sur Rithy Panh, S 21
Gestes-témoignage
(sur le film de Rithy Panh
S-21)
Du corps nu d’un presque nouveau-né tenu par une main dans la lumière d’un dehors, dans de l’air bleu, au-dessus d’une plate-forme de bois brun (des lattes disjointes, je crois), avec des étincellements d’eau,
le regard du spectateur
dans quelle salle ? pour quelle projection ?
en France, à Paris ? appartenant à une autre tradition ? est-ce que ce n’est pas notre histoire ?
sommes-nous de côté ? quel « nous », à vrai dire ?
tout récemment, par exemple, pour le public d’une projection à Orléans organisée par une association cambodgienne et le CERCIL[i] :
mise en commun de quoi ?
(dans une entretien, Rithy Panh mentionne Primo Levi qui l’a guidé pendant tout ce temps...)
est tout proche.
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Et les sons ou bruits ? Ceux de l’eau ? Des cris de l’enfant ? Des rires off ?
(Je ne me souviens plus, déjà.)
Je ne fais état de ce film, et particulièrement de ses premières minutes, que de mémoire – avec, probablement déjà quelques faux souvenirs.
Le film est actuellement, fin février 2004, visible en salles.
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Quelqu’un lave ce bébé, dehors.De l’adulte qui tient l’enfant, le visage (selon mes souvenirs) n’apparaît pas. Mais on voit ses mains – qui, dans ces images, paraissent fortes et paisibles. Elles puisent de l’eau, la verse. On voit aussi un pied nu dont le flanc repose sur le bois : le petit corps est soutenu par lui.
La beauté-force de ces premières images dans S-21, comment la recevoir ?
Tout y semble densifié – la durée, les volumes entre gestes, les distances et contacts de l’un à l’autre, dans la proximité entre générations, et entre des corps qui ne s’élèvent pas trop au-dessus de la plate-forme en bois.
Un autre enfant un peu plus vieux (au hasard de la prise) s’insinue avec curiosité et jalousie. Et la lumière est bleue, l’eau étincèle. Et maintenant le quasi nouveau-né est dans les bras sombres de son père, niché, sur un pli de linge blanc, calme soudain alors qu’un instant plus tôt il pleurait.
Ces images sont-elles de celles qui raniment simplement l’envie de vivre dans l’air, la lumière, l’eau ?
Ou y sentirait-on, fraîches soudain comme un linge pour un enfant, les enveloppes à quoi on pourrait, les uns par les autres, se confier ?
C’est comme une tentation… Mais cette beauté initiale, après avoir vu le film, comment, rétroactivement, ne pas la rejeter?
De ce début du film, en fait, quel est le rôle – que fait-il pour ce qui suit ?
Il se trouve que ces premières images sont (dès que l’enfant est non plus pleurant dans les mains qui le lavent mais calmé dans les bras de l’homme)
très vite transies par autre chose,
de l’encre, de l’amer, du noir…
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A rapprocher, ce début, d’autres débuts,
ceux – trois au moins – (Avant-propos, Avertissement, Prologue) du livre La Machine Khmère rouge, Monty Santésok S-21 de Rithy Panh (avec Christine Chaumeau, chez Flammarion, 2003).
Le livre est lié au film (certains dialogues du film sont dans le livre)
ou à la possibilité lentement trouvée du film
– projet cherchant le contact avec ce qu’avait été l’impuissance totale où étaient réduits les prisonniers de S-21, ou avec la toute-puissance que s’arrogeaient les bourreaux, trop réelle et illusoire en même temps (comme celle des SS chez Antelme ?)…
on voit sur la couverture
des photos
qui ne sont pas tirées du film
(même si elles sont présentées, verticalement,
comme issues de la pellicule d’un film),
mais, si je saisis bien,
de sa préparation.
Cinq photos :
sur la première (en haut),
le peintre Nath face à la caméra,
l’homme au regard qu’on n’oubliera jamais
sur la deuxième, Rithy Panh lui-même
(je crois le reconnaître à son corps, à son chapeau)
poussant une caisse,
sur la troisième trois des exécuteurs (qui se diront simples exécutants)
un debout, deux accroupis,
au bord voir sur une photo immense étalée sur le sol comme un carte
et qui est celle d’un lieu d’exécution
(sur le site internet Webzine Eurasie, une photo ,
accompagnant un entretien avec Rithy Panh publié par Emmanuel Deslouis le 5 février 2004,
fait apercevoir la même vaste photo avec la légende « Rithy Panh devant une photographie d’un lieu d’exécution »)
sur la quatrième, une femme (assistante de Rithy Panh ?)
examinant des photos : des portraits de victimes,
pris par les bourreaux – et conservés
sur la cinquième,
trois des exécuteurs
accroupis,
face à Nath le peintre qui, lui, tient une photo,
une photo d’une femme,
je la rapprocherais, cette dernière photo, de celle
qui – sur la couverture du livre de David Chandler,
S-21 ou le crime impuni des Kkmers rouges, chez Autrement, 2002 –
figure, parmi quatre autres,
mais, elle, plus grande,
d’une femme,
avec un bébé dans les bras
endormi
(les yeux, la bouche
de la femme : quelle attente y subsiste ?)
Dans le cahier qui avait appartenu à « un membre du groupe interrogatoire de S-21 » (selon La machine khmère rouge p.149),
« il est écrit en gros caractères », entre autres instructions :
« La faiblesse de l’ennemi tient dans ses relations avec sa femme et ses enfants. »
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« Nous » – à Orléans, par exemple, l’autre soir,
(qui n’étions pas plus que quiconque l’attention même, ni une pure bonne volonté disponible)
quel nous douteux formions-nous ?
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« Filmer c’est être avec les autres, corps et âme »
dit Rithy Panh dans un des entretiens…
En faisant cette remarque
pensait-il à l’équipe avec laquelle il fallut longtemps préparer le tournage ?
ou à Nath le peintre (et à l’autre victime noyée de pleurs) ?
ou aux bourreaux – et d’abord Houy, l’homme sombre des premières et deuxièmes images ?
Filmer de la sorte ne s’oppose-t-il pas aux films de propagande khmère rouge ?
Deux de ces derniers sont évoqués aux premiers paragraphes de l’avant-propos
du livre La machine khmère rouge.
« La caméra se déplace mais partout sur ce chantier gigantesque, les visages des ouvriers sont fermés, presque inquiets de l’intrusion des cameramen dans ce monde habituellement clos et contrôlé. »
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S-21 ? Le livre La machine khmère rouge rappelle, dans son avant-propos encore, quelques données :
« Monti Santésok, le bureau de sécurité S-21 […] était chargé de cette lutte incessante contre l’ennemi. Placé directement sous les ordre du Comité central, S-21 a fonctionné dès spetembre 1975 sur plusieurs sites avant de rassembler ses activités en mai 1976 dans un ancien lycée de Phnom Penh [Tuol Sleng]. Là, cette administration de la mort a régné jusqu’à la chute du régime en janvier 1979, sur une prison où plus de 14000 personnes ont été emmenées, torturées et exécutées.
Sept hommes sont sortis vivants de cet enfer. Trois peuvent encore témoigner… »
Le début du film S-21 présente sans doute une part de ce qui a été nécessaire pour que le film se fasse.
Il aura fallu en effet que Rithy Panh cherche les ex-gardiens et tortionnaires de S-21. Dans leurs villages, dans leurs familles. Et de plus il devait parvenir à les convaincre de témoigner.
« Le tournage n’a pas été compliqué, dit Rithy Panh (dans l’entretien publié par Emmanuel Deslouis)
car il a été longuement préparé.
[…] Une fois la phase de formation de l’équipe terminée, il nous a fallu trouver les bourreaux et les victimes…
[…] Nous avons dû parler longuement avec eux [les bourreaux]
pour leur expliquer que nous ne sommes ni un procureur ni un tribunal.
Au départ, ils avaient peur que leurs paroles se retournent contre eux.
On a commencé à travailler dès qu’ils se sont sentis en confiance. »
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…pourquoi avoir voulu former ici ces quelques interrogations ?
pour réaliser, pauvrement, ce qu’on se dit en sortant de la salle de cinéma, dans la rue,
en lisant ou relisant les journaux, recherchant un site internet, en prêtant une nouvelle attention à un livre acheté il y a déjà des mois ?
cherchent-elles – conductions obstinées, canaux – à
tirer des conséquences tacites du film, à en amener des effets dans des zones de vie et de parole tout autres (par exemple en traversant la Loire) ?
essaient-elles de recevoir, par le film et le livre, quelque chose des événements des années 1975-1979 –, un peu du « de fait » qui, même passé, avec un mélange de précision et d’abstraction, interrompt, coupe à travers ce qu’on vit , incise ce qu’on fait plus continument ?
(… il y eut d’ailleurs, une autre fait-interruption : celui d’avoir – voilà des années – senti vivre ici, des mois durant,
dans la maison où je forme ces phrases, avec « les miens » – France, province du Centre–
un Cambodgien qui – ayant perdu sa famille – avait échappé à l’exécution par les Khmers rouges, de justesse, à plusieurs reprises, puis était passé dans un camp en Thaïlande, où il avait été persuadé par des missionnaires américains qu’il avait bénéficié d’un miracle – comme il l’avait écrit sur un papier qu’il nous donna (un peu, j’y pense maintenant, à la manière de ces autobiographies qu’exigeaient les Khmers rouges) en photocopie lors de son arrivée ici –, et qui tenta, après avoir été aide-soignant dans un service de vieillards, d’obtenir en France la position de dentiste qu’il avait été sur le point d’atteindre au Cambodge avant la « période Pol Pot »…)
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Il faut revenir à des images qui sont non pas tout à fait les premières, mais les deuxièmes, où l’on voit, dans le même lieu, l’homme et le bébé, et un couple âgé, la mère et le père de l’homme.
Il y a ce moment d’envahissement, d’amertume, ce transissement acide de tout ce qui se trouve là.
Car alors la force des liens, c’est autrement qu’elle s’impose Soudain le visage de l’homme, qui pouvait paraître (plutôt à un œil étranger ?) calme s’offre à voir comme soucieux, rongé.
Non moins amers ou désemparés sont les deux vieux que l’on découvre alors, un homme, une femme. Ses parents suppose-t-on. La vieille femme, d’ailleurs, parle de l’éducation qu’elle a donnée à son fils[ii]..
Elle parle, cette femme, tantôt à son fils, tantôt vers la caméra. Et (mais sans que cette seconde alternance coïncide avec la première) tantôt elle l’excuse – minimisant ses actes passés par rapport aux actes des responsables –, tantôt elle le pousse à se reconnaître coupable. Le fils, lui, a plutôt évoqué, laconiquement, sa propre souffrance, ses douleurs corporelles (le fait qu’il a mal à la tête, ou ne peut rien avaler). La mère l’exhorte à accomplir des actes rituels – pour écarter le « mauvais karma »[iii].
Et c’est du karma encore que le père dit se soucier. Le mauvais karma menace-t-il non seulement un individu (du fait de ses actes), mais ses proches, ou les liens entre eux ? Les vieux ? Le bébé ?
Le mauvais karma, entr’entendons-nous, pourrait être envoyé par les morts qui ont subi de si grands torts…
Est-ce que ce souci ou cette crainte des morts contribue à tenir ensemble les liens entre les hommes ? Où était la peur du mauvais karma chez cet homme lorsque, très jeune, il contribua aux massacres ?
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On se demande (à la réflexion ? ou comme une question sourde au moment même où l’on voit ces images ?) quand Rithy Panh tourna ces séquences (et obtint que s’y simplifient liens et ambiguïtés).
Dans une « œuvre » de fiction, elles auraient pu être faites, voire conçues après ce qu’elles introduisent. Mais ici, même si le témoignage que constitue globalement ce film est rétrospectif, il y a un réalisme temporel de l’investigation. Les personnes qu’on voit au début ne jouent pas un rôle pour composer un début après que le film ait été achevé. Elles sont vraiment en attente du film qui va se faire ou, surtout, de ce que le film va faire.
Et l’homme, Houy, est bien en proie, dans ces instants qui ont été captés, à la question d’y participer, de retourner sur les lieux.
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Cet homme, qu’on a vu avec son enfant, avec ses parents, est l’un des exécutants de la terreur des Khmers rouges. Davantage : il fut « chef-adjoint de la sécurité de ce centre de détention. »
Et ce début tend à nous faire sentir ce que ce fut pour Rithy Panh d’obtenir qu’un homme comme celui-là témoigne.
Plus tard, on verra cet homme retrouver ses co-tortionnaires de jadis. Seront-ils gênés ? Leurs sourires vagues, leur prudence… La peur ? ou la banalité d’anciens camarades de travail ?
« Pour mettre en confiance les anciens gardiens de la prison S-21, il fallait les laisser en groupe.
Les laisser seuls face à la caméra était beaucoup plus difficile. Cela leur aurait donné l’impression de se trouver face à un procureur.
Ils ont accepté de parler pour des raisons personnelles. »
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La caméra avait capté, comme à la dérobée, ou du moins sans qu’on puisse se dire qu’ils étaient faits pour elle,
les gestes prenant soin au présent (le présent de la vie, d’instant en instant, les pleurs et l’endormissement d’un petit, ce ne peut être « joué ») du corps du bébé, enveloppant sa fragilité incroyable, sa dépendance absolue…
On va voir maintenant, pour la caméra, les bourreaux refaire, avec – apparemment – une mémoire singulière
(Rithy Panh, dans le Monde Télévision, remarque: « ils ne peuvent pas dire comment ils ont tué, mais leur corps se souvient »),
les gestes[iv] , en les accompagnant d’apostrophes, de leurs réponses plus que sommaires aux détenus (dont ils n’imitent pas les voix), voire en mimant par bruits les instruments manquant
(mais il arrive aussi qu’on apporte un instrument : chaise pour ceux qui étaient livrés à la torture)
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« Lors du tournage à Tuol Sleng, explique Rithy Panh, un déclic s’est produit en lui : comme un automatisme oublié qui se remettait en marche, il s’est mis à refaire les gestes d’autrefois. Pœuv est comme un enfant battu, et quand il revit ces gestes, c’est toute la douleur contenue en lui depuis des années qui le submerge. Ce n’est pas de la théâtralisation. D’autant que tout s’enchaîne dans un ordre bien précis : il appelle le prisonnier par son numéro, lui bande les yeux et lui passe les menottes avant de lui libérer les pieds. S’il avait procédé autrement, «l’ennemi du peuple» aurait pu se débattre, se jeter par la fenêtre. La mécanique des gestes était minutieusement établie et enseignée. Pœuv l’avait apprise. Il était devenu un rouage de la machine. »
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Gestes ?
Ceux, familiaux, du début du film
ou ceux, reconstitués, des bourreaux.
Quelle est-elle,
l’ évidence de ces gestes auxquels Rithy Panh donne une place centrale ?
« La mémoire des gestes, dit encore Rithy Panh,
les faire mimer, l’artisanat de la mort,
c’est cela qui m’intéresse. On ne peut pas dire que cette entreprise de la mort soit inhumaine. Elle est profondément humaine. »
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Dans ces gestes, diverses provenances – restes, traces et souvenirs, de milliers de vie sde victimes, de bourreaux , d’ordres aiguillons (comme dirait Canetti), de hurlements, de silences)
auront répondu à l’appel du film se faisant
et s’y seront condensés
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Ces gestes-condensations
ont donc été faits, refaits, par les bourreaux de jadis
dans des lieux vides
devenant une scène où ils se seront exposés
devant « notre » attention ( anticipée lors du tournage).
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« Mémoire » des gestes, dit Rithy Panh. La plus profonde ?
N’est-ce pas d’abord qu’ils avaient été appris – et d’abord sous les instructions du nommé Duch[v],
ces gestes par lesquels les détenus étaient contrôlés, torturés, tués ?
(Ceux qui les faisaient n’étaient-ils pas, souvent, très jeunes ?)
Ils auront donc été retrouvés et répétés, ces gestes, pour la caméra, pour « nous ».
Ils ont l’air d’obéir à une chorégraphie fruste.
Mais à laquelle il manque les partenaires. Les cris ou injonctions qui reviennent avec les gestes s’adressent au vide (celui des salles ou cellules),
et c’est de milliers d’histoires que l’on devine, dans ce qui est devenu ce vide,
l’interruption
(et l’arrachement aux proches)…
Lorsque la caméra est par un des hommes guidée jusqu’à un lieu, dehors, où on exécutait sommairement, c’est au bord d’un creux, d’une mare, ou d’une sorte de flaque, au bord d’un peu d’herbe, sur ce bord,
devant cet éclat louche, ce rien.
Refaits, ces gestes – mais sans leurs « objets » (= les victimes) ?
Répétables sur fond de l’ irréversibilité totale, de l’irréparable sensible là dans le vide.
Vide comme dégorgé par des ruptures ?
« Je préfère , dit Rithy Panh ,
parler de deux millions de destins brutalement interrompus
plutôt que de citer le chiffre de deux millions de morts. »
Dans leurs gestes d’il y a des années ces hommes se coulent. Maladroitement ? Ou plutôt trop bien ?
Sans plus être possédés, espère-t-on (mais par éclairs on a des doutes), de ce qui jadis les animait : la haine ? la peur de leur hiérarchie ? la crainte de perdre la face devant les autres bourreaux (selon un ressort mis en évidence par Christophe Browning dans Des hommes ordinaires) ?
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La mémoire du peintre Nath aura été de retrouver par tableaux les dispositions et dispositifs de S-21. L’une des peintures, très grande, figure, de manière à la fois soignée et brusque, des dizaines de corps quasi-nus couchés et enchaînés à des barres.
Nath[vi] : sa manière (saisie par la caméra) de compléter certains endroits de ses peintures,
ou celle, en général, de se mouvoir et de regarder,
les gestes de ses mains lorsqu’il consulte des archives,
ou lorsqu’il ramasse sur le sol et époussette des photos, de grands portraits, sous verre, de disparus.
« J’ai assisté – raconte Rithy Panh dans Le Monde Télévision du 31 mai 2003 – à la première rencontre entre Vann Nath, un des rescapés de S-21, et Him Louy, ancien Khmer rouge, chef-adjoint de la sécurité de ce centre de détention. »
Nath, détenu, a été sauvé (comme il l’explique dans le film) en tant que peintre utilisé par les Khmers rouges. C’est aussi par sa peinture que Nath , dit Rithy Panh, « a entrepris dès 1980 un fantastique travail sur la mémoire de cette prison. »
Dans La machine khmère rouge, on peut lire comment eut lieu la rencontre (que Rithy Panh dit avoir d’abord voulu éviter) entre la victime et le bourreau : « j’ai emmené Houy dans l’ancienne prison pour filmer une séquence avec lui. Par hasard, Nath est revenu au musée pour récupérer des pinceaux et, là, un employé l’a averti de la présence de Houy. »
« Pendant un grand moment, Nath est resté assis dans un coin et a regardé Houy de loin en fumant cigarette sur cigarette. »
« […] soudain il s’est levé et est venu vers Houy. Sans hésiter, il a voulu savoir si lui, le gardien, reconnaissait le prisonnier. […] Nath l’a pris par les épaules et l’a emmené regarder les tableaux. Il l’a conduit d’une toile à l’autre demandant si les atrocités décrites traduisaient honnêtement ce que les prisonniers subissaient. »
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A ces gestes, à la rareté des paroles dans le film, aux peintures, aux mouvements de Nath, ne faut-il pas opposer une sorte d’immense bavardage, sensible au bord du film, et des flots de choses dites-écrites.
C’est la masse des aveux. Ces derniers étaient au cœur du rôle attribué à S-21.
« Dans la ligne idéologique des Khmers rouges, rappelle Chandler, tout individu « suspect » était potentiellement un « ennemi contre-révolutionnaire », et il était essentiel de le faire avouer pour justifier son élimination. La violence et la pression psychologique étaient officiellement préconisées pour atteindre ce but. L’évidente incohérence des prétendus «complots », l’absurdité des confessions extorquées sous la torture n’étaient pas un problème. Il fallait des aveux, il fallait remplir des dossiers. La juxtaposition de la sauvagerie des interrogatoires avec le soin maniaque et besogneux apporté à la constitution, au classement et à la conservation des archives (photos, biographies, confessions) est terrifiante. »
Dossiers… Entassements de papiers, ternes délires.
David Chandler raconte comment, lors d’une visite à Phom Penh en août 1981, il se rend it «à Tuol Sleng voir le musée des crimes des génocides ». Il rappelle qu’ « à l’époque du KD [Kampuchea démocratique], S-21 n’était connu que de ses occupants et dirigeants du pays […]. » Et il poursuit : « Deux photographes vietnamiens tombèrent dessus en janvier 1979, juste après l’invasion. Ils découvrirent les corps d’ « environ 50 » prisonniers récemment tués, des instruments utilisés pour les tortures et une énorme masse d’archives abandonnée précipitamment. »
C’est au cours de sa visite que Chandler lui-même découvre « ce qu’il restait des archives de S-21.Des piles de documents, dont certaines faisaient plus d’un mètre de haut, étaient entassés dans des vitrines, sur des tables ou contre les murs. La grande majorité, semblait-il, consistait en aveux tapés à la machine ou manuscrits. Il y en avait plus de 4000. Certains étaient brefs (une page ou deux), alors que d’autres, provenant de prisonniers importants, couvraient plusieurs centaines de pages. »
Des masses de pages – et très peu de ce qui pourrait aujourd’hui être utilisé comme témoignages sur ce qui est arrivé. «Le secret et la « discipline » de S21, écrit Chandler, isolaient les détenus au point que, à l’exception des dépositions, des notes et des autobiographies critiques, il n’existe pas d’autres témoignages sur la prison. »[vii]
Chandler reprend la question: « Pourquoi de telles archives ont-elles été réunies ? […] Pourquoi soutirait-on si longues confessions, si détaillées, de personnes déjà condamnées ? »[viii]
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Une remarque plus latérale, ou plus générale, de Chandler
– une de ces comparaisons souvent si épineuses :
« La différence la plus frappante entre les camps allemands et S 21 vient de la masse des documents qui étaient produits dans ce camp. Au Kampuchea démocratique comme à l’époque de Hitler, les prisonniers ne jouissaient d’aucune protection juridique. Mais alors que les prisonniers des camps nazis étaient exploités pour leur force de travail en attendant leur exécution, les détenus de S21 étaient traités comme des éléments d’un système judiciaire et leurs aveux avaient pour objectif de fournir les preuves nécessaires. De ce point de vue, ils s’apparentaient aux prétendus contre-révolutionnaires jugés lors des grands « procès » en Union soviétique dans les années 1930. »
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En quoi les aveux étaient-ils nécessaires au système ?[ix]
De Duch, le peintre Nath remarque (La machine khmère rouge, p146) : « Cet homme passait sa vie à penser, à réfléchir, à chercher la solution pour que les hommes qui étaient exécutés soient coupables… Pas qu’ils meurent simplement, mais qu’ils soient tous coupables. »
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Qu’arrivait-il si les détenus refusaient tout aveu ?
L’un des rôles de la torture, bien sûr, était de les faire céder.
Selon Vitaly Chentalinsky (La parole ressuscitée) Isaac Babel, avant son arrestation, avait imaginé qu’elle allait se produire.
«Un jour, à la datcha de Gorky, il demanda à Yagoda, alors chef de la police secrète :
«Genrikh Grigorievich, comment doit-on se conduire si on tombe entre vos mains ? »
« Niez tout » répondit le maître de la Lubyanka.
« Quelles que soient nos accusations, il faut continuer à répondre « Non » à tout.
Niez tout et alors nous sommes sans pouvoir. »
Pouvoir dire non, Babel ne put, semble-t-il, s’y tenir.
N’en vint-il pas, comme à peu près quiconque en pareil cas, à « se confesser » ?
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Mais il y aura en même temps, dans et par le film (autrement que dans un dispositif juridique), il y aura eu dès le début du film (les « deuxièmes images »),
les aveux (est-ce le mot ?) du bourreau,
ceux , d’abord, de l’homme sombre à l’enfant.
Il en vient ne plus nier, à ne plus dissimuler, dans sa famille, parmi ses proches, comment on l’employait à extorquer des aveux le plus souvent absurdes, et dont le caractère délirant n’empêchait pas qu’on s’acharne à les obtenir.
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De quoi espère-t-on (« on »? « nous » ? Rithy Panh ? Nath ? Le spectateur ? Qui, à Orléans, par exemple ? Les Cambodgiens ? De quelle génération ? Avec quel passé ?)
s’approcher ?
On voit, on ressent, des gestes, oui : la fraîcheur (soudain inflitrée de doute) de ceux du début du film, les répétitions à vide de ceux qui viennent ensuite…
(« Les Gestes » : c’est le titre de la deuxième partie de La machine khmère rouge.)
Dans des rapports gestuels et spatiaux, la domination de quelques-uns sur des masses d’autres veut s’éprouver elle-même…
Sofsky, dans son livre L’organisation de la terreur,
« concrétise », sur les traces de Canetti
les relations spatio-temporelles où cherchaient à
se réaliserles fantasmes des bourreaux.
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Des gestes-témoignage ? En reconstituant leurs gestes, les bourreaux témoignent-ils ?
Serait-ce une des rares situations où des bourreaux ont témoigné ?
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Accéder, par les gestes qu’on voit, aux pensées des bourreaux ou exécuteurs[x] ?
Qu’y trouverait-on ? Le vide (comme le suggérait Catherine Coquio dans un débat public sur Imre Kertesz, ou comme Arendt l’indiquait) ?
Ce désir de savoir, en effet, peut sembler lui-même vain. Et pourtant, qui est exempt du désir de connaître, comprendre ce qui… « au-dedans »… les « animait » ?
Le peintre Nath pose la question (dans La machine khmère rouge) à Houy, l’ancien tortionnaire qu’il a reconnu et qui le ne reconnaît pas :
« Moi, quand je voyais les prisonniers, je ne voyais plus rien d’humain […]. Ils étaient comme des animaux qui se roulent par terre. Toi, tu leur enlevais tout leur droit d’être humain. Quand tu regardais les prisonniers dans cet état-là, quels étaient tes sentiments ? »
Houy ne répond qu’en faisant, du bourreau qu’il était alors, une victime potentielle. Il attribue, bassement, à ses propres victimes la possibilité d’une réversion que justement ses propres gestes d’exécuteur allaient à jamais exclure : « Je les emmenais pour être exécutés, eux. Et peut-être, un jour, ils demanderaient à quelqu’un de m’emmener pour m’exécuter, moi. »
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La « pensée », la connaissance des pensées, la surveillance des pensées ? Folie du pouvoir, spécialement dans le monde communiste.
Pensées de Pol Pot ? Ou de Khieu Samphan, encore vivant aujourd’hui ?
Est-ce que cela a le moindre intérêt ?
Ou pensées d’à peine adolescents (changés en assassins professionnels) ?
« Pensées » soumises à de l’endoctrinement par gestes ?
« Les Khmers rouges avaient compris le pouvoir signifiant des chants et des danses. Ils créèrent et organisèrent des démonstrations de chants et de danses par lesquelles ils entendaient définir la réalité et endoctriner en conséquence. » (Toni Shapiro-Phim, « Dance, Music, and the Nature of Terror in Democratic Kampuchea »[xi])
Toni Shapiro-Phim cite deux propos de Cambodgiens:
«… (faire) chanter ou entendre leurs chansons était le moyen d’endoctrinement le plus efficace. On se mettait à y croire. »
« C’était l’une des moyens qu’utilisait l’Angkar pour nous tuer : elle faisait mourir nos imaginations en les dessèchant. » [xii]
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« A quoi pensaient-ils ? »
« Avec Houy et ses anciens camarades de S-21, déclare Rithy Panh, j’ai tenté de voir ce qu’il y avait encore d’humain en eux au moment où ils agissaient : A quoi pensaient-ils quand ils levaient la main pour tuer ? »
« Où étaient leurs sentiments, leur éducation ? » demande encore Rithy Panh.
« Quelle est la mise en condition qui fait triompher la haine et inhibe toute compassion ?
Je rejette le discours selon lequel dans chaque être humain sommeille un criminel.
Certes, le bien et le mal sont en nous, mais nous ne devenons pas tous des assassins. »
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Les gestes tels que nous les voyons se reconstituer impliquent d’autres pensées que celles qui guidaient (dans la « période Pol Pot) ces (presque) mêmes gestes jadis. Des « pensées » ? Les approcherait-on, elles s’évanouiraient, noirâtres.
Ils sont en même temps alliés, ces gestes, au vide laissé par la disparition de leurs victimes.
Et, refaits dans les locaux désertés de Tuol Sleng, ce sont des gestes qui se livrent, grâce au consentement obtenu par Rithy Panh, à des espaces-temps indéfinis… Dans cet élément sans contour où « nous » sommes, quelque part, sus et inconnus des bourreaux qui rejouent à vide.
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Gestes, pourtant, de Nath. Ses mains sur les photos qu’il regarde, des visages à plat, filmés obliquement. Il ôte la poussière, décolle les verres que la rouille a agglomérés.
Craquements de choses dures et fragiles…
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Gestes aussi, et positions différentes dans un autre film de Rithy Panh, Gens d’Angkor, vu l’autre soir à la télé…
Le personnage central est un garçon de dix ou onze ans, peut-être.
Quelle part de « fiction » si l’on voit, comme il semble, des individus jouer leur propre rôle – non pas en le retrouvant dans le passé, mais en le trouvant dans le présent ?
Il s’agit du Cambodge d’aujourd’hui. Sans allusion explicite (si j’ai bien fait attention) à la période Khmer rouge. Mais l’enfant qui se débrouille apparemment par ses propres moyens (en vendant de petits objets aux touristes) évoque une explosion de la famille, du fait de la mésentente entre ses parents. Quelque chose d’allégorique ? La mère, surtout, lui fait défaut…
Aussi cherche-t-il ici et là des appuis. Il les trouve parfois chez des travailleurs du chantier, ou dans les croyances (récits ou visions) dont fait état un vieux moine. Il les cherche surtout dans certaines sculptures, qu’avec tel ouvrier il s’évertue à déchiffrer. Il s’adresse enfin à une présence féminine : celle, en pierre, d’une « Amsara » dont il semble espérer qu’elle soit enfin tournée vers lui.
(L’enfant formule aussi son espoir d’une autre vie. Plus précisément : celui, en parvenant à obtenirde belles funérailles, de renaître riche…)
(Il dit encore – propos siens ? joués ? – , en conversant avec des ouvriers plus ou moins vieux et mangeant, assis parmi les ruines, combien mourir le ventre vide est différent de mourir rassasié : seule, affirme-t-il la première façon de mourir est terrible.)
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« En 1991, lit-on dans l’Avant-propos de La machine khmère rouge, les accords de paix signés à Paris devaient mettre un terme à des années de guerre civile entre les factions cambodgiennes. Pour obtenir l’adhésion de toutes les parties, toutes les références au génocide commis entre 1975 et 1979 ont été retirées du texte. »
Et : « Aujourd’hui encore, l’amnésie collective sur les atrocités et les et les crimes des Khmers rouges pèse lourd sur la capacité du pays à se reconstruire et sur les survivants murés dans ce silence. Les cours d’histoire sont muets sur le régime de Pol Pot. »
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D’un message email (dont je rectifie seulement l’orthographe, non la syntaxe) reçu d’un Cambodgien de vingt ans (fils de paysans, et qui fait des études au Cambodge avec le soutien de l’ASPECA) :
« Here in Cambodia I am well and my family too. All the terrible things in the film you have seen it was just the bad image in the past,in Khmer Rouge regim. At that time the things you have seen had really happened but we don't have any more now.
Also being careless from the parents I don't have either. My parents take care of me for over my 21 years. But however this problem happen to some child or adults whose parents are poor or have serious problems in the family. But I don’t have that. »
[i] Centre d’études et de recherches sur le camps d’internement du Loiret (ces camps où furent emprisonnés des Juifs – avant la déportation – et des Tziganes, pendant la deuxième guerre mondiale).
[ii] May Ebihara et Judy Ledgerwood, dans « Aftermaths of Genocide, Cambodian Villagers » (dans Annihating Difference, The Anthropology of Genocide, ed. by Alexander Laban Hinton, University of California Press, 2002) expliquent (je traduis) qu’« une partie de la tentative du Kampuchea démocratique pour créer une société radicalement nouvelle impliquait la destruction d’un groupe social qui jouait un rôle crucial dans la vie prérévolutionnaire : la famille (ou le ménage), qui avait été l’unité de base de la production économique et de la consommation, en même temps que le lieu des liens émotionnels les plus forts. »
[iii] May Ebihara et Judy Ledgerwood (toujours dans « Aftermaths of Genocide… ») parlent des « multiples répercussions de la « période Pol Pot » (samay a-Pot) » et envisagent, dans l’après Khmers rouges, 1/ la reconstitution des familles ou ménages, des liens de parentés, et du tissu social face aux nombreuses morts (…) ; 2/ la revitalisation du Bouddhisme après des années de suppression; 3/ la création d’un climat de peur et la continuation de la violence sociale et politique. »
[iv] « Au début du tournage, déclare Rithy Panh, un jour que nous étions chez Pœuv, au village, il m’a montré comment il fermait la porte de la salle dont il était le gardien à S21. En regardant les rushes, j’ai vu que son geste prolongeait sa parole et j’ai découvert qu’une autre mémoire existait : la mémoire du corps, plus aiguë, plus précise, incapable de mentir. »
[v] A Duch (ou Douch), Jean-François Bizot a consacré des pages très précises (et personnelles) dans Le Portail (La Table Ronde, 200O). Dans la préface qu’il a donnée au livre de Chandler, Bizot cite tout au long « les dix commandements qui allaient présider [aux] interrogatoires ». Ces commandements, affichés, pouvaient être lus par les prisonniers qui arrivaient à S-21. Bizot ajoute : « il faut reconnaître dans ces lignes le style d’un homme, dont le nom, Douch, à jamais lié à celui de Duol Sleng, est devenu à l’échelle de tout un pays syninyme de malédiction. » Douch attend toujours d’être jugé.
[vi] « En janvier 1978, Vann Nath, un dessinateur de publicité de Battambang, fut arrêté et interrogé dans cette ville pendant plusieurs jours avant d’être enchaîné et amené en camion à S-21. En 1978, il n’avait aucun idée de la cause de son arrestation. Il ne la connaît d’ailleurs toujours pas. » (Chandler p.101).
[vii] Sur les « autobiographies » – comme récits autocritiques – dans le Kampuchéa démocratique, les descriptions et analyses de Chandler (p.115 et suivantes) sont précises et pleines d’enseignements.
[viii] Chandler voit aussi (p.71) l’ambition de rendre possible l’écriture d’une « vaste histoire du parti ». « Il semble que Pol Pot et ses collègues aient copié en cela le modèle de L’Histoire du parti comuniste de l’Union soviétique telle qu’elle avait été publiée en 1939 – plusieurs d’entre eux l’avaient probablement étuidée au cours de leur séjour en France. Ce ouvrage raconte en effet l’histoire de la victoire de Staline sur ses ennemis intérieurs. »
[ix] Chandler (p.129) s’arrête sur le tour insensé que peuvent prendre les aveux.
[x] Dans le classique Au fond des ténèbres, Gitta Sereny rapporte les entetiens qu’elle eut avec le commandant de Treblinka. (Chandler se réfère à ce livre p.175 de son propre ouvrage).
[xi] Dans Annihilating Difference, The Anthropology of Difference, ed. by Alexander Laban Hinton, University of California Press, 2002
[xii] Et on lit encore, dans un autre témoignage cité par le même article : « Haing Ngor écrit dans son autobiographie qu’en conclusion d’une représentation, les danseurs se martelaient la poitrine de leurs poings et criaient sans cesse de tous leurs poumons : « Le sang venge le sang ». Au mot « venge » ils « tendaient leurs bras comme pour un salut nazi, sauf que le poing était fermé… C’était une représentation dramatique qui nous terrifia… Le sang venge le sang. Vous nous tuez, nous vous tuons. »