, fluide, dans l’autre, l’irrigant réellement.
Deux modes de soulèvement ou de mise en flottement (suspens, grisaillement, pointillements) de tout ce qu’il peut y avoir « dans ».
Au-dedans de la maison, au-dedans du poème : deux continues – et toujours menacées d’être douteuses – refusions au coeur du temps.