Littérature et liens
Presses universitaires de Vincennes
L'Autre de l'œuvre
Littérature et liens
Claude Mouchard
1« Littérature et liens » ou, mieux, « œuvres et liens » : c’est moins, ici, un sujet qu’un projet. Aussi me contenterai-je d’esquisser – dans un style programmatique quelque peu rugueux – une question que j’espère ouvrir plus décidément dans les années qui viennent et qui me conduira à me retourner sur certaines situations des XXe et XIXe siècles. Je vais simplement, dans ce qui suit, indiquer deux des directions dans lesquelles cette question pourrait trouver sa portée.
2Dans la première direction, il faudrait lire des correspondances d’écrivains écrites au XIXe siècle et au début du XXe siècle, soit en des temps où on échangeait encore des lettres (comme le suggère Adorno dans sa préface à Allemands, le petit ouvrage que Benjamin composa – en manière de réplique à l’Allemagne nazie – en réunissant des lettres écrites par des auteurs très divers entre 1783 et 1883).
3Dans la seconde direction, on aurait à interroger ce qu’on a appelé la « littérature de témoignage » et qui semble propre au XXe siècle, c’est-à-dire à des temps de destructions d’une ampleur jusqu’alors inconnue et de violences exercées par des États non seulement sur des ennemis en guerre, mais sur leurs propres ressortissants.
4Sans doute aurais-je dû, ici, m’en tenir à une seule de ces deux directions. Mais il me faut, fût-ce hâtivement, recourir à l’une et l’autre pour dégager la généralité de la question des œuvres et des liens, et pour amorcer la mobilité qu’elle requiert à l’égard de l’histoire.
5À rapprocher ces deux directions – ainsi que des situations historiques et des positions d’écriture si différentes (voire incompatibles)-, les quelques pages qui suivent ne seront pas sans brutalité.
6En lisant des correspondances d’écrivains tels que Kleist ou Keats, Flaubert ou Mallarmé, Melville, Emily Dickinson, Kafka, il faudrait s’arrêter à ces endroits où les auteurs des lettres sont ou se font dépendants de relations ou, plus intimement, de liens dans lesquels leur pouvoir même de parler, de penser et de faire œuvre, est en jeu et trouve des chances, peut-être, mais rencontre aussi des périls.
7En m’attachant à des écrits de « témoins » du XXe siècle, j’aurais à montrer comment ce que nous lisons alors nous ramène non seulement vers des individus qui furent broyés par la violence politiquement organisée, mais vers ce qui est advenu de leurs liens les plus nécessaires – ceux dans lesquels ils avaient vécu ou survécu, ceux pour lesquels, en tant que survivants, ils voulurent redevenir capables de sentir et penser encore, de parler, d’écrire.
8Dans l’une et l’autre directions, il y aurait à découvrir comment, par ses voies propres, le faire-œuvre ramène l’auteur (et le lecteur) non seulement à une inévitable solitude mais, en deçà d’elle, jusqu’aux régions des liens et dépendances élémentaires. Et il faudrait des mots nouveaux pour rendre sensible l’immédiateté ou la crudité avec laquelle l’œuvre même – quelle que soit d’ailleurs la diversité de ses modes historiques d’existence, du XIXe au XXe siècle – peut emprunter une part de sa substance à de l’« entre » tel que des lettres tentent de l’entretenir ou tel que des violences politiques le décomposent.
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9Au rebours de la succession historique, je prends d’emblée et brièvement un exemple du second type de situations.
En guise de préface
Au cours des années terribles du règne de Jéjov, j’ai passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Un jour, quelqu’un m’a reconnue. Alors la femme aux lèvres bleuâtres qui était derrière moi et qui n’avait certainement jamais entendu prononcer mon nom sortit de la torpeur dans laquelle nous étions tous plongés et me demanda à l’oreille (là-bas on ne parlait qu’en chuchotant) : « Et ça, vous pouvez le décrire ? » J’ai dit : « Je le peux. » Alors une espèce de sourire glissa sur ce qui jadis avait été son visage.
Leningrad, 1er avril 1957.
1 Comme le précisent leurs traducteurs, Jeanne et Fernand Rude, dans Anna Akhmatova, Poème sans héro (...)
10Telle est la page qui, en effet, sert de « préface » (après quatre vers datés de 1961) au Requiem d’Anna Akhmatova, « un ensemble de quinze poèmes1 » écrits « entre 1935 et 1940 ».
11Comme tout lecteur russe de Requiem le sait (ou l’a longtemps su), le premier mari d’Akhmatova, Goumilev, poète lui aussi, avait été fusillé en 1921. Le fils d’Akhmatova et de Goumilev est, lui, arrêté et mis en prison en 1935 (lors de la terreur qui suit le meurtre de Kirov).
12C’est en tant que fils que ce garçon a été arrêté. La terreur stalinienne invente une responsabilité familiale. Ou plutôt, les liens eux-mêmes sont visés. La terreur s’en prend à cette substance la plus tendre, la plus blessable, de la vie commune, à ce par quoi on s’éprouve exposé au-delà de ses limites individuelles – lorsqu’il faut, dans l’impuissance, assister à ce qui arrive au plus proche.
Cette femme est seule,
Son mari dans la tombe et son fils en prison,
Priez pour moi...
13Ou, dans une autre page :
Non, ce n’est pas moi, c’est une autre qui souffre.
Je n’aurais pu souffrir ainsi.
Tout ce qui s’est passé, qu’un drap noir le recouvre,
Et qu’on emporte les lanternes...
C’est la nuit.
14Ou encore :
Depuis dix-sept mois je crie,
Je t’appelle à la maison.
Je me jetais aux pieds du bourreau,
O toi, mon fils et mon épouvante !
Tout s’est embrouillé pour toujours.
Et je ne sais plus maintenant
Qui est la bête, qui est l’homme.
Et quand viendra l’exécution.
Et seulement des fleurs couvertes de poussière,
Et le tintement de l’encensoir, et des traces
Quelque part, vers nulle part.
Et me fixe droit dans les yeux
Et me menace d’un désastre proche
Une étoile énorme.
(Août 1939)
2 C’est ce que suggère la « contre-utopie » d’un contemporain russe d’Akhmatova, le romancier Zamiat (...)
15Par ces vers frêles et fébriles, le pouvoir même de dire – qui seul échappe encore à l’impuissance – entre en contact avec la brutalité du pouvoir soviétique. Celui-ci, je l’ai déjà dit, s’attache non seulement à assujettir les individus, mais à détruire les liens entre eux. Ou faudrait-il dire plutôt que ce pouvoir ne tolérait entre individus d’autres relations que celles qui passaient par lui2 ?
16Cependant, écrire des vers dans de pareilles circonstances risque d’apparaître comme chose insensée ou futile. Le mouvement de témoigner – pour le « fils en prison », pour soi-même attendant le long des murs de la prison, ou pour l’anonyme « femme aux lèvres bleuâtres » – n’est-il pas contredit ou distordu par celui de faire œuvre ?
17« Tout ce qui s’est passé, qu’un drap noir le recouvre... » Le lecteur de Requiem pourrait avoir, en effet, le sentiment que le poème devient ce « drap » même, et qu’il voile, par sa seule existence d’œuvre, la douleur et les liens blessés ou détruits.
18L’œuvre, en s’écrivant dans l’attention supposée d’un lecteur, ne reconstitue-t-elle pas, fût-ce aléatoirement, de nouveaux liens là où la possibilité même semblait en avoir été détruite ? Ne se destine-t-elle pas à une attention future ? La question glisse dans des passages de Requiem, comme elle le fait, dans les mêmes années, en certains vers ultimes de Mandelstam qui, d’un cri, réclame « un lecteur ! ».
19Il serait trop facile à un lecteur d’aujourd’hui, précisément, de retourner le fait même qu’il puisse lire les vers d’Akhmatova (ou ceux de Mandelstam) en une objection ou en un doute contre leur valeur de témoignage. À l’endroit de la Fugue de mort de Celan, des critiques se sont permis, jadis, en Allemagne même, d’émettre des critiques de ce style. Attaques grossières, voire répugnantes (particulièrement dans le contexte allemand) – et qui furent catastrophiques pour le poète.
20Il faudrait plutôt s’attacher à sentir, en lisant Requiem, la constitution particulière de cette œuvre. Ce qui, dans un tel poème, se révèle impossible ou hors de propos, c’est l’autonomisation qui avait pu paraître devoir se réaliser, avec une radicalité sans égale, dans certaines des œuvres de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle.
21Les vers de Requiem « témoignent » : ils sont, d’emblée et définitivement, liés à une expérience partagée par d’innombrables autres, représentés (au sens d’une délégation toute spontanée) par la « femme aux lèvres bleuâtres ». Ils ne disposent pas de cette expérience, ils ne sauraient se l’incorporer.
22Mais surtout – et c’est ce par quoi ils appartiennent à une catégorie particulière de l’œuvre-témoignage –, ces vers furent suscités par ce qui frappait d’abord non pas l’auteur du poème, mais un proche ou, peut-être, le plus proche, le fils. Ils furent écrits dans une proximité béante. Aussi comportent-ils essentiellement quelque chose d’irrefermable. Et l’œuvre n’aura pu se constituer que comme ouverte latéralement – du côté de ce qui était arrivé ou continuait d’arriver à un autre ou à d’autres.
23D’autres œuvres, au XXe siècle, se sont formées au sein de situations où la terreur politique écrasait un proche de l’auteur tout en le mettant irrémédiablement hors de portée. Ainsi faudrait-il s’arrêter à Eli, « mystère » de la poète allemande Nelly Sachs. La première version de cette pièce-poème fut écrite, selon l’auteur (qui avait fui in extremis l’Allemagne nazie pour la Suède), en une nuit. Cette œuvre hallucinée – « en feu » non moins que les poèmes que Nelly Sachs a intitulés « Énigmes en feu » — tentait de répondre à un choc : celui d’avoir appris ce qui arrivait, dans un camp en Pologne, à un « être aimé ».
24Des écrits poétiques comme Requiem ou Eli sont-ils exceptionnels, parmi les écrits témoignant de la terreur de masse, pour avoir été suscités par ce qui arrivait à quelqu’un d’autre que l’auteur : le fils ou l’aimé ?
25Lorsque des écrits de témoignage du XXe siècle parlent d’autres et pour d’autres que leur auteur, c’est en général parce qu’ils cherchent à garder quelque trace de ceux parmi lesquels il a été jeté par le seul hasard, ou plutôt par l’arbitraire des arrestations, déportations et détentions. Avec eux le survivant-témoin n’a en général pas d’autres liens que ceux, frustes, qui se sont créés sur place. Et c’est par une responsabilité immense mais sans contours qu’en écrivant, il se sent lié à ceux qui ont été engloutis. Ainsi les Récits de Kolyma de Chalamov sont-ils constitués de manière à donner place à des anonymes dont rien ne sera resté ; ces proses s’aventurent par endroits, avec une sobre audace, jusqu’à formuler les pensées supposées des disparus – des pensées qui leur sont prêtées au moment où ils vont mourir (par exécution ou épuisement) et qui sont alors les plus extrêmes ou les plus pauvres.
26Que l’auteur-témoin se rapporte au plus proche (le fils séparé par un mur de prison à Léningrad ou l’aimé livré aux nazis au fond de la Pologne), ou qu’après avoir survécu à l’engloutissement de masses d’individus en Sibérie, il se sente chargé de garder trace de ceux qui, anonymes, n’en sont pas revenus, il cherche, dans tous les cas, à allier intimement son écriture à « du lien ».
27D’autres alliances encore entre écriture et liens se trouvent mises en œuvre dans des témoignages.
28En des endroits cruciaux de L’Espèce humaine (non loin de phrases qui, minutieusement, s’attachent à démonter la fantasmagorie de toute-puissance des SS), Robert Antelme évoque l’appel qu’impossiblement le déporté lançait à ou vers ses proches : ceux, inaccessibles, de « là-bas ». Or, s’il peut écrire de semblables passages ou L’Espèce humaine dans son ensemble, c’est après son retour. Et c’est grâce à la recomposition de ses liens avec ceux qu’il a retrouvés – Dionys Mascolo, Marguerite Duras – et qui l’ont ramené, en même temps qu’à la vie, au partage de la parole. Cette reconstitution des proximités les plus nécessaires à la vie, à la pensée, à la parole, le lecteur de L’Espèce humaine, dès 1947, pouvait la supposer comme l’une des conditions impliquées par l’écriture de cet ouvrage. Mais c’est quarante ans plus tard qu’on découvrit comment Robert Antelme avait pu, dans les mois succédant sa libération, devenir l’auteur de L’Espèce humaine. En 1987, donc, Dionys Mascolo publia, dans Autour d’un effort de mémoire, une lettre que Robert Antelme lui avait adressée en juin 1945.
29À cette lettre, impossible de s’arrêter ici. Certaines des remarques qu’on y lit déconcertent. Quelques phrases étranges déroutent les attentes du lecteur de L’Espèce humaine, et ce sont justement elles qu’il faudrait confronter avec ce livre.
30Dans sa lettre, Antelme dit crûment avoir vécu un « paradis » en retrouvant ses proches, grâce aux soins et à l’attention qu’il reçut d’eux. Et ce paradis répond à l’« enfer » des camps. Cet enfer-là, Antelme le caractérisera un peu plus tard, dans L’Espèce humaine, en le situant dans l’ordre du langage : « L’Enfer, ça doit être ça, le lieu où tout ce qui se dit, tout ce qui s’exprime est vomi à égalité comme dans un dégueulis d’ivrogne. » Mais le surprenant, c’est le rapport que la lettre d’Antelme suggère entre ce « paradis » et cet « enfer ». Pour le langage – et pour ce qu’il devrait permettre d’articuler et de penser (L’Espèce humaine étant un considérable effort de pensée) –, le paradis n’est pas moins une menace que l’enfer des camps.
31C’est bien sûr contre la « fange » des camps où se décomposait tout langage que fut écrite L’Espèce humaine. Mais (on ne le découvre qu’avec la publication de la lettre à Mascolo), ce fut aussi à l’épreuve de la fusion paradisiaque vécue au retour – avec elle et, surtout, contre elle.
32Deux continuités dissolvant les individualités menacèrent, pour Antelme, la possibilité de dire. La seconde par son excès, voire sa folie ; la première – antérieure, celle vécue dans les camps – en se faisant décomposition fécale. Un instant, c’est une symétrie entre les deux que l’on voit s’esquisser.
33À ces flux dangereux où vont se défaire les distinctions – celles entre individus, entre pensées, entre traits langagiers-, il aura fallu échapper pour atteindre la tension de L’Espèce humaine. Et c’est en résistant à ces dissolutions que la prose d’Antelme, sobre jusqu’à l’ascétisme, aura su conquérir la capacité de distinguer, ou le pouvoir de mesurer les écarts entre personnes, les distances entre choses, les rapports de puissance et de faiblesse entre SS ou kapos et détenus.
34La lettre d’Antelme à Mascolo ne constitue pas seulement un compte rendu de ces moments. Elle fut un acte. Elle s’attacha – et réussit – à modifier la relation d’Antelme avec Mascolo et Duras. Et, par là, elle travailla sa position dans le langage. Elle prépara le retour dont se rendra capable L’Espèce humaine sur les relations décomposées dans le monde des camps.
35Dans cette lettre (dont Mascolo, son destinataire, avoua, en la publiant, qu’il l’avait longtemps oubliée), dans sa manière de formuler et modifier les rapports entre Mascolo, Duras et Antelme, l’œuvre-témoignage qu’est L’Espèce humaine aura donc trouvé une part de sa possibilité.
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36Œuvres et lettres ?
37Trop brusquement (mais ce saut en arrière dans le temps pourrait permettre de mieux discerner, dans une lumière rétrospective, certains traits qui, du XIXe siècle, ont disparu ou qui se sont, pour nous, profondément transformés), je passe à des lettres écrites dans de tout autres situations et où les œuvres qui cherchent leurs conditions de possibilité sont d’une nature bien différente.
38Ce que l’on rencontre alors, c’est l’« œuvre » sous la forme radicale qu’elle a prise au XIXe siècle – en tendant d’ailleurs à se dédoubler entre réalisation et « idée » toujours en excès. Certaines des grandes correspondances des XIXe ou XXe siècles sont celles d’écrivains qui, en même temps, ont entendu se consacrer pleinement à des œuvres, voire à l’« œuvre ». Or ne faut-il pas reconnaître quelque incompatibilité entre cette écriture de l’œuvre, avec sa radicalité moderne (ou sa composante d’impossibilité), et celle des lettres, spécialement celles destinées à des familiers ?
39Là où l’œuvre est faite pour être publiée, les lettres (au sens des XIXe ou XXe siècles) sont, en principe, privées. Et la publication (en général posthume) d’une correspondance devrait s’entourer de précautions particulières.
40À travers la publication même, l’œuvre reste sans destinataire particulier (et si elle « implique » un lecteur ou bien si, poétique, elle cherche, comme dira Mandelstam, un « interlocuteur », il ne s’agit jamais d’une présence identifiable et concrète). Les lettres, elles, sont adressées à des individus réels, avec leur nom, leur adresse, et leurs particularités.
41Symétriquement, le signataire d’une « œuvre » (tout particulièrement au sens de Flaubert ou de Mallarmé) n’a pas la même présence dans son écrit que le signataire – Flaubert ou Mallarmé par exemple — d’une lettre. L’œuvre tend à s’arracher à son auteur, ou à en suspendre ou, plus encore (comme Joyce l’affirmera en s’emparant d’une phrase de Flaubert) à en diffuser l’identité dans toute sa quasi-corporéité.
42Les données factuelles (partageables) auxquelles les lettres sont attachées autrement que les œuvres ne se réduisent pas aux noms ou aux présences de personnes. Il faut encore penser encore aux orientations ou repères temporels.
43Dans l’écriture de l’œuvre le temps tend à s’enrouler, et la composition propre du livre se dissocie de la temporalité concrète de son élaboration (puisque le début, par exemple, peut être écrit ou réécrit après la fin et sous son effet). L’écriture des lettres, en leur successivité marquée par leur datation, est déroulée au long des jours et des nuits – en même temps que la rédaction de chacune d’elles se fait au fil des heures ou des minutes, sans retour ou reprise (sinon minime ou rapide).
44Enfin, même si les lettres doivent un jour être publiées et si, au moins à partir d’un certain point de sa vie, leur auteur peut le pressentir, cette exposition publique ne devrait, en général, avoir lieu qu’après la mort de leur auteur (et, le plus souvent, de ses contemporains) : lettres et œuvres sont différemment posées par rapport à la limite de la mort et ce n’est pas de la même manière qu’elles en incorporent quelque chose à leurs réalisations respectives.
3 Si pourtant on revenait sur ce point aux violences de masse et aux camps du XXe siècle que j’ai év (...)
45L’ampleur des correspondances d’écrivains aux temps de Kleist ou de Keats, de Melville, de Flaubert ou de Rilke participe d’une situation plus générale. Les lettres au XIXe siècle jouent un rôle vital dans le maintien des relations avec des proches souvent peu accessibles, et c’est à elles, parfois, que se réduisent ces liens mêmes. Anne L. Bower, dans Epistolary Histories, constate que « les hommes et les femmes du XIXe siècle dépendaient des lettres d’une manière dont à la fin du XXe siècle, nous n’avons guère l’expérience »3.
46Il faudrait néanmoins être attentif aux spécificités des correspondances d’écrivains (ou, éventuellement, de musiciens ou de peintres – comme Van Gogh).
47Si les lettres d’Emily Dickinson, ou (à certains moments) les lettres de Flaubert, ou encore celles de Kafka à Felice, en viennent à constituer les seuls liens, ou presque, de leurs auteurs avec leurs destinataires, c’est, plus singulièrement, sous l’effet d’une écriture différente et dévorante : celle de leurs poèmes ou de leurs romans. Dans de tels cas, comment les lettres – tout en restant ou en se faisant plus que jamais écriture des liens – parlent-elles en même temps des œuvres en train de se faire ?
48On découvre, en ces endroits, une écriture préoccupée d’une autre écriture. La première est l’écriture « adressée » des lettres. Elle parle d’une autre écriture, « non adressée », et qui, dans le temps où les lettres sont écrites, reste en cours (comme une imminence – espoir, menace ou pression) : celle de l’œuvre. Quel « entre » s’ouvre alors ?
49Cet « entre » varie selon les destinataires des lettres, ou selon la nature des liens entre les correspondants. Mais il dépend aussi des œuvres qui s’écrivent simultanément ou de leur mode d’élaboration. Dans cet entre, en effet, on voit se chercher, se formuler ou se disposer tout à la fois les relations entre les individus qui correspondent (Flaubert et Louise Colet, Franz et Felice) et leurs rapports respectifs aux œuvres en train de se faire, ou à « l’œuvre ».
50Car des lettres comme celles de Flaubert ou de Kafka s’efforcent de faire régner sur les relations que vivent leurs auteurs, et surtout sur leurs liens les plus intimes, une loi de l’œuvre à faire. Et c’est là que, pour une part, s’anticipe ou s’engendre la tension quasi législatrice (en même temps que, pour user d’un mot de Flaubert, « plastique ») qui aura à s’incorporer et à se rendre sensible dans les œuvres mêmes.
51L’un des risques que courent alors les œuvres – ou plutôt la possibilité même de faire œuvre –, c’est la réduction à l’ordinaire, c’est l’effacement dans l’horizontalité des conversations (« plate comme un trottoir de rue » : telle est, selon Flaubert, celle de Charles Bovary) ou dans la banalité. L’adversaire par excellence de la littérature moderne, a remarqué un commentateur de T.S. Eliot, c’est le lieu commun – cette forme d’égalisation réductrice dont la vie avec les proches peut se faire l’un des agents.
52Dans ses lettres, et avec des crises de colère apoplectique qui lui font prévoir qu’un jour il éclatera en morceaux sur sa table de travail, Flaubert ne s’en prend pas seulement à la vulgarité générale. Sous le signe du travail perpétuellement allégué, il agit sur ce qui pourrait le submerger, sur les exigences et revendications communes telles qu’au plus près elles viennent se manifester et menacer.
53Aussi Flaubert cherche-t-il, par lettres, à disposer ses relations avec ses proches. Au temps de l’écriture de Madame Bovary, il parle à Louise Colet – avec quelle ampleur ! – de son œuvre en cours, de sa « poétique », des difficultés de la réalisation... Et, dans ces mêmes moments, par d’autres phrases, il essaie d’agir sur ce qui le lie à Louise. Pour elle comme pour lui, et dans leur relation même, il faudrait que se fasse sentir, continûment et impérieusement brûlant, un double rayonnement : celui des œuvres du passé et celui de l’œuvre à faire. Ainsi écrit-il à Louise, le 7 mars 1847, avec une outrance théâtrale voulue : « Les trois quarts de ma journée habituellement se passent à admirer Néron, Héliogabale ou quelque autre figure secondaire, qui converge comme des astres autour de ces soleils de beauté plastique. Quel enthousiasme alors voulais-tu que j’aie pour les petits dévouements moraux, pour les vertus domestiques ou démocratiques que tu voulais que j’admirasse ? »
54Certaines des lettres que Flaubert écrit à cette époque ouvrent un lieu – ou, grâce à leur théâtralité, une scène – où il leur est loisible de faire surgir des instances diverses à confronter avec celle de l’œuvre en travail (selon sa présence spécifique sous forme de projet et de réalisations partielles). Tout ce qui voudrait régner sur les vies individuelles et sur leurs relations semble alors obligé de se présenter et de s’exposer à l’épreuve de l’ironie et de la colère, ou, au contraire, à celle de l’admiration : jugements de divers ordres, loi sociale – en particulier sous les traits du mariage, cette prétendue « union légitime » qui, écrit Gustave à Louise, « est l’anti-légitime » –, autorités morales, politiques ou religieuses, savoirs, œuvres du passé, traditions révérées ou attaquées.
55Des lettres de Flaubert, il serait naturel de passer à celles de Kafka. Dans sa correspondance avec Felice, son éternelle fiancée, Kafka fait jouer un rôle unique à l’œuvre de Flaubert, spécialement à l’Éducation sentimentale. Canetti a éloquemment mis en valeur ce point dans un texte de 1968, « L’autre procès, Les lettres de Kafka à Felice » (traduit dans La Conscience des mots). À propos du rêve, formulé par Franz (pour Felice) de lire intégralement L’Éducation sentimentale à voix assez haute pour en faire « retentir les murs », Canetti écrit : « C’est la loi qu’il aimerait proclamer : une loi enfin assurée ; et, s’agissant de Flaubert, c’est pour lui comme la loi de Dieu, et il serait son prophète. »
56C’est encore aux multiples et complexes correspondances de Rilke (« que de lettres ! » constate-t-il lui-même) qu’il y aurait lieu de s’attarder. Les lettres échangées avec Lou Andreas-Salomé accompagnent toute la vie créatrice de l’auteur des Cahiers de Malte Laurids Brigge. Elles le soutiennent jusqu’à ses derniers jours et, pourrait-on dire, au-delà... Rilke ne partage-t-il pas avec certaines de ses correspondantes le rêve de franchir par lettres la barrière de la mort ? C’est après la disparition de Rainer que Marina Tsvetaeva lui adressera une ultime lettre-poème.
57La correspondance entre Rainer et Lou est l’une de celles où les lettres des deux interlocuteurs ont une force égale. C’est chez l’un comme chez l’autre que se développe la pensée de la possibilité de l’œuvre.
58Lou restera toujours, pour le poète, celle qui peut le soutenir dans l’écriture ou l’accompagner à travers les périodes de stérilité. « Lou, tu sais et tu comprends », lui écrit-il en l’un des pires moments, alors qu’il s’est abandonné (dans une lettre de peu antérieure) à l’impulsion de décrire pour son amante d’autrefois les détails les plus crus de ses souffrances corporelles. Lou sait, en effet, le soutenir de son exceptionnelle attention. Elle fait mieux que lui répondre, elle lui retourne ce qu’il lui a dit en lui offrant de surcroît de quoi renverser l’impuissance en possibilités qu’elle-même ne peut prévoir.
59Il y aurait à suivre dans le détail les phrases de Rainer, celles de Lou, et leurs rapports. Rainer dit son corps dispersé (par des congestions en divers points ou organes) ; il détaille son angoisse de poète qui se voit ne plus produire qu’ébauches fragmentées. Lou lui propose – et sait lui rendre crédibles – des modes de recomposition ; il faut, suggère-t-elle, accepter de s’en remettre à des appuis « autres » : soit l’altérité dans l’amour, soit l’altérité de l’œuvre. Et viendra enfin le moment de l’achèvement des Elégies de Duino, et la joie qui alors soulèvera Rilke... Mais c’est là résumer grossièrement ce que les lettres de Lou et Rainer disent et font des liens et de l’œuvre.
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60J’isolerai un instant un dernier exemple de correspondance d’écrivain – à partir duquel je retrouverai, in extremis (avec deux cas d’œuvres-témoignages) la première partie de cet exposé.
61En décembre 1864, de Tournon, le jeune homme qu’est alors Mallarmé (il a une vingtaine d’années de moins que Flaubert) écrit à un de ses amis les plus proches, un autre poète, Cazalis. Une petite fille vient de naître chez Mallarmé. Or les termes que ce dernier emploie pour parler de cette nouvelle présence – ou des présences entre lesquelles elle a émergé et dont sa vie dépend – sont surprenants :
4 Mallarmé revient à Marie et Geneviève dans un post-scriptum de la même lettre : « [...] elle est c (...)
Par quoi commencerai-je ? Par les santés. Geneviève, qui mange sa mère, va naturellement comme une rose, mais ma pauvre Marie, qui est mangée, est pâle et sans trêve fatiguée. Moi je me traîne comme un vieillard et je passe des heures à observer dans les glaces l’envahissement de la bêtise qui éteint déjà mes yeux aux cils pendants et laisse tomber mes lèvres4.
62Plus loin dans la même lettre (et il faudrait tenir compte, lisant une lettre comme celle-ci, de sa composition – hasardeuse sans doute, mais néanmoins significative, livrée aux sautes de l’humeur ou de la pensée et produisant pourtant des rapports d’une évidence imprévue), Mallarmé remarque :
Tu comprends que j’ai peu travaillé, ces temps-ci ; cependant, pour me remettre aux vers et à Hérodiade, j’ai fait ces jours-ci un petit poème de la longueur d’un sonnet, mais qui n’est pas assez achevé pour que je te l’envoie.
63À ce « petit poème », je voudrais m’arrêter. Mais il est un peu trop tôt.
64Quelques jours après, dans une lettre à un autre ami – un poète provençal du nom de Roumanille –, Mallarmé écrit :
Je n’ai pas fait de vers, tous ces temps-ci ; mais j’ai eu une petite fille bien rythmée, dont les yeux ont un bleu que je ne saurais mettre à mes rimes, et dont les cheveux se déploient déjà avec l’allure de vos grands vers provençaux. Ce poème, malheureusement, me prive des autres, et eussé-je la force de me mettre à écrire, je crois qu’elle chasserait avec ses cris les neuf Muses.
5 Est-ce aux yeux de l’homme – mari et père – que se manifeste une dangereuse continuité entre corps (...)
65La lettre antérieure avait suggéré une consubstantialité dangereuse (jusqu’à la dévoration) entre la fille et la mère5. Voici qu’apparaît maintenant une comparaison entre la fille et l’œuvre. Ludique, cette comparaison entre « yeux » et « rimes », ou entre « vers » et « cheveux » ? Dans la phrase qu’écrit ensuite le père (et poète), le « baby » (comme écrit ailleurs Mallarmé) n’est dit « poème » que pour être mis en concurrence avec l’œuvre. Et les termes se chargent de cruauté.
66Dans ces mêmes mois, Mallarmé dit et redit à ses correspondants son abattement, son épuisement, sa peur de l’impuissance : il faudrait citer plusieurs lettres.
67Il est vrai que dans d’autres moments (dans une lettre du début 1865), le jeune poète s’exalte à rendre sensible, pour tel ami, la splendeur de son projet poétique ou de son « idée » :
La plus belle page de mon œuvre sera celle qui ne contiendra que ce nom divin Hérodiade. Le peu d’inspiration que j’ai eu, je le dois à ce nom, et je crois que si mon héroïne s’était appelée Salomé, j’eusse inventé ce mot sombre, et rouge comme une grenade ouverte, Hérodiade.
68Cependant, le projet même sera bientôt enveloppé par l’angoisse. Ainsi écrit-il à Cazalis, en mars 1865 :
Cependant, je travaille depuis une semaine. Je me suis mis sérieusement à ma tragédie d’Hérodiade : mais que c’est triste de n’être pas homme de lettres exclusivement ! [...] Si encore j’avais choisi une œuvre facile ; mais, justement, moi, stérile et crépusculaire, j’ai pris un sujet effrayant, dont les sensations, quand elles sont vives, sont amenées jusqu’à l’atrocité, et si elles flottent, ont l’attitude étrange du mystère.
69Comme Flaubert, Mallarmé peut travailler des années durant à une œuvre qui lui semble s’éloigner à mesure qu’il en réalise des ébauches ou des passages. Et ses lettres, non moins que celles de Flaubert, s’attardent à décrire son projet. Elles trouvent, ces lettres, des ressources nouvelles pour faire briller le nom de l’héroïne – avec son rougeoiement de « grenade ouverte » –, et pour rendre sensible à tel autre poète le « sujet » de ce qui devrait être l’œuvre d’une vie.
70De pareilles lettres ne se contentent pas de transcrire ou de donner à partager à leurs destinataires ce que le poète, dans sa solitude, aurait déjà éprouvé. Elles permettent à Mallarmé (grâce à l’attention escomptée de son correspondant et comme s’il écrivait sur ce support) de réaliser par ses mots, non pas, certes, l’œuvre, mais du moins les « sensations » que – de toute son existence anticipée, de sa virtualité limbique – elle imprime en lui.
71Mais Mallarmé ajoute encore, une ou deux phrases plus loin dans la même lettre :
Et mon Vers, il fait mal, par instants et blesse comme du fer !
72Le « Vers » d’Hérodiade, l’alexandrin à rimes plates (celui de la tragédie, de Phèdre, par exemple), n’est pas ici caractérisé a posteriori. S’il doit se former, c’est pour blesser. S’il peut naître – inespéré, dans tel morceau réalisé du poème –, c’est de l’effet qu’il exerce immédiatement sur celui qui l’écrit. Il a donc besoin, pour surgir parfois, de la « terreur » (Mallarmé emploie ce mot deux lignes plus loin) par laquelle il interrompt ou dissout presque l’existence de l’auteur.
73Celle du seul auteur ? Il faut aller plus loin. Ou plutôt il est nécessaire de revenir aux lettres déjà citées, ainsi qu’au « petit poème » évoqué par l’une d’elles.
74L’œuvre à faire (ou l’« idée » de l’œuvre, avec la puissance que les lettres reconnaissent ou donnent à sa virtualité) agit – par suspens, « blessure », « terreur » – non seulement sur le « je » qui écrit, mais sur ses liens avec les plus proches. Certes, ceux-ci peuvent constituer, on l’a aperçu, une entrave dans les instants où le poète voudrait se consacrer à son « travail ». Mais, à la différence de ce que Mallarmé appelle le « hideux travail de pédagogue » et qui est pour lui sans le moindre rapport avec ses projets, les liens intimes révèlent leur relation étroite avec l’œuvre.
75Dans les instants – ou (pour nous, lecteurs de ces lettres de jeune homme publiées après sa mort) dans les phrases – où le « je » se découvre et se dit pris dans ses liens aux proches, on le sent soudain reculer en deçà de lui-même. Est-ce sous l’effet de l’œuvre à faire que ce « je » se trouve, par instants, intimement restitué à la réalité de ces liens qui le traversent ? C’est aussi bien, à l’inverse, dans ces instants que l’œuvre trouve une part de sa substance spécifique et dangereuse.
76Quant au « petit poème », Mallarmé en parle plusieurs fois dans les lettres de cette époque. Dans une lettre à Villiers de L’Isle-Adam du 31 décembre 1865, il évoque d’abord Hérodiade en des termes qui demanderaient toute une analyse (et qu’il introduit par ces mots : « J’ai le plan de mon œuvre, et sa théorie poétique... »). Et il poursuit :
Je vous adresse la note assez exacte du vers, dans un petit poème composé après le travail de la nuit auquel j’avais acclimaté mon esprit en souvenir de vous. Le poète, effrayé, quand vient l’aube méchante, du rejeton funèbre qui fut son ivresse pendant la nuit illuminée, et le voyant sans vie, se sent le besoin de le porter près de sa femme qui le vivifiera.
77À Villiers, donc, Mallarmé offre ce court poème dont le titre aura varié entre Le Jour ou Poème nocturne pour se fixer en Don du poème. Il va même (et ce ne sera pas la seule fois dans sa correspondance) jusqu’à faire ce que la plupart de ses commentateurs s’interdiront : il résume, il raconte le poème, et par là affirme une continuité entre ces vers et la lettre même qui l’envoie. Ce poème est-il (comme par un lien qui se forme là) apparenté à l’écriture des lettres ? Il commence par une adresse : « je t’ »...
78 Don du poème, envoyé par lettre à plusieurs correspondants (et de la même manière que les lettres parlent d’autres écrits – œuvres ou « œuvre » – qu’elles-mêmes), a trait à un autre poème. C’est ce dernier qui est appelé proprement « mon œuvre ». Mais de ce grand poème, Mallarmé dit n’« avoir » que « le plan » et la « théorie poétique ». Ainsi caractérise-t-il, à ce stade, le mode d’existence du projet Hérodiade.
79Mais, dans le résumé du « petit poème », l’œuvre apparaît avec d’autres traits. Non seulement « travail de la nuit », mais aussi « rejeton funèbre », chose « sans vie ». L’œuvre aurait-elle basculé de la pure possibilité dans la mort ?
80Mais ce qui compte, pour l’interrogation qui se cherche ici, c’est la relation entre Don du poème et Hérodiade.
81Avec le petit poème, Mallarmé veut faire entendre à Villiers « la note assez exacte du vers » qui sera celui de la grande œuvre. C’est ce vers qui « blesse comme du fer ». Or Don du poème, qui a « la longueur d’un sonnet » (quatorze vers), mais qui n’est pas un sonnet (puisqu’il n’en a pas les rimes ni, par conséquent, la constitution en quatrains et tercets), est écrit en alexandrins à rimes plates.
don du poème
Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée !
Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d’aromates et d’or,
Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor,
L’aurore se jeta sur la lampe angélique.
Palmes ! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
Ô la berceuse, avec ta fille et l’innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance :
Et ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sibylline la femme
Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
82Le « poème » du titre, celui qui, dans ces vers, fait l’objet du « don », « l’enfant d’une nuit d’Idumée » – c’est Hérodiade. Ou plutôt c’est ce que le « je » de Don du poème avait cru réaliser (comme dans un enfantement solitaire, asexué) durant la nuit mais qui, dans la lumière du jour, se révèle n’être que « cette relique » : un débris de corps.
83Du moins l’échec – momentané ? – d’Hérodiade aura-t-il suscité l’écriture de Don du poème. Et ce dernier titre peut donc dire aussi que le « petit poème » a été donné par la fuite de l’œuvre au poète.
84Non que Don du poème compense l’échec de l’œuvre, ni que quelque négativité s’y retourne en positif. Simplement, il existe, merveilleusement donné, ce petit poème – et il peut être envoyé ou donné par lettres à des correspondants.
6 Une organisation en lieux sous-tend les rapports par lesquels se construit le poème. Ne faut-il pa (...)
7 Liens, proximité, contact ? Hérodiade – dans Hérodiade – (alors qu’elle devrait être dite-formée c (...)
85 Don du poème dit – met en scène (dans une sorte de dramaturgie) et (à sa manière, distincte de celle d’Hérodiade) en œuvre – l’avortement (dont l’image, celle d’une « horrible naissance », flotte dans ses vers) de l’œuvre. Mais il esquisse aussi une tentative étrange pour « vivifier » l’œuvre. Il faut en effet que, dans son « petit poème », le « je » se saisisse de la grande œuvre – morte ? prête à revivre ? – et qu’il la déplace6 pour la ramener un instant dans le monde le plus ordinaire, pour l’« apporter » dans la région des liens vitaux7.
8 Ce sont les vers célèbres qui font, du sourire du petit enfant à la mère, la condition de son accè (...)
86 Don du poème, au plus près des lettres écrites alors par Mallarmé, se retourne sur les rapports entre l’œuvre (ou la tentative d’œuvre) et les liens familiaux avec leur effectivité quotidienne, avec leur réalité substantielle. Certes, le premier lien évoqué, c’est celui qui unit le poète à son œuvre : « ...ce père essayant un sourire ennemi ». Cette manière de dire peut être entendue comme une inversion cruelle de la fin de la quatrième partie des Bucoliques de Virgile8. Mais surtout, elle crée d’emblée (après « l’enfant d’une nuit d’Idumée » et avant le déploiement qui va suivre) une homogénéité entre le « travail » de l’œuvre et les proximités familiales.
87C’est dans la seconde partie du poème (dans les vers qui constitueraient deux tercets si le poème était un sonnet) que se dessine un geste exorbitant que le résumé du poème, dans la lettre à Villiers, ne faisait qu’indiquer.
9 On peut penser au tableau de Léonard de Vinci, La Vierge, Sainte Anne et l’Enfant, où les corps de (...)
88Le geste du « je » n’est pas seulement de porter « l’œuvre avortée » auprès de sa femme. Au moment où, de cette dernière, il est dit s’approcher, on croit sentir, par la force des vers, le corps de la mère se mêler à celui de la fille9. D’où le substantif au singulier qui prend ensemble des morceaux – nus et un instant inattribuables – de deux corps : « ... l’innocence/De vos pieds froids... ».
89Alors vont réapparaître la rivalité et la consubstantialité entre l’enfant et l’œuvre Hérodiade qui s’étaient manifestées dans les lettres écrites peu après la naissance de Geneviève. Mais, par les vers, elles sont bientôt métamorphosées en une chance, ou, à tout le moins, en un espoir, qui se dit sous forme d’une prière intime. Dans l’allaitement, tel qu’il est dit ici, le lien entre la femme et sa fille devient une circulation substantielle totale : c’est « la femme » entière qui « coule », par les « lèvres » affamées, dans le corps de l’enfant.
10 Le mot « sibylline », par son sens, insinue dans le lien substantiel entre mère et fille quelque c (...)
11 Simultanément, la substance corporelle, la respiration, la parole, le chant (« Et ta voix rappelan (...)
12 On pourrait penser à Bonnard (grand lecteur de Mallarmé) et à la tête du peintre (apparaissant en (...)
90Énigmatique – dans la « blancheur sibylline10 » – est la quasi-confusion entre femmes11. Mais c’est pour le « je12 » qu’elle est sensible. Et à cette continuité incarnée dans le flux du lait, le poète soustrait – plus assurément que pour toute vivification de « l’horrible naissance » – de quoi réaliser l’écoulement sans pause des trois derniers vers du « petit poème ».
91C’est ainsi que Don du poème a pu naître, avec une singulière nécessité (et selon sa relation avec Hérodiade), entre lettres et œuvre. Il s’est abouché, de ses propres lèvres (celles, peut-être, que forment ses rimes accolées), à la jonction du sein de la « berceuse » et des lèvres de l’enfant. Il a emprunté de quoi se réaliser à toutes les circulations – absolument banales et toujours énigmatiques – de substances que constituent ou requièrent les liens où vivre.
5
92Schwarze Milch der Frühe...
93Trop brusquement encore, je reviens, avec cette citation, aux œuvres du XXe siècle touchant au témoignage. Ces mots sont en effet les premiers de Fugue de mort de Paul Celan.
13 Fugue de mort, dans Pavot et mémoire, traduit de l’allemand par Valérie Briet, Christian Bourgois (...)
Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit
nous buvons nous buvons13
94Je ne saurais m’attacher ici à ce qui est devenu, pour des raisons historiques aussi bien que poétiques, l’un des plus célèbres poèmes du XXe siècle européen. La reconnaissance dont il a bénéficié n’a d’ailleurs pas été sans conséquences blessantes pour son auteur.
95Ce poème n’est pas l’œuvre d’un « témoin » – au sens du « survivant », c’est-à-dire de celui qui a survécu à la situation dont il parle. Le rapport de l’auteur, Celan (ou plutôt : Antschel), avec les camps de concentration et d’extermination nazis ne relève pas proprement de la disposition autobiographique selon laquelle écrit en général un témoin-survivant (comme, par exemple, Primo Levi).
96Certes, Paul Celan s’est bien trouvé noué par une relation personnelle – biographique – avec ce qui est arrivé dans les camps nazis. Ses parents furent enfermés dans l’un d’eux, avant d’y être assassinés.
97Cependant, il est crucial, pour la constitution et la portée de Fugue de mort, que le « nous » qui émerge et revient dans cette « fugue » implacable soit entendu comme à distance. C’est un « nous » irrémédiablement séparé.
98La voix du « nous », c’est par un don exorbitant du poème qu’elle est attribuée à ceux qui, à jamais, auront été privés de communication avec tout dehors – et, d’abord, avec le lieu et le moment où se trouvait (aux moments de l’arrestation puis de la mort de ses parents) le futur auteur du poème. Ce « nous » – et tout le poème avec lui – rétablit-il un lien ? Par le coup de force qu’ose Fugue de mort, par le bond que le poème semble avoir fait en se projetant dans le camp, rien n’est réparé. C’est l’irrémédiable qui, par la constitution même de ces vers, ne cesse plus de s’imposer à quiconque les lit.
14 « Against disruption, écrit John Felstiner dans Paul Celan, Poet, Survivor, Jew, Paul Anstchel in (...)
99Impossible d’entrer plus avant dans Fugue de mort. Je m’en tiendrai ici à opposer, à la « blancheur sibylline » mallarméenne, le « lait noir » de Celan. Par ces mots initiaux, le poème semble s’aboucher au vide laissé, dans l’espace ou dans les heures qui passent, par des liens rompus14. Il rend sensibles ces liens vitaux auxquels ont été arrachés les individus qui, pris en masse, constituent le « nous » que l’on est, dans un instant impossible, supposé entendre par la voix du poème.
100Par ce « lait noir » – celui de l’air ou de la fumée des corps qu’on brûle, celui de la durée même des jours dans les camps-, le lecteur sent, aujourd’hui et indéfiniment, comment les dépendances les plus élémentaires (au sens où Antelme dit avoir découvert au camp qu’on ne peut faire par soi-même naître de quoi se nourrir) auront pu être perverties, sous l’emprise nazie, en instruments et en manifestation constante de la volonté de détruire.
6
nous creusons une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit
101Ce vers suit, dans Fugue de mort, ceux (du même poème) cités plus haut. Il servira de « sujet » à la construction, à son tour fuguée, du Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertesz.
102Le récent prix Nobel hongrois est, lui, un survivant des camps nazis. Cependant son Kaddish n’est pas un témoignage sur ce à quoi il a survécu. Ce court ouvrage détaille plutôt les effets de l’expérience (si le mot convient) des camps sur tous les aspects de la vie ultérieure du survivant. Il revient aussi sur des moments du passé antérieurs à la déportation. Et, par tous ces mouvements acharnés, ce sont des liens multiples – avec les parents ou les grands-parents, avec la femme aimée – qui sont cruellement fouillés à la lumière de l’expérience des camps.
103Centralement, Kaddish dit le refus – qui résonne d’abord, par anticipation, dans un « Non ! » initial – de donner naissance à un enfant. Est-ce le rejet de tout lien qui est alors lancé à la face du lecteur ? L’étrangeté du livre est de nous montrer dans cet « enfant qui ne naîtra pas » un interlocuteur, et dans sa non-existence même un don qui lui est fait.
104 Kaddish travaille (le mot de « travail » revient comme une obsession dans ce livre) le lien sous l’effet, qui ne se laisse pas oublier un instant, de l’expérience des camps (et il arrive à Kertesz d’associer camps nazis et camps soviétiques). La prose fuguée de Kaddish se noue à des vers de Todesfuge, ainsi qu’à d’autres citations plus ou moins implicites.
105Se liant continûment (par nombre de citations plus ou moins implicites) à d’autres textes – et pas seulement à Todesfuge (qui néanmoins joue un rôle central), Kaddish, comme aucun autre écrit, aura exposé, à la fin du XXe siècle, la nudité de tout lien vital.
106En même temps, Kaddish est l’une de ces œuvres qui (très diverses) se retournent sur la possibilité de l’« œuvre » ou du « travail » en général, ou qui tentent, en l’air, dans le vide, d’en recréer les conditions. Comme Don du poème ? Sans doute. Simplement l’œuvre qu’il s’agit d’élaborer est de celles qui ne rompront jamais avec le passé de la terreur : une œuvre qui ne se refermera pas.
Notes
1 Comme le précisent leurs traducteurs, Jeanne et Fernand Rude, dans Anna Akhmatova, Poème sans héros et autres œuvres, François Maspero, Paris, 1982.
2 C’est ce que suggère la « contre-utopie » d’un contemporain russe d’Akhmatova, le romancier Zamiatine : dans son Nous autres, tout repli d’intimité (de soi à soi ou de chacun au plus proche, entre amants par exemple) se trouve livré à une lumière bleue-cruelle, celle du contrôle total – avec par instants un inquiétant pouvoir de séduction. Si Orwell, dans 1984, fait réapparaître ce type de contrôle, c’est en partie sous l’effet de la lecture de Zamiatine, mais c’est aussi avec une autre tonalité, constamment grise et amère, et en créant un autre style de présent.
Ce n’est pas dans des « contre-utopies » romanesques, mais sous des régimes bien réels, que les liens familiaux ont été soumis à distorsion ou substitution. On l’avait vu dans les univers nazis ou soviétiques, ou dans la Chine de la Révolution culturelle. Plus récemment, et plus systématiquement encore, ce fut, au Cambodge, une composante décisive de l’action des Khmers rouges : « ...alors que, écrit Toni Shapiro-Phim, la famille (biologique) avait joué un rôle crucial dans la vie des gens en termes d’identité et de loyauté, l’Angkar s’acharnait à prendre la place des parents et des proches » (« Dance, Music, and the Nature of Terror in Democratic Kampuchea », dans Annihilating Difference, The Anthropology of Genocide, ed. by Alexander Laban Hinton, University of California Press, 2002). Et le même auteur ajoute : « Ce que del Pino H. a dit des communautés péruviennes sous le contrôle du Sentier lumineux n’est pas moins vrai du Kampuchea démocratique : “Les valeurs révolutionnaires devaient régner sur les liens affectifs, les relations familiales traditionnelles, et la vie quotidienne.” »
3 Si pourtant on revenait sur ce point aux violences de masse et aux camps du XXe siècle que j’ai évoqués plus haut, c’est alors l’interdiction de tout courrier qu’il faudrait prendre en compte, ou ce serait l’utilisation perverse des lettres des détenus ou de leurs proches – telle par exemple qu’on la voit pratiquée, dans certains récits de Chalamov, contre les politiques et au moyen de la complicité de l’administration pénitentiaire et des détenus de droit commun. Ou bien ce serait ces messages ultimes que furent, au temps de la domination nazie, les lettres de Etty Hillesum, ou celles, plus « ordinaires » mais combien significatives, de détenus juifs de camps français (ces camps qui furent les antichambres des camps nazis et de la mort en masse). De ces dernières, transmises par les descendants des détenus, un certain nombre ont été publiées par les soins du Centre d’Études et de Recherches sur les camps d’internement du Loiret.
4 Mallarmé revient à Marie et Geneviève dans un post-scriptum de la même lettre : « [...] elle est courageuse et veut lui donner son lait jusqu’à la fin, ce dont le petit vampire ne s’arrange que trop bien. »
5 Est-ce aux yeux de l’homme – mari et père – que se manifeste une dangereuse continuité entre corps féminins ? Bien entendu, on pense à la fusion, opérée par Mallarmé, d’Hérodias et de Salomé (alors que la mère et la fille sont bien distinctes dans le dernier des Trois contes de Flaubert) dans le seul corps d’Hérodiade. Plus vaguement sans doute, on peut rêver aussi aux « Colchiques » d’Apollinaire, à ces fleurs que le poète dit « filles de leurs filles ».
6 Une organisation en lieux sous-tend les rapports par lesquels se construit le poème. Ne faut-il pas que le « je » se déplace ? Les propos qui lui sont attribués (« O la berceuse... ») semblent impliquer qu’il passe d’une pièce à une autre (d’un cabinet de travail nocturne à la chambre familiale dans la clarté du réveil). Et la « relique » ou l’« horrible naissance » – une ébauche du poème Hérodiade -, est supposée portée par le « je » dans un mouvement qui coïncide avec le passage des quasi-quatrains aux quasi-tercets. Un des aspects difficiles, c’est qu’Hérodiade dans Hérodiade, alors qu’elle doit être dite-formée comme la beauté même, est faite pour s’arracher à tout contact, sinon mortel, fût-ce avec son auteur. Elle se retourne sur qui l’écrit (ou, corrélativement, sur qui la lit) en suscitant un frémissement de terreur, le passage d’un « fer » blessant, voire meurtrier. Refus de tout contact, la beauté d’Hérodiade est en même temps celle en laquelle tous les rapports passent les uns dans les autres (personnages, vêtements, bijoux, corps, choses évoquées, mobilier, ustensiles) sous l’effet d’une active, d’une insatiable fusion langagière.
7 Liens, proximité, contact ? Hérodiade – dans Hérodiade – (alors qu’elle devrait être dite-formée comme la beauté même) est faite pour s’arracher à tout contact, sinon mortel, fût-ce avec son auteur.
8 Ce sont les vers célèbres qui font, du sourire du petit enfant à la mère, la condition de son accès futur à la table du dieu et au lit de la déesse : Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem
(Matri longa decem tulerunt fastidia menses) ;
Incipe, parve puer : qui non risere parenti,
Nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est.
9 On peut penser au tableau de Léonard de Vinci, La Vierge, Sainte Anne et l’Enfant, où les corps des deux femmes s’entrecroisent en un X et paraissent indissociables (et on se souvient, bien sûr, des déchiffrements psychanalytiques de cette œuvre).
10 Le mot « sibylline », par son sens, insinue dans le lien substantiel entre mère et fille quelque chose d’une énigme oraculaire.
En même temps, à l’entendre, on songe au verbe latin sibilare dont le vocabulaire de la description clinique de l’époque a tiré un participe « sibilant » pour caractériser une respiration sifflante ou certains « râles ».
Les trois derniers vers du poème sont dépourvus de pause syntaxique (et d’un vers à l’autre le « par » ou le « pour » créent des liaisons impérieuses). Voudrait-on les dire continûment à haute voix (pour effectuer par la diction et dans l’ouïe la substantialité verbale de leur flux) ? La voix alors risque de s’y étouffer sifflante, ou sibilante. Le souffle même se révèle en train de réaliser la submersion et l’effacement dans l’un de ces pâles océans que l’on retrouvera dans « À la nue accablante tu » et dans le Coup de dés.
11 Simultanément, la substance corporelle, la respiration, la parole, le chant (« Et ta voix rappelant viole et clavecin ») passent les uns dans les autres.
12 On pourrait penser à Bonnard (grand lecteur de Mallarmé) et à la tête du peintre (apparaissant en silhouette dans tel tableau) : elle s’avancerait, cette tête indiscrète, pour épier la nudité solitaire de la femme et pour lui dérober – au profit de sa propre peinture – sa « gloire » (dirait Mallarmé) telle qu’elle se reflète et brûle dans l’eau, dans l’émail de la baignoire, dans les surfaces du carrelage.
13 Fugue de mort, dans Pavot et mémoire, traduit de l’allemand par Valérie Briet, Christian Bourgois éditeur, 1987.
14 « Against disruption, écrit John Felstiner dans Paul Celan, Poet, Survivor, Jew, Paul Anstchel in 1944 Czernowitz, came up with this pattern of repetition and refrains, feeding the victims’words through his own fresh memories so as to find a voice for what happened.
Auteur
Université Paris VIII
Du même auteur
Michaux, métamorphoses d’espaces in L'Art et l'Hybride, Presses universitaires de Vincennes, 2001
Poésie ? « Fiction » ? in Art(s) et fiction, Presses universitaires de Vincennes, 1997
© Presses universitaires de Vincennes, 2007
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