Aube perpétuelle
Aube perpétuelle ?
... les heures de la nuit d’avant le jour, les étirer... et qu’elles craquèlent en fissures blanches – perlant alors de possibles notes, de micro-libertés (qui vont s’évaporer)...
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Il n’y a pas de mots, quand le jour se lève, en mars , pour l’évidence de
la fraîcheur du ciel ou pour sa matière (presque une chair) la plus réelle – et donc introuvable
c’est une chance
ou de l’irréfutable
entre les arbres échelonnés
dans l’air rouge
cerisiers nus (des bandes d’écorce se sont enroulées pendant l’hiver, gouttelettes de suc orange), ou branches s’élevant au-dessus, tout au fond, théâtrales et poudrées, du cèdre...
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Notes de pré-aube : en elles, quel dur de fait ?
les écrire – les « fixer » –, c’est les retrouver telles qu’elles n’ont jamais existé,
et cependant comme déjà là,
telles qu’elles se sont (graffiti virtuels dans le sommeil, ou entre moments et états dénivelés de la journée, ou dans la rue, ou en s’occupant de tout autre chose, etc.) précédées elles-mêmes.
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Matériaux, encore en attente, un certain nombre de ces notes ?
à « reprendre » un jour ?
quel geste faudrait-il alors, quel rabattement quasi transcendant (comme un pli voûté de lourde étoffe bleue brune), ou quel retournement d’une main soudain libre dans une inaccessible quatrième dimension ?
(aujourd’hui, ici, rien ne glisse sur ces phrases ébauchées sinon – les réduisant à ce qu’elles sont – une lame.)
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Voici qu’en s’astreignant à se fixer ici ces notes (comme se cherchant réciproquement, se palpant l’une l’autre de phrases-antennes) tendent à se lier : tentation de narrativité, ici, ou, là, tentative d’interrogation plus continue...
Renoncent-elles alors à leur autonomie, à leurs multiples micro-libertés ?
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Mais aussi : par certaines notes – comme celles-ci – , y aurait-il à délivrer, à déverrouiller et déclencher, une plus mordante et broyante activité (comme de mandibules chitineuses, noires orangées, d’insectes constamment au travail)
susceptible de devenir celle, quasi insue,
de notes futures?
de leur minime activité perpétuelle ces notes à venir attaqueraient
elles sauraient s’en prendre directement aux tenues des choses réelles
s’agrippant aux emprises vitales transperçant les consistances-croyances
elles en feraient s’exprimer les sucs vitaux-rêvés
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Ce fut souvent, des années durant, sous l’effet et par l’effort d’autres tentatives se consacrant à des « sujets » déterminés (avec une obstination comme butée ainsi ma récente – mais vieille de combien d’années ? – tentative sur la puissance de la bêtise),
qu’auront suinté certaines notes...
surcroît, alors, bleu de prusse,
sueur qui perle...
Et pourtant c’est celles-là même qui seront restées en connivence avec l’indolence ordinaire ; elles n’ont pas cessé d’incorporer du temps sans but, le plus vitalement fade.
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A l’aube, mais si tard, reviennent (pour n’avoir jamais été notées ?) – comme des odeurs, des chuchotis ou des parasitages de l’immédiat – de marmonnantes « sensations politiques »...
... constitutive fut, dans les années d’immédiate après-guerre (deuxième guerre mondiale), contre la joue,
l’odeur-souffle d’un poste de radio, chaude:
bakélite et poussière, elle émanait d’une petite demeure derrière un rectangle de toile verdâtre tendue (auprès de la petite vitre portant les noms des stations) ;
une minuscule ampoule, filaments orangés, y brûlait
des voix, peut-être des micro-personnages logés là, tressautaient bougeaient ...
voix nasillardes dans la cuisine mesquine d’alors : elles venaient du fond de l’espace comme aujourd’hui de celui du passé
aride, ce fut bientôt le temps de la guerre de Corée, 1950-53 (« Temps du monde : la Corée » écrivit à l’époque Vittorio Sereni),
il s’insinuait comme une odeur en trop dans dans celles de l’entre-soi familial
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... et l’Indochine ? l’Algérie ? énormes masses, pressions inflexions courbures orangées de tout le passé
les faire venir... dans quelle attention d’après-coup,
les dilater nuages-terres sanglants
les dilacérer enfin, rageusement, dans un coin, suppléant l’enfant qui ne pouvait...
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ah ! (8. h., début mars) : qu’est-ce qui vient de cligner dans la minute précédente, au-dehors ?
Aux ramifications noires qui sur fond du ciel pâle de l’aube paraissent, vues d’ici (à travers les vieilles vitres, verruqueuses par endroits), aussi fines
que des mailles
s’est pris ... quoi ... une palpitation – un battement, probablement, d’aile (à contre-jour), ramier ou corneille...
et tout le senti a été, vibrant comme une toile,
brièvement sûr
rien de « nécessaire » ... mais ... si cela
n’arrivait plus
jamais... alors... quelle
mort ?
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Tout simplement infixables, ces notes : dès qu’elles se saisissent, si peu que ce soit, de ce qu’elles désirent, elles perdent toute stabilité.
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Une vie durant : de la « poésie-peut-être » ?
bien sûr, pas de nom pour ça, jadis, dans l’enfance, après guerre (en rentrant le soir, dans la rue grise orangée... décombres blancs béants)
impossible, en ce temps-là, d’en parler ou de s’en rien dire...
poésie, cependant, comme arrachement ?
espoir de jadis... à reconnaître enfin ?
avoir prise
en certains instants (dans les odeurs d’herbes agrippantes au pied des murs), par la seule faiblesse-force du sentir
sur quelles puissances mouvantes qui
se retournant sur « moi » – sur la charge qu’il se révélait impossible de ne pas être pour soi-même
m’aurait arraché de ma place,
ou auraient ressaisi ma propre réalité
– pour la refondre et
me faire substantiellement devenir ce qui ne serait plus, enfin,
un « soi » que mêlé de souffles libres, d’éclaircies, d’altérités palpitantes ...
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Rien, dans ces notes, ne se sera réellement mis en mouvement si elles ne se simultanéisent pas sensiblement (dans quels éclairs d’évidence ?)
avec
ce qu’il doit en être pour les autres – c’est-à-dire encore pour moi (la question me revenant plus vive d’être passée « au-dehors » –
du désir ou de l’espoir, vague peut-être mais tenace, de « se restituer » ...
Que puis-je en savoir, en percevoir, en deviner, dans la rue par exemple ? Quoi d’autre que de pauvres idées, de grossières représentations (il n’y aurait, chez « les gens », que résignation à de l’effondrement lent, ou une décomposition vague du « soi »... – mais non... peut-être pas... ) ?
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Politiques, certaines au moins – depuis toujours – des sensations ? N’auront-elles pas plutôt été des résistances ou objections à toute politique (effective ou possible) ?
Moussant rageuses dans le plus familier, souvent impuissantes, ces sensations ... : rebelles ? « petites bourgeoises » ?
Non non... je défigure bêtement... comment retracer ce qui là se refuse et fuit ?
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Réalisme brusque (au réveil) des liens ou liaisons et connexions :
une douche dans la nuit ( fouillis de branches de glycine vaguement éclairées par le vasistas) ( gel dehors?) :
l'eau chaude dans le bruit du chauffe-eau, sa chaleur je la sens soudain comme
soustraite à quoi ?
et puis tout, brusquement, l’eau, le gaz, les fils électriques, se rappelle comme ce que c'est : abouchements, prises sur des forces, des réalités ailleurs préparées, du temps soutiré, une sorte de suc circulant s’échappant et ...
dégoût, soudain, de cette sensation multi-ombilicale
dans la vapeur ?
dangereuse la tentaculaire dépendance ainsi réalisée tout pourra toujours – voire voudra – s’éteindre ou se tarir
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« What do we depend on to make us feel alive, or real ? Where does our sense come from, when we have it, that our lives are worth living ? »
Adam Phillips (qui cite Winnicott : « If you show me a baby you certainly show me also someone caring for a baby, or at least a pram with someone’s eyes and ears glued to it. One sees a « nursing couple ». »)
Dépendances, oui, à jamais ? Consubstantialités de vies... (Henry Moore : liens réalisés – en bronze).
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Se défaire, enfin ... de quoi ? Se faire plus que nu ?
Hwang Ji-u : « Quand j’enlève mes vêtements dans la salle de bains, il y a quelque chose d’autre que j’aimerais enlever. »
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Une doublure-attention continue et indéchirable pour tout ce qui pourrait arriver... : ces notes seraient-elles autant de traces morcelées de la recherche d’une réalisation à quoi en général on renonce (se contentant de rêveries diurnes) ?
Du « mien » ou du tout autre, vibrant au fil des minutes ?...
Une altérité translucide s’étirant pour chacun tout le long du jour, se moulant sur les événements de toute espèce, collée en une tunique contre les moindres instants, et les consumant à mesure...
Utopie intime... sourdant, par moments, irrépressible, pour chacun ? – dans la fatigue de la rue, dans le train ou au fil des occupations obligatoires...
de l’inévitable chez quiconque
et, simplement, s’exposant dans les présentes notes ?
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Notes, vite, au moins virtuelles, immanquablement abouchées aux coupures, aux intersections du temps
et surtout
entre sommeil/rêve et
réveil
: il faut qu’elles naissent là où les attentes ou doutes de la veille,
se réouvrant (dans la brusquerie des gestes pour se rhabiller..., luttant avec les tubes ou embranchements à odeurs des vêtements...),
ne peuvent,
vaisseaux tranchés dans l’air,
que sangloter de la substance psychique
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Des fourmillements soudain réapparaissent, dans la lumière d’aube, ou sous le néon de la cuisine, et grouillent (alors que je croyais avoir fixé quelques phrases : ce peu de notes)
micro-terreur...
plus que n’importe quelles autres, les phrases des « notes » devraient ne jamais faire oublier celles, à demi formées, multiples, fuyantes, contradictoires, qui les ont précédées...
Tout achèvement unifiant-broyant donnerait-il à ces notes un goût de mensonge..., une odeur d’insectes écrasés ?
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Renaissent-elles toujours, ces notes
... proliférantes ébauches comme une végétation d’emblée sèche ?
pour se dérober, à toute puissance d’un tout en formation et qui exigerait que chaque esquisse locale se donne à l’ensemble, se sacrifie ou, du moins, se laisse précisément contenir par ce qui lui mesurerait sa place... ?
Cette instance d’un « tout » : l’œuvre au sens « absolu » de Flaubert – et « reçue » par Kafka – se trouverait-elle tacitement confrontée à l’appartenance sociale au sens moderne, à l’état-nation et (projetée massivement par exemple dans Salammbô) à sa monstruosité sacrificielle ?
(Qu’est-ce qui peut en être sensible dans les dérobements constants de ces notes ?)
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Et cette autre prolifération, celle des paroles dans la conversation ?
Porc, me suis-je dit en me voyant (m’étant arraché un instant, presque malgré moi, à la conversation à l’étage au-dessus) dans la glace sale au-dessus du lavabo des toilettes du café, tu es rosâtre d’excitation verbale.
Qu’est-ce qui m’a pris ? pourquoi cette volubilité démentant instantanément tout ce à quoi j’aurais voulu croire tenir ?
Cette excitation (chaleurs des joues) se retrouve-t-elle dans mes notes ? me suis-je demandé, écoeuré, dans le train, la rue, la nuit, au-dessus de la Loire.
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« Plus que tout j’écarterais ces paroles que les lèvres plutôt que l’esprit choisissent, ces paroles pleines d’humour, comme on en dit dans la conversation, et qu’après une longue conversation avec les autres on continue à s’adresser facticement à soi-même et qui nous remplissent l’esprit de mensonges, ces paroles toutes physiques qu’accompagne chez l’écrivain qui s’abaisse à les transcrire le petit sourire, la petite grimace qui altère à tout moment, par exemple, la phrase parlée de Sainte-Beuve, tandis que les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Proust, Recherche, Pléiade, t.IV p.476)
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Le bavardage intérieur : inévitable – ou même quasi corporel, et moussant, vital ?
alors... se découvrir continument en train de secréter un flot de quasi mots ? est-ce le matériau nécessaire pour tout ce qu’on peut tenter de penser/dire ? comment s’allier, formant des phrases, à cette production crépitante ?
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Qu’est-ce qui, avant toute parole (ou après elle, la ravalant),
bouillonne et clapote « dans la tête » de chacun au milieu même de la rue
quelles ébauches de phrase anticipées, mal formées, se refondant, cuisant...
pour laisser place soudain à ce qui, irrémédiablement, se trouve dit
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... d’un poème (auto)railleur de Zbigniew Herbert : « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle et se fasse entendre des autres ou de soi comme autre,
cette présence plus réelle que tout, et néanmoins constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
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La justesse : ne saurait-elle venir qu’après de la prolifération d’abord vaine ou plus ou moins grotesque ?
Faut-il qu’elle soit appelée, et rendue douloureusement nécessaire, par des phrases d’abord étouffées-étouffantes... et à ... guérir ?
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Quand vient-il opportunément, ici (ou quand viendrait-il, s’il venait) le moment de fixer des phrases : d’un féroce regard-écoute, s’abattre sur du trop abondant
se recourber, fouiller du bec, dilacérer...
aérer de vides perçants...
... trouver le rythme en un second temps ?
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Comme induite par des ébauches trop épaisses (soupe verdâtre),
il arrive soudain – il faut ? – que s’insinue et que rage, seconde,
une spatialisation intense
(animée de quelles forces ?)
... de l’espacement, oui, alors, des souffles, du jugement tacite-tactile, des déroulements qui se libèrent brusquement, ou de l’en même temps qui s’impose non unifiable,
(se crée-t-il alors – comme sous les pesées de pas qui crisseraient, trouant le blanc de brun-mauve – des places, des possibilités de compter... )
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... quoi, alors, d’analogue à de ... la « loi » (au sens Lefort) ?
une force-souffle d’espacement ou de soulèvement de toutes les positions de mots dans une phrase ou un vers
analogue (non, davantage : c’est sans doute le même élan ) aux positions-poids des vies dans l’ « entre » ?
chacun se révélant n’être soi que par le passage de l’être-soi en qui que ce soit, indéfiniment
......
« lois brûlées dans l’éclair du silence » (Nelly Sachs)
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A reconnaître aussi, dans ces notes, des matériaux possibles (pour un temps qui ne viendra que douteusement ?) ...
des tas de terre mentale, des amas de confusion, des chantiers abandonnés sous quel vent de panique (fuite...)
et restés à béer sous la pluie
dans l’air blanc… ?
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Parfois, encore et encore, furieusement, s’acharner sur le déjà fait, sur le trop formé-formulé
– et le redécomposer en micro-entités s’évadant, se perdant dans le brouillard ?
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Revenir (en retraversant parfois des années, parfois quelques jours ou simplement deux ou trois heures) sur ce que, en général, j’ai écrit, serait-ce me couler contre mon propre cadavre ?
Peau encore vivante contre peau glacée pas tout à fait morte ... Sueur froide dans l’entre corps, dans le contact mi-vie/mi-mort...
... devant le poste de garde d’une cour de caserne (en Lorraine),
en pleine nuit, dans cette camionnette de la gendarmerie où je n’avais pu entrer qu’en rampant à tâtons,
c’est d’un coup,
et de tout mon propre corps,
que je découvris que ce jeune soldat (vingt ans comme moi)
dont on venait de me dire qu’il était blessé et attendait des soins
était en réalité déjà froid
alors il fallut ...
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Trop de notes-papier : retrouvées vieilles et sales ?
Oubliées et conservées ... à ne plus savoir qu’en faire... Trop « matérielles ». Terreuses.
Papiers accumulés (cahiers, carnets, feuilles volantes) :
ils demeurent là, près du lit,
c’est un encombrement... un étouffement... ou d’innombrables micro-gémissements, des odeurs qui réclament
c’est comme si, des morts de la famille, on avait conservé, depuis des décennies, les vêtements, les sous-vêtements, divers objets à usage plus ou moins personnel,
tout ce qu’on n’aurait pu se décider à jeter
(et pourquoi pas des objets de vieillards d’il y a deux cents ans ? ou plus ?)
ou comme si, par exemple, on cohabitait intimement avec les chaussures usagées des morts, cuites au dedans par la sueur des pieds, ouvertes au vide comme des bouches.
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... le désir de penser : où, chez qui, en quels endroits (jointures internes d’un individu ou jonctions grinçant-saignant entre plusieurs) de la vie naît-il ou s’insère-t-il – parfois jusqu’à la folie ?
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« Penser » ! enfantinement... :
le désir fou ou idiot de « penser »
je n’aurai pas cessé, toute ma vie, de me réaboucher à un instant vécu à l’âge de cinq ou six ans dans la cour d’école
il me fallut alors,
en proie à un éblouissement morne, et pour éviter
ou du moins retarder je ne savais quoi,
m’acharner à compter le plus loin possible
– c’est-à-dire à décomposer le temps
en une immédiatement sensible puissance grésillante
du continu
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Lenz Les Soldats (j’avais jadis plongé dans ce texte après avoir vu à la télé, en 1992, l’opéra, comme en fusion, de B.A. Zimermann) II 2 :
« Pirzel [Bilboquet] lui [l’aumônier Eisenhardt] prenant la main avec véhémence : D’où cela provient-il, Monsieur le pasteur ? De ce que les gens ne pensent pas. (Il se lève et prend une pose très théâtrale, à demi tourné vers le groupe des officiers.) Il y a un Etre parfait. Cet Etre parfait, je peux ou bien l’offenser, ou bien ne pas l’offenser.
L’un des officiers, se retournant : Tiens, le voilà qui recommence…
Pirzel, tout à son affaire : Si je peux l’offenser (il se tourne tout à fait vers le groupe des officiers), alors il cesserait d’être parfait.
Un autre officier : Mais oui, Pirzel, tu as raison, tu as cent fois raison !
Pirzel, se retourne rapidement vers l’aumônier : Si je ne peux pas l’offenser…
Il lui prend la main et reste figé, plongé dans ses pensées. »
Un peu plus loin, derechef : « cela provient de ce que les gens ne pensent pas. »
(Lenz, l’auteur des Soldats, deviendra le personnage en proie au délire, errant dans la montagne, béant sous le ciel et face à la terre, du Lenz de Büchner.)
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Chez Platonov (à la faveur de la possibilisation fictionnelle de la révolution, de la guerre ou la terreur, dans la misère, l’épuisement) surgit et revient, chez tel personnage
(dans La Fouille ? Le hameau des cochers ? )
un désir exorbitant de penser…,
penser sans savoir quoi ou à quoi…
ou encore (dans des moments où Platonov glisse à une certaine science-fiction utopiste – Le chemin de l’éther – ) surgit l’enfantin espoir d’une toute-puissance des pensées (celle, par exemple, qui rendrait les pensées capables d’agir à distance sur la réalité matérielle).
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Comprendre enfin comment c’est en jumeau de ma bêtise constamment reconstituée – masse gélatineuse du soi/faux-soi –,
qu’il renaît toujours le désir indéterminé (si souvent débordé) de sentir-penser... ?
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Parler-penser : dans cet ordre ? Oui, je pourrais revenir là indéfiniment...
c’est bien là qu’il est, tout l’espoir...
les plus gauches, voire épaisses et complaisantes, ébauches de formulations se révèlent parfois pouvoir (en quels instants ? ) céder et induire une marée doucement lumineuse et crépitante qui déjà les soulève, les fait danser...
et c’est alors l’afflux d’une spatio-temporalité qui devient l’élément le plus reconnaissable et le plus infixable
ou bien faudrait-il se rendre compte que la parole d’emblée présupposait mais rejetait aussi (mais pourquoi ?) cet élément… de l’entre, la fluidité entre plusieurs – plusieurs personnes ou moments ou états
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Parler/penser ?
Rythmes entre positions se multipliant de qui espace ses propos ou s’espace de lui-même...
Possibilisations et résistances… Elasticité... Tressautements... Ah ! la danse où il faudrait oser...
Faustin Linyekula, quelques minutes... (Ou... Uwe Scholz ?)
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Je me dis que tout moment, fût-ce ou surtout le plus « intérieur », est baigné dans de l’ « entre », est irrigué de cet élément
mais c’est un entre qui est le plus souvent virtuel, qui est comme un manque, une famine en chacun,
et qui demande à être actualisé,
oui, qui cherche à se réaliser « dans la vie », dans les rapports…,
dans l’entre-présence, dans le don (l’élémentaire recevoir/donner, recevoir la force de donner, etc.),
dans le soutien à d’autres (les enfants)
Je « me disais » ça (qui déjà se dilue)… dans la nuit d’avant le jour... celle où on ne sait si les sons résonnent au-dedans ou au-dehors (de la pièce, de la maison, de la tête, de la poitrine, du monde).
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Féroce, soudain, il y a des années, fut la croyance qu’il me fallait, pour obtenir une réalité sui generis des choses pensées/écrites, minutieusement happer, travailler, résorber dans mes phrases toute visibilité que j’aurais pu jusqu’alors, comme quiconque, comme tout humain toujours, désirer pour moi-même...
A Illiers, il y a des années (bien avant la virtualisation-vaporisation par l’ordinateur), dans la semi-solitude à deux (ou à deux demi-deux ) au bord de la Beauce (noire sous le plus vaste ciel), j’ai intensément espéré, sans trop le comprendre – et, bien sûr, sans y parvenir –,
approcher d’une puissance, là sur la table,
sur la feuille
de sentir-penser-dire ou, concrètement,
de former des phrases
qui trouveraient
(avec la complicité – des pressions sensibles comme un grand rabattement – du vide si réel sur la terre des champs déroulés, ou, parfois, la neige, ou les bruits... cris d’âne ou, au printemps, rouge-queue, et les grincements constants des planches d’une énorme porte de ferme)
une part, mais décisive, de
leur matière
en happant (en le rattrapant au vol sous la lampe)
tout désir, tel qu’il pouvait émaner de la moindre ébauche,
d’obtenir de l’attention
ou qui se nourriraient de toute luisante faim de
quelque, oui, visibilité pour d’autres,
pour des regards à distance dans
l’espace ou
le temps,
etc.
.........
Un grand regard rayonnant d’en-dessus ou d’en face pour nous distinguer ou nous préférer...
terrifiant le désir – que je crois sentir chez beaucoup (mais par quelles perceptions ? celle que procurent les journaux ou la télé ? ou simplement dans la rue, dans les magasins ?),
chez tout « nous », probablement, en tout « soi » –
d’être vu de quelque part, d’être su
d’être comme vêtu de
l’éclat d’une attention à « soi » (moi, nous...)
réservée
se défaire par instants de cette emprise ?
il suffirait de réaliser
que, sensible ici dans le détail de ces phrases, se prenant à elles,
elle pourrait leur être – comme par un saut qu’il leur suffirait
de faire en débordant infimement
leur propre contour –
accessible ...
proie, dès lors,
et soudain
à flairer, à goûter en lambeaux violacés ...
comme une chatte mange des placentas
..........
Sensations politiques, vraiment, aujourd’hui plus clairement que jamais ?
Pourquoi y associer ce qui suit ?
(Est-ce de pouvoir qu’il s’agit chez Walser ? ou de la force secrète de l’ « en bas » ? ou de l’ambiguïté féroce de tout respect ?)
Une citation de Walser copiée (de L’institut Benjamenta, p110) il y a plus de vingt ans :
« Nous commandâmes encore de la bière et mon interlocuteur reprit : « Espère encore sans rien attendre. Regarde au-dessus de toi, bien sûr, car cela convient à ton âge. Tu es jeune, Jacob, honteusement jeune, mais aussi avoue-toi toujours que tu méprises ce vers quoi tu regardes avec tant de respect. Tu approuves encore ? Diable, quel auditeur compréhensif tu fais. Positivement, un arbre ployant sous les fruits de la compréhension. »
je n’ai jamais écrit ni ne saurais écrire des phrases de cette liberté, de cette force
c’est une question de position (qu’on ne s’invente pas, qu’on ne peut se donner) dans la vie, dans le sentir-penser, la parole
on ne saurait s’arracher soi-même ... pour se livrer à un vide sifflant et ne se réinsérer que ... que pour...
donc : faire tomber le haut par humilité rusée ? décrocher subrepticement les plis de ce qui se voulait s’imposer magistral-majestueux ? faire s’effondrer ces représentations en lambeaux, en débris retentissants et pans qui tombent en soulevant de la poussière ?
... et alors des éclairs de rire courent au ras du sol inévitable, avec une énergie sui generis
.........
boire dehors, avidement, aux vols tranchants transparents dans la ville
tournoiements de glaces et vitres et corps-visages s'appuyant sur l'air, pris à des images d'attente,
chairs redoublées moins de leurs reflets (dans des vitrines) que de leurs projections pauvres et délirantes
laper continument ces présences invisibles mais constamment devinables dont quiconque s’enveloppe
les happer au vol sur le pont (à la fin du jour au-dessus de la Loire ... saules ...)
s’abreuver surtout à ceux de ces visages entrevus émaner là où ils renoncent –
oui, alors, avidement lécher les attentes là où on sent qu’en décrochent
des existences fripées en plaies ou
gaufrées brûlées de cicatrices
..........
Des « avec » vitaux !
Avec Ibrahim, avec Linda, Kim, Pedram, Laura, Ousmane
tant de notes réelles – ou virtuelles et autrement actives (comme des scarifications dans la substance de la vie) – de plusieurs « avec »...
des « avec » qui furent hémorragiques...
.........
« Et comme ça, je n’ai pas répondu à ton appel, je n’ai
pas frappé à ta porte ?... mais toi, toi m’as-tu appelé,
vraiment ?... et tu m’aurais ouvert la porte, vraiment ?...
Et tout le monde peut dire : je n’avais pas d’autre voie et là
j’ai rencontré qui j’ai pu !... »
De Signoribus
..............
... et le droit même
aux souvenirs d’enfance de «quelqu’un comme moi » est-il (doit-il rester) toujours suceptible de se révéler,
sous le coup de telle autre présence (brutalement interjetée)
douteux,
blessable,
soudain ensanglanté ?
Avec Ousmane, parler... dans la cuisine...
il est arrivé que les sensations d’Ousmane (telles qu’il n’a pu – se griffant aux mots, aux syllabes – que me les faire entre-sentir) s’insinuent,
à son insu,
dans le plus familier pour « quelqu’un d’ici »
l’instant (tel qu’il a essayé de me le dire) où il fut remis par la police à la gendarmerie
puis, après quelques jours en centre de rétention,
jeté sur la route
– « allez va-s-y » –
entre forêt et champs
à...
Cercottes
soudain défiguré, ce nom à odeur de lapin, de crottes de lapin, ou de fruits d’églantiers (« grattecul ») hiver gel cristallisé sur de petits fruits rouge-orangé ovoïdes dans les buissons sans feuille, épineux… Larmes rouges.
marcher des kilomètres
une petite cabane en béton de cantonnier en béton (jadis vue imaginée ? dimanche soir)
route dans la forêt d’Orléans (là où jadis George Sand enfin avait vu, pendue à un arbre, vêtements noirs claquant au vent, chevelure vol, une grande femme (une voleuse ?)
sur la route humide
allez va, allez va-z-y, allez dégage
soudain tu ne pourras plus effacer ce fait
qu’il – « quelqu’un comme lui » – aura été là
tout autre
dans ces mêmes lieux
non ne je sais pas (pas encore ?) re-penser, sentir, dire-former l’entaille
........
A ne pas oublier, jamais, très loin tout près, l’une des « choses » à quoi le consentement risque toujours de ressurgir :
« … l’inspiration d’un plan quadrimillénaire disant que le paradis humain commence tout de suite après l’enfer réservé à son prochain… »
La formule est de Karl Kraus, dans le passage suivant de la Troisième nuit de Walpurgis (trad. de l’allemand par Pierre Deshusses, Agone).
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Ou bien… ce que je peux croire capter au vol (ou condenser localiser ouvrir en puits d’absorption dans mes notes) des migrations, ou des présents qui se créent par intersections violentes…, tout cela doit être maintenu tremblant comme ce qui, tout en s’enfonçant indéfiniment en soi-même, ne (se) suffit pas (et par exemple ne prend en aucune manière le tour d’une sorte de « solution » idéologique dans l’indignation ou la générosité) et, pour une part, se destine (s’adresse ? s’expose ?) moins à des lecteurs (de poésie ?) qu’à d’autres régions ou domaines … mais qu’est-ce que je veux dire là, au juste ? que ...
.. que je voudrais que ces notes, se faisant brèves constructions d’inconstructible, en particulier quand elles frôlent le politique, l’intenable socialement, soient – si elles l’étaient ! – reçues comme n’ignorant pas que ce à quoi elles touchent en se localisant relèverait en même temps d’autresdomaines de pensée, de discours, d’action et seraient (secrètement, latéralement) à leur laisser, à laisser refuir en eux (pas même à leur proposer, car, il y a là dans l’extrême proximité, de l’hétérogénéité irréductible)
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Avec : double soulèvement – l’un et l’autre mettant en mouvement, sans le savoir, l’entre pulsatile
Ecrire des « avec » qui eurent lieu ici (maison, famille), mais restèrent séparés, presque de la possibilité des phrases
Jours, mois, années... avec Ibrahim ou Kim, Pedram ou Laura, « Ousmane »
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Mais aussi écrire ici ( ?) avec des textes « durs » au sens des tentatives de savoir, aux questions échangeables (cad aussi des textes spécifiquement périmables) (livres, journaux, internet)…
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Avec... ? Des souffles de cauchemar, parfois...
Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient-ils de toujours voulu demander ... (hurlant soudain... , affreux...) qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ?
un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, réclamait qu’on lui accorde, enfin, là, une peau...
(on rencontre des insomnies au milieu de la rue)
comme si un passant, se laissant longuement arrêter, devait cet être sans contour secréter-donner,
de toute la substance de son attention,
ce qui deviendrait, enfin
– pour lui, le réclamant, l’à vif au milieu de tous ... –
l’enveloppe de son être...
Est-ce donc là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes à, par exemple, un homme gelé
au milieu de la rue ?
Il s’est fait, me dis-je en pérorant intérieurement pour me calmer,
une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé
et le poème cherchant, pour exister, la matière de son bord n’importe où alentour.
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*** 25 déc. 2011, 9h45. Temps étrangement doux. A travers la baie vitrée : les cèdres tout au fond, vus à travers les branches dépouillées des autres arbres, sur le ciel lumineux nuancé . Le mur à droite.. ou plutôt, visible comme elle ne l’est pas dans les autres saison, une complexité étirée en perspective de plusieurs murs.
A décrire en détail ?
Recueillir en formant des phrases ce qui a été fait « de main d’homme ».
Dire... pourquoi comment ... les détails deviendraient à mesure ... quoi ? intéressants ? désirables ?
La partie la plus proche qui, à droite de la baie vitrée, monte jusqu’à la hauteur du toit, est en pierres non taillées, irrégulières... ; les joints ont été refaits il y a plusieurs dizaines d’années et sont rongés voire évidés par endroits (des moineaux viennent fouir les cavités)... ; de cette partie en pierres (manifestement la plus ancienne, très épaisse, et ayant dû appartenir à un édifice de jadis) le sommet s’abaisse en une pente incurvée (convexe) jusqu’à la moitié de la plus grande hauteur du mur....
je n’ai pas maintenant le temps de poursuivre... : il faudrait détailler les différents matériaux, leurs textures visibles, leurs couleurs ou nuances du gris au brun, les végétaux – vigne vierge desséchée, mousses aux nuances toujours merveilleuses, etc.
le temps là, long ou immédiat,
à tout moment s’érafle, suinte
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prose-poésie ? terreuse, trop douce terreur, de la prose brisée – et par là réelle... prose qui en brisant réalise
maints « avec », nuit et jour : la rue, la maison, la radio ou la télé, l’internet ... Tout ce qui se redresse, souffle, donne, demande
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Dimanche 21 août 2011.
Au crépuscule d’une journée extrêmement chaude, je pars dans des rues voisines. Dans l’une d’elles, que j’arpente depuis plus de quarante ans, des constructions nouvelles sont apparues depuis peu, et d’autres continuent à pousser ou sont annoncées (panneaux). Tout se donne pour de l’exactement prévu, du pur « fait pour ».
Des murs anciens, longs et déroulés, qui m’étaient jadis, par leur continuité, une aide grise et grondeuse, ont été partiellement abattus. Il y a des entailles blanches dans des déroulements gris probablement séculaires, il y a des blessures couleur de calcaire fraîchement cassé dans ces ténacités aux rases mousses couleur de cuir...
Tout, à cette heure, dégorge de la chaleur dans l’air. Les choses ont une intensité qui ressemble à du désir. On ne sent pas, on sait seulement, que tout va bientôt s’effacer dans l’obscurité.
Sortant d’un des petits immeubles tout récents (en pierres synthétiques), un vieil homme, courbé, corps quelque peu difforme, chemisette blanche, cheveux tout aussi blancs, et mal peignés, se dirige vers une voiture.
Il est accompagné d’un petit garçon – huit, neuf ans ? – un peu gras.
Le garçon parle au vieillard. Sa voix claire et fragile est raisonnable – à faire se fissurer l’instant.
« On est le 21. Maman revient dans deux jours. Tu pourrais l’appeler... »
Pas de réponse.
La voix – blanche ? oui – de l’enfant subsiste juste en arrière de moi qui m’en vais.
Son désir d’articuler clairement ce qu’il a dit ou les choses mêmes de la vie dans les heures ou jours qui viennent, n’aura pas trouvé de soutien.
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Lire, vite, vite !
Quand un texte commence à exister « pour moi »..., il se met à me regarder autant que je le regarde.
Je ne peux ouvrir un texte sans être ouvert par lui.
Il faut que par lui, obscur et réel, je me sente décomposé en zones dissociées d’où, sans doute, rejailliront des faisceaux actifs, allant fouiller en lui.
Mais une chose qui arrive, des gens... ont-ils le même pouvoir ?
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... la rue, comme tout le monde : un impératif-impulsion insatiable,
la route-rue, l’entre comme liquide, l’élément commun – temps entr’arraché, visbilités projetées en halos mi-rêvés – disputé, écumant...
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19 octobre 2011, 21h15, revenant dans la nuit humide de la gare par la rue de la République, je passe près d’un camion d’éboueurs vidant les poubelles des commerçants. L’un des deux éboueurs est un noir grand et mince, avec une veste jaune fluorescente ; il est accroché au camion, il parle – très fort, dans le bruit du camion et avec une certaine volubilité, mais non sans douceur – à une jeune femme, noire également ; cette dernière, souple, écoute avec inquiétude, voire de l’anxiété.
Qu’est-ce qui se passe, est arrivé, risque d’arriver ? Impossible de faire la moindre conjecture. Un jeune garçon (cinq ans ?) regarde, visage tourné vers le haut, l’air grave, l’homme et la femme. (J’ai eu peur pour eux ; j’ai ressenti, tout en quasi courant, de la tendresse pour leurs têtes latéralement éclairées.)
Je ne sais pas ce que je fait en notant (non ça je ne pouvais que le faire) non en fixant-offrant ici cette note
Je détesterais prendre, en général, le point de vue de l’ « observateur », comme qui rapporterait ce qu’il « voit » selon une position sienne préexistante, durable et identifiable, pour un « public » lui-même prévisible et adhérant à lui-même...
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Et la télé... autre fleuve, énormes bribes détachées terreuses filaments nacrés croquants...
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« Je suis un loup .»
Je recopie d’un cahier de 2006-7
(Un « avec » : ce couple vu à la télé , par hasard, désormais accompagnera, comme un possible, un embranchement de la réalité ordinaire/tout autre...)
Reportage sur Arte, mardi 22 août (2007 ?), 14h. On suit un camionneur en Chine, avec sa femme et occasionnellement son beau-frère.
Coment tout cela a-t-il été tourné, quels moyens de divers ordres, quels soutiens, quel désir ?
Ce que nous pouvons voir dépend aussi, bien entendu, de toutes sortes d’aspects financiers, techniques, administratifs, voire politiques.
Enveloppes et attentes du vu-entendu, du donné à recevoir.
Le souvenir globale est d’un élément d’aube ou de crépuscule. Comme dans de l’eau.
Je ne sais pas évaluer les âges… L’homme : trente-cinq quarante ans ? Et sa femme ?
Leur fils de 8 ans vit chez les parents de l’homme.
L’attachement entre l’homme et la femme est sensible dans sa gentillesse à lui, et dans des gestes affectueux qu’elle a. Elle explique qu’elle a voulu partager sa vie à lui : son souci de lui prime sur celui de l’enfant.
Soudain un cylindre casse. Il faut réparer, trouver une pièce de rechange. Le camion va être gardé par le beau-frère. L’homme et la femme tentent le stop pour gagner la ville la plus proche, à 70 km. Ils sont de retour en pleine nuit. Les deux hommes, sous le camion, changent la pièce…
Plus tard, coup de téléphone aux parents de l’homme et au fils. Le père dit qu’il voudrait vendre le camion (il contribue au remboursement de l’emprunt qui a été contracté pour l’acheter). L’homme résiste… « J’ai mal à la tête », dit-il après avoir raccroché. A qui parle-t-il alors ? A la caméra ? A « nous » , n’importe où, au futur ?
Le camion arrive (après des milliers de km) dans le Xinkiang. Montagnes pleines de neige, splendides. C’est, dit l’homme, le pays où ses parents ont lutté jadis pour survivre. L’homme se rattache donc à ces parents qui voudraient le faire renoncer à cette vie de camionneur, celle qui prcisément lui permet de revenir voir ses parents. Point ombilical douloureux (nœud d’intenabilités, comme chez quiconque). « J’aime cette vie, dit-il, j’aime aller là où je veux. » Et il ajoute : « Je suis un loup. »
Mon émotion est-elle naïve ? potentiellement dangereuse ?
Je pense un instant à tout le dispositif qu’on ne voit pas : regard-écoute à qui le camionneur peut s’adresser, réalisation momentanée de ce à quoi il aura toujours rêvé de pouvoir parler ou d’être vu, ou su être.
On a vu cet homme de profil alors qu’il conduisait (et, devait-on imaginer,interminablement), visage tourné vers l’avant, présence immobile-mobile, fendant à travers le pare-brise le vent soufflant sur des plaines immenses.
Est-ce, pour « nous », pour moi, une illusion d’avancée dans l’imprévu ?
Cet imprévu… est-il pour lui ? pour nous ? Quelle écart ?
Le camion, les soucis : du banal, ce que nous pourrions immédiatement partager ?
Quelle est la nature de la différence là, de l’altérité ?
(je recopie ce passage dans « Avec » ou « Terre »
je recopie ce que j’ai noté juste après... avec le désir de ne pas oublier
je recopie aussi pour obliger mes phrases à se plier à... quoi ?)
(mon désir à moi est sans doute que mes phrases connaissent là une aventure latérale (dans leur rapport non seulement à cet homme ou cette femme, mais à la caméra, au fait du reportage, aux désirs et emportements des uns et des autres dans leurs propres directions...),pas seulement ces phrases-ci, mais les phrases à venir et parlant de tout autre chose...
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A l’aube parfois, sur le quai (aux Aubrais), parmi tous les gens partant au travail
face aux voies jusqu’à l’horizon... aires caillouteuses mauves...
barres de trains de marchandises à l’arrêt, voûtes des toits des wagons, certaines comme givrées, et .. planches et barres de métal ... et...
les mi-choses que chacun se disait, se dit, semblaient, semblent encore aujourd’hui, juste au-dessous des maigres bribes de conversations audibles, flotter couler... dans l’entre
et c’était, c’est comme si elles forment « en moi » des tourbillons se recreusant bruns-argentés et affamés...
Avides de quoi – que je ne saurais leur donner ?
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*** Entre tous ... têtes-bouches sources écumant d’ombre si ordinaire...
intériorités réelles-rêvées...
émanations résorptions déformations ...
dans de l’« entre » se déroule pour l’un ou l’autre de l’avant après du recevoir-donner
quasi matières épaississements et soudain
quelles issues perçantes ?
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*** Sur le quai... Dans les reflets de nuit-aube, d’humidité, parmi les haleines...
D’où viennent-ils ces choses qu’on se quasi-dit ? Comment durent-elles ? Où filent-elles ? avec quels effets ? comment ne cessent-elles de bouger et de se métamorphoser ?
volutes d’odeurs des pensées
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Oui oui : où vont-elles, les choses qu’on se dit ? reviendront-elles autres ?
Courants, latences, lacunes, reflux...
J’y « pensais » alors que le train longeait la sucrerie d’Artenay – vapeurs puantes (betteraves brûlées ?) montant en torsades enflammées par le soleil d’aube de décembre qui rasait les chaumes
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Hélas oui : ce qu’on croyait avoir su « garder pour soi », dans la vie à la maison ... : voilà qu’on découvre avec angoisse que c’est passé chez les enfants...
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De la terreur qui s’ignore ?
***Rue de la République, un jour de mai, 9 h du matin (je cours à la gare). Vent froid après des jours précocement chauds. Passe, à la plus grande vitesse possible (ou à la moins grande lenteur possible), un véhicule balayeur (brosse ronde inclinée pivotant)...Quand il arrive vers moi, je discerne, derrière le large parebrise, une rangée bigarrée de jouets, peluches, quasi corps en plastique, etc. Probablement, des objets perdus par des enfants, ceux qu’auront triés les deux hommes du véhicule. Quoi d’un peu effrayant ? Jouets cadavérisés...
(Une vision qui rappelait quelque chose ?
Une exposition machinée férocement, quoique à leur insu, par ces deux hommes dont je n’ai pas vu les visages ?
Attaquant la visibilité commune (les bonnes volontés en elle affichées) en singeant des enfants morts... ?
exposant les regards des poupées, attaquant fendant le voir être vu de la rue... ces regards réels ou hallucinés... ces nappes humaines délirantes
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**** Avec les Témoignages : ne pas s’identifier… ? ne pas sanctifier ? ni du même ni du tout autre..
Recevoir de côté les œuvres-témoignages dans la mesure où leurs auteurs ont fait régresser leur faire-œuvre jusque dans des structures mêmes de la sensibilité, de la pensée, de la mémoire..
Tirer des conséquences de ces lectures, c’est recevoir et effectuer latéralement des différences et résonances de mémoire à mémoire, e positions « ici maintenant »… C’est les recevoir pratiqueemnt, en écrivant…
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« Chez soi » : là où « se retourner ». Quelle fluidité élémentaire ? dans quelle enveloppe ? quelles redécompositions possibles ? quasi restitutions : de quoi à quoi ?
Chez soi retrouve chaque jour son rôle dès lors qu’on rentre d’un « dehors » tout autre ou dangereusement proche, de cet espace où flottent, translucides, des filaments urticants.
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Dans la pénombre de la voiture ( 20h-21h.) , une question-pression flotte dans des halos pulsatiles de doutes, de sensations vagues, comme volontairement-imaginairement suscitées (la tension politique, c’est aussi l’imagination qu’on se fait, souvent avec mépris ou haine, des pensées et émotions et sensation et désirs des autres.)
Quelle question ? Celle de l’appartenance... Quelle nécessité de celle-ci, pour qui ? Ma manière de la rejeter serait trop caractéristique de ma position « dans » la société... Ou encore, mes façons de parler, après Lefort, de « la division » sociale...
Affirmer la division, le vide : ignorer le besoin d’appartenance chez les « défavorisés » ? Ce style de pensée écoeure aussitôt.
**** Ce qui me vient soudain (en traversant la pluie avec l’atmosphère interne à la voiture), c’est que le « dans », l’ »avec » ou l’ »entre » qui s’imposent à moi de plus en plus thématiquement (alors qu’ils ont été longtemps implicite) seraient à re-sentir politiquement...
Que serait-ce que l’intensité de ces rapports largement latéraux ? N’y aurait-il qu’illusions sentimentales de la bonne volonté à désirer vivre de l’ »avec » dans l’ »entre » des divisions sociales, à travers les différences de modes de vie, de désirs ?
Ce que je vis (sens, pense, forme-formule) avec K. est-il rendu possible par la situation d’irruption-interruption (de provenance autre), cela serait-il impossible au sein de la même société ?
(Mes « avec »..., toute ma vie, depuis l’adolescence : pauvrement douteux ?)
(Imaginer de l’ »avec » à la favuer des différences de positions dans la vie..., différences qui ne seraient pas réductibles aux différences de classes, etc.
Vivre avec les désirs des autres en laissant remonter les siens ?
Rien là de sucré, d’irénique... Il peut être insupportable de subir les effets des désirs des autres. On peut détester les désirs des autres – ou ce qu’ils croient être tels, ou leurs images d’eux-mêmes flottant irréelles trop réelles...
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L’ « entre » ? Ou l’ »en-deçà » ? C’est une fluidité noire ni seulement potentielle ni franchement actuelle. Elle est impliquée par, dans, toute capacité de sentir la subjectivité des autres (et de se sentir un autre sensible aux autres) tout en étant égaré dans la sienne ; elle est ce dont on sent constamment rémerger les multiplicités des positions à la fois différenciées (par exemple par le sexe… ou le « genre », ou la vie et la mort) et possiblement, soudain, interchangeables. Elle brille flue non seulement en retrait (comme sur l’autre face) des humains différenciés, mais aussi au-dessous de ce qui est ressenti comme du non humain plus ou moins proche, ce à quoi dans le non humain qui se trouve là peut venir comem soutien, ou comem tout autre, ou jouant dans le « dans » le poncutant le faisant respirer ou le déchirant…
La danse, là ?
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*** J’ai cherché, peut-être, chez des démunis, des manières d’être comme pelés de leur propre visibilité..., de s’abandonner à l’entre..., de n’avoir pas de forces pour le souci de son apparaître, ou de devoir faire de celui-ci le moyen le plus simple d’ob tenir...
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L’enveloppe de l’entrevisibilité (ai-je cru sentir soudain dans l’entre nuit et jour)
se déchire partout, à tout moment
et en même temps se reforme toujours, invisible et contraignante, illusoire et si puissante.
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*** Notes révélatrices-dévoratrices d’enveloppes...
elles sont de nature à obliger à se concrétiser, là soudain, des enveloppes fantasmatiques archaïques dont la présence n’est qu’allusive (mais peut-être, par là même, plus contraignantes) dans la plupart des paroles ou des œuvres...
Soudain, avec une crudité enfantine, les contraindre, ces membranes, à être là – et à se concrétiser-décomposer... odeur d’œuf tiède, peau de jaune d’oeuf...
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*** Il est imbécile, mon désir de parvenir à écrire sans plus désirer la visibilité. Ou celui, si grossier soudain, de rendre visible mon désir de non visibilité.
« Quelqu’un comme moi » ne peut pas être hors ou au-dessus ou pas même (ou encore moins ... car l’humilité là est évidemment mensongère) en-dessous de l’entre-reconnaissance.
L’entre-regards (regards réels ou, surtout, imaginaires) est une enveloppe infrangible une souple peau d’huile invincible, qui se déforme sans jamais se rompre autour de tout geste prétendant vouloir la percer.
Accepter enfin, clairement... quoi ? Ne pas m’épuiser à prétendre (à mes propres yeux) désirer rejeter ce dont je ne peux qu’indéfiniment être partie prenante.
« Avec » ?
Encore, autrement... Parler avec ce poème ?
Comment dit-il, déjà, Hwang Ji-U, l’ami évasif, si courageux, si mélancolique ?
Alliée à une vision moderne (« désenchantée » , rationalisée, neutralisée par la science ?) du cosmos :
fin du poème intitulé « Temple Unju sur la mer de nuage » :
« Même si on faisait le tour du cosmos en larguant complètement les voiles,
Ce n’est que le cœur de l’homme qu’on peut aimer ;
L’ancre est jetée dans la boue d’ici-bas.
Un jour lourdement ennuagé
Les montagnes sont des îles très lointaines. »
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Des questions , dans ces notes-ébauches,?
S’il s’en esquisse
– du fait des situations partagées avec les autres, proches ou en masse, et parce qu’il ne faut surtout pas éviter les confrontations nécessaires de la vie commune –,
ou sous l’effet des informations, ou des choses lues,
c’est pour avoir à être, ici, ramenées en-deça d’elles-mêmes...
et parfois, avec une joie féroce, il faut qu’elles soient ravalées dans un magma dont elles auront aussitôt réveillé l’activité et qui se met à les remâcher, qui les refond obscurément, qui les liquéfie, qui en fait de brûlants filets rougeâtres courant dans sa masse alors que celle-ci ne peut jamais bouger (fût-ce imperceptiblement) que tout entière...
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Dans ce jour clair d’avril, quelle ampleur enfiévrée brusquement ?
A arpenter, pour rien – quelle rage de vieux ? –, la maison,
à piétiner l’éternel carrelage rouge – si plat, si présent depuis quarante ans,
ses accidents, antérieurs de plusieurs décennies (réfugiés espagnols – disait la famille – cassant là du bois à la hache),
les carreaux, oui, lisses (sueur légère) ébréchés, leurs interstices pleins de minuscules débris, et sus reposer non directement sur la terre du jardin qu’on voit, par la porte vitrée, à trois mètres, mais (à quelle occasion, jadis, l’ai-je vu ou su ?) sur une couche de mâchefer légèrement isolante,
je me marmotte que je voudrais, aujourd’hui enfin, ou autrement que jamais
sortir, malade,
repasser de la même sempiternelle manière par les rues, mais
non
non je ne le ferai pas, ne saurais pas...
oui, palper des pieds et des yeux, avec des ébauches de phrases, avec la même minutie que dans la maison,
ce qu’il y a, ce qui a été fabriqué :
les mêmes rues ou presque : rythmes de ce qui est resté quasi même
et de ce qui a été bouleversé
qu’il y a soixante dix ans (temps de la guerre)
ou presque,
les flairer une fois au moins, ces rues, et toutes leurs variations et intrications de textures
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*** Oui, rues... plutôt, ou surtout, y écorcher le sol commun,
oui, en arracher (excité, obscène) la peau
pour que l’en-dessous (obtus) de tout ce qui prétend tenir soutenir chacun et tous
se répande, par coulées ou nuées, dans l’espace
où respirer, où être « entre », et dire et
former
alors me revient la fièvre Büchner...
je vais chercher (lampe électrique) le livre dans la bibliothèque... l’œuvre complète... peut-être aurait-il mieux valu retrouver la traduction Gracq
(oui j’ai passionnément besoin de citations...
ces micro-autorités tombés à portée ... dans la rue
oui une sorte de puissance rayonnant en flaques
elles rythment chantent renvoient sont lieux de rebonds
est-ce que j’essaie de leur emprunter de me parer de ces plumes trop brillantes ? est-ce qu’elles font lmalgré moi apparaître mes « propres » phrases comem faibles oui je l’accepter
« Premier Monsieur : Mais qu’avez-vous ?
Deuxième Monsieur : Oh, rien ! Votre main, monsieur ! La flaque d’eau, voilà ! Je vous remercie. Je l’ai évitée de justesse, ça pouvait être dangereux !
Premier Monsieur : Vous n’avez tout de même pas eu peur ?
Deuxième Monsieur : Voyez-vous, la terre est une mince écorce, je me dis toujours que je pourrais passer au travers quand il y a un trou comme ça.
Il faut avancer avec précaution on pourrait passer au travers. Mais allez au théâtre, je vous le conseille. »
(La Mort de Danton, II, 2)
Oui, aller au théâtre, y être, ici même. Maison nocturne. Sol rouge sur la nuit de la terre. Lumière électrique. Théâtre du réel : consentement si fragile !
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Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient voulu demander ... qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ? un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, demandait qu’on lui accorde, enfin, une peau...
(rencontre de rêves insomniaques au milieu de la rue)
un passant, se laissant longuement arrêter, lui secréterait, de la substance de son attention, ce qui deviendrait, enfin – pour lui, réclamant plus que nu au milieu de tous ... – l’enveloppe de son être...
C’est là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes au passage sur l’homme gelé dans Papiers !
Il s’est fait une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé et le poème cherchant, pour exister, la matière de son contour tout autour de lui-même.
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Interposer quelqu’un d’autre entre la terreur et soi ?
ce que réalise 1984 de Orwell ?
Ou – au contraire ? – s’interposer, jeter sa propre vie, son corps – entre ses enfants et la continuité haineuse rampant s’étirant dans la voûte du temps (le Saturne de Goya... : c’est lui ! chacun le connaît depuis toujours !)
Je n’ai pas su le faire, moi non plus, pas plus que mes parents ou que...
Probablement ai-je cru pouvoir y réussir
et puis non
Folie de croire pouvoir alors autre et rompre avec ces continuités folles
Je recopie ici des notes prises à d’autres moments... J’en insère qui sont des réactions à ces notes...
mélanges de plusieurs immédiatetés
illisibles ?
ces notes sont supposées données à lire
bizarre...
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Quand le plus familier, lieux ou choses, se révèle-t-il fait pour hésiter..., pointiller... passer hors de sa propre forme, ne se rattraper qu’au vol, par un contour lanière qui siffle soudain ?
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Pourtant... les notes induiraient entre elles des possibilités . Des nuées de rapports se feraient sentir – à réaliser ailleurs, plus loin, dans d’autres notes..., encore
Puissance du continu : entre deux points fourmille une infinité de possibles.
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Ici – ordinateur... et d’un ordinateur à un autre et sans passer au « papier »,
illusion de fluidité...
Ce n’est pas seulement le support virtuel qui est fluide, c’est l’entre même de la publication électronique.
Plus indulgent pour les phrases (miennes ou autres ) lues relues dans l’élément liquide de l’écran ?
Elasticité, et absence de contour – voilà qui se joint à de perpétuelles palpitations... dans les rues, alcool bleu
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Est-ce que ça m’aide d’avoir la perspective de donner ça là à cette publication fluide ... cette drôle de réalisation reformable, pas tout à fait irrattrapable... comme si les phrases pouvaient continuer à se chercher dans un espace virtuel
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de sentir-penser-former – « en plein dans... », sans destination...
Depuis toujours – même enfant ? rue grise, air trop : trop peu : trop réel ... – s’imposa cette évidence d’avoir à réaliser ( seul) ce en quoi j’étais, à donner immédiatement toutes mes forces, à restituer ma substance même.
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(dans l’hors visibilité des instants vécus, tombent hors, happés par un vide qui n’est même pas spatial, qui se nie lui-même,
mais n’est-ce pas là un de ces frissons qu’on se donne avec un pathos ludique, de l’enflure vaine ? qq ch qu’une sobriété légèrement fanatique à la Wittgenstein piquerait dégonflerait
vivre c’est tracer au milieu ou dans la substance même de ce qui de tous côtés échappe ruisselle comme n’ayant quasi pas été
des vies entières y sont précipitées sont comme n’ayant pas été),
Hors de toute visibilité, de toute attention, est-ce l’une des choses que j’ai redoutées pour K. ?
Ai-je voulu qu’il y ait, sensible aussi pour lui, un élément en quoi ce qu’il vivait, vit, marque, compte, soit compté
(la poésie compte, tient compte, tient le compte)
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Etre un humain comme un poulet plumé vivant jeté dans la rue.
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A la caisse à Carrefour. Derrière moi dans la file un jeune noir immense en survêtement très bon marché, il n’a dans les mains qu’une canette (pas de la bière, une boisson sans alcool...). Je lui demande, en levant la tête : « vous n’avez que ça ? » ; sans un mot il me montre qu’il a aussi une boîte de je ne sais quoi, posée au bord du tapis roulant. « Passez ! » lui dis-je avec un geste. Il passe devant moi sans un mot. Juste devant moi (c’était il y a un instant) et devant lui maintenant, il y a un type de peut-être vingt-cinq ans, dans des vêtements propres mais bon marché (ou plutôt : un peu archaïques... « chemisette »), gros, ventre débordant par-dessus la ceinture du pantalon, visage épais rougeâtre, gros verres de lunettes, yeux mi-clos... « Handicapé » ? Son seul achat : le magazine « Automobile » (la vendeuse est obligée de téléphoner pour en connaître le prix).
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Présences corporelles d’écrivains ? Flaubert : dans ses lettres..., il y a un poids corporel, de l’odeur, de l’étouffant... L’abstraction concrétisante des romans est faite (aussi) de l’arrachement à cette proimité-pesanteur corporelle de soi à soi.
Le corps de qui écrit passe beaucoup plus directement dans l’écriture des romans et (surtout ?) des récits courts et fragments de Kafka. Il y est gestualité élastique, malaises, extensions ou pelotonnements, etc. Métamorphoses.
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Kim Hye-soon (entretien avec Ruth Williams) : « le temps n’est pas une ligne toute droite, il est un enfer plat, comme un désert ».
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Ce qui est à dire, ce qui, ici par exemple, donne le désir de dire : des « choses vues » ?
Non, c’est quelque chose d’autre. Non pas seulement que les choses vues qui s’imposent à dire sont différentes des autres choses, font saillie... C’est surtout qu’elles rappellent la fragilité des « consistances » de tous ordres. Ou qu’elles révèlent comme on vit dans, par ou pour, des déhiscences, des interstices, des accès de brusque fluidité noire. Etc.
Guston : personnages ordinaires encagoulés – figurant ce qui se masque dans l’ordinaire... ?
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Ce que j’ai écrit, ne puis-je aujourd’hui que me dire, aura comporté essentiellement le désir d’être libre de l’entre-regards, de passer de l’autre côté de l’entre humains (sur l’autre face... ou comme la sortie dans l’espace intersidéral dan s2001)... Rien là de titanesque. De la misère psychique s’exhale alors.
C’est grotesquement que je m’aperçois que j’aurai trop bien réussi en matière d’invisibilité. En effet, bien plus que je n’aurai pu le vouloir, ma manière de sentir-penser-dire repousse l’attention, me mets hors de l’entre-regards. Lassant, phrase à phrase, l’attention ? Comme les fous littéraires de Queneau ? Comme les fous de Winnicott ?
...........
pas de grande alternative à ce qui arrive ? rien de figurable ? rien de « tout autre » à quoi (se) renvoyer, par exemple un avenir déjà présent dans le présent, un avenir garanti par un savoir, etc.
Ce qui me sidère, me fait horreur et m’attire absolument, c’est ce qui est là sans autre possibilité:
du réel là à fouiller dilacérer du dedans
j’écris cela non comme une position de principe, mais comme un constat, dont je ne suis que l’incarnation locale...
......
sensations politiques déchiquetées là où on nous voudrait substantiellement « dans »…
sensations naissant sur des voûtes tranparentes veines ramifiées veinules noires de membranes
ou sucs sourdant sous la pression de masses énormes
dans l’en-deça dans la possibilisation dans la régression l’immédiateté comme retour à zéro en vol
l’effectivité de l’existence dans… de la vie en proie… sous emprises…
et avec reflux en l’air dans l’immédiateté du à sentir d’une certaine nature
...........
pôles au-dessus (nés) des différences d’états…
pôles qui soufflent dans l’immanence, renaissent du ni même ni autre…
pôles lunaires frôlant des bancs sableux de réel continument étirés déchiquetés
je ne sais ce qu’ils sont.. comment ils ne cessent de se reformer et de flotter
les capter en phrases qui ne cesseraient plus, dès lors, de filer au long de ce qui arrive
pôles nés des différences dans le même, pôles possibilisant les enfouissements dans l’ »entre », les avalements, les disparitions-restitutions métamorphosantes
l’entre et les questions (illusions ?) de la continuité, les continuations et les disparitions…
l’inaccessible dans le même
.........
La « pensée » – elle viendrait dans la parole, la disjoindre d’elle-même
voir le début de La boue
..........
Par moments (par exemple cette fin d’après-midi, place du Martroi/martyre ! témoins... de ...) (les noms anciens des rue
***soudain, dans l’air jaune, sur la place, ce fut comme si les visages étaient arrachés de l’ »entre » même..., comme s’ils étaient des contours suintants de cette substance-puissance translucide et si vite cruelle de l’entre
.........
*** Un poème : savoir faire (savoir se former.. en un geste singulier à chaque fois – et non plus selon des formes héritées-partagées-imposées) pour ne pas savoir (ne pas avoir à savoir) ce qu’on prend ?
et ce que le poème prendrait, pourrait-il le donner à... quiconque, à personne, un « outis » à qui il semble demander de lui dire ce qu’il dit..., engendrant chez cet « outis » un désir de réaliser dans le langage de l’échange des conséquences de ce qu’il aura reçu...
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Dans l’éparpillement-entassement et l’égalisation symbolique/ inégalisation matérielle de la vie moderne, se met à luire soudain quelque chose d’excessivement commun, rude, brut, voire grotesque, quelque chose d’intenable, que nous nous disputons comme choses trop réelle (est-ce l’autre face de l’abstraction démocratique ?)…
Chaque attitude est soudain ressentie, orageusement, comme risquant d’informer qq ch de commun, de l’étirer, de le solliciter presque érotiquement, vulgairement, en le déterminant dans notre propre intimité, de le plisser charnellement, de déformer une opaque masse substantielle nécessairement à partager, quelque chose qui est plus que de l’entre individus et vient se mouvoir, glissant, inarrêtable, dans les espacements intérieurs de chacun.
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De Signoribus, Ronde des convers (trad. M. Rueff), p23…
je recopie deux poèmes (fragments ?) successifs:
et pourtant continuer dans le 2, rien qu’un battement de
cœur, un bloc dans la respiration, un sanglot jailli… A
remonter en arrière dans la bobine pour chercher une
identité, on risque de ne plus jamais s’arrêter… même le
photogramme vital semble hésiter… Tout est à la lumière
de l’après.
Et comme ça, je n’ai pas répondu à ton appel, je n’ai
pas frappé à ta porte ?... mais toi, toi m’as-tu appelé,
vraiment ?... et tu m’aurais ouvert la porte, vraiment ?...
Et tout le monde peut dire : je n’avais pas d’autre voie et là
j’ai rencontré qui j’ai pu !...
Mais que de fraternité perdue pour un rien, et combien
de néant nous a envahis pour nous laisser sur les arbres,
dépouillés et éloignés !...
dans un instant, demain.
à chaque angle ou croisement, à chaque couloir habité, à
chaque dépôt d’âmes, quelqu’un sera là pour nous contrôler
et nous défendre, ou pour reconnaître seulement ceux
qui nous auront frappés au moment où ils nous frappent…
Le salut ne se trouvera pas à ce moment même ni à l’instant
d’après. La société des actions engendre des spirales sans fin,
et que jamais elle ne mette un terme à aucune d’entre elles
à bon droit. Il est clair que je ne saurai pas briser la mienne :
mais c’est pour la figuration d’une idée que je veux être,
pour tous les instants qui précèdent, et qui pourraient être
tournés vers le bien.
Un tel texte (comme bien d’autres de De Signoribus) a la force faiblesse de laisser affluer… , de former tout en se trouvant disjoint, phrases ou représentations coupées par des souffles…
.........
Il n’aura jamais lieu, ce regard « mien », actif, lucide-réalisant, qui saurait discerner, dans ces phrases mêmes, amassées, ce qui... quoi ? je ne sais même pas ce que je pourrais en espérer...
De totue façon, il ne viendra jamais. Parce que je suis trop vieux et n’ aurai plus le temps de revenir à tout cela ? Pas seulement… Me revient l’image de la quatrième dimension. De même qu’il n’y a pas de dimension dans laquelle la main gauche puisse devenir superposable à la main droite, il n’y aura jamais de moment dans le temps où pouvoir enfin revenir sur ce qu’on a pensé.
..........
*** J’aurais voulu ce soir-là, ce soir crépitant de rage (après être rentré... d’une journée...)
me suis-je dis-je dans la nuit qui a suivi, ouvrir
oui : réaliser en moi, pour le dérouler, étaler, tout ce à quoi on tient – ou ce à quoi on se cramponne, s’attache furieusement, se précipite, ce qu’on veut arracher aux autres, ce qu’on veut protéger, couver en s’enroulant autour…
Forcer le « on » à s’ouvrir, à relâcher son geste de prise, étal, alors, exposé… comme ventre nu de hérisson ou de chenille sous un criblage de clarté nocturne.
pourquoi me suis-je dit « on » plutôt que « nous »? Dire « on », c’est déjà (par opposition à tout « nous » possible) reconnaître un étalement sans rassemblement, sans recouvrement
(déroulement Michaux : « La Ralentie »)
« tenir à »… qu’est-ce que cela ? … soudain les phrases qui se cherchent ici frissonnent de dégoût, de tendresse, d’accablement
étaler le geste de tenir avec la diversité infinie et monotone de «… ce à quoi on tient » ? y compris le pire ?
… oui…
y compris l’abject
oui
que tout cela s’évapore ensemble… dans la nuit
tenir à… et soudain lâcher …
qu’en renaisse .. .quoi ?
.........
...........
un visage…, oui,
dans les choses semble s’être détourné(e),
mais pourquoi faut-isl qu’il soit toujours susceptible de se retourner soudain plein de haine ?
le souffle de cette éventualité hantait les murs mêmes, ceux de la maison de banlieue un peu lasse
une rumination sanglante, sous le lierre, dans la poussière acide de crépi et ciment,
une onde aveugle
........
Voudrais-je aller (reculer), encore et encore, au bord de l’entrevisibilité,
la sentir depuis ce bord,
la rendre, de là, sensible comme jamais ?
Ce ne peut être qu’une illusion…
Il n’y a rien d’autre, nul hors,
à quoi exposer l’entrevisibilité …
Et comment
sentir-penser-formuler quoi que ce soit
– et singulièrement de l’ »entre » même –
sans sentir ou croire sentir
que
ce qu’on sent pense dit
est enveloppé dans de l’entre
est reçu
dans des attentions, des écoutes et regards
clignant luisant bruissant
nuées réceptives à tout le moins potentielles
……..
Perdre ...
Ritwik Ghatak, cité par Marianne Dautrey, dans Ritwik Ghatak, Des films du Bengale, p 152
« Mes souvenirs regorgent de vie, d’intensité. Ils sont tout ce que je possède. S’il m’avait été donné d’écrire, d’être poète ou peintre, j’aurais pu accéder à la maturité en m’appuyant sur eux. Mais je suis cinéaste. Personne n’a autant perdu que moi : ce que j’ai vu, je suis dans l’incapacité de le montrer.[…] une œuvre qui est privée de passé et de fondement, une œuvre qui n’est « rien [que] de l’air » n’est pas une œuvre. Seulement, qui me rendra mon passé ? »
La langue dont rêvait Ritwik Ghatak (cité par Marianne Dautrey, « Le temps d’une fugue » dans Ritwik Ghatak Des films du Bengale) :
« Une langue qui dit peu de choses ; une langue qui possède, en elle, un pouvoir d’illumination. Ses allusions sont légères mais tranchantes. Si bien qu’elle ne pèse pas, mais rafraîchit la mémoire. »
Et, écrit encore Marianne Dautrey : « Et il ajoutait : « Il me faut retourner dans le ventre de ma mère pour en chercher la source. » »
...........
Prosaïsme ?
Ritwik Ghatak, « Une longue série d’obstacles », dans Des films du Bengale
« Il existe des films qui pourraient faire une petite carrière si on consacrait un peu d’enthousiasme et beaucoup de travail à leur promotion. En supposant d’emblée que ce sont de drôles d’oiseaux, par conséquent sans avenir, en les envoyant au diable, on les condamne à finir à la décharge. Dans le monde des affaires, c’est la seule ligne de conduite : ne pas réaliser le plus grand profit possible, tout de suite, signifie « perdre ». Dans ce monde, on ne tient aucun compte des perspectives. Les rêveurs qui rêvent d’art immortel sont totalement inadaptés à ce paradis prosaïque ».
Fouir ce paradis ?
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Séduire par l’attention ? C’est un de mes plus vieux fantasmes, probablement. Dès l’enfance – à l’égard des autres qui devaient me paraître exister plus « naturellement », plus légitimement, plus charnellement.
Se faire sentir – aux autres, voire aux événements ou choses mêmes – comme indispensable. Etre désiré comme regard. Susciter le désir de devenir l’objet de mon désir ?
Séduire les choses mêmes ?
Cette évidence, pourquoi m’est-elle venue ce matin (6 juin 2011) en faisant la vaisselle (6h30) ? Clarté soudaine et, presqu’aussitôt, équivoque ... dans la lumière électrique (aube orageuse couleur de plomb)
Séduire par l’attention est ce qui m’égare aujourd’hui. Je me laisse sans cesse aller au rêve de devenir une attention vitale aux autres. Et, dans bien des cas, c’est ce qui ne marche que trop bien. Un donjuanisme ?
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*** Aurai-je rêvé (depuis mon enfance) d’autre chose que de « reconnaissance » ? D’amour ?
Plutôt : de ce qui aurait pu me transformer substantiellement ou, plus exactement, de ce qui m’aurait délivré du « de fait » d’être un soi séparé.
Chaque fois que j’ai senti en moi du désir de reconnaissance, j’ai aussitôt éprouvé du dégoût. Ou, pour peu qu’on m’ait accordé un peu, tout de suite trop, de cette fameuse « reconnaissance », j’aurai été mordu, et comme envenimé, de l’évidence d’un décourageant malentendu.
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Devrait-on distinguer (mais peut-être le fait-on toujours, sans y penser) entre les différentes « demandes » des oeuvres ? Lecture ou écoute, reconnaissance, amitié, amour, fusion, déchirure ?
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Incapable de fixer les « sensations politiques » en phrases qui puissent tenir, voire se déplier assez vastement sans devenir inintelligibles, sans se recroqueviller soudain, absurdement crispées... feuilles noircies.
C’est comme si aucune de mes ébauches ne pouvaient inspirer , amasse en elle autour d’elle ou au-dessous d’elle, assez d’élément pour que ses tracés y trouvent une évidence sui generis.
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En quoi sur quoi rétrospectif, rétroactif... ?
Ramasser quoi dans le passé qui ne put être choisi – pour en donner quoi au présent, à l’avenir là, à ce qui est en train d’arriver…
Courbures ferreuses-orangées de l’espace-temps : traces de la guerre, nervures du ciel.
France ou Europe des années quarante, temps d’ »après-guerre », d’après ce que l’Europe avait engendré.
Est-ce qu’on revivait (et bientôt allait commence à vivre autrement
arts ménagers… : une grande foire à Paris… un aspirateur…
la torture de la lessive…
quand vint la machine à laver
puis la cuisinière électrique
pas encore le frigo),
dans ces années où d’autres, survivants, revenaient, accueillis ou ignorés ?
Des décombres blancs ouverts comme d’un coup de bêche sous la pluie.
Un gazomètre énorme et noir rouillé sous le ciel du soir.
Du vert sur le métal … ? pourquoi me semblait-il contenir la guerre même ?
Quelles rémanences de soumission ?
était-ce pour « les gosses » qu’il fallait – avait falllu, fallait encore – accepter le pire, la cécité, l’indifférence ?
(le père de famille : le criminel des temps modernes, dit Arendt – mais elle avait fait son choix… impossible en général… les gosses, oui, soit… gosses réels, plus que tout, et en même temps devenus détranges otages de ces lâchetés)
Mousses rosâtres de colères … vaines.
Dans de l’entre, des recoins
j’ai peur de tout ce qui fut
de ce qui se plaint dans le passé
de ce que cela devint
Sensations dévorantes, des taches affamées rampent dans tout le senti
: faire passer faire glisser dans, hors... dans le vide
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re-sentir les sensations de l’autre
irruption imaginative entaillant le passé
ce qu’Ousmane eut à sentir ce matin où il fut mis dehors sur la route (jeté par des gendarmes hors du centre de rétention de Cercottes..., et soudain seul sur la route – dans la forêt d’Orléans ? )
je ne l’ai pas re-senti mais dès lors qu’il en a dit … fût-ce si peu, par blocs terreux de mots mal prononcés –
cela existe dans mes sensations s’éboule en elles comme de l’altérité inassimilable
les chemins dans la forêt d’Orléans (familiarités d’enfance, vélo) soudain changent
la route est rupta
entailles entaillures ruptures
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Les fragilités vitales paquets de sensations émotions qu’à coups de bêche les décisions politiques tranchent
j’essaierai jusqu’au bout et jamais je ne verrai un résultat
Documents hétéroclites décochés de loin de tout près
la cible se reforme toujours alors qu’ils l’atteignent elle est surface réceptive exposée en-deça de tout institué (économie, politique, etc.)
elle subit faiblit se décompose se recompose
***je me force à « réaliser » ici :
les sensations d’un autre ? je les imagine… imaginer l’autre
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Européen en Europe Français en France « chez moi » ?
héritier ?
... et de ce que l’Europe (dans l’entredéchirement) a réalisé en Afrique ?
Territoires, frontières… génératrices de violences ?
tâtonnant dans avec ces lignes (dans la nuit d’avant le jour), m’autocritiquant à mesure, critiquant sourdement ma complaisance dans la dénonciation, comme si j’étais d’un autre côté, du bon côté
j’entends Mozart à la radio
comment ceci, que je sens ici, existe pour un non européen qui ici soudain
n’a pas le droit d’être en France
.........
la division des « universalisables » : rationalité scientifique/ rationalité philosophique/ littérature (elle-même divisée)/arts (spécialement : musique),
divisions qui joue dans les rapports aux autres cultures...
***... division des domaines…
la littérature recrée du divisé en un sens singulier –
du non unifiable non recouvrable (voir mon « Cicatricielles »)
ses réalisations unifiantes ne se laissent pas ramener au savoir au discours sur…
l’intelligence poétique la plus vive refend à vif (comme d’une feuille fluide de nuit) tout ce qui voudrait (en particulier en idéologisant la rationalité scientifique) se prendre en une unification translucide gélatineuse despotique
la poésie comme ce qui nous rappelle soudain joyeusement que les rationalités be s’unfient jamais, sciences techniques, philosophies, et la littérature toujours recréant du àdécouvert ce qui ne peut être su
c’est par ses divisions qu’une sociéét ou une « civilisation » ( ?) se rapporte à son dehors
les sociétés européennes et leurs autres
quand elles ne prétendent plus dominer :
circulation d’ »entre » ?
la vie « interne » des positions créatrices et de leur irréductible division se rapportant à de l’ailleurs, à des divisions créatrices ailleurs
.............
***renifler l’air du temps… émotions politiques… bribes
je me rappelle la France du temps de la guerre d’Algérie c’était comme s’il tombait constamment de la bruine grise rosâtre – empoisonnée
des lambeaux de linge-neige descendant lentement dans l’entre, frôlant dangereusement les uns les autres
(L’oeuf du serpent de Bergman)
atmosphères… « airs du temps » en Europe… espaces
frontières poreuses pour certains, barbelés ou murs qu’on voudrait de fer pour d’autres
des bribes reviennent… flottant dans quel élément dedans dehors
la haine et la honte disait Reck Malleczewen
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*** Un appel dans la nuit. Au téléphone, un proche, un de « mes enfants » (adulte), pris dans... quoi ? menacé... l’entendre, lui, sa voix, s’amenuiser sans pouvoir la retenir ... le cœur manque et...
ce n’était qu’un rêve
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*** La consistance de la réalité s’impose à moi comme tyrannique en même temps que très faible. Faudrait-il enfin l’affronter dans son ambiguïté cruelle ? Devrais-je la soutenir grotesquement à l’instant où elle semble près de se dissoudre ?
..........
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*** Sur la Beauce des nuages enflammés. « Ciel Poussin », me dis-je, somnolent. Est-ce Proust, me dis-je encore, qui parle ? Dans le train, personne ne parle. Un peu plus loin une vieille femme aux cheveux orangés. Avant le départ du train, à Orléans, on entendait les craquements de l’emballage en cellophane d’un paquet de biscuits cylindrique, puis ceux des biscuits sous ses dents, et je pensais à ses organes internes, des reptations de muqueuses, etc. : à quoi bon, me disais-je, ces fonctionnements... Puis, un peu plus tard, donc, dans les bruits du train, et en une bouffée d’un désir soudain brûlant de délivrance : « Poussin ». C’est le désir d’une transformation-altération toute évidente ... Il capte, me dis-je (en un présent trop caractéristiquement oratoire), et projette le sensible (ou des parts, mais valant pour le tout, du sensible) dans une sphère autre: celle où tout doit pouvoir faire sens, et va compter, entrant à jamais dans les mesures d’une musique picturale pour y rayonner – d’harmonie ou de terreur.
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Corps de l’autre. Soudain est-ce lui qui se fait absolument dense – tout autre au plus près – ou « l’entre » même ?
Si réel, ce corps-ci, pour ce corps mien en suspens, soudain comme déréalisé...
Dans le désir... Ou la répulsion... ?
Corps d’un être singularisé soudain (avec son nom chuchoté) entre tous ? Ou corps quasi anonyme ?
Corps un ou morceaux ou zones du corps autre ?
Corps en tant que réel, là – ou en tant qu’images ?
Cet entre « inframince », contact et radicale dénivellation, se propagera-t-il soudain, secrètement dans les rapports aux choses (dans la rue même), effleurements du regard ou (sans, presque, que je le sache) de l’odorat ?
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*** « Tout brûle... je brûle... »
Ritwkik Ghatak.
Détresse, sans doute – liée à ce qui est arrivé au Bengale, à son unité même, aux catastrophes – guerres, famine – qui ont frappé les populations. Mais aussi une joie qui crépite : celle, au moins, de la réalisation des films, fussent-ils mal accueillis .
Le « Je brûle » dit sans doute l’état de qui est pris dans une catastrophe de masse. Mais peut-être aussi, dans quel contact entre une violence énorme qui s’abat et une violence minime, qui a été désirée, comme condition d’une œuvre- combustion ?
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« Sensations politiques » : un paradoxe ? une erreur ?
Eclairs (comme pour un nerf soudain à vif) révélant du politique en lui résistant, en le redissolvant en une seconde.
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Comme j’ai peur, par moments ! De la mort ? Peur centrale, toute la vie : à côté, au-delà de moi, pour des proches, pour des enfants, pour « mes enfants ».
Mais la terreur c’est aussi la peur de la peur. L’imminence du temps où il faudra à tout moment avoir peur.
L’horreur d’avoir à découvrir (ou à deviner qu’un jour, après ma mort) dans les rues et jusque chez soi régnera le rayonnement d’une haine froide se donnant tous les droits et jouissant de tous les pouvoirs
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Pulsations vitales de l’attention et de l’inattention...
Notes – nées d’une extrême attention ? (Ou de plusieurs moments et modes d’attention ? Celle, attention-liberté, accrochée soudain dans la rue ou arrachée libre dans le vide du temps... Puis celle attention-mémoire en notant au retour...) et soudain à ne retrouver qu’au hasard, ici, papiers ou « fichiers » à faire défiler...
Des yeux ou en se marmmonant des ébauches de phrases, vite, frôler des
débuts ou désirs de notes (mentales ou sur le papier)
les voici comme des entrées (couloirs luisances d’eaux, etc... os internes de maisons petites)
il faut aussi les négliger... effleurer égratigner... réécrire un peu –dessus sans vraiment les re-coprendre.. les graffiter...égratigner peau-crépi blessée en blanchâtre ou perlant de sang psychique.
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**** Soulèvements : rien qui ne soit (senti) décollé dans l’aube
vent... du vent passe continument en-dessous (comme les feuilles plus que mortes, crispées grisâtres qui tresautent les unes après les autres) (comme ? ce qui est décollé ce sont les positions des humains... le rapport, à cet égard, avec les choses, n’est-il que de comparaison ? )
y croire, presque
...............
février
merles tressautant rissolant (retournant par instants des galettes de feuilles perlant de givre) me donnent-ils un instant le pouvoir de comprendre ?
voir les soulèvements du vent pour penser à ce qui soutient et perd les vies
sentir ce qu’on ne sait dire mais
............
ce qui fait (donne le désir toujours renaissant de) sentir-former-formuler c’est comme un coup de faux sifflant sous ce qui pèse..., du tournoiement bleuâtre...
oui les positions des choses aussi (le vieux mur, à droite, ou le cerisier aussi...) : en tant que sentis/sus... non intégrées à rien...
nappes se perdant... dans un hors sans contour ... nous renvoyant à nous-mêmes (ou les uns aux autres) comme non réellement enveloppés dans rien
souffles non pas du vent mais...
non pas nés de nous... vie de l’entre
.........
*** Ce qui naît, souffle tournoyant, continument de nous – quel « nous » ? – mais n’appartenant à rien, à personne... Faisant l’objet de tant de tentatives d’appropriation ... Mais re-courant sous, arrachant, soulevant...
........
« Soulèvements » : le mot qui m’est venu tout à l’heure, en écrivant une note beaucoup plus loin dans ce fichier, j’ai envie de tenter d’en faire un titre (et c’est pourquoi j’insère cette pauvre remarque en début de ce fichier) pour « mes », ou « des » notes...
Soulèvements
de révolte, emportements, rabattements brusques... extinctions... cendres soyeuses frissonnant
...........
Début décembre 2011, retour des Etats-Unis, attendant, deux heures durant (9h30-11h30), un train à Austerlitz, je vois, à travers la vitre du café face au quai, passer un petit véhicule aux parois faites de feuilles de plastiques translucides qui, doucement battantes, s’ouvrent par moments ; l’homme qui conduit est noir, la femme à côté de lui est maghrébine, pas très jeune ; son visage impassible et sculpté est soudain illuminé de soleil blanc poudreux. Ils me calment.
...........
***L’ « imprenable » de l’homme selon Benslama ?
... si je comprends bien... : toute appropriation ou définition d’une essence de l’homme, ou d’un telos..., tout cela tourne aussitôt... faut-il dire au mensonge ? ou à l’engendrement de formulations (avec du prétendu savoir et avec des mots d’ordre : des paroles qui sont des passages à l’acte) meurtrières et/ou imbéciles.
Voilà qui se joue au sein d’une société ou entre sociétés, dans l’entre ou dans la tentative de domination de l’une par l’autre (colonisation)...
.........
***
Un autre... je ne le vois pas dans sa vérité... et le mot de « rencontre » me paraît excessif...
Un autre, je n’ai affaire à lui que dans la mesure où ma propre position est également en jeu.
Les moments où l’un et l’autre (l’un par l’autre ?) en tant qu’individus (mais désunifiés alors, chacun à sa place, et striés de phases) nous émergeons-disparaissons dans une montée d’élément d’ « entre »,
voilà ce qu’il me faut réeffectuer toujours autrement...
Comme l’ « entre » alors devient réel en même temps qu’inappropriable !
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***Quel tenaillant désir de décrire quoi ? tout, rien... Jamais rien sans la pression de l’afflux...
Aurai-je par là été (partiellement, ou par moments, mais ma vie durant, depuis l’enfance) orienté ?
Ce désir nu aura écarté des déterminations qui auraient été imposées par des appartenances diverses, par des positions ou postures identifiables...
Liberté de s’écraser contre... des choses ? des gens ? des œuvres ? mais aussi, toujours, contre un remêlement (celui dont il fallait préserver la possibilité en ne devenant pas un spécialiste universitaire...) ?
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Afflux, remêlement, indétermination... tout ce qui, depuis cinquante au mois, sera revenu si souvent, essayer aujourd’hui de le préciser – non sans paradoxe ?
(Revoir mon article sur Queneau : « Puissance de l’indéterminable » ? Ou « La boue » ?)
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*** ... pattes souples, haleine chaude, prunelles encore dilatées, la gueule tenant quoi d’arraché où ... dans le vaste dehors (pulsations vertes-violettes ou barres de vide éblouissant)...
– revenir, en hâte, oui,
rentrer à la maison, fiévreux de
rapporter, donc, ce qui aura dû tout au long (gibier obscur odorant)
demeurer (quoique de plus en plus précis) un
quoi... ?
et... cœur battant,
le donner
à partager... ne serait-ce qu’à
l’ordinateur
fait pour paraître affamé,
laiteux
........
Masatsugu (traçant ce qu’il dit par gestes dans la lumière électrique de la cuisine) : tu te rapportes aux œuvres de manière perpétuellement mouvante. Il faut que tu les sentes comme traversées de forces et que tu te livres toi-même à ce qui , multiple, te traverse.
..........
*** Devenir restituable... Faire revenir, par gestes, l’incirconscriptible immersion vitale d’où l’on aura quelque peu émergé... ; la reverser métamorphosée en ce à quoi se donner – c’est-à-dire en l’œuvre se faisant (et à quoi « je » en tant que sentant parlant pensant se donne) et en ce à quoi l’œuvre se donne
..........
Dans le geste de se donner qui lui est interne-externe, « l’œuvre » (la chose faite pour elle-même..., sans autre « pour » ?) espérerait forcément, l’anticipant à tâtons, une libre communauté, ne serait-ce que celle qui continuerait à se rêver à travers tous les états sociaux se réalisant... ?
.........
Bd de l’Hôpital, 14 juin 2011, 21h40, soirée très douce, je suis à la terrasse d’un café presque en face de la Pitié Salpêtrière – dans une sorte d’écoeurement après la conférence Coccia (cette impression désastreuse de faux semblant qui m’attaque intimement) ...
Passe un grand type très maigre. La peau de son visage creusé est sombre. Par misère ? Est-il noir, métis, arabe ? Cheveux noirs sales – crépus. Il marmonne. Le garçon s’approche, prêt à le chasser. Le type fait des gestes peu intelligibles. Demande-t-il une cigarette ? Je me lève impulsivement (je viens, cela m’arrive rarement au café, de manger une quiche... et soudain j’éprouve une minime honte), je m’approche de lui et lui donne deux euros. Il s’en va, sans remercier. Je me suis rassis. Mais il revient, veut me dire quelque chose, et de tout près,il se penche vers moi ; je tends l’oreille – et il chuchote : « Je demande toujours à des blancs, jamais à des noirs. »
.........
Morbide, compulsif, dangereux, mon rapport aux « mendiants » (est-ce qu’on emploie encore ce mot ?)
C’est un constat qui risque de s’imposer à moi en reprneant certaines notes que j’avais oubliées, ou en retrouvant par elles des moments que je n’avais enregistrés que pour m’en défaire
Difficile de ne pas re-songer à un fil de l’histoire familiale... Est-ce céder à cette complaisance si courante, si bien vue aujourd’hui ?
Oui. Hé bien allons-y totu de même.
Le père de mon père. Il est mort, m’a-t-on toujours raconté, sans que je l’aie jamais connu. Pourtant il est mort de mon vivant, peut-être avais-je une dizaine d’années.
Il n’avait guère que vingt ans, m’a raconté ma grand-mère, quand il a été blessé à la guere de quatorze. Il est resté une nuit entre les lignes. Ramassé enfin, il fallu l’amputer d’une jambe.
Il devint dessinateur pour je ne sais quelle entreprise. Travaillant à la maison. Trois enfants. Alcoolique, de plus en plus violent (il faillit étrangler mon père, me racontèrent mes tantes). Il se retrouva seul : « cheminaud ». Mourut à l’hôpital.
Très tardivement, peu avant sa propre mort, mon père me montra – avec une fierté qui trancha soudain sur tout ce que j’avaias etendu dire de celui qu’il m’est difficile d’appeler un « grand père » – une lettre que son père avait écrite à ma mère pour l’accueillir dans la famille. « Il écrivait bien », dit mon père. Cette lettre brève me parut grossièrmeent emphatique, et d’un histrionisme que je crus être celui que je ne connaissais que trop chez mon père. Je tus mon dégoût.
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Nos vies protégées, celles de tous les membres de la famille que nous formons à quatre : tous fonctionnaires, n’ayant jamais risqué de se trouver sans travail, sans ressources...... vies incroyablement protégées ! (Nous le constations une fois de plus, H et moi, l’autre matin, en entendant des informations... Et dans cetet maison, héritée, vaste, confortable...)
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Simmel, Les pauvres
« Ce que nous observons ici est une caractéristique très importante de la sociation humaine (Die menschliche Vergesellschaftung) , un trait que l’on pourrait appeler induction morale : bien qu’un geste d’assistance, quel qu’en soit le type, puisse être spontané et individuel et ne répondre à aucune obligation, le devoir de le perpétuer émerge dès lors qu’il est effectué. Ce devoir n’est pas seulement une demande de la part de celui qui reçoit l’assistance, mais aussi le sentiment de celui qui donne. Il est très commun que les mendiants à qui l’aumône est donnée en viennent à considérer celle-ci comme leur droit et devoir du donneur, et si celui-ci échoue à cette supposée obligation, ils l’interprètent comme un refus d’une contribution qui leur est due et ressentent une amertume qu’ils ne ressentiraient pas contre celui qui leur a toujours refusé l’aumône. »
Ici je pense à la femme asiatique aux cheveux raides, gris acier, qui fait la manche rue de la République. Elle est presque toujours en attente dans la même entrée d’immeuble (un de ces immeubles modern style). Des mois durant, je ne lui ai rien donné, et, d’ailleurs, elle ne m’adressait pas une demande précisément adressée à moi. Du jour où je lui ai donné un euro, il a fallu ne plus jamais manquer de le faire. Souvent elle me voit de loin, quand j’arrive, me dirigeant vers le centre commercial et Carrefour. Son regard (si dur quand on la regarde sans qu’elle le sache) soudain s’éclaire ; et c’est toujours le même appel (une voix désagréable), le même petit bout de course vers moi, la même manière de remercier, etc. Je n’imagine pas ce qui se passerait si, un jour, je lui refusais la sempiternelle pièce. Il est arrivé que je n’aie pas un euro en allant faire mes achats. Je lui ai fait comprendre par gestes (elle ne parle manifestement pas français) que je lui donnerais « sa » pièce en revenant. Et, au retour, j’étais sombrement attendu.
« De même, celui qui, étant plus aisé, vient pour un certain temps à l’aide d’une personne dans le besoin après avoir établi à l’avance la période pendant laquelle il le ferait, garde, lorsqu’il met à ses donations, un sentiment douloureux, comme s’il était coupable. »
C’est ce qui m’est arrivé, au fond, lorsque j’ai arrêté mon soutien à ce jeune cambodgien dont j’avais, pendant deux ou trois ans, financé mensuellement les études.
Et Simmel aura ajouté :
« Ce fait est reconnu en toute conscience par la loi talmudique du code rituel Jore Deah : celui qui a assisté un pauvre trois fois avec la même somme d’argent, bien que n’ayant eu aucune intention de poursuivre l’assistance, acquiert tacitement l’obligation de la poursuivre ; son geste prend le caractère d’une promesse, de laquelle seules des raisons irréfutables peuvent le dispenser, tel, par exemple, son propre appauvrissement. Le cas dont nous venons de parler est bien plus compliqué que le principe auquel il est lié, homologue au odisse quem laeseris, qui proclame que l’on aime celui envers qui l’on a été bon. Il est compréhensible que l’on projette la satisfaction procurée par notre propre action sur celui qui a rendu celle-ci possible : dans l’amour que l’on ressent pour celui pour qui l’on a fait un sacrifice, c’est en essence nous-même que l’on aime, tout comme dans la haine contre celui à qui l’on a fait du mal, c’est nous-même que l’on hait.Le sens de l’obligation que la bonne action laisse chez le bienfaiteur , cette forme particulière de noblesse oblige, ne peut être expliqué par une psychologie aussi simple. Je pense qu’en fait une certaine condition a priori est impliquée ici : que chaque action de ce type, malgré sa liberté apparente, malgré sonr air visible d’opus supererogationis , dérive d’une obligation ; que dans un tel comportement,une obligation profonde, rendue visible par l’action, est implicite. »
Et un peu plus loin :
« Ainsi, il doit exister un instinct moral qui nous dit que le premier acte de charité correspondait déjà à une obligation, et celle-ci exige un deuxième geste pas moindre que le premier. »
Dans mon inquiétude pour Khaled, à qui, depuis quelques mois, nous réservons deux logements, son studio à Orléans, et le petit deux-pièces de Paris, et qui envisage de quitter ce dernier appartement pour louer (puisqu’il a désormais un salaire) une chambre (éventuellement chez quelque ami africain), je m’étais dit que, selon les principes mis à jour par Simmel, nous ne pouvions que désastreusement faire moins pour K que ce que, depuis janvier 2011, c’est-à-dire de puis six mois, nous faisons... Mais hier, légèrement, sans amertume, K m’a paru balayer tout cela... Il n’avait pas oublié qu’il n’était rue M.le Prince que provisoirement.
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Questions de Simmel : assistance fournie par l’Etat ou par des particuliers ?
(Les pauvres p66 « la tndance [...] qui consiste à considérer l’assistance aux pauvres comme un propos concernant le plus grand cercle politique, alors qu’initialement il était basé partout dans la communauté locale. »)
Asssistance aux pauvres comme individus ou à « la pauvreté » ?
*** J’ajouterais une question d’aujourd’hui. L’assistance a-t-elle à s’exercer au sein d’une socité (voire d’une communauté) à laquelle appartiennent assistés et « aidants » ? Qu’en est-il des immigrants, des étrangers démunis et se retrouvant là, dans l’espace commun d’ »une » société ?
Puis-je tenir, faire durer ici cette question ?
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« La République des clandestins » vu hier soir (18 juin 2011) à la télé...
Des Africains – Sénégalais... Camerounais aussi ? – qui veulent absolument aller en Europe – et qui en « pirogues » tentent d’arriver aux Canaries. De là ils comptent passer en Espagne, trouver du travail, gagner de l’argent – et en envoyer à leurs familles...
On voit des barques rudimentaires arriver (barques très colorées – et par là quasi joyeuses ? –, mais, en même temps, abîmées, rapiécées, prenant l’eau)...Des hommes à bouts de forces. Certains sont morts pendant le trajet (de déshydratation). Les autres ont jeté les cadavres à la mer. Ils sont recueillis, soignés, puis laissés en liberté, semble-t-il : est-ce la législation espagnole ?
On verra deux de ces jeunes hommes écrire en français sur un écran à des proches au pays pour leur conseiller vivement de ne pas partir.
On voit en un autre endroit des noirs (combien ? cent ? davantage ?) dans le désert – au sud de l’Algérie ? –, habitant dans des ruines, murs sans toits..., et organisés, expliquent-ils... (pour la cuisine, la police, voire avec des armes pour se défendre...). On verra à un moment un douanier algérien venir ... les racketter (il achète les portables pour une somme minime, qu’il reprend aussitôt pour prix de leur embarquement sur son pick up....).
On voit, au pays, des femmes de pêcheurs qui disent qu’il n’y a plus de poisson (il est question, fugitivement, de grands bateaux européens qui ont épuisé les ressources en poisson). Certaines mères qui disent accepter que leurs fils risquent leurs vies... car ici il n’y a rien à faire.
On voit un homme jeune, grand, calme, grand cou puissant, visage tragique, qui annonce qu’il va tenter l’aventure. Il explique qu’il doit vivre dans une surface minuscule avec sa femme et ses quatre enfants. Et il « nous » emmène voir la maison (murs et sol en béton : c’est, nous explique-t-on, un signe éclatant de réussite) construite par un homme relativement âgé grâce à l’argent qu’il a reçu de son fils.
Mais en un autre endroit, on verra des femmes, des « mamans », qui se réunissent pour tenter d’empêcher les départs. L’une va parler à un jeune homme pour essayer de le convaincre de renoncer... L’autre s’obstine. La femme parle bien... Quand le jeune homme conclut (alors qu’elle lui dit qu’il risque la mort) « c’est le destin ! » , elle remarque : « c’est bien vague, le destin ! »
Les barques, oui... on les aura vues à plusieurs reprises. Là où aux Canaries, des employés blancs gantés les vident après le débarquement de leurs occupants... (Gros bidons en plastiques, débris divers qu’ils jettent sur le bord, etc.) Ou bien là où, avant les départs, on les rapièce. (On aura vu un pêcheur relativement âgé se vanter : « avec ces barques ont peut aller jusqu’en Amérique ! nous on connaît !... avec un GPS, un cadran, [ et je ne sais plus exactement] »
A PROPOS DE CETTE VIDEO
Les documentaires offrent une autre appréhension du monde qui nous entoure et portent un regard différent sur la vie politique et ses acteurs.
Ils sont des milliers. Nous les côtoyons chaque jour. Les médias relayent régulièrement les difficultés auxquelles ils font face et les politiques ne cessent d’annoncer des mesures à prendre à leur sujet. Ils sont un enjeu, social, électoral, et même un problème pour certains.
Sébastien Deurdilly n’a pas perdu de vue que derrière chaque clandestin se cache un homme ou une femme qui s’est lancé dans l’aventure d’une vie pour atteindre l’eldorado européen.
Du Sénégal, à la frontière de l’Algérie et du Mali en passant par les Canaries, il a retracé le parcours sinueux et semé d’embuches que doivent emprunter les candidats … à la clandestinité. Il a recueilli les témoignages de ces aventuriers du 21ème qui racontent les sacrifices consentis sur l’autel d’un fantasme : l’Eldorado européen.
Réalisation : Sébastien Deurdilly, durée : durée : 52’
Je viens d’enregistrer – je crois (entièrement ? pour une certaine durée seulement ?) – ce reportage sur internet (voir le fichier Dailymotion –LA REPUBLIQUE).
Avec qui voudrais-je le regarder ?
*** Qu’est-ce que je « fais » de tout cela ? Pourquoi devrais-je en faire quelque chose ?
Et que vaut là la pauvre question Emerson : « Est-ce que ce sont mes pauvres ? »
Voudrais-je savoir tout ce qui se passe d’extrême dans le monde ? Par une sorte d’encyclopédisme catastrophiste ? (Se relançant par un « on ne parle pas de... », « on ignore... »)
A quoi bon se donner une pareille satisfaction ?
Qu’est-ce que je crois faire ?
A qui ou quoi suis-je moi-même en train de destiner tout ça ?
Quel rapport avec le regard ou l’écoute à qui s’adressent par moments ces hommes ou ces femmes ?
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Vittorio Sereni, cité par Franco Fortini dans sa préface à Etoile variable :
« Le livre... devrait exprimer cette présence simultanée de l’impuissance et de la potentialité, ma difficulté à comprendre le monde où nous vivons et en même temps le besoin impulsif d’y chercher de nouvelles significations cachées, la conscience d’une condition diminuée et malheureuse, et l’hypothèse d’une vie différente, aussi vague et fuyante aujourd’hui que prête à se représenter chaque fois que nous saurons en saisir les signes et les traces humaines. » (1980)
Ce qui est dit là est trop simple. Se sait sans doute tel. Est, par là, humble.
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Sereni Etoile variable (trad. Renard et Simeone)
Lieu de travail
Ces marches l’escalier fait un coude, tous
ces gens qui passent (et repassent chaque jour :
pour le travail) tournant au coin de l’escalier, de la vie.
Usé
par ces réitérants le tapis à cet endroit
sous une froid reflet de lumière. L’hiver comme l’été
et là se refroidit
dans le guet-apens d’une pensée depuis toujours semblable à elle-même
toujours prévue pour cet endroit
toujours pensée pareille
le regard qui là invariablement tombe
chaque jour chaque heure
d’années de travail d’années-lumière
de froid – comme toujours
là commence un automne.
Un poème où repasser indéfiniment
élimant l’évidence incrédule
jusqu’à une transparence grise
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Philippe Renard, dans « D’un seul lieu, de nul lieu », postface de Les instruments humains :
Pour Sereni, dit Renard, il s’agit « d’être fidèle à des sensibilités complexes et complémentaires que le poète ressent comme garantes de son authenticité. Nous disons sensibilités au pluriel car elles sont de degrés différents : elles vont de l’ébranlement des sens à l’attente anxieuse, de l’illumination immédiate à la recherche tâtillonne. A preuve ces cahiers de travail in progress où des poèmes achevés, des vers isolés, des bribes de prose et des titres attendent le lent mûrissement qui les complètera et les fera exister.Ainsi Sereni prévient-il dans un note aux Instruments humains que souvent il ne peut fixer qu’une date de départ et une date d’arrivée pour un poème : entre les deux s’étale le temps de la lente cristallisation de l’écriture. »
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Désir (de sentir, penser, dire)...
Il me faut revenir, pour ma part, à quelque chose de l’ordre de « l’indétermination »...
Ce terme, ne l’ai-je pas trouvé chez Lefort ?
N’est-il pas caractéristique de ce qui m’a attiré dans sa pensée ?
(Certains termes négatifs, chez lui – et, dans son sillage sans doute, chez Benslama – , ont une force propre d’affirmation...)
Il s’agirait de ne jamais rien capter-former-formuler qu’en sentant ou plutôt en suscitant la refuite en masse de ce à quoi on a eu affaire.
Cette refusion grise, là, juste devant, au plus près, réexiste toujours en se donnant-refusant (simultanément, au moins virtuellement) à d’autres, en même temps, dans un réengendrement permanent de latéralité.
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La peur des morts ? la terreur de ce qu’on pourrait devenir soi-même, errant, inapaisé, en colère ?
Les rituels à eux consacrés : ceux dont on peut se promettre qu’on sera le destinataire ?
Est-ce là une manière d’espérer qu’on ne sera pas abandonné à ce qui, dans la vie, sera resté inassouvi ?
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par moments on sent que cette chose à dire est prise réellement dans ce qu’on en dit, et qu’elle devient substance étirée dilacérée de vide dans l’effectivité verbale des phrases mêmes
ou n’est-ce pas, plutôt, le dire qui devrait être pris dans ce dont il est parlé ? qui en subirait la résistance, qui s’y perdrait mais en vivant comme jamais, qui, s’en arrachant par moments pour y replonger, s’espacerait dans de l’épais réel (herbes jaunâtres happées déroulées, mi-décomposées mais résistantes, obstinément tressées à de la boue), et y trouverait un rythme horizontal indubitable ?
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Notes, fausses notes, notes tenues
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Chacun de mes « textes » (ce mot... !) doit-il porter et révéler en lui/sur lui la plaie d’un arrachement... Violence constitutive... comme une odeur répugnante
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Dans l’enfance, il est si peu naturel de se ranger du côté de celui que les autres humilient.
Je me souviens des humiliés à l’armée (et l’habileté qu’il fallait pour ne pas tomber parmi eux).
Dès le début des classes, dans la chambrée, se trouvait un type à l’allure gauche, raide, avec ce nez toujours humide et comme translucide qui se voit chez ceux qui sont promis à être victimes... Lui et moi étions arrivés à la caserne avec huit jours de retard (j’avis eu une forte grippe). Nous venions, pour la première nuit, de prendre les derniers lits restant (en haut... des lits superposés... dans ce dortoir archaïque – avec un poële – où nous étions une trentaine). Une – la ? – grande gueule de la chambrée, sous les regards complices de tous, moi y compris, lui avait fait croire, au moment où nous nous couchions qu’il fallait dormir avec le casque qu’on nous avait donné avec notre uniforme, etc. Le premier mouvement, chez moi comme chez les autres, avait été de rigoler et de croire – sans même y penser – que ce type, vaguement disgracié, avait mérité ce qui lui arrivait, et qui n’était pas si grave.
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Chevrier parlant du travail d’un architecte (Jacques Herzog) :
« La concentration respire, comme chez Cézanne »
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Avec ? Parler avec ce poème ?
Comment dit-il, déjà, Hwang Ji-U, l’ami évasif, si courageux, si mélancolique ?
Alliée à une vision moderne (« désenchantée » , rationalisée, neutralisée par la science ?) du cosmos :
fin du poème intitulé « Temple Unju sur la mer de nuage » :
« Même si on faisait le tour du cosmos en larguant complètement les voiles,
Ce n’est que le cœur de l’homme qu’on peut aimer ;
L’ancre est jetée dans la boue d’ici-bas.
Un jour lourdement ennuagé
Les montagnes sont des îles très lointaines. »
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Chevrier (La trame et le hasard, p10) :
« Pour Benjamin, le hasard proustien, identifié aux révélations de la mémoire involontaire, est un correctif apporté à l’érosion de l’expérience fondée sur l’actualité d’une tradition : l’individu isolé, détaché des rites de la vie communautaire, réduit à ses seules ressources, doit s’en remettre au hasard pour renouer avec son passé et surmonter les discontinuités de son histoire, puisqu’il ne peut plus bénéficier des mécanismes d’intégration de la mémoire collective. »
Les « ne plus » de Benjamin sont les aliments de son utopisme...
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Ce que j’appelle poésie, dans et pour mes tentatives tous les jours recommencées, comporte nécessairement l’imprévisibilité, toujours recréée, de ce qui est à sentir-penser-dire-former . Cette imprévisibilité peut être celle du plus connu, du plus ordinaire. Ou plutôt elle comporte nécessairement une part d’ordinaire, de quotidien, de très connu. Dans la préaube, dans la nuit d’avant le jour (dans les instants où hésitent, l’une par ou contre l’autre, l’agitation interne du sommeil et des rêves qui déjà se ravalent dans un passé plus que proche et tout autre, la réapparition demandeuse et grouillante des préoccupations et interrogations de la veille, et la surprise de retrouver toutes choses au présent), quelque chose de massif arrive, puissant, comme si le réel totu entier se retournait, s’écrasait sur et dans mon attention, terreux, humide, aérien, atmosphérique... Tout ce qui va alors se préciser en traits formulables, en détails aigus, tracés brûlants (inscrivant des choses senties dedans/dehors, on ne sait plus), n’aura demandé à être dit que sur le fond de cette pression globale, de cette pesée énorme, vitale, nécessaire, sans laquelle... rien ...
avec ce qui précède, les notes descriptives, frontales, ne sont-elles pas contradictoires dans la mesure où chacune d’elles se consacre à de l’identifié et du circonscrit ( pex la note sur l’écureuil
Cependant, ai-je dit dans la cuisine en fin d’après-midi (air gris, ciel, vu à travers les vitres, celels du haut en particulier, orageux fécond),
aujourd’hui – c’est-à-dire selon une tendance toujours présente pour moi, mais plus décidément depuis quelques années –
toute une part de mes tentatives (que je crois « poétiques ») comporte une dualité singulière, sous des traits multiples.
Et c’est là qu’il me faudrait tenter d’expliquer ce qu’est, « pour moi » (mais c’est tout de suis autre chose qu’un « pour moi »), l’écriture poétique
– la formulation-formation (je conjoins ces deux termes pour ne pas laisser oublier que c’est aussitôt une question de forme, celle-ci pouvant ou devant devenir disposition visuelle, là où des espacements s’engendrent , là où sur la page des blancs divers, à la favuer de la typographie, s’imposent, coupent le souffle, font pression, comme si le support alors devenait une puissance singulière) –
telle qu’elle implique ou révèle ou convoque deux (deux au moins, deux au minimum, deux comme une amorce battante) vies-voix.
(J’appelle vie-voix une continuité entre l’existence de quelqu’un et l’émergence d’une voix dans l’écriture... – continuité à travers des écarts ou des sauts de styles divers et qui contribuent d’abord à constituer-reconstituer le genre selon lequel va se réaliser l’écrit – en particulier le roman, le théâtre, l’essai, le poème – ; c’est une continuation transformatrice..., mais à mes yeux, la voix du ou dans le poème – est-ce en ce sens qu’il faut le dire « lyrique » ? – reste le plus tenacement liée à l’existence continue de quelqu’un qui parle, elle impose, tout autrement que roman ou théâtre, la charge de cette continuité, la responsabilié peut-être de cette liaison... avec le fait d’exister... en tant que sujet individuel )
Deux, donc.
L’autre voix n’est pas moins réelle que la première. En un sens elle l’est – comme par suprise, par éclairs orageux – davantage. Ou elle renvoie par éclairs la première à sa propre réalité, la fait régresser instantanément dans sa propre existence-provenance.
D’où, à chaque fois, la formation d’un « avec », ou l’afflux d’un « entre » – entre deux, dans l’instant, mais et aussitôt entre beaucoup plus que deux.
L’autre voix, l’autre présence, se révèle réclamer – même si elle ne le sait pas ou ne le veut pas, ou plutôt même si elle ne le veut que comme le voudrait toute présence – de l’attention, et soudain la plus aiguë possible (dévorant brusquement toutes les forces de la première vie-voix).
(Il m’est clair que depuis des années, depuis toujours peut-être, mes tentatives critiques auront essayé d’être à l’écoute de vies-voix, auront désiré s’écrire selon une attention ou écoute prêtée à une voix autre, à une continuité transformatrice – et c’est ainsi que je pourrais relire même un essai aussi aride que mon « Flaubert critique ».)
La maison, grande maison, fut l’instrument de réalisations de dualités.
Et le « je » qui a tenté de réaliser ces dualités aura été toujours nourri ou irrigué, fût-ce conflictuellement et douloureusement (les malentendus sont innombrables, vitaux, et les désirs ou répulsions à l’égard des désirs des autres, grondent aussi là… d’une manière particulière) (Bunuel ? Viridiana) par les liens diurens-nocturnes dans la maison (dans la nuit, même en plein jour, de la maison, avec donc des raccordements à diverses continuité incirconscriptibles).
L’autre vie-voix fut présente, répétitivement et toujours autrement, par irruption inattendue. Une irruption résultant pour une part d’une décision, mais une décision aussitôt bouleversée ou débordée.
Ce que j’appelle ici »avec » aura toujours comporté une irruption faisant interruption.
Il y aura toujours eu cet étrange et cruel équilibre – en vivant, en écrivant – à trouver entre la continuité de la première vie-voix dans tous ses liens et l’irruption d’une autre vie-voix pour la première et pour tous les liens de celle-ci.
L’autre vie-voix n’a pas été choisie. Elle est et restera celle d’un quiconque. Un quelqu’un qu’on n’attendait pas et dont on n’aura pas spécialemetn désiré la présence.
Certes il y aura eu une décision, en quelque sorte constitutive. Et cette décision, dans bien des cas, a eu d’emblée une composante politique et administrative. C’est là, d’ailleurs, que les liens familiaux (spécialement : la position d’Hélène dabs la vie et dans le monde social ou politique) ont été impliqués.
Car il s’est le plus souvent agi, dans la maison, de la présence de quelqu’un qui « n’avait nulle part où aller » (formule de Jonas Meckas).
Depus Ibrahim l’ivoirien à Pedram l’iranien ou à Kim le cambodgien ou à (brièvement) Laura l’angolaise ou à Khaled le darfouri. Des exilés, des migrants, certains officiellement acceptés, d’autres clandestins.
Il y a eu une conjonction de l’imprévisible et de l’organisé. D’où l’implication, ici même, du social ou du politique (au sens de ce qui aura poussé ces individus à migrer ). Une présence des « papiers », de leur odeur même. Le sens des regards impersonnels et soudain très réels de l’admnitsration (Préfecture). Et puis, bientôt, la question de l’emploi, du travail...
Avec quelque autre. Et non sans une constitution spécifique d’ »entre ». Un entre deux , en parlant dans la cuisine (mais avec la présence-soutien-pression de toute la maison) ou dans l’acte d’écrire dans la préaube (en me rappelant ce que j’ai entendu la veille). Cet entre-deux ( si concret, de part et d’autre de la table de la cuisine) ne vaut, en un sens, que comme l’amorce d’un afflux sans contour : celui de l’ »entre » en géénral, océanique et aussitôt capté-différencié, l’entre des existences, individuelles mais en tant que rpises dans leurs appartenances...
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La même porte vitrée de la même chambre de la « grange » en Vendée… Ouverte, en août 2011, comme il y a peut-être vingt ans… Même ciment sur le sol. Quasi mêmes petites plantes qui poussent au long, etc. J’étais venu là, jadis, en automne – et même en hiver ? –, pour être seul, très seul…, avec cette sorte d’espoir en ce qui aurait dû être pure concentration, heure après heure.
Aujourd’hui, il faudrait accomplir une minime mais décisive conversion de l’atttention. Me percevoir – percevoir le moindre de mes efforts – dans de l’ »entre ».
Cet « entre » n’a que peu à voir avec les attentions que tant désirent captiver..
Il est à vivre solitairement le plus souvent… , mais il est bien ce qui est d’autant plus actif qu’en suspens.
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*** Laurent Olivier, archéologue, Libération 5 août 2011-08-06
« Nous ne contrôlons pas l’héritage du passé ; nous ignorons même en grande partie de quoi il est fait. Il s’impose seulement à nous, en ressurgissant sous unefore inattendue : un jour, on découvre que la terre autour de l’école est contaminée, ou qu’une grosse bombes non explosée de la Seconde Guerre mondiale vient de faire surface en pleine ville. Nous ne contrôlons pas non plus l’héritage que nous transmettons au futur. Ce que nous léguons à l’avenir ne dépend pas de ce que nous voulons lui communiquer, mais de ce que nous sommes et de ce que nous faisons : au lieux, aux choses, aux êtres. Ce que nous transmettons à l’avenir nous révèle, fondamentalement, dans notre être : nous sommes seulement cela ; le reste est ce que nous croyons être. »
Olivier cite Günther Anders : « Nous sommes tout-puissants parce que nous sommes impuissants. »
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« Entre », « dans », « avec »... Tenter de concentrer convertir l’entre dans un « avec »... ?
ET le redoutable « dans »... originaire...
les liens (Winnicott, Henry Moore, ce musée au Japon : liens s’évaporant sous le ciel... Non loin de quelques Bourdelles verticaux)
L’entre peuplé d’images dans la rue... obsédantes vc’est à elles que je me uehrte tout en croyant frôler des corps
Je regarde deux hommes se parler sur la place : je vois l’entre leurs profils ; ce qui les anime, ce qui est là que j’hallucine là dans l’air, est-ce que je le hais? voudrais en faire quoi ?
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Je me surprends souvent à imaginer une masse d’où seraient issues, par des partages déchirants ou par reflets, les positions les plus incompatibles.
IL y aurait un fond de potentialités... qui aurait une forme de présence à travers la diversité même (et à travers les étagement temporels de chaque position), en-deça de tout hermétisme des uns aux autres, en-deça aussi des pauvres images des uns pour les autres.
La phrase de Keats sur la masse originaire liquide
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Ou plutôt, me dis-je : chaque écrit, même de petite dimension, ne devrait se former qu’en allant de tout son contour fiévreux (comme une membrane) toucher, au bord de l’entre, l’enveloppe en quoi on parle pense sent désire... ah l’inévitable et vitale... jaune plus réelle que tout, mais glissante, inaccrochable ...
Ai-je quelque idée d’une pareille enveloppe? serait-ce celle en laquelle sentir-penser-parler ? celle en laquelle se sentir co-existant avec... qui ou quoi ? potentiellement : tout humain ? mais aussi... qui ou quoi ? s’agirait-il de ne pas exclure ... quoi ? les vivants ? la réalité même des choses, ou de l’espace-temps ? la généralité devient aveuglante – et pourtant... elle s’impose, réclame... tout en menaçant toujours, essentiellement, de se faire mensongère...
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*** Des billes de métal roulant sur des tôles surchauffées : telles étaient dans mes oreilles, dans mon cerveau, ces voix entendues dans le train une heure durant... rien dont je puisse rien « faire »...
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*** Mes notes-poèmes, leur prosaïsme par instanats quasi documentaire... : paumes nues palpant avidement et aveuglément, en s’y brûlant, en s’y collant, cloquées, tout ce qui se présente...
le passionnant De Signoribus, je le sens (et l’aime) à l’opposé. Ses poèmes ne cherchent pas à dire ce qui arrive. Ils y répondent, avec une justesse déchiquetée. Ils se placent dans un intenable « au milieu »...
Ce dont ils ne parlent pas à proprement parler est sensible tout autrement – comem souffles qui interrompent, comme puissances d’arrachements...
(l’entre, encore...)
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La peur, fondamentale. C’est elle qui, en 1976 je crois, s’est trouvée réalisée pure dans l’espace-temps devenu abstrait (sans contenu) et tendu comme de la vitre.
Je l’ai trop fuie. La déceler dans mon ultime désir de « penser »...
Est-elle distincte de ce que j’ai maintes fois appelé « terreur » ?
Elle est plus secrète. Elle n’est pas une interruption, elle ne constitue pas un changement d’ »état ». Elle est peut-être constante. Elle est la dureté même – ou l’immense fragilité – du réel.
Une autre fois, la nuit, je ne pus que me rouler en boule contre le mur du jardin du fond
.........
Peut-il être question de bêtise, sans savoir ce que veut dire ce mot ?
C’est un mot – ou un de ces mots, astre gris d’une certaine constellation répétitive – qu’on a besoin d’employer sans savoir, ou du moins sans fixer, ce qu’il veut dire.
Comme tous les mots ? Plus que les autres, car il comporte un risque de circularité, de retour rapide sans qu’on puisse plus rien fixer.
En particuleir dans les jugements radicaux qu’on porte sur les autres. « Quel con ! » : jugement facile et terrible, dans la vie en général, dans la vie politique, dans la vie intellectuelle… Des sortes de mises à mort symboliques, du désir de jeter hors…, d’expulser.
S’attaquant à ce qui serait l’être même d’un sujet. Sa position ? son « soi » intime comme source de pensée ou non pensée ?
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et aujourd’hui … non pas l’œuvre au sens Flaubert ou Mallarmé
mais du détail criblant arrivant ce qui cherche à se former et comportant un pôle, un double pôle parlant de réceptivité
et … adsorbant de l’entre qui ne peut être circonscrit en œuvre au sens Flaubert
(de l’entre dont l’état, l’être doit etre exposé essayé)
qq ch de constamment exposé y compris aux afflux journalistiques…
paroles dénivelées, hétérogènes
insinuations dans les accidents de l’entre
être quiconque recevant et pourtant soudain, au vol, s’acharnant , spécialisation , concentration de l’attention, lectures bribes
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Le jugement immédiat : savoir soudain trancher – sur la bêtise, sur la bassesse.
Bouveresse, préface à Kraus, La troisième nuit de Walpurgis, p.49 :
« Tilo Schabert rapporte la réponse mémorable de Voegelin à un étudiant qui tenait des propos indulgents pour les Allemands « séduits » par Hitler : « Parmi les droits de l’homme, cher Monsieur, ne figure pas le droit d’être un imbécile. Vous n’avez pas le droit d’être un idiot. » C’est une chose que Kraus aurait, je crois, très bien pu dire lui-même, en ajoutant probablement que, parmi les droits de l’homme, ne figure pas non plus celui d’être une canaille. »
(Dans la réponse de Voegelin, le « vous » (de l’anglo-américain traduit en français) est-il plutôt un « on » ? Et l’ »idiot » serait alors tout Allemand séduit par le nazisme... Ou l’imbécile serait-il l’étudiant lui-même, indulgent pour la séduction exercé par Hitler (voir séduit par elle) ?)
...... ;
Platonov, en temps de post-révolution soviétique ou de délire nazi que dans un texte (« Un vent d’immondices » – de 1934 ou 35, mais publié seulement en 1966, et traduit dans le recueil La ville de Villegrad ), il essaie de pénétrer… Dans ce dernier texte, le personnage de Lichtenberg : « personnellement, il n’éprouvait qu’avec peine le sentiment d’exister, ne retrouvait qu’au prix d’un grand effort chacun de ses souvenirs de lui-même, car d’ordinaire, il se perdait constamment de vue, peut-êre un trop-plein de conscience souffrante débranchait-il en lui la vie afin qu’elle se conservât quand même, ne fût-ce que dans son affligeante amnésie. »
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Platonov est infini, comme au-dedans... on peut s’y enfoncer... tout s’y fait élastique
Une sorte de terreur
« – Villegrad ! Y a-t-il des passagers pour Villegrad ? C’est la prochaine, dit le convoyeur en se mettant à balayer. Ces brutes-là, ça vous jette des saletés par terre comme si c’était aux champs. Vous mériteriez une bonne amende, seulement vous n’avez pas le sou. Ôte-moi tes pieds de delà, la mère !
Quand Chmakov eut quitté le train, une sorte de terreur s’empara de lui.
« Le voilà, mon lieu d’exil », se dit-il en examinant la gare silencieuse et les modestes humains qui s’infiltraient en toute hâte dans les wagons.
Bien que le lieu fût relié par des rails avec le monde entier – Athènes, la presqu’île des Apennins, les rivages du Pacifique – personne ne s’y rendait : nul n’en avait besoin. Et même si quelqu’un l’avait voulu, il se serait sûrement embrouillé dans son itinéraire : car les natifs du cru n’étaient pas très dégourdis. »
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Ai-je tendance à compliquer les choses ? Non pas par excès de pensée, mais par incapacité à organiser et éclaircir ce qui me sera venu...
Me vient-il trop de choses ? Par une faiblesse constitutive (si j’accueille, c’est peut-être que je suis vide, intérieurement effondré... béant comme une pièce aux murs percés, sans plafond, etc
Ces choses qui me viennent à tenter de dire sont, sans doute, toujours les mêmes, mais devenant ici irrésistiblement disparates, non assemblables, fût-ce à elles-mêmes (le même se faisant ici autre que lui-même, méchamment...)...
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cette fois-ci c’est au retour de Bruxelles
train de Paris à Orléans, il fait déjà nuit (il y a eu, un quart d’heure plus tôt, pendant une minute dans le crépuscule, s’écrasant sur les vitres, le brun rose délicieux des champs labourés hersés sous un ciel tendrement métallique... avec quelques points de lumière ici et là)
voix, donc...
voix dans le demi-sommeil quasi au ras de la plaine qui se déroule
elle, la voix, clapotant là au ras de tout, invite rituellement « les personnes n’ayant pas acheté ou composté leur billet à se faire connaître avant toute opération de contrôle »
mais voici que le contrôleur ajoute une formule apparemment de son cru et avec une sorte de pathos : « et ceci afin d’éviter tout malentendu »
au moment où résonnent ces mots supplémentaires, bizarres, et qui m’ont fait dresser l’oreille, un noir d’une quarantaine d’années, assez ventru mais musculeux, chemisette blanche, peau brillant de sueur, passe à côté de mon siège dans l’allée centrale du wagon
et il émet un ricanement sardonique
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Dans la rue pluvieuse soudain ... une évidence fugace, immédiate abstraite, tracés argentés au milieu du temps, voire des capillaires sanglants comme des mailles de moëlle dans la pluie fine et continue une quasi organicité découverte
celle du filet poétique jeté sur... ou plutôt dans ... en réalisation instantanée... pénétrant capillaire
sanglant le désir
en tant qu’il ne peut être objet de savoir
mais toujours en-deça de toutes les réalisations
possibilité retrouvée toujours en reculant
et non pas dans le sujet (dans une intériorité)
mais dans la fluence entre des positions, dans l’entre même pleins de disjonctions dans l’espace commun hémorragique ou dans le temps inenveloppable
selon des pôles partagés momentanément, fragiles, souffles lumineux dans de la neige
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Le point d’individuation de chacun... Comme une aisselle végétale animale qui se cache, se déchire, saigne... Là où une fourchure dangereuse se fait à partir de l’obscurité-continuité animale-humaine qui aura été nécessaire, en ou pour chacun, à la vie.
Est-ce de là, me dis-je en entrevoyant un couloir ouvert sur la rue, que sourd continument (imprévisiblement) pour chacun du désir qui se singularisera, le définira...(dans un passage de la continuité à la solitude insurmontable) , qui sera sa « position » non choisie, aveugle, parmi les autres...
De ce pli en-deça, de cette divergence intime odorante ... , banale et dangereuse, il reste une sorte de nécessité de moments de régression – là où on est ou a besoin d’être réaspiré ravalé en-deça de la différenciation individualisante... Ces moments de recul l’infra-individuel, malgré soi, se manifestent (s’imposent excessivement) aux autres comme ce qui, du soi, peut les choquer le plus, leur peser (quand l’intime du souci ou des soins de soi déborde indiscrètement comme une odeur)
Les traces indiscrètes qu’on laisse de soi, les empiètements dans ce qui devrait rester de l’ « entre » neutre... , bouts de choses représentantes de soi et suscitant le dégoût y compris ou surtout de personnes qui vous sont étroitement liées
Voilà le genre de choses que je ne peux que « me dire » en tant qu’un « moi » parmi d’ »autres »... Un moi obligé d’abonder dans sa propre direction ? Un moi sentant les autres moi encombrés d’eux-mêmes et par là tyranniques ?
« Empiètements » des uns sur les autres, ou plutôt des imaginations de soi des uns ou des autres... c’est le mot qui me venait en parlant à Masatsugu, ce matin.
Empiètements fantasmatiques mais se réalisant dans des choses matérielles... Ce en quoi chacun revit refond sa dépendance fondamentale
Empiètements, désir en chacun de ne pas être totalement en charge de « soi », continuer à impliquer quelque autre dans le rapport à sa propre intimité, indissociablement corporelle et psychique (d’abord : le contrôle des fonctions corporelles... qu’elles n’envahissent pas l’ »entre »).
L’ordre « adulte », bien entendu, n’est pas un bon ordre. Mais il semble toujours être le seul qui puisse tenir. Pour chacun et entre tous, il émerge, toujours momentanément, des dépendances infantiles ou séniles. Il ruisselle comme un roc dur et noir de regrets plus ou moins inconscients.
Et la vieille immense habitude d’asservir d’autres sur qui se décharger des rapports, d’abord corporels, de soi à soi...
Les machines qui se substituent aux esclaves ou serviteurs, et qui démocratisent la possibilité de se décharger des soins de soi.
La lessive (depuis Nausicaa) : l’intimité et ses traces les plus étouffantes (secrétions) confiées à d’autres, des femmes bien sûr.
Fin de la lessive : dans les années cinquante ?
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Traces taches empiètements : ce pourrait être un titre pour mes fausses notes
Erreurs ?
Dérapages
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Philip Guston, Conférence à l’Université du Minnesota en mars 78
« Franz Kline, dans les années cinquante, au cours d’une conversation de bar m’avait déclaré: « Tu sais ce que ça veut vraiment dire, créer ? » C’est accepter d’être mal à l’aise. » L’une des meilleures définitions de la peinture était celle de Kline ... : « Tu sais, disait-il, peindre, c’est avoir les mains prises dans un matelas. »
Les mains dans un matelas
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Petr Kral, dans une note de sa Postface à Vends maison..., « Hrabal ou le réel accepté », écrit :
« C’est la douceur elle-même qui est vertigineuse chez Hrabal, de même que les vertiges – les affolements – s’y font doux. Ainsi, entre autres, quand le sculpteur de La trahison des miroirs vomit juste un peu dans son auge, ou encore quand des cloches et la blouse d’un maçon, à la fin du récit, tremeblent légèrement dans la brise que déclenche l’explosion d’un monument géant (celui-là même, révélons-le en passant, que la Prague des années cinquante a érigé à la gloire du Généralissime).
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Le passage sous l’esplanade de la place d’Arc, sous le centre commercial, vers la gare
Il sert de refuge pour des sans logis.
Odeurs d’urine. Débris. Une espèce de longue cloison écroulée, un bour de barrière renversée. Des petits groupes dans la pénombre. Voix rudes : des « blancs » pauvres, plus ou moins alcooliques. Un autre groupe : des jeunes, noirs, maghrébins. Un autre groupe : des filles très jeunes, une pousse un cri perçant...
Désir de voir dire le sol.
Une femme « rom » (dirait-on), grosse, à genoux, fichu, jupe large : elle se balance légèrement, psalmodie une prière à peine audible.
Dehors, au début de la rue de la République (immeubles en pierre, modern style, qui, il y a un siècle, devaient (re)présenter la ville prospère aux arrivants de la gare), j’aperçois – pour la première fois (à la différence d’autres plus ou moins familiers qui, sur le trottoir, demandent) – un cul-de-jatte sur une chaise roulante. Un homme de peut-être cinquante ans ou un peu plus. Il porte devant sa poitrine un écriteau en carton. L’inscription, en capitales, commence par « NATION FRANCAISE » , et explique ensuite qu’il a besoin d’argent pour ses soins (j’aurais voulu déchiffrer en détail, enregistrer la manière dont les lettres étaient tracées... je ne pouvais pas lui laisser voir cette curiosité-là).
La curiosité que m’inspirent « les gens » – qu’est-ce qui les fait vivre ? – pourrait bien sûr se retourner sur moi-même (qu’est ce qui, si tard, me fait vivre ?).
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*** Ce à quoi (se) donner : est-ce devenu aujourd’hui introuvable, inimaginable – ou grotesque ou odeix ?
Il glisse hors de toutes prises, le don du poème.
(Confronter le « don » en/par œuvre et le « sacrifice suprême » que peut demander la société dans la guerre, le « mourir pour »...)
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lavé par la lumière qui pour s’étaler sur le sol coule par une porte entr’ouverte, ou seulement au-dessous de cette porte close
tout ce qui est là, tout ce qui pourrait arriver ici devra se décomposer-détailler
en myriades de points
grains de choses ...que chacun, enfin, enfin,
explose
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*** Se dire, non sans une exaltation cent mille fois vécue dans la rue le soir, que le plus connu est inintelligible... Et que pour cette raison c’est lui qu’il faut affronter ...
Le plus connu ? le plus massif
ce en quoi nous existons, ou ce que nous croyons désirer, ou ce que nous faisons être et que nous cherchons à faire durer... , ce qui se révèle
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« sans obole » : ces mots viennent à se marmonner dans la somnolence du début d’après-midi...
... des espaces troubles qui, sans dimension, égarent
voilà où
– croyant s’approcher réellement du plus proche, pour l’atteindre, l’obliger à devenir ce qu’il n’a pas su être –
le plus léger effort de pensée-parole ne peut que se perdre
marais, méandres... un Styx-Léthé sourd de quels sables trop connus, si médiocres
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« ô séparations qui un moment se sont servies de mon corps »
(Ki Hyungdo) p29
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« Je ne connais pas de monde meilleur »
Ce vers de Bachmann, dès qu’on l’a lu, hante, et fait, à travers tout ce qu’on fait, un roulis...
Est-il un constat désespéré ? une menace ? un geste de prise sur ce monde-ci, réel, présent tel qu’il est ?
Il ne veut sûrement pas dire que B. se satisfait de « ce monde ».
Mais elle refuse (je crois) le « savoir » (« je ne connais pas ») d’un monde tout autre, l’appui pris pédantesquement sur une grande alternative.
C’est là aussi que la poésie trouve sa place.
Anti-utopique, la poésie ?
Utopique à sa manière (en tant que s’incorporant des éclairs pâles rasant où se suspend toute position qu’on croit prendre dans la réalité) ?
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Voir manger !
Quel poème de Hwang Ji U sur un homme vu de dos (petits cheveux dans le cou) et « se mettant un morceau de réalité dans le corps » ?
Manger est si réel : ça fait peur. Enorme... ! Cruauté constitutive, ou en-deça ... ce broiement, cette ingestion, cette incorporation perpétuelle. Souffle coupé.
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Il faut créer, oui, ici, de force, soudain, du co-présent pâle ou furieux, rougeoyant soudain, là où la plupart des présents déterminés et appropriés excluent, ne veulent rien savoir des failles et du chaos des (entre) présents autres et quasi mêmes, simultanés
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Ecrire : réaliser... quoi ?
Je n’aurai pas pu ... dire ... quelque chose de ... l’air respirable du jardin, de la vie avec les plantes, de la réalité de la terre là, visible ou cachée.
Et à quoi bon ?
Pourrais-je, vieux, renoncer à toute visée de réussite ?
Si je décidais de m’absorber définitivement (pour finir) dans les choses proches, le jardin, pourrais-je éviter de me surprendre, par instants, à tenter de surprendre, par-dessus mon épaule, dans l’air, comme un souffle sur la nuque, une attention portée sur... moi ? quoi ? mes gestes ? mes pensées ? mes sensations ? mes phrases en formation ? ce que je sentirais penserais dans une apparente solitude et calme absorption ?
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... d’un poème de Herbert: « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle, s’exprime, etc., cette sorte de présence plus réelele que tout et constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
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Quel est le secret de la puissance de Yi Sang ?
Lire, lire vraiment, « Ma première fugue », dans Ecrits de sang ? Un voyage en train onirique-réaliste (états, veille/sommeil/rêve, besoins corporels... pisser, etc.)
L’idylle et la terreur dans des paysages qui semblent naître à mesure que dits et résorber l’attention qu’on leur porte
le plus doux est dangereux... dévorant...
Par exemple :
« Il n’y a là rien qu’on puisse appeler un paysage. L’immense tension hostile qui a tout englouti s’étend sans bornes.
Et ce qui me paraît brouillard doit être en réalité de la vapeur à très haute température. Nuit incommensurable, nuit sans fond !
La plaine aussi est engloutie. Et puis les monts, avec leurs herbes et leurs arbres. Et l’air. Qu’on dirait fin comme un plan.
C’est parce qu’il n’y a pas de relief. Il [qui ? l’air ?] empote [ emporte ?] déjà les distances incalculables du lointain. Où il n’y a que terreur.
Mon corps se reflète en rétrécissant comme une étoile sans lumière. Ce n’est déjà plus qu’une respiration imprécise semblable aux larmes.
Mais je me tiens fermement à la rambarde. Quelque chose de froid coule. Sans pour autant que je puisse la lâcher. L’origine de cette terreur incommensurable et de cette brutalité est sans aucun doute un petit pré, un petit bout de terre de pâturage où de petites fleurs de saison ont fleuri. »
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« Mort, aride rivière... » Ungaretti (Voir « La vie douce 6 »)
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N’y a-t-il donc rien d’autre ?
Quelles présences de ce à quoi se donner (selon – avec, contre, par reflux, rejets, distorsions – la manière dont on s’est reçu) ?
Créations (mais à partir de quels reversements ?) « en l’air » dans le temps... , consistances... capables de travailler l’entre – de telle manière que s’y prennent ou s’y donnent des « soi » ou des moments-soi, ou des liens
Comment les institutions, comment les choses faites pour tous... jouent avec les finitudes, enveloppent les vies/morts (cf la fin de mon article ancien sur Holan)
qu’est-ce que la position selon laquelle je formule ce qui précède ?
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**** QU’est-ce qu’avoir à faire effort pour accéder à .. quoi ? sa propre pensée ?
Cet effort n’a lieu d’être que parce que « ma pensée » n’est pas au fond de moi, mais est à atteindre ou former au bord de l’ »entre ».
Ce n’est pas seulement une question d’expression : ma pensée se constitue continument en s’exposant immédiatement à je ne sais quoi... Non : en renaissant toujours là où le « je » se quasi livre (plus encore qu’il n’expose) à l’entre, y retournant furieusement ses attaches, ses conditions obscures...
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« Mon vieux, que de passages se cachent dans l’air »
Ki Hyung-do
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** Images qui nous regardent, nous ou l’entre – posées, flottantes pour l’entre, ou comme face à lui, tournées vers lui et, quasi, l’éclairant.
Quel jeu avec l’être image de chacun (se sentir vu des autres, se désirer vu par des regards ou instances hallucinées, ou – Flaubert – « se voir en... ») ?
Images qui éclairent ceux qui croient les regarder
Jeff Wall
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*** De l’historique (re)possibilisé
comme une pluie (celle des traits de l’advenu ou de l’encore advenant) qui s’inverserait, remonterait, et regagnerait les masses mouvantes de l’au-dessus, de l’en attente
= telle m’est spécifiquement évidente La musique pour cordes... de Bartok =
ou bien ce sont des nervures ou veines qui s’élancent et soutiennent des voûtes tendues de transparences toutes de nuances variables et ces voûtes amples et puissamment soulevées quoiqu’allusives se révèlent être celles-mêmes, inaperçues, du temps « dans » lequel pouvoir malgré tout durer
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une immanence « totale » dangereuse (sans autre) (un terrible « dans » horizontalement déroulé sans rien au-dessus) ne saurait cesser de venir s’interroger, s’expérimenter et bouillir en moi – « en » moi ? non : me traversant, me submergeant (tête au ras je la goûte gorge qui s’asphyxie yeux noyés)... – en une surface liquide grumeleuse que rien n’éclaire, que nul ne voit ni ne sait
c’est seulement en maintenant cette permanente évidence que les « luttes » seraient à sentir et, si possible, à vivre
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Ungaretti ( Notes pour une poésie) :
Et jamais, jamais plus je ne pourrai, fou de joie,
M’oublier dans un cri
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Les œuvres travaillent-elles les rapports en général, les liens, l’espace où vivre-mourir les uns par ou pour les autres ?
Avec quelle liberté ludique (comme une fin par elle-même, ou comme un moyen – pour quel but)?
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« non pas une loi profane mais une loi d’art »
La loi du tableau est-elle active contre... ?
Paul Klee, Théorie de l’art moderne ..., Denoël/Gonthier, 1975, p10
« La prépondérance revient au squelette de l’organisme « tableau » dont il devient la vérité : pour s’intégrer à une armature plastique intéressante, les maisons se mettent à pencher (car nul ne songe à adopter un principe de construction restreint à des horizontales et à des verticales), la violence est faite aux arbres, les humains ne sont plus en état de vivre, l’objet devient méconnaissable au point que l’on croit à une mystification. Mais ici s’exerce non pas une loi profane mais une loi d’art. [...] De même que l’homme, le tableau a lui aussi un squelette, des muscles et une peau. On peut parler d’une anatomie particulière du tableau. Un tableau avec le sujet « homme nu » n’est pas à figurer selon l’anatomie humaine mais selon celle du tableau. »
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**Citations... Le fait de citer peut-il être ostentatoire ?
Il serait insupportable que les phrases recopiées servent à faire valoir le geste... , ou la série de gestes qui aboutissent à la citation.
Qu’est-ce qui peut, des citations, se retourner et travailler le geste même qui les aura trouvées et prélevées et qui, au risque de s’en parer, les donne à découvrir (ou redécouvrir) ... ?
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***Ces notes peuvent-elles devenir un projet ? Pas vraiment... IL me faut constater ce que je fais, ce qu’elles font... Réaliser ce qu’elles font...
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le temps, il y a vingt ans ?
... la substance même du temps soudain fut là
le temps , me suis-je quasi dit il y a peut-être vingt ans,
pas « mien » ou tien »,
qui n’a lieu qu’en liant les uns aux autres
la plus réelle intouchable substance
(ce en quoi – constate Van Veen – on ne rebrousse pas chemin)
l’inappropriable
la chair que je désirerais faire pointiller dans l’air
me suis-je dit il y a quelques minutes sur une esplanade grise de Saint-Denis
avant d’aller à l’université
(où dans un bureau, dérobant quelques minutes, j’essaie de noter cette évidence qui se décompose comme de la chair argentée)
elle ... la trop proche
par quels mots me faisant juste me déborder
dans l’entre
est-elle, là, matière trop réelle, ce
qu’il faudrait – par peu de mots, de syllabes, d’écarts – faire faiblir,
désorienter ...
blesser ?
perlant rouge
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Penser ?
Rilke à Annette Kolb, 23-1-1912
En français : « Mais moi, je ne pense guère au fond, j’avale mes pensées tout entières sans en détailler le goût, je les ai dans mon sang avant d’en tirer le profit immédiat qui s’impose... »
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Dans la rue, je repense à la Sinfonia de Berio...
Puissance d’intégration ? Mais celle-ci est elle-même (mouvement de Mahler, valse, etc.) « empruntée », « reçue »... pourquoi si merveilleusement ? soudain ce grand geste est pour moi comme l’air soulevé...
J’écoute soudain l’entre même, comme on regarde le ciel au-dessus des maisons ou entre elles, au fond...
Bruits si divers – qu’on aimerait détailler dans les instants où ils émergent et se perdent.
Découvrir-créer un certain ordre pulsatile, ou une composante du « dans » infixable ?
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« ... trop peu de réalité dans le monde. »
Karl Philipp Moritz (Essais de 1786)
cité dans le même cahier de 2000 ...
« Dans la soirée :
Si en Dieu le passé ne restait présent, il y aurait trop peu de réalité dans le monde. Car tout ce que nous voyons n’a proprement qu’une existence apparente. Ce jour s’est écoulé maintenant, il n’est donc plus réel, mais quand fut-il réel ? A proprement parler, il ne le fut pas. Il n’y a pas des jours et des années, mais seulement des instants qui, en un clin d’œil, passent inaperçus. Mais les images qui restent et reviennent en nous des choses qui passent font en sorte qu’elles reçoivent quelque chose de semblable à la réalité. »
Et :
« Sous le mot aujourd’hui nous comprenons les parties du jour passée, présente et future. Mais ce que nous nous représentons proprement comme réel, n’est donc toujours que l’instant présent. Que je me sois promené ce soir dans le jardin de B., cela ne pourra plus jamais arriver dans le même temps. – En Dieu, cela arrive encore, en Dieu j’ai encore la pensée que j’avais alors, et je pense en même temps ma pensée présente. »
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Soulever des banalités ? le vide s’engouffre, sifflant... et quel genre d’interrogation-réalisation se forme alors, comme des coagulations en suspens ?
Soulever..., oui : une sorte de savoir-faire... comme celui du merle qui du bec arrache du sol des feuilles ou des sortes de gâteaux de feuilles brunes crispées de givre et les jette épileptiquement de côté...)
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Soudain, la certitude dans l’incertitude... N’avoir qu’à accepter d’être – de sentir-penser-former – « en plein dans... », sans destination...
Depuis toujours – même enfant ? rue grise, air trop : trop peu : trop réel ... – s’imposa cette évidence d’avoir à réaliser ( seul) ce en quoi j’étais, à donner immédiatement toutes mes forces, à restituer ma substance même.
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Il y a ces moments violents où chaque individu me semble comme arraché à de la pâte commune.... Le voici visible dans sa particularité : nu, jusqu’à l’obscénité, ou écorché, visage plaie dans le vide...
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depuis plus de quarante ans, j’ai noué des pactes spécifiques avec de très laides constructions dans la rue. Est-ce du fait qu’elles sont là depuis longtemps ?
Ma répulsion ne s’est pas atténuée pour les immeubles prétentieux construits dans la rue Tudelle (ou, déjà, la rue du Lièvre d’or ?) il y a trente ans peut-être, et qui ressemblent à des chasses d’eau mussoliniennes.
En revanche, au bout de la rue (non loin de la confluence avec la rue longeant le Jardin des Plantes), il y a un petit immeuble de plusieurs étages particulièrement revêche, un bloc gris planté là... Et là, en effet, là seulement, les intérieurs éclairés que j’aperçois du dehors me donnent à imaginer, ou plutôt me mettent en suspens... Il y a deux ou trois jours, je me suis interrogé en constatant qu’auprès de cet immeuble, était fermée la porte d’une grille basse coupant en deux le terrain adjoint à l’immeuble et tout aussi inerte et terne que lui... : dépourvue de sens, cette fermeture ou coupure, puisque rien ne se trouve enclos, les deux moitiés de l’espace ainsi scindé étant chacune ouverte, l’une sur la rue du Lièvre d’or, l’autre sur la rue du Jardin des Plantes.
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*** Tout devrait devenir interrogatif. Manger, par exemple. Prendre soin de soi.
(Du moins ai-je désiré obtenir ce déverrouillement des gestes intimes...
spécialement quand j’ai écrit Ici.
J’ai échoué.)
Le moindre geste de la vie, le plus intime-dérisoire – cerné-mordu de lumière, silhouette noire à contre-jour –,
s’adresserait ... non... toucherait ... mordrait
(doigts, paumes, lèvres-dents pesant contre une vitre invisible)...
à un horizon qui ne pourrait qu’être
presque là, désormais (maintenant ou jamais !), à portée,
rayonnant oui, là, énorme, globuleux, orangé.
On lit, au début de « Quand la nuit sera tombée », poème de Lee Seong Bok (traduit dans Des choses qui viennent après la douleur), des vers qui sonnent comme une promesse ambiguë :
Quand la nuit sera tombée
Le chemin te conduira
N’hésite pas
Comme l’enfant mort qui flotte sur les vagues
Nous flottons dans le regard de notre mère.
Ces vers sont équivoques : ils unissent un enfant mort à un regard enveloppant dont « nous » avons tous besoin ; et c’est sur ce fond qu’ils ont, d’abord, esquissé la certitude d’un chemin dans la nuit… Lee Seong-bok s’attache à trouver et à affirmer la continuité – avec le sens du passé et celui des liens à travers les générations – là surtout où elle est douloureuse :
Ils sont passés les jours irremplaçables
Quand la rivière coule vers le ciel,
Quand les rayons de soleil se brisent contre le riz pour les gâteau de fête
Si nous souffrons
C’est que la vie nous aime
Et encore, dans le même recueil
Celui qui aura longtemps souffert saura
Que l’humiliation qu’il a tant voulu éviter était un dense,
Un dense amour
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***« quand et comment doit-on prendre la parole... »
Une lettre de Kafka à Brod, 25/10/1908, citée par Pawel dans Franz Kafka ou le cauchemar de la raison p205.
« ... une question seulement, si tu pouvais tout de suite y répondre. Quand huit personnes, par exemple, se trouvent à l’horizon d’une conversation, quand et comment doit-on prendre la parole pour ne pas avoir l’air taciturne ? Que diable, ça ne peut pourtant pas se faire arbitrairement, surtout lorsqu’on ne participe positivement pas plus à la chose que ne le ferait un Indien. Que ne te l’ai-je demandé plus tôt ! »
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Keats, lettre à James Rice 24 mars 1818..
Après une présentation semi-burlesque de Milton [ai-je noté en 1992] :
« And a certain bulk of water was instituted at the Creation – so very likely a certain portion of intellect was spun forth into the thin Air for the Brains of Man to prey upon it. »
..............
*** Masse opaque : comment reconnaître, comment nommer, la chose commune, celle à laquelle chaque individu ne pourrait qu’être lié ?
(ces mots eux-mêmes me viennent comme de l’écume non aux lèvres mais comme en plus de mes ébauches de phrases, en trop, évidences écumantes de crêtes de vagues)
... à elle, sur elle, dans de multiples registres (économique, politique, symbolique et qui
qui au demeurant se brûlent réciproquement les uns et les autres),
tous, se la disputant, la plissant, l’étirant et déchirant,
s’attachent et tirent, soutirent...
mais il faut qu’en même temps elle se ravale constamment en elle-même
car si elle ne se reformait toujours, cruelle, inerte ou furieuse,
en plein « entre tous »
(quelle substance ... – oui... il faudrait des adjectifs pour la freiner, la coller, la .... –
sanglante-écumeuse, vitale et mensongère, monotone-bariolée ?)
il n’y aurait plus rien sur quoi (avec et contre tous les autres)
désirer avoir prise
.........
Si mal rassemblables, ces notes. En fait il leur faut réaliser de l’inenveloppable, elles déchirent des plis...
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Dans un réseau des phrases lancées comme un épervier se déployant au-dessus de l’eau pour y retomber, on capte ce qu’on ne prévoyait pas..., ce qu’il faut, vivement, réaliser plus que savoir.... pour qu’il arrive ... quoi ?
Dans les évidences immédiates-abstraites et pourtant très concrètes, dans les plis du temps ou espace communs qui se prennent dans nos phrases, deviennent soudain sensibles des présences ou puissances, des pôles d’inflexion, des sphinx palpitant translucides – autant d’instances qu’on aura sans le savoir impliquées affrontées ne serait-ce qu’en prenant intérieurement (et alors les phrases ne sont que fils de suc psychique oisseux refusibles) la parole.
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En même temps, une part de ce qui fut capturé et plus ou moins dit dans le poème Papiers ! devait avoir (avec la présence de K., qui est déjà dans certaines de ces lignes, sans être identifié, ni même distingué) des conséquences très réelles dans la vie tout en réclamant bientôt d’autres tentatives d’écriture, d’un registre un peu différent
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Sensations politiques errantes...
Est-ce de pouvoir qu’il s’agit chez Walser ?
de l’ambiguïté de tout rapport au « haut », à ce qu’on regarde avec respect ?
Le faire tomber.. et alors de l’énergie folle se libère dans les phrases inarrêtables
Une citation de Walser copiée (de L’institut Benjamenta, p110) il y a plus de vingt ans :
« Nous commandâmes encore de la bière et mon interlocuteur reprit : « Espère encore sans rien attendre. Regarde au-dessus de toi, bien sûr, car cela convient à ton âge. Tu es jeune, Jacob, honteusement jeune, mais aussi avoue-toi toujours que tu méprises ce vers quoi tu regardes avec tant de respect. Tu approuves encore ? Diable, quel auditeur compréhensif tu fais. Positivement, un arbre ployant sous les fruits de la compréhension. »
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***What do we depend on to make us feel alive, or real ?
Winnicott, cité par Adam Phillips (Winnicott p.5) :
« If you show me a baby you certainly show me also someone caring for a baby, or at least a pram with someone’s eyes and ears glued to it. One sees a « nursing couple ». »
Et Phillips :
« What do we depend on to make us feel alive, or real ? Where does our sense come from, when we have it, that our lives are worth living ? »
Consubstantialités de vies... Dépendances, à jamais ? Henry Moore.
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Sans doute y a-t-il, en-deça d’écrire, de faire œuvre..., quelque chose de plus archaïque et plus réel que j’aurais voulu, un jour, vivre.
Et souvent réaliser des écrits aura été comme un pis-aller ou une trahison de ce que je ne sais, n’ai jamais su, nommer.
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***Empiètements...
Je n’ai rien, aucune richesse « intérieure » – ne possède « en moi »... non... rien. Seule vaut l’énergie, équivoque, de réaliser verbalement des pauvretés, ou des étrangetés douteuses – comem celles qui me font empiéter de côté... sur des territoires où je n’ai pas place... avec des raisons douteuses... : voir/-etre vu, être vu voir, être désiré..., se rendre indispensable, se faire regard dont on aimera être enveloppé
cela va de la relation longue avec K à la Corée (le mélange de sérieux et de visions se fabriquant en l’air) ou à des enchevêtrements brefs du voir être vu, sentir, être sentir essentant, etc. dans la rue
empiètements réciproques, mais toujours à contre-temps, contre-zone ou niveau dans la vie à deux – ou plusieurs ?
et en même temps la surprise sinistre : comme on peut être étranger l’un à l’autre... comme si jamais il n’y avait eu d’intersections...
Encroachments : le mot anglais m’est venu, expressif – ni plus ni moins, mais autrement... les deux langues justement là, sans se superposer, se redoublent, s’accrochent...
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Hier, 28 janvier... j’ai fait une chose un peu folle, une bêtise... J’arrivais vers 18h30, par le métro, à Austerlitz pour aller dîner avec Jean dans un restaurant japonais sur le Bd de l’Hôpital...
La nuit était humide et assez froide. Dans la cour de départ, que je traversais, un homme (jeune, guère plus de vingt ans) était assis adossé à un mur. Il avait un bonnet, une couverture sur les épaules, mais ses jambes, étendues sur le sol, étaient nues. J’ai eu peur... Je me suis approché (alors que tout le monde passait très vite) et je lui ai donné un euro. Il m’a alors attrapé la main, et a tourné vers moi un visage plaintif... Dans ses bredouillements, j’ai compris qu’il me demandait de l’argent pour acheter des chaussures... Je lui ai donné 20 euros ...Une folie par rapport aux aumônes habituelles. Une folie médiocre. Il a continué à supplier : il avait vu des chaussures à 40 euros place d’Italie. Si je lui donnais encore 20 euros, etc. Je lui disais que je n’avais plus d’argent... Il s’est mis à me dire qu’il y avait tout près un distributeur (il connaissait donc celui de la poste toute proche). Je lui ai donné encore 20 euros (je me disais : j’aurais aussi bien pu dépenser cette somme en livres, ou j’allais au restaurant et..., etc.)... Il a continué : cinq euros pour s’acheter à manger, etc.
A peine m’étais-je éloigné que j’ai pensé qu’évidemment tout cela était une mise en scène étudiée. Des vêtements, des chaussures, il devait en avoir, cachés non loin de là. Sans doute des « complices » attendaient-ils – et riraient de ce vieux sentimental que je m’étais révélé être, trop prévisiblement...
Je réentendais la voix : « Popa ! Popa ! » Mais oui, c’était le même mot que celui que des gamins avaient utilisé un jour sur la place d’Arc à Orléans (devant la gare)... (Deux enfants, pas même adolescents, Roumains... j’ai dû noter ça aussi, mais où ?
Je me suis sentis, je me sens risible...
Et en même temps : me revient l’évidence que pour en arriver là, à se mettre en scène come le faisait ce jeune, il fallait être contraint, poussé, etc. Par là ce à quoi j’avais eu affaire n’était pas une simple mise en scène dupant un « barbon », mais une réalité lourde aboutissant là, à cet endroit de la cour, pesant là...
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***Des choses arrivent – mais si rapides en leur réalité de projectiles que, braises sifflantes, il n’y a rien qui puisse s’en saisir : elles s’évanouissent dans la brûlure qu’elles provoquent.
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*** Cri
7h, mi-février 2012, je suis sorti en courant, le jour n’est pas levé, la nuit a été glaciale.. . La Loire est totue proche (animaux... il arrive que des oiseaux aquatiques se retrouvent dans l’aube les pattes prises dans la glace)
dans la rue traces blanches et noires de dégel, flaques plissées sur le trottoir où je cours ...
Du carrefour noir luisant jaune entre pont et quai de Loire arrive soudain, déchirant l’humidité, un cri inhumain – c’est-à-dire trop humain : terrifié-terrifiant, long, très haut et fort puis s’abaissant...
Les passants ou les silhouettes qui attendent à l’arrêt de tram se sont tournés d’un seul geste dans la même direction.
Un cycliste – le cri n’a pu venir que de lui – a été touché par une voiture. Touché, par renversé. La voiture a dû freiner brutalement in extremis (mais je n’ai pas entendu de crissement de freinage). Le capot, on le voit soudain comme un gros museau qui n’a pas blessé. Le cycliste tourne son vélo et, par la vitre que l’automobiliste a baissée, a un bref échange (inaudible de là où je suis) avec ce dernier. L’un et l’autre repartent presqu’aussitôt. Le cycliste a son phare qui clignote.
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Anticiper dans les rues ou là en passant d’une pièce à l’autre le fait ou l’éventualité que je vais noter... Ou –degré de plus – que je vais « publier » (si minusculement que ce soit) telle ou telle note,
voilà ce qui risque de s’insinuer dans les instants, dans leur rapport à ces imprévus dans le prévisible...
Ce n’est rien, c’est enfantin,
il faut simplement le réaliser aussi...
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*** A Carrefour –pourquoi certains achètent-ils des baguettes de pain par paquets de cinq ou six, voire plus, dans du plastique transparent ? Ce sont presque toujours des noir(e)s ou des « arabes ». Je voudrais demander à l’un de ces acheteurs ... ou à une caissière... si certains se nourrissent quasi exclusivmeent de pain...
QU’est-ce qu’en fait je voudrais « savoir » ou « comprendre » ? Il faut qu’il me suffise d’être livré à l’impact de « problèmes » que je sais pas – à des paquets d’intenable – filant dans l’espace-temps, déchirant au passage tout « soi » qui se voulait réceptif, et trouant tout « dans » possible...
...
***J’ai envie de voir (ou de retenir de ce que je vois... , soudain alerté, et désireux de noter mentalement, au vol, de photographier d’une esquisse verbale) ce qui, partout, disjoint, rend non unifiable, impossible à envelopper dans toute idée qu’on aurait du « monde », etc.
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Quels genres de conséquences (me dis-je affolé) aurais-je dû tirer de ce qui arrivait ? Sur quels plans multiples ? Comme si, à travers ces derniers, chaque événement créait – ou aurait dû créer (c’est tout de suite trop tard) – une trouée, une cascade noire brûlante transperçant presque instantanément des surfaces gelées é
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La musique, omniprésente, s’écoulant dans les rues ou dans la maison, tout cela n’est-il que « suppléments», que l’huile de graissage permettant de mieux faire fonctionner les mécanismes économiques ?
Il faudrait, par les phrases-poèmes, se greffer là-dessus, détourner la substance de ces suppléments, leur nécessité dérivée, à côté de celle des fonctionnements massifs de l’économie.
Le « en plus »... toujours présent, partout... suintant là même où les contraintes se font très fortes...
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*** L’entrée commune de la maison est sale. Depuis ce matin (13 février 2012) il dégèle et le sol du couloir est boueux. Quelques bouts de papier – l’emballage d’un bonbon – sont tombés par terre et y restent plusieurs jours. Nous avons renoncé à faire venir la femme de ménage envoyée par une association : elle était si désagréable que c’était, à chaque fois, une épreuve. En dehors d’elle, j’aurai été, depuis des mois, le seul à laver, parfois, ce couloir ou à balayer l’escalier collectif. Faire le ménage pour d’autres ou pour la collectivité : est-ce une humiliation ? Hier soir, à 23 h., H. regardait à la télé un film sur les noirs en France, sur leurs vies à Paris ou à proximité dans ces dernières décennies. Vieilles images en noir et blanc. Un homme noir âgé, filmé aujourd’hui, après avoir dit que lorsqu’il était arrivé jadis en France il ne parlait pas le français, déclare, avec un sourire ironique – et ses paroles sont accompagnées de la photo, ancienne, en noir et blanc, d’un grand noir jeune couvert d’une cape imperméable, debout sur un trottoir luisant de boue et de pluie, et tenant un de ces rudes balais qui semblent faits d’un fagot – : « Au début je trouvais humiliant de balayer sous les yeux des jeunes filles qui passaient. J’avais tort. Il n’y a pas de sot métier. »
Je ne me suis jamais senti humilié par une tâche qui me tombait à faire. A guère plus de vingt ans, infirmier à l’armée, j’ai transporté la pisse et la merde de soldats isolés pour risque de contagion : sans problème, voire sans dégoût. (QU’est-ce qui me permettait de ne pas craindre d’être par là « abaissé » ? de ne pas me sentir avili ? Qu’est-ce qui me donnait la certitude d’avoir, au fond, affaire à une égalisation apaisante ?)
En revanche, il m’est souvent arrivé (depuis l’enfance jusqu’ à l’âge adulte – comme pion, comme prof) de me sentir brûlé, couvert de cloques, sans peau, à me découvrir intentionnellement ridiculisé.
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« Avec » : je repense à mes conversations avec K.
J’ai essayé à plusieurs reprises d’écrire l’entre, ou l’avec , ou ce qui se construisait quand nous parlions en tâtonnant...
Tout à l’heure, à propos de nos façons de converser à travers hésitations ou malentendus, j’ai repensé à un passage d’une lettre de Kleist que j’avais cité dans un article sur des correspondances d’écrivains que j’avais publié dans Passé présent au début des années 80.
« Rentrant en ville à la tombée du jour, Kleist [avais-je alors écrit] passe par une porte voûtée qu’il décrit (et dessine) pour Wilhelmine. » Et je citais Kleist : « Pourquoi, me demandais-je, la voûte ne s’écroule-t-elle pas, alors qu’elle n’a rien pour la soutenir ? C’est, répondis-je, parce que toutes les pierres à la fois veulent tomber – et je retirai de cette pensée une consolation indiciblement réconfortante... »
Lisant ce passage, j’ai (et j’avais déjà eu en 1982) l’impulsion d’y voir une image pour quelque « avec », par exemple pour sa relation à faire tenir avec Wilhelmine. Mais la suite de la lettre qu’il ne pense qu’à lui-même. « Ne songeant qu’à lui seul [avais-je écrit], il y trouve « l’espoir que moi aussi je me maintiendrais si tout venait à me laisser sombrer. » Peut-être a-t-il, un instant, vu dans ces pierres qui « veulent tomber » mais qui , du fait que leurs respectives aspirations à la chute sont simultanées, se maintiennent en l’air, une image encourageante des parties de son être en proie au risque d’incohérence.
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Bêtise constitutive de la filiation ?
Une fois, voyant une de nos chattes transporter l’un après l’autre ses petits dans le chemin le long de la maison, les laissant tomber de sa gueule sur le sol, les ramassant, je me suis dit qu’il lui manquait une main, un bras...
Hé bien, c’est aussi aux parents humains qu’il manque, pour vivre leur lien avec leurs enfants, je ne sais quoi dont on sent que ce serait absolument nécessaire.
Avec « mes enfants », je n’ai pas su, pas pu... Et cette impotence n’était pas seulement le fait de nos particularité...
Où ai-je entendu une histoire de père juif qui, en difficulté avec son fils bientôt adulte, s’était tourné vers « Dieu » en lui remettant la responsabilité de tout ce qui, désormais, pourrait advenir ?
Dieu, donc, en ce sens, oui, peut-être : un souffle de terreur, fraîcheur et soulagement, transit – pour dessaisir chacun d’une responsabilité croissant jusqu’à la folie – les rapports les plus constitutifs de la continuité de la vie.
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empiètements dépendances
bords rongés reconstitués aigres
Est-ce l’âge ? Je crois sentir bien autrement qu’auparavant les dépendances à tous niveaux...Bien plus largement que dans les besoins multiples et jour et nuit exigeant... Mais aussi dans ce qu e chacun croit lui être réservé, dans la réserve propre de quiconque...
empiètements accès cruels, féroces même, à l’entre
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Poèmes : c’est, disait l’autre soir l’archéologue, ce qui dure plus que tout. Plus que tout édifice (bois ou pierres).
Oui. Et on rêve. Se rassure ?
Mais c’est aussi bien, pour nous – en un autre sens ? – ce qui, peut aussi bien n’avoir pas été : ce qu’il y a de plus ravable par le temps (comme, dans un air surchauffé, de l’humidité sur un carrelage fraîchement lavé).
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Souffles : ceux qui régulièrement font que c’est comme si je n’avais jamais rien lu, rien écrit, rien pensé.
Est-ce du trop de déjà là que naît parfois un souffle qui balaie tout ?
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Notes échos notes-alertes notes nues notes terreuses notes opaques notes mortes notes qui vont s’écraser notes perlant de quel suc quasi organique notes ferreuses notes à heurter (comme d’un bloc-battant horizontal en bois) et ... qu’alors elles sonnent claires
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Souffles : ceux qui régulièrement font que c’est comme si je n’avais jamais rien lu, rien écrit, rien pensé.
Est-ce du trop de déjà là que naît parfois un souffle qui balaie tout ?
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*** liens
Matin: carrefour de liens, retrouvés dans la cuisine, au-dessus de la bouche noire de l'évier,
se renouer à la veille... à travers l'interruption de la nuit, du sommeil? non: avec son afflux autre, vital, fût-il de trois heures,
interruption et comme des vaisseaux tranchés
recoudre...
faïence, reflets de flamme de gaz, odeur de viscères
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L’entre tous et tout (corps, pensées, choses vivantes ou non) :
moins à savoir qu’à faire être, à ré-induire continument.
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Notes échos notes-alertes notes nues notes terreuses notes opaques notes mortes notes qui vont s’écraser notes perlant de quel suc quasi organique notes ferreuses notes à heurter (comme d’un bloc-battant horizontal en bois) et ... qu’alors elles sonnent claires
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*** Pouvoir être interrompu: Oui, ça a une allure de faiblesse, mais ça demande de la force. Une journée de travail universitaire peut m'en rendre incapable, m'ayant coulé dans une seule direction, dans un mouvement d'attention trop uniorienté. Alors que soudain, c'est une joie, une chance ( à l'aube, ou bien parfois dans l'extrême fatigue et le ralentissement du soir ), de pouvoir se laisser interrompre, intercepter, gifle d'air, puissance cruelle du sensible... (Oiseaux...) Même quand on est obligé de parler, d'être présent comme quelqu'un de fixe, de stable, de responsable, qu'on pourra retrouver comme même, continu, il est possible de se laisser interrompre... par les autres, dans la conversation, dans l'attention, soudain on les sent dans leurs gestes, leur envie de (vivre ? exister parmi ? être visibles ?), leur façon d'être de leur propre côté, et ils sont pris dans une énorme bouffée indéterminante qui est donnée là à la syncope qu'alors simplement pour une seconde non vraiment comptée dans la successions des instants j'aurai été.
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J’avais cru entendre un coup de sonnette
Je suis descendu.
Personne n’est venu.
Compteur à gaz grince dans l'ex-garage encombré, sentant le bois de cageot légèrement pourri et la sciure mêlée de vieille poussière d'excréments de rats peut-être, de pisse de chien en tout cas
comme jadis à Bourbous, dans la cave sous le poids de la maison sévère (aujourd'hui presque abandonnée), si massivement minérale ( tout était blocs de calcaire ocre gris, l'évier coulant dans la cour, les étagères ou niches où ranger le sel, etc.) (accumulation de ces grosses pierres calcaires qui, dans beaucoup des maisons voisines effondrées, se voyaient nues, soulevées par des racines, des pousses d'arbres, du buis, et sillonnées d'eau, entamées de gel, légèrement décomposées en argile orange)
la puanteur d'ammoniac des poulets qui (attrapés dans les volières - ou encore devant dans le plaisir de la tiède nuit tombante - un par un ou à la rigueur par deux, main passant sous les ventres tièdes, saisissant d'un coup les deux pattes, pépiement gloussement battements d'ailes) étaient restés là depuis, piétinant, piquant du bec, grattant,
et qu'à l'aube on égorgeait tête en bas (cri rauque à chaque fois aussitôt étouffé par un sanglot de sang s'écoulant puis doucement dégouttant)
et hâtivement plumait: couteau, caoutchouc, tôle maculée, paraffine chaude se tendant craquelant sur les corps jaunes hérissés, peau tiède faite sur peau là trouvée vive et déjà froide.
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Voudrais-je que des pensées ou des phrases ou des prises sur... quoi ...
agissent d’abord sur « moi » ?
Ou bien qu’elles se réalisent en descendant à travers « l’être soi » qui m’est échu dans sa pauvreté et ses mensonges, sa sottise constitutive, et alors le fendant, le disjoignant, le pulvérisant,
pour trouver et concrétiser : « Mort, aride rivière... » Ungaretti (Voir « La vie douce 6 »)
réaffronter enfin en lui l’opacité dans toute sa généralité
en y rayonnant explosant ?
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Qu’elles créent, ces notes-lames, des « états » qui n’auraient plus d’après, qui seraient des instants sans instants suivants... enfin !
Aube perpétuelle ?
... les heures de la nuit d’avant le jour, les étirer... et qu’elles craquèlent en fissures blanches – perlant alors de possibles notes, de micro-libertés (qui vont s’évaporer)...
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Il n’y a pas de mots, quand le jour se lève, en mars , pour l’évidence de
la fraîcheur du ciel ou pour sa matière (presque une chair) la plus réelle – et donc introuvable
c’est une chance
ou de l’irréfutable
entre les arbres échelonnés
dans l’air rouge
cerisiers nus (des bandes d’écorce se sont enroulées pendant l’hiver, gouttelettes de suc orange), ou branches s’élevant au-dessus, tout au fond, théâtrales et poudrées, du cèdre...
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Notes de pré-aube : en elles, quel dur de fait ?
les écrire – les « fixer » –, c’est les retrouver telles qu’elles n’ont jamais existé,
et cependant comme déjà là,
telles qu’elles se sont (graffiti virtuels dans le sommeil, ou entre moments et états dénivelés de la journée, ou dans la rue, ou en s’occupant de tout autre chose, etc.) précédées elles-mêmes.
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Matériaux, encore en attente, un certain nombre de ces notes ?
à « reprendre » un jour ?
quel geste faudrait-il alors, quel rabattement quasi transcendant (comme un pli voûté de lourde étoffe bleue brune), ou quel retournement d’une main soudain libre dans une inaccessible quatrième dimension ?
(aujourd’hui, ici, rien ne glisse sur ces phrases ébauchées sinon – les réduisant à ce qu’elles sont – une lame.)
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Voici qu’en s’astreignant à se fixer ici ces notes (comme se cherchant réciproquement, se palpant l’une l’autre de phrases-antennes) tendent à se lier : tentation de narrativité, ici, ou, là, tentative d’interrogation plus continue...
Renoncent-elles alors à leur autonomie, à leurs multiples micro-libertés ?
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Mais aussi : par certaines notes – comme celles-ci – , y aurait-il à délivrer, à déverrouiller et déclencher, une plus mordante et broyante activité (comme de mandibules chitineuses, noires orangées, d’insectes constamment au travail)
susceptible de devenir celle, quasi insue,
de notes futures?
de leur minime activité perpétuelle ces notes à venir attaqueraient
elles sauraient s’en prendre directement aux tenues des choses réelles
s’agrippant aux emprises vitales transperçant les consistances-croyances
elles en feraient s’exprimer les sucs vitaux-rêvés
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Ce fut souvent, des années durant, sous l’effet et par l’effort d’autres tentatives se consacrant à des « sujets » déterminés (avec une obstination comme butée ainsi ma récente – mais vieille de combien d’années ? – tentative sur la puissance de la bêtise),
qu’auront suinté certaines notes...
surcroît, alors, bleu de prusse,
sueur qui perle...
Et pourtant c’est celles-là même qui seront restées en connivence avec l’indolence ordinaire ; elles n’ont pas cessé d’incorporer du temps sans but, le plus vitalement fade.
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A l’aube, mais si tard, reviennent (pour n’avoir jamais été notées ?) – comme des odeurs, des chuchotis ou des parasitages de l’immédiat – de marmonnantes « sensations politiques »...
... constitutive fut, dans les années d’immédiate après-guerre (deuxième guerre mondiale), contre la joue,
l’odeur-souffle d’un poste de radio, chaude:
bakélite et poussière, elle émanait d’une petite demeure derrière un rectangle de toile verdâtre tendue (auprès de la petite vitre portant les noms des stations) ;
une minuscule ampoule, filaments orangés, y brûlait
des voix, peut-être des micro-personnages logés là, tressautaient bougeaient ...
voix nasillardes dans la cuisine mesquine d’alors : elles venaient du fond de l’espace comme aujourd’hui de celui du passé
aride, ce fut bientôt le temps de la guerre de Corée, 1950-53 (« Temps du monde : la Corée » écrivit à l’époque Vittorio Sereni),
il s’insinuait comme une odeur en trop dans dans celles de l’entre-soi familial
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... et l’Indochine ? l’Algérie ? énormes masses, pressions inflexions courbures orangées de tout le passé
les faire venir... dans quelle attention d’après-coup,
les dilater nuages-terres sanglants
les dilacérer enfin, rageusement, dans un coin, suppléant l’enfant qui ne pouvait...
.........
ah ! (8. h., début mars) : qu’est-ce qui vient de cligner dans la minute précédente, au-dehors ?
Aux ramifications noires qui sur fond du ciel pâle de l’aube paraissent, vues d’ici (à travers les vieilles vitres, verruqueuses par endroits), aussi fines
que des mailles
s’est pris ... quoi ... une palpitation – un battement, probablement, d’aile (à contre-jour), ramier ou corneille...
et tout le senti a été, vibrant comme une toile,
brièvement sûr
rien de « nécessaire » ... mais ... si cela
n’arrivait plus
jamais... alors... quelle
mort ?
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Tout simplement infixables, ces notes : dès qu’elles se saisissent, si peu que ce soit, de ce qu’elles désirent, elles perdent toute stabilité.
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Une vie durant : de la « poésie-peut-être » ?
bien sûr, pas de nom pour ça, jadis, dans l’enfance, après guerre (en rentrant le soir, dans la rue grise orangée... décombres blancs béants)
impossible, en ce temps-là, d’en parler ou de s’en rien dire...
poésie, cependant, comme arrachement ?
espoir de jadis... à reconnaître enfin ?
avoir prise
en certains instants (dans les odeurs d’herbes agrippantes au pied des murs), par la seule faiblesse-force du sentir
sur quelles puissances mouvantes qui
se retournant sur « moi » – sur la charge qu’il se révélait impossible de ne pas être pour soi-même
m’aurait arraché de ma place,
ou auraient ressaisi ma propre réalité
– pour la refondre et
me faire substantiellement devenir ce qui ne serait plus, enfin,
un « soi » que mêlé de souffles libres, d’éclaircies, d’altérités palpitantes ...
...........
Rien, dans ces notes, ne se sera réellement mis en mouvement si elles ne se simultanéisent pas sensiblement (dans quels éclairs d’évidence ?)
avec
ce qu’il doit en être pour les autres – c’est-à-dire encore pour moi (la question me revenant plus vive d’être passée « au-dehors » –
du désir ou de l’espoir, vague peut-être mais tenace, de « se restituer » ...
Que puis-je en savoir, en percevoir, en deviner, dans la rue par exemple ? Quoi d’autre que de pauvres idées, de grossières représentations (il n’y aurait, chez « les gens », que résignation à de l’effondrement lent, ou une décomposition vague du « soi »... – mais non... peut-être pas... ) ?
...........
Politiques, certaines au moins – depuis toujours – des sensations ? N’auront-elles pas plutôt été des résistances ou objections à toute politique (effective ou possible) ?
Moussant rageuses dans le plus familier, souvent impuissantes, ces sensations ... : rebelles ? « petites bourgeoises » ?
Non non... je défigure bêtement... comment retracer ce qui là se refuse et fuit ?
...........
Réalisme brusque (au réveil) des liens ou liaisons et connexions :
une douche dans la nuit ( fouillis de branches de glycine vaguement éclairées par le vasistas) ( gel dehors?) :
l'eau chaude dans le bruit du chauffe-eau, sa chaleur je la sens soudain comme
soustraite à quoi ?
et puis tout, brusquement, l’eau, le gaz, les fils électriques, se rappelle comme ce que c'est : abouchements, prises sur des forces, des réalités ailleurs préparées, du temps soutiré, une sorte de suc circulant s’échappant et ...
dégoût, soudain, de cette sensation multi-ombilicale
dans la vapeur ?
dangereuse la tentaculaire dépendance ainsi réalisée tout pourra toujours – voire voudra – s’éteindre ou se tarir
...........
« What do we depend on to make us feel alive, or real ? Where does our sense come from, when we have it, that our lives are worth living ? »
Adam Phillips (qui cite Winnicott : « If you show me a baby you certainly show me also someone caring for a baby, or at least a pram with someone’s eyes and ears glued to it. One sees a « nursing couple ». »)
Dépendances, oui, à jamais ? Consubstantialités de vies... (Henry Moore : liens réalisés – en bronze).
.............
Se défaire, enfin ... de quoi ? Se faire plus que nu ?
Hwang Ji-u : « Quand j’enlève mes vêtements dans la salle de bains, il y a quelque chose d’autre que j’aimerais enlever. »
.........
Une doublure-attention continue et indéchirable pour tout ce qui pourrait arriver... : ces notes seraient-elles autant de traces morcelées de la recherche d’une réalisation à quoi en général on renonce (se contentant de rêveries diurnes) ?
Du « mien » ou du tout autre, vibrant au fil des minutes ?...
Une altérité translucide s’étirant pour chacun tout le long du jour, se moulant sur les événements de toute espèce, collée en une tunique contre les moindres instants, et les consumant à mesure...
Utopie intime... sourdant, par moments, irrépressible, pour chacun ? – dans la fatigue de la rue, dans le train ou au fil des occupations obligatoires...
de l’inévitable chez quiconque
et, simplement, s’exposant dans les présentes notes ?
...................
Notes, vite, au moins virtuelles, immanquablement abouchées aux coupures, aux intersections du temps
et surtout
entre sommeil/rêve et
réveil
: il faut qu’elles naissent là où les attentes ou doutes de la veille,
se réouvrant (dans la brusquerie des gestes pour se rhabiller..., luttant avec les tubes ou embranchements à odeurs des vêtements...),
ne peuvent,
vaisseaux tranchés dans l’air,
que sangloter de la substance psychique
..........
Des fourmillements soudain réapparaissent, dans la lumière d’aube, ou sous le néon de la cuisine, et grouillent (alors que je croyais avoir fixé quelques phrases : ce peu de notes)
micro-terreur...
plus que n’importe quelles autres, les phrases des « notes » devraient ne jamais faire oublier celles, à demi formées, multiples, fuyantes, contradictoires, qui les ont précédées...
Tout achèvement unifiant-broyant donnerait-il à ces notes un goût de mensonge..., une odeur d’insectes écrasés ?
...........
Renaissent-elles toujours, ces notes
... proliférantes ébauches comme une végétation d’emblée sèche ?
pour se dérober, à toute puissance d’un tout en formation et qui exigerait que chaque esquisse locale se donne à l’ensemble, se sacrifie ou, du moins, se laisse précisément contenir par ce qui lui mesurerait sa place... ?
Cette instance d’un « tout » : l’œuvre au sens « absolu » de Flaubert – et « reçue » par Kafka – se trouverait-elle tacitement confrontée à l’appartenance sociale au sens moderne, à l’état-nation et (projetée massivement par exemple dans Salammbô) à sa monstruosité sacrificielle ?
(Qu’est-ce qui peut en être sensible dans les dérobements constants de ces notes ?)
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Et cette autre prolifération, celle des paroles dans la conversation ?
Porc, me suis-je dit en me voyant (m’étant arraché un instant, presque malgré moi, à la conversation à l’étage au-dessus) dans la glace sale au-dessus du lavabo des toilettes du café, tu es rosâtre d’excitation verbale.
Qu’est-ce qui m’a pris ? pourquoi cette volubilité démentant instantanément tout ce à quoi j’aurais voulu croire tenir ?
Cette excitation (chaleurs des joues) se retrouve-t-elle dans mes notes ? me suis-je demandé, écoeuré, dans le train, la rue, la nuit, au-dessus de la Loire.
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« Plus que tout j’écarterais ces paroles que les lèvres plutôt que l’esprit choisissent, ces paroles pleines d’humour, comme on en dit dans la conversation, et qu’après une longue conversation avec les autres on continue à s’adresser facticement à soi-même et qui nous remplissent l’esprit de mensonges, ces paroles toutes physiques qu’accompagne chez l’écrivain qui s’abaisse à les transcrire le petit sourire, la petite grimace qui altère à tout moment, par exemple, la phrase parlée de Sainte-Beuve, tandis que les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Proust, Recherche, Pléiade, t.IV p.476)
................
Le bavardage intérieur : inévitable – ou même quasi corporel, et moussant, vital ?
alors... se découvrir continument en train de secréter un flot de quasi mots ? est-ce le matériau nécessaire pour tout ce qu’on peut tenter de penser/dire ? comment s’allier, formant des phrases, à cette production crépitante ?
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Qu’est-ce qui, avant toute parole (ou après elle, la ravalant),
bouillonne et clapote « dans la tête » de chacun au milieu même de la rue
quelles ébauches de phrase anticipées, mal formées, se refondant, cuisant...
pour laisser place soudain à ce qui, irrémédiablement, se trouve dit
............
... d’un poème (auto)railleur de Zbigniew Herbert : « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle et se fasse entendre des autres ou de soi comme autre,
cette présence plus réelle que tout, et néanmoins constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
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La justesse : ne saurait-elle venir qu’après de la prolifération d’abord vaine ou plus ou moins grotesque ?
Faut-il qu’elle soit appelée, et rendue douloureusement nécessaire, par des phrases d’abord étouffées-étouffantes... et à ... guérir ?
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Quand vient-il opportunément, ici (ou quand viendrait-il, s’il venait) le moment de fixer des phrases : d’un féroce regard-écoute, s’abattre sur du trop abondant
se recourber, fouiller du bec, dilacérer...
aérer de vides perçants...
... trouver le rythme en un second temps ?
...........
Comme induite par des ébauches trop épaisses (soupe verdâtre),
il arrive soudain – il faut ? – que s’insinue et que rage, seconde,
une spatialisation intense
(animée de quelles forces ?)
... de l’espacement, oui, alors, des souffles, du jugement tacite-tactile, des déroulements qui se libèrent brusquement, ou de l’en même temps qui s’impose non unifiable,
(se crée-t-il alors – comme sous les pesées de pas qui crisseraient, trouant le blanc de brun-mauve – des places, des possibilités de compter... )
.........
... quoi, alors, d’analogue à de ... la « loi » (au sens Lefort) ?
une force-souffle d’espacement ou de soulèvement de toutes les positions de mots dans une phrase ou un vers
analogue (non, davantage : c’est sans doute le même élan ) aux positions-poids des vies dans l’ « entre » ?
chacun se révélant n’être soi que par le passage de l’être-soi en qui que ce soit, indéfiniment
......
« lois brûlées dans l’éclair du silence » (Nelly Sachs)
......
A reconnaître aussi, dans ces notes, des matériaux possibles (pour un temps qui ne viendra que douteusement ?) ...
des tas de terre mentale, des amas de confusion, des chantiers abandonnés sous quel vent de panique (fuite...)
et restés à béer sous la pluie
dans l’air blanc… ?
..............
Parfois, encore et encore, furieusement, s’acharner sur le déjà fait, sur le trop formé-formulé
– et le redécomposer en micro-entités s’évadant, se perdant dans le brouillard ?
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Revenir (en retraversant parfois des années, parfois quelques jours ou simplement deux ou trois heures) sur ce que, en général, j’ai écrit, serait-ce me couler contre mon propre cadavre ?
Peau encore vivante contre peau glacée pas tout à fait morte ... Sueur froide dans l’entre corps, dans le contact mi-vie/mi-mort...
... devant le poste de garde d’une cour de caserne (en Lorraine),
en pleine nuit, dans cette camionnette de la gendarmerie où je n’avais pu entrer qu’en rampant à tâtons,
c’est d’un coup,
et de tout mon propre corps,
que je découvris que ce jeune soldat (vingt ans comme moi)
dont on venait de me dire qu’il était blessé et attendait des soins
était en réalité déjà froid
alors il fallut ...
...............
Trop de notes-papier : retrouvées vieilles et sales ?
Oubliées et conservées ... à ne plus savoir qu’en faire... Trop « matérielles ». Terreuses.
Papiers accumulés (cahiers, carnets, feuilles volantes) :
ils demeurent là, près du lit,
c’est un encombrement... un étouffement... ou d’innombrables micro-gémissements, des odeurs qui réclament
c’est comme si, des morts de la famille, on avait conservé, depuis des décennies, les vêtements, les sous-vêtements, divers objets à usage plus ou moins personnel,
tout ce qu’on n’aurait pu se décider à jeter
(et pourquoi pas des objets de vieillards d’il y a deux cents ans ? ou plus ?)
ou comme si, par exemple, on cohabitait intimement avec les chaussures usagées des morts, cuites au dedans par la sueur des pieds, ouvertes au vide comme des bouches.
...............
... le désir de penser : où, chez qui, en quels endroits (jointures internes d’un individu ou jonctions grinçant-saignant entre plusieurs) de la vie naît-il ou s’insère-t-il – parfois jusqu’à la folie ?
...........
« Penser » ! enfantinement... :
le désir fou ou idiot de « penser »
je n’aurai pas cessé, toute ma vie, de me réaboucher à un instant vécu à l’âge de cinq ou six ans dans la cour d’école
il me fallut alors,
en proie à un éblouissement morne, et pour éviter
ou du moins retarder je ne savais quoi,
m’acharner à compter le plus loin possible
– c’est-à-dire à décomposer le temps
en une immédiatement sensible puissance grésillante
du continu
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Lenz Les Soldats (j’avais jadis plongé dans ce texte après avoir vu à la télé, en 1992, l’opéra, comme en fusion, de B.A. Zimermann) II 2 :
« Pirzel [Bilboquet] lui [l’aumônier Eisenhardt] prenant la main avec véhémence : D’où cela provient-il, Monsieur le pasteur ? De ce que les gens ne pensent pas. (Il se lève et prend une pose très théâtrale, à demi tourné vers le groupe des officiers.) Il y a un Etre parfait. Cet Etre parfait, je peux ou bien l’offenser, ou bien ne pas l’offenser.
L’un des officiers, se retournant : Tiens, le voilà qui recommence…
Pirzel, tout à son affaire : Si je peux l’offenser (il se tourne tout à fait vers le groupe des officiers), alors il cesserait d’être parfait.
Un autre officier : Mais oui, Pirzel, tu as raison, tu as cent fois raison !
Pirzel, se retourne rapidement vers l’aumônier : Si je ne peux pas l’offenser…
Il lui prend la main et reste figé, plongé dans ses pensées. »
Un peu plus loin, derechef : « cela provient de ce que les gens ne pensent pas. »
(Lenz, l’auteur des Soldats, deviendra le personnage en proie au délire, errant dans la montagne, béant sous le ciel et face à la terre, du Lenz de Büchner.)
..........
Chez Platonov (à la faveur de la possibilisation fictionnelle de la révolution, de la guerre ou la terreur, dans la misère, l’épuisement) surgit et revient, chez tel personnage
(dans La Fouille ? Le hameau des cochers ? )
un désir exorbitant de penser…,
penser sans savoir quoi ou à quoi…
ou encore (dans des moments où Platonov glisse à une certaine science-fiction utopiste – Le chemin de l’éther – ) surgit l’enfantin espoir d’une toute-puissance des pensées (celle, par exemple, qui rendrait les pensées capables d’agir à distance sur la réalité matérielle).
...........
Comprendre enfin comment c’est en jumeau de ma bêtise constamment reconstituée – masse gélatineuse du soi/faux-soi –,
qu’il renaît toujours le désir indéterminé (si souvent débordé) de sentir-penser... ?
...........
Parler-penser : dans cet ordre ? Oui, je pourrais revenir là indéfiniment...
c’est bien là qu’il est, tout l’espoir...
les plus gauches, voire épaisses et complaisantes, ébauches de formulations se révèlent parfois pouvoir (en quels instants ? ) céder et induire une marée doucement lumineuse et crépitante qui déjà les soulève, les fait danser...
et c’est alors l’afflux d’une spatio-temporalité qui devient l’élément le plus reconnaissable et le plus infixable
ou bien faudrait-il se rendre compte que la parole d’emblée présupposait mais rejetait aussi (mais pourquoi ?) cet élément… de l’entre, la fluidité entre plusieurs – plusieurs personnes ou moments ou états
...........
Parler/penser ?
Rythmes entre positions se multipliant de qui espace ses propos ou s’espace de lui-même...
Possibilisations et résistances… Elasticité... Tressautements... Ah ! la danse où il faudrait oser...
Faustin Linyekula, quelques minutes... (Ou... Uwe Scholz ?)
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Je me dis que tout moment, fût-ce ou surtout le plus « intérieur », est baigné dans de l’ « entre », est irrigué de cet élément
mais c’est un entre qui est le plus souvent virtuel, qui est comme un manque, une famine en chacun,
et qui demande à être actualisé,
oui, qui cherche à se réaliser « dans la vie », dans les rapports…,
dans l’entre-présence, dans le don (l’élémentaire recevoir/donner, recevoir la force de donner, etc.),
dans le soutien à d’autres (les enfants)
Je « me disais » ça (qui déjà se dilue)… dans la nuit d’avant le jour... celle où on ne sait si les sons résonnent au-dedans ou au-dehors (de la pièce, de la maison, de la tête, de la poitrine, du monde).
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Féroce, soudain, il y a des années, fut la croyance qu’il me fallait, pour obtenir une réalité sui generis des choses pensées/écrites, minutieusement happer, travailler, résorber dans mes phrases toute visibilité que j’aurais pu jusqu’alors, comme quiconque, comme tout humain toujours, désirer pour moi-même...
A Illiers, il y a des années (bien avant la virtualisation-vaporisation par l’ordinateur), dans la semi-solitude à deux (ou à deux demi-deux ) au bord de la Beauce (noire sous le plus vaste ciel), j’ai intensément espéré, sans trop le comprendre – et, bien sûr, sans y parvenir –,
approcher d’une puissance, là sur la table,
sur la feuille
de sentir-penser-dire ou, concrètement,
de former des phrases
qui trouveraient
(avec la complicité – des pressions sensibles comme un grand rabattement – du vide si réel sur la terre des champs déroulés, ou, parfois, la neige, ou les bruits... cris d’âne ou, au printemps, rouge-queue, et les grincements constants des planches d’une énorme porte de ferme)
une part, mais décisive, de
leur matière
en happant (en le rattrapant au vol sous la lampe)
tout désir, tel qu’il pouvait émaner de la moindre ébauche,
d’obtenir de l’attention
ou qui se nourriraient de toute luisante faim de
quelque, oui, visibilité pour d’autres,
pour des regards à distance dans
l’espace ou
le temps,
etc.
.........
Un grand regard rayonnant d’en-dessus ou d’en face pour nous distinguer ou nous préférer...
terrifiant le désir – que je crois sentir chez beaucoup (mais par quelles perceptions ? celle que procurent les journaux ou la télé ? ou simplement dans la rue, dans les magasins ?),
chez tout « nous », probablement, en tout « soi » –
d’être vu de quelque part, d’être su
d’être comme vêtu de
l’éclat d’une attention à « soi » (moi, nous...)
réservée
se défaire par instants de cette emprise ?
il suffirait de réaliser
que, sensible ici dans le détail de ces phrases, se prenant à elles,
elle pourrait leur être – comme par un saut qu’il leur suffirait
de faire en débordant infimement
leur propre contour –
accessible ...
proie, dès lors,
et soudain
à flairer, à goûter en lambeaux violacés ...
comme une chatte mange des placentas
..........
Sensations politiques, vraiment, aujourd’hui plus clairement que jamais ?
Pourquoi y associer ce qui suit ?
(Est-ce de pouvoir qu’il s’agit chez Walser ? ou de la force secrète de l’ « en bas » ? ou de l’ambiguïté féroce de tout respect ?)
Une citation de Walser copiée (de L’institut Benjamenta, p110) il y a plus de vingt ans :
« Nous commandâmes encore de la bière et mon interlocuteur reprit : « Espère encore sans rien attendre. Regarde au-dessus de toi, bien sûr, car cela convient à ton âge. Tu es jeune, Jacob, honteusement jeune, mais aussi avoue-toi toujours que tu méprises ce vers quoi tu regardes avec tant de respect. Tu approuves encore ? Diable, quel auditeur compréhensif tu fais. Positivement, un arbre ployant sous les fruits de la compréhension. »
je n’ai jamais écrit ni ne saurais écrire des phrases de cette liberté, de cette force
c’est une question de position (qu’on ne s’invente pas, qu’on ne peut se donner) dans la vie, dans le sentir-penser, la parole
on ne saurait s’arracher soi-même ... pour se livrer à un vide sifflant et ne se réinsérer que ... que pour...
donc : faire tomber le haut par humilité rusée ? décrocher subrepticement les plis de ce qui se voulait s’imposer magistral-majestueux ? faire s’effondrer ces représentations en lambeaux, en débris retentissants et pans qui tombent en soulevant de la poussière ?
... et alors des éclairs de rire courent au ras du sol inévitable, avec une énergie sui generis
.........
boire dehors, avidement, aux vols tranchants transparents dans la ville
tournoiements de glaces et vitres et corps-visages s'appuyant sur l'air, pris à des images d'attente,
chairs redoublées moins de leurs reflets (dans des vitrines) que de leurs projections pauvres et délirantes
laper continument ces présences invisibles mais constamment devinables dont quiconque s’enveloppe
les happer au vol sur le pont (à la fin du jour au-dessus de la Loire ... saules ...)
s’abreuver surtout à ceux de ces visages entrevus émaner là où ils renoncent –
oui, alors, avidement lécher les attentes là où on sent qu’en décrochent
des existences fripées en plaies ou
gaufrées brûlées de cicatrices
..........
Des « avec » vitaux !
Avec Ibrahim, avec Linda, Kim, Pedram, Laura, Ousmane
tant de notes réelles – ou virtuelles et autrement actives (comme des scarifications dans la substance de la vie) – de plusieurs « avec »...
des « avec » qui furent hémorragiques...
.........
« Et comme ça, je n’ai pas répondu à ton appel, je n’ai
pas frappé à ta porte ?... mais toi, toi m’as-tu appelé,
vraiment ?... et tu m’aurais ouvert la porte, vraiment ?...
Et tout le monde peut dire : je n’avais pas d’autre voie et là
j’ai rencontré qui j’ai pu !... »
De Signoribus
..............
... et le droit même
aux souvenirs d’enfance de «quelqu’un comme moi » est-il (doit-il rester) toujours suceptible de se révéler,
sous le coup de telle autre présence (brutalement interjetée)
douteux,
blessable,
soudain ensanglanté ?
Avec Ousmane, parler... dans la cuisine...
il est arrivé que les sensations d’Ousmane (telles qu’il n’a pu – se griffant aux mots, aux syllabes – que me les faire entre-sentir) s’insinuent,
à son insu,
dans le plus familier pour « quelqu’un d’ici »
l’instant (tel qu’il a essayé de me le dire) où il fut remis par la police à la gendarmerie
puis, après quelques jours en centre de rétention,
jeté sur la route
– « allez va-s-y » –
entre forêt et champs
à...
Cercottes
soudain défiguré, ce nom à odeur de lapin, de crottes de lapin, ou de fruits d’églantiers (« grattecul ») hiver gel cristallisé sur de petits fruits rouge-orangé ovoïdes dans les buissons sans feuille, épineux… Larmes rouges.
marcher des kilomètres
une petite cabane en béton de cantonnier en béton (jadis vue imaginée ? dimanche soir)
route dans la forêt d’Orléans (là où jadis George Sand enfin avait vu, pendue à un arbre, vêtements noirs claquant au vent, chevelure vol, une grande femme (une voleuse ?)
sur la route humide
allez va, allez va-z-y, allez dégage
soudain tu ne pourras plus effacer ce fait
qu’il – « quelqu’un comme lui » – aura été là
tout autre
dans ces mêmes lieux
non ne je sais pas (pas encore ?) re-penser, sentir, dire-former l’entaille
........
A ne pas oublier, jamais, très loin tout près, l’une des « choses » à quoi le consentement risque toujours de ressurgir :
« … l’inspiration d’un plan quadrimillénaire disant que le paradis humain commence tout de suite après l’enfer réservé à son prochain… »
La formule est de Karl Kraus, dans le passage suivant de la Troisième nuit de Walpurgis (trad. de l’allemand par Pierre Deshusses, Agone).
...........
Ou bien… ce que je peux croire capter au vol (ou condenser localiser ouvrir en puits d’absorption dans mes notes) des migrations, ou des présents qui se créent par intersections violentes…, tout cela doit être maintenu tremblant comme ce qui, tout en s’enfonçant indéfiniment en soi-même, ne (se) suffit pas (et par exemple ne prend en aucune manière le tour d’une sorte de « solution » idéologique dans l’indignation ou la générosité) et, pour une part, se destine (s’adresse ? s’expose ?) moins à des lecteurs (de poésie ?) qu’à d’autres régions ou domaines … mais qu’est-ce que je veux dire là, au juste ? que ...
.. que je voudrais que ces notes, se faisant brèves constructions d’inconstructible, en particulier quand elles frôlent le politique, l’intenable socialement, soient – si elles l’étaient ! – reçues comme n’ignorant pas que ce à quoi elles touchent en se localisant relèverait en même temps d’autresdomaines de pensée, de discours, d’action et seraient (secrètement, latéralement) à leur laisser, à laisser refuir en eux (pas même à leur proposer, car, il y a là dans l’extrême proximité, de l’hétérogénéité irréductible)
.........
Avec : double soulèvement – l’un et l’autre mettant en mouvement, sans le savoir, l’entre pulsatile
Ecrire des « avec » qui eurent lieu ici (maison, famille), mais restèrent séparés, presque de la possibilité des phrases
Jours, mois, années... avec Ibrahim ou Kim, Pedram ou Laura, « Ousmane »
........
Mais aussi écrire ici ( ?) avec des textes « durs » au sens des tentatives de savoir, aux questions échangeables (cad aussi des textes spécifiquement périmables) (livres, journaux, internet)…
..........
Avec... ? Des souffles de cauchemar, parfois...
Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient-ils de toujours voulu demander ... (hurlant soudain... , affreux...) qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ?
un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, réclamait qu’on lui accorde, enfin, là, une peau...
(on rencontre des insomnies au milieu de la rue)
comme si un passant, se laissant longuement arrêter, devait cet être sans contour secréter-donner,
de toute la substance de son attention,
ce qui deviendrait, enfin
– pour lui, le réclamant, l’à vif au milieu de tous ... –
l’enveloppe de son être...
Est-ce donc là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes à, par exemple, un homme gelé
au milieu de la rue ?
Il s’est fait, me dis-je en pérorant intérieurement pour me calmer,
une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé
et le poème cherchant, pour exister, la matière de son bord n’importe où alentour.
..........
*** 25 déc. 2011, 9h45. Temps étrangement doux. A travers la baie vitrée : les cèdres tout au fond, vus à travers les branches dépouillées des autres arbres, sur le ciel lumineux nuancé . Le mur à droite.. ou plutôt, visible comme elle ne l’est pas dans les autres saison, une complexité étirée en perspective de plusieurs murs.
A décrire en détail ?
Recueillir en formant des phrases ce qui a été fait « de main d’homme ».
Dire... pourquoi comment ... les détails deviendraient à mesure ... quoi ? intéressants ? désirables ?
La partie la plus proche qui, à droite de la baie vitrée, monte jusqu’à la hauteur du toit, est en pierres non taillées, irrégulières... ; les joints ont été refaits il y a plusieurs dizaines d’années et sont rongés voire évidés par endroits (des moineaux viennent fouir les cavités)... ; de cette partie en pierres (manifestement la plus ancienne, très épaisse, et ayant dû appartenir à un édifice de jadis) le sommet s’abaisse en une pente incurvée (convexe) jusqu’à la moitié de la plus grande hauteur du mur....
je n’ai pas maintenant le temps de poursuivre... : il faudrait détailler les différents matériaux, leurs textures visibles, leurs couleurs ou nuances du gris au brun, les végétaux – vigne vierge desséchée, mousses aux nuances toujours merveilleuses, etc.
le temps là, long ou immédiat,
à tout moment s’érafle, suinte
........
prose-poésie ? terreuse, trop douce terreur, de la prose brisée – et par là réelle... prose qui en brisant réalise
maints « avec », nuit et jour : la rue, la maison, la radio ou la télé, l’internet ... Tout ce qui se redresse, souffle, donne, demande
..........
Dimanche 21 août 2011.
Au crépuscule d’une journée extrêmement chaude, je pars dans des rues voisines. Dans l’une d’elles, que j’arpente depuis plus de quarante ans, des constructions nouvelles sont apparues depuis peu, et d’autres continuent à pousser ou sont annoncées (panneaux). Tout se donne pour de l’exactement prévu, du pur « fait pour ».
Des murs anciens, longs et déroulés, qui m’étaient jadis, par leur continuité, une aide grise et grondeuse, ont été partiellement abattus. Il y a des entailles blanches dans des déroulements gris probablement séculaires, il y a des blessures couleur de calcaire fraîchement cassé dans ces ténacités aux rases mousses couleur de cuir...
Tout, à cette heure, dégorge de la chaleur dans l’air. Les choses ont une intensité qui ressemble à du désir. On ne sent pas, on sait seulement, que tout va bientôt s’effacer dans l’obscurité.
Sortant d’un des petits immeubles tout récents (en pierres synthétiques), un vieil homme, courbé, corps quelque peu difforme, chemisette blanche, cheveux tout aussi blancs, et mal peignés, se dirige vers une voiture.
Il est accompagné d’un petit garçon – huit, neuf ans ? – un peu gras.
Le garçon parle au vieillard. Sa voix claire et fragile est raisonnable – à faire se fissurer l’instant.
« On est le 21. Maman revient dans deux jours. Tu pourrais l’appeler... »
Pas de réponse.
La voix – blanche ? oui – de l’enfant subsiste juste en arrière de moi qui m’en vais.
Son désir d’articuler clairement ce qu’il a dit ou les choses mêmes de la vie dans les heures ou jours qui viennent, n’aura pas trouvé de soutien.
.............
Lire, vite, vite !
Quand un texte commence à exister « pour moi »..., il se met à me regarder autant que je le regarde.
Je ne peux ouvrir un texte sans être ouvert par lui.
Il faut que par lui, obscur et réel, je me sente décomposé en zones dissociées d’où, sans doute, rejailliront des faisceaux actifs, allant fouiller en lui.
Mais une chose qui arrive, des gens... ont-ils le même pouvoir ?
..........
... la rue, comme tout le monde : un impératif-impulsion insatiable,
la route-rue, l’entre comme liquide, l’élément commun – temps entr’arraché, visbilités projetées en halos mi-rêvés – disputé, écumant...
...........
19 octobre 2011, 21h15, revenant dans la nuit humide de la gare par la rue de la République, je passe près d’un camion d’éboueurs vidant les poubelles des commerçants. L’un des deux éboueurs est un noir grand et mince, avec une veste jaune fluorescente ; il est accroché au camion, il parle – très fort, dans le bruit du camion et avec une certaine volubilité, mais non sans douceur – à une jeune femme, noire également ; cette dernière, souple, écoute avec inquiétude, voire de l’anxiété.
Qu’est-ce qui se passe, est arrivé, risque d’arriver ? Impossible de faire la moindre conjecture. Un jeune garçon (cinq ans ?) regarde, visage tourné vers le haut, l’air grave, l’homme et la femme. (J’ai eu peur pour eux ; j’ai ressenti, tout en quasi courant, de la tendresse pour leurs têtes latéralement éclairées.)
Je ne sais pas ce que je fait en notant (non ça je ne pouvais que le faire) non en fixant-offrant ici cette note
Je détesterais prendre, en général, le point de vue de l’ « observateur », comme qui rapporterait ce qu’il « voit » selon une position sienne préexistante, durable et identifiable, pour un « public » lui-même prévisible et adhérant à lui-même...
..........
Et la télé... autre fleuve, énormes bribes détachées terreuses filaments nacrés croquants...
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« Je suis un loup .»
Je recopie d’un cahier de 2006-7
(Un « avec » : ce couple vu à la télé , par hasard, désormais accompagnera, comme un possible, un embranchement de la réalité ordinaire/tout autre...)
Reportage sur Arte, mardi 22 août (2007 ?), 14h. On suit un camionneur en Chine, avec sa femme et occasionnellement son beau-frère.
Coment tout cela a-t-il été tourné, quels moyens de divers ordres, quels soutiens, quel désir ?
Ce que nous pouvons voir dépend aussi, bien entendu, de toutes sortes d’aspects financiers, techniques, administratifs, voire politiques.
Enveloppes et attentes du vu-entendu, du donné à recevoir.
Le souvenir globale est d’un élément d’aube ou de crépuscule. Comme dans de l’eau.
Je ne sais pas évaluer les âges… L’homme : trente-cinq quarante ans ? Et sa femme ?
Leur fils de 8 ans vit chez les parents de l’homme.
L’attachement entre l’homme et la femme est sensible dans sa gentillesse à lui, et dans des gestes affectueux qu’elle a. Elle explique qu’elle a voulu partager sa vie à lui : son souci de lui prime sur celui de l’enfant.
Soudain un cylindre casse. Il faut réparer, trouver une pièce de rechange. Le camion va être gardé par le beau-frère. L’homme et la femme tentent le stop pour gagner la ville la plus proche, à 70 km. Ils sont de retour en pleine nuit. Les deux hommes, sous le camion, changent la pièce…
Plus tard, coup de téléphone aux parents de l’homme et au fils. Le père dit qu’il voudrait vendre le camion (il contribue au remboursement de l’emprunt qui a été contracté pour l’acheter). L’homme résiste… « J’ai mal à la tête », dit-il après avoir raccroché. A qui parle-t-il alors ? A la caméra ? A « nous » , n’importe où, au futur ?
Le camion arrive (après des milliers de km) dans le Xinkiang. Montagnes pleines de neige, splendides. C’est, dit l’homme, le pays où ses parents ont lutté jadis pour survivre. L’homme se rattache donc à ces parents qui voudraient le faire renoncer à cette vie de camionneur, celle qui prcisément lui permet de revenir voir ses parents. Point ombilical douloureux (nœud d’intenabilités, comme chez quiconque). « J’aime cette vie, dit-il, j’aime aller là où je veux. » Et il ajoute : « Je suis un loup. »
Mon émotion est-elle naïve ? potentiellement dangereuse ?
Je pense un instant à tout le dispositif qu’on ne voit pas : regard-écoute à qui le camionneur peut s’adresser, réalisation momentanée de ce à quoi il aura toujours rêvé de pouvoir parler ou d’être vu, ou su être.
On a vu cet homme de profil alors qu’il conduisait (et, devait-on imaginer,interminablement), visage tourné vers l’avant, présence immobile-mobile, fendant à travers le pare-brise le vent soufflant sur des plaines immenses.
Est-ce, pour « nous », pour moi, une illusion d’avancée dans l’imprévu ?
Cet imprévu… est-il pour lui ? pour nous ? Quelle écart ?
Le camion, les soucis : du banal, ce que nous pourrions immédiatement partager ?
Quelle est la nature de la différence là, de l’altérité ?
(je recopie ce passage dans « Avec » ou « Terre »
je recopie ce que j’ai noté juste après... avec le désir de ne pas oublier
je recopie aussi pour obliger mes phrases à se plier à... quoi ?)
(mon désir à moi est sans doute que mes phrases connaissent là une aventure latérale (dans leur rapport non seulement à cet homme ou cette femme, mais à la caméra, au fait du reportage, aux désirs et emportements des uns et des autres dans leurs propres directions...),pas seulement ces phrases-ci, mais les phrases à venir et parlant de tout autre chose...
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A l’aube parfois, sur le quai (aux Aubrais), parmi tous les gens partant au travail
face aux voies jusqu’à l’horizon... aires caillouteuses mauves...
barres de trains de marchandises à l’arrêt, voûtes des toits des wagons, certaines comme givrées, et .. planches et barres de métal ... et...
les mi-choses que chacun se disait, se dit, semblaient, semblent encore aujourd’hui, juste au-dessous des maigres bribes de conversations audibles, flotter couler... dans l’entre
et c’était, c’est comme si elles forment « en moi » des tourbillons se recreusant bruns-argentés et affamés...
Avides de quoi – que je ne saurais leur donner ?
..........
*** Entre tous ... têtes-bouches sources écumant d’ombre si ordinaire...
intériorités réelles-rêvées...
émanations résorptions déformations ...
dans de l’« entre » se déroule pour l’un ou l’autre de l’avant après du recevoir-donner
quasi matières épaississements et soudain
quelles issues perçantes ?
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*** Sur le quai... Dans les reflets de nuit-aube, d’humidité, parmi les haleines...
D’où viennent-ils ces choses qu’on se quasi-dit ? Comment durent-elles ? Où filent-elles ? avec quels effets ? comment ne cessent-elles de bouger et de se métamorphoser ?
volutes d’odeurs des pensées
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Oui oui : où vont-elles, les choses qu’on se dit ? reviendront-elles autres ?
Courants, latences, lacunes, reflux...
J’y « pensais » alors que le train longeait la sucrerie d’Artenay – vapeurs puantes (betteraves brûlées ?) montant en torsades enflammées par le soleil d’aube de décembre qui rasait les chaumes
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Hélas oui : ce qu’on croyait avoir su « garder pour soi », dans la vie à la maison ... : voilà qu’on découvre avec angoisse que c’est passé chez les enfants...
.......
De la terreur qui s’ignore ?
***Rue de la République, un jour de mai, 9 h du matin (je cours à la gare). Vent froid après des jours précocement chauds. Passe, à la plus grande vitesse possible (ou à la moins grande lenteur possible), un véhicule balayeur (brosse ronde inclinée pivotant)...Quand il arrive vers moi, je discerne, derrière le large parebrise, une rangée bigarrée de jouets, peluches, quasi corps en plastique, etc. Probablement, des objets perdus par des enfants, ceux qu’auront triés les deux hommes du véhicule. Quoi d’un peu effrayant ? Jouets cadavérisés...
(Une vision qui rappelait quelque chose ?
Une exposition machinée férocement, quoique à leur insu, par ces deux hommes dont je n’ai pas vu les visages ?
Attaquant la visibilité commune (les bonnes volontés en elle affichées) en singeant des enfants morts... ?
exposant les regards des poupées, attaquant fendant le voir être vu de la rue... ces regards réels ou hallucinés... ces nappes humaines délirantes
.........
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**** Avec les Témoignages : ne pas s’identifier… ? ne pas sanctifier ? ni du même ni du tout autre..
Recevoir de côté les œuvres-témoignages dans la mesure où leurs auteurs ont fait régresser leur faire-œuvre jusque dans des structures mêmes de la sensibilité, de la pensée, de la mémoire..
Tirer des conséquences de ces lectures, c’est recevoir et effectuer latéralement des différences et résonances de mémoire à mémoire, e positions « ici maintenant »… C’est les recevoir pratiqueemnt, en écrivant…
........
« Chez soi » : là où « se retourner ». Quelle fluidité élémentaire ? dans quelle enveloppe ? quelles redécompositions possibles ? quasi restitutions : de quoi à quoi ?
Chez soi retrouve chaque jour son rôle dès lors qu’on rentre d’un « dehors » tout autre ou dangereusement proche, de cet espace où flottent, translucides, des filaments urticants.
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Dans la pénombre de la voiture ( 20h-21h.) , une question-pression flotte dans des halos pulsatiles de doutes, de sensations vagues, comme volontairement-imaginairement suscitées (la tension politique, c’est aussi l’imagination qu’on se fait, souvent avec mépris ou haine, des pensées et émotions et sensation et désirs des autres.)
Quelle question ? Celle de l’appartenance... Quelle nécessité de celle-ci, pour qui ? Ma manière de la rejeter serait trop caractéristique de ma position « dans » la société... Ou encore, mes façons de parler, après Lefort, de « la division » sociale...
Affirmer la division, le vide : ignorer le besoin d’appartenance chez les « défavorisés » ? Ce style de pensée écoeure aussitôt.
**** Ce qui me vient soudain (en traversant la pluie avec l’atmosphère interne à la voiture), c’est que le « dans », l’ »avec » ou l’ »entre » qui s’imposent à moi de plus en plus thématiquement (alors qu’ils ont été longtemps implicite) seraient à re-sentir politiquement...
Que serait-ce que l’intensité de ces rapports largement latéraux ? N’y aurait-il qu’illusions sentimentales de la bonne volonté à désirer vivre de l’ »avec » dans l’ »entre » des divisions sociales, à travers les différences de modes de vie, de désirs ?
Ce que je vis (sens, pense, forme-formule) avec K. est-il rendu possible par la situation d’irruption-interruption (de provenance autre), cela serait-il impossible au sein de la même société ?
(Mes « avec »..., toute ma vie, depuis l’adolescence : pauvrement douteux ?)
(Imaginer de l’ »avec » à la favuer des différences de positions dans la vie..., différences qui ne seraient pas réductibles aux différences de classes, etc.
Vivre avec les désirs des autres en laissant remonter les siens ?
Rien là de sucré, d’irénique... Il peut être insupportable de subir les effets des désirs des autres. On peut détester les désirs des autres – ou ce qu’ils croient être tels, ou leurs images d’eux-mêmes flottant irréelles trop réelles...
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L’ « entre » ? Ou l’ »en-deçà » ? C’est une fluidité noire ni seulement potentielle ni franchement actuelle. Elle est impliquée par, dans, toute capacité de sentir la subjectivité des autres (et de se sentir un autre sensible aux autres) tout en étant égaré dans la sienne ; elle est ce dont on sent constamment rémerger les multiplicités des positions à la fois différenciées (par exemple par le sexe… ou le « genre », ou la vie et la mort) et possiblement, soudain, interchangeables. Elle brille flue non seulement en retrait (comme sur l’autre face) des humains différenciés, mais aussi au-dessous de ce qui est ressenti comme du non humain plus ou moins proche, ce à quoi dans le non humain qui se trouve là peut venir comem soutien, ou comem tout autre, ou jouant dans le « dans » le poncutant le faisant respirer ou le déchirant…
La danse, là ?
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*** J’ai cherché, peut-être, chez des démunis, des manières d’être comme pelés de leur propre visibilité..., de s’abandonner à l’entre..., de n’avoir pas de forces pour le souci de son apparaître, ou de devoir faire de celui-ci le moyen le plus simple d’ob tenir...
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L’enveloppe de l’entrevisibilité (ai-je cru sentir soudain dans l’entre nuit et jour)
se déchire partout, à tout moment
et en même temps se reforme toujours, invisible et contraignante, illusoire et si puissante.
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*** Notes révélatrices-dévoratrices d’enveloppes...
elles sont de nature à obliger à se concrétiser, là soudain, des enveloppes fantasmatiques archaïques dont la présence n’est qu’allusive (mais peut-être, par là même, plus contraignantes) dans la plupart des paroles ou des œuvres...
Soudain, avec une crudité enfantine, les contraindre, ces membranes, à être là – et à se concrétiser-décomposer... odeur d’œuf tiède, peau de jaune d’oeuf...
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*** Il est imbécile, mon désir de parvenir à écrire sans plus désirer la visibilité. Ou celui, si grossier soudain, de rendre visible mon désir de non visibilité.
« Quelqu’un comme moi » ne peut pas être hors ou au-dessus ou pas même (ou encore moins ... car l’humilité là est évidemment mensongère) en-dessous de l’entre-reconnaissance.
L’entre-regards (regards réels ou, surtout, imaginaires) est une enveloppe infrangible une souple peau d’huile invincible, qui se déforme sans jamais se rompre autour de tout geste prétendant vouloir la percer.
Accepter enfin, clairement... quoi ? Ne pas m’épuiser à prétendre (à mes propres yeux) désirer rejeter ce dont je ne peux qu’indéfiniment être partie prenante.
« Avec » ?
Encore, autrement... Parler avec ce poème ?
Comment dit-il, déjà, Hwang Ji-U, l’ami évasif, si courageux, si mélancolique ?
Alliée à une vision moderne (« désenchantée » , rationalisée, neutralisée par la science ?) du cosmos :
fin du poème intitulé « Temple Unju sur la mer de nuage » :
« Même si on faisait le tour du cosmos en larguant complètement les voiles,
Ce n’est que le cœur de l’homme qu’on peut aimer ;
L’ancre est jetée dans la boue d’ici-bas.
Un jour lourdement ennuagé
Les montagnes sont des îles très lointaines. »
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Des questions , dans ces notes-ébauches,?
S’il s’en esquisse
– du fait des situations partagées avec les autres, proches ou en masse, et parce qu’il ne faut surtout pas éviter les confrontations nécessaires de la vie commune –,
ou sous l’effet des informations, ou des choses lues,
c’est pour avoir à être, ici, ramenées en-deça d’elles-mêmes...
et parfois, avec une joie féroce, il faut qu’elles soient ravalées dans un magma dont elles auront aussitôt réveillé l’activité et qui se met à les remâcher, qui les refond obscurément, qui les liquéfie, qui en fait de brûlants filets rougeâtres courant dans sa masse alors que celle-ci ne peut jamais bouger (fût-ce imperceptiblement) que tout entière...
...............
Dans ce jour clair d’avril, quelle ampleur enfiévrée brusquement ?
A arpenter, pour rien – quelle rage de vieux ? –, la maison,
à piétiner l’éternel carrelage rouge – si plat, si présent depuis quarante ans,
ses accidents, antérieurs de plusieurs décennies (réfugiés espagnols – disait la famille – cassant là du bois à la hache),
les carreaux, oui, lisses (sueur légère) ébréchés, leurs interstices pleins de minuscules débris, et sus reposer non directement sur la terre du jardin qu’on voit, par la porte vitrée, à trois mètres, mais (à quelle occasion, jadis, l’ai-je vu ou su ?) sur une couche de mâchefer légèrement isolante,
je me marmotte que je voudrais, aujourd’hui enfin, ou autrement que jamais
sortir, malade,
repasser de la même sempiternelle manière par les rues, mais
non
non je ne le ferai pas, ne saurais pas...
oui, palper des pieds et des yeux, avec des ébauches de phrases, avec la même minutie que dans la maison,
ce qu’il y a, ce qui a été fabriqué :
les mêmes rues ou presque : rythmes de ce qui est resté quasi même
et de ce qui a été bouleversé
qu’il y a soixante dix ans (temps de la guerre)
ou presque,
les flairer une fois au moins, ces rues, et toutes leurs variations et intrications de textures
..........
*** Oui, rues... plutôt, ou surtout, y écorcher le sol commun,
oui, en arracher (excité, obscène) la peau
pour que l’en-dessous (obtus) de tout ce qui prétend tenir soutenir chacun et tous
se répande, par coulées ou nuées, dans l’espace
où respirer, où être « entre », et dire et
former
alors me revient la fièvre Büchner...
je vais chercher (lampe électrique) le livre dans la bibliothèque... l’œuvre complète... peut-être aurait-il mieux valu retrouver la traduction Gracq
(oui j’ai passionnément besoin de citations...
ces micro-autorités tombés à portée ... dans la rue
oui une sorte de puissance rayonnant en flaques
elles rythment chantent renvoient sont lieux de rebonds
est-ce que j’essaie de leur emprunter de me parer de ces plumes trop brillantes ? est-ce qu’elles font lmalgré moi apparaître mes « propres » phrases comem faibles oui je l’accepter
« Premier Monsieur : Mais qu’avez-vous ?
Deuxième Monsieur : Oh, rien ! Votre main, monsieur ! La flaque d’eau, voilà ! Je vous remercie. Je l’ai évitée de justesse, ça pouvait être dangereux !
Premier Monsieur : Vous n’avez tout de même pas eu peur ?
Deuxième Monsieur : Voyez-vous, la terre est une mince écorce, je me dis toujours que je pourrais passer au travers quand il y a un trou comme ça.
Il faut avancer avec précaution on pourrait passer au travers. Mais allez au théâtre, je vous le conseille. »
(La Mort de Danton, II, 2)
Oui, aller au théâtre, y être, ici même. Maison nocturne. Sol rouge sur la nuit de la terre. Lumière électrique. Théâtre du réel : consentement si fragile !
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Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient voulu demander ... qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ? un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, demandait qu’on lui accorde, enfin, une peau...
(rencontre de rêves insomniaques au milieu de la rue)
un passant, se laissant longuement arrêter, lui secréterait, de la substance de son attention, ce qui deviendrait, enfin – pour lui, réclamant plus que nu au milieu de tous ... – l’enveloppe de son être...
C’est là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes au passage sur l’homme gelé dans Papiers !
Il s’est fait une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé et le poème cherchant, pour exister, la matière de son contour tout autour de lui-même.
...........
***
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Interposer quelqu’un d’autre entre la terreur et soi ?
ce que réalise 1984 de Orwell ?
Ou – au contraire ? – s’interposer, jeter sa propre vie, son corps – entre ses enfants et la continuité haineuse rampant s’étirant dans la voûte du temps (le Saturne de Goya... : c’est lui ! chacun le connaît depuis toujours !)
Je n’ai pas su le faire, moi non plus, pas plus que mes parents ou que...
Probablement ai-je cru pouvoir y réussir
et puis non
Folie de croire pouvoir alors autre et rompre avec ces continuités folles
Je recopie ici des notes prises à d’autres moments... J’en insère qui sont des réactions à ces notes...
mélanges de plusieurs immédiatetés
illisibles ?
ces notes sont supposées données à lire
bizarre...
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Quand le plus familier, lieux ou choses, se révèle-t-il fait pour hésiter..., pointiller... passer hors de sa propre forme, ne se rattraper qu’au vol, par un contour lanière qui siffle soudain ?
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Pourtant... les notes induiraient entre elles des possibilités . Des nuées de rapports se feraient sentir – à réaliser ailleurs, plus loin, dans d’autres notes..., encore
Puissance du continu : entre deux points fourmille une infinité de possibles.
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Ici – ordinateur... et d’un ordinateur à un autre et sans passer au « papier »,
illusion de fluidité...
Ce n’est pas seulement le support virtuel qui est fluide, c’est l’entre même de la publication électronique.
Plus indulgent pour les phrases (miennes ou autres ) lues relues dans l’élément liquide de l’écran ?
Elasticité, et absence de contour – voilà qui se joint à de perpétuelles palpitations... dans les rues, alcool bleu
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Est-ce que ça m’aide d’avoir la perspective de donner ça là à cette publication fluide ... cette drôle de réalisation reformable, pas tout à fait irrattrapable... comme si les phrases pouvaient continuer à se chercher dans un espace virtuel
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de sentir-penser-former – « en plein dans... », sans destination...
Depuis toujours – même enfant ? rue grise, air trop : trop peu : trop réel ... – s’imposa cette évidence d’avoir à réaliser ( seul) ce en quoi j’étais, à donner immédiatement toutes mes forces, à restituer ma substance même.
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(dans l’hors visibilité des instants vécus, tombent hors, happés par un vide qui n’est même pas spatial, qui se nie lui-même,
mais n’est-ce pas là un de ces frissons qu’on se donne avec un pathos ludique, de l’enflure vaine ? qq ch qu’une sobriété légèrement fanatique à la Wittgenstein piquerait dégonflerait
vivre c’est tracer au milieu ou dans la substance même de ce qui de tous côtés échappe ruisselle comme n’ayant quasi pas été
des vies entières y sont précipitées sont comme n’ayant pas été),
Hors de toute visibilité, de toute attention, est-ce l’une des choses que j’ai redoutées pour K. ?
Ai-je voulu qu’il y ait, sensible aussi pour lui, un élément en quoi ce qu’il vivait, vit, marque, compte, soit compté
(la poésie compte, tient compte, tient le compte)
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Etre un humain comme un poulet plumé vivant jeté dans la rue.
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A la caisse à Carrefour. Derrière moi dans la file un jeune noir immense en survêtement très bon marché, il n’a dans les mains qu’une canette (pas de la bière, une boisson sans alcool...). Je lui demande, en levant la tête : « vous n’avez que ça ? » ; sans un mot il me montre qu’il a aussi une boîte de je ne sais quoi, posée au bord du tapis roulant. « Passez ! » lui dis-je avec un geste. Il passe devant moi sans un mot. Juste devant moi (c’était il y a un instant) et devant lui maintenant, il y a un type de peut-être vingt-cinq ans, dans des vêtements propres mais bon marché (ou plutôt : un peu archaïques... « chemisette »), gros, ventre débordant par-dessus la ceinture du pantalon, visage épais rougeâtre, gros verres de lunettes, yeux mi-clos... « Handicapé » ? Son seul achat : le magazine « Automobile » (la vendeuse est obligée de téléphoner pour en connaître le prix).
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Présences corporelles d’écrivains ? Flaubert : dans ses lettres..., il y a un poids corporel, de l’odeur, de l’étouffant... L’abstraction concrétisante des romans est faite (aussi) de l’arrachement à cette proimité-pesanteur corporelle de soi à soi.
Le corps de qui écrit passe beaucoup plus directement dans l’écriture des romans et (surtout ?) des récits courts et fragments de Kafka. Il y est gestualité élastique, malaises, extensions ou pelotonnements, etc. Métamorphoses.
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Kim Hye-soon (entretien avec Ruth Williams) : « le temps n’est pas une ligne toute droite, il est un enfer plat, comme un désert ».
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Ce qui est à dire, ce qui, ici par exemple, donne le désir de dire : des « choses vues » ?
Non, c’est quelque chose d’autre. Non pas seulement que les choses vues qui s’imposent à dire sont différentes des autres choses, font saillie... C’est surtout qu’elles rappellent la fragilité des « consistances » de tous ordres. Ou qu’elles révèlent comme on vit dans, par ou pour, des déhiscences, des interstices, des accès de brusque fluidité noire. Etc.
Guston : personnages ordinaires encagoulés – figurant ce qui se masque dans l’ordinaire... ?
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Ce que j’ai écrit, ne puis-je aujourd’hui que me dire, aura comporté essentiellement le désir d’être libre de l’entre-regards, de passer de l’autre côté de l’entre humains (sur l’autre face... ou comme la sortie dans l’espace intersidéral dan s2001)... Rien là de titanesque. De la misère psychique s’exhale alors.
C’est grotesquement que je m’aperçois que j’aurai trop bien réussi en matière d’invisibilité. En effet, bien plus que je n’aurai pu le vouloir, ma manière de sentir-penser-dire repousse l’attention, me mets hors de l’entre-regards. Lassant, phrase à phrase, l’attention ? Comme les fous littéraires de Queneau ? Comme les fous de Winnicott ?
...........
pas de grande alternative à ce qui arrive ? rien de figurable ? rien de « tout autre » à quoi (se) renvoyer, par exemple un avenir déjà présent dans le présent, un avenir garanti par un savoir, etc.
Ce qui me sidère, me fait horreur et m’attire absolument, c’est ce qui est là sans autre possibilité:
du réel là à fouiller dilacérer du dedans
j’écris cela non comme une position de principe, mais comme un constat, dont je ne suis que l’incarnation locale...
......
sensations politiques déchiquetées là où on nous voudrait substantiellement « dans »…
sensations naissant sur des voûtes tranparentes veines ramifiées veinules noires de membranes
ou sucs sourdant sous la pression de masses énormes
dans l’en-deça dans la possibilisation dans la régression l’immédiateté comme retour à zéro en vol
l’effectivité de l’existence dans… de la vie en proie… sous emprises…
et avec reflux en l’air dans l’immédiateté du à sentir d’une certaine nature
...........
pôles au-dessus (nés) des différences d’états…
pôles qui soufflent dans l’immanence, renaissent du ni même ni autre…
pôles lunaires frôlant des bancs sableux de réel continument étirés déchiquetés
je ne sais ce qu’ils sont.. comment ils ne cessent de se reformer et de flotter
les capter en phrases qui ne cesseraient plus, dès lors, de filer au long de ce qui arrive
pôles nés des différences dans le même, pôles possibilisant les enfouissements dans l’ »entre », les avalements, les disparitions-restitutions métamorphosantes
l’entre et les questions (illusions ?) de la continuité, les continuations et les disparitions…
l’inaccessible dans le même
.........
La « pensée » – elle viendrait dans la parole, la disjoindre d’elle-même
voir le début de La boue
..........
Par moments (par exemple cette fin d’après-midi, place du Martroi/martyre ! témoins... de ...) (les noms anciens des rue
***soudain, dans l’air jaune, sur la place, ce fut comme si les visages étaient arrachés de l’ »entre » même..., comme s’ils étaient des contours suintants de cette substance-puissance translucide et si vite cruelle de l’entre
.........
*** Un poème : savoir faire (savoir se former.. en un geste singulier à chaque fois – et non plus selon des formes héritées-partagées-imposées) pour ne pas savoir (ne pas avoir à savoir) ce qu’on prend ?
et ce que le poème prendrait, pourrait-il le donner à... quiconque, à personne, un « outis » à qui il semble demander de lui dire ce qu’il dit..., engendrant chez cet « outis » un désir de réaliser dans le langage de l’échange des conséquences de ce qu’il aura reçu...
............
Dans l’éparpillement-entassement et l’égalisation symbolique/ inégalisation matérielle de la vie moderne, se met à luire soudain quelque chose d’excessivement commun, rude, brut, voire grotesque, quelque chose d’intenable, que nous nous disputons comme choses trop réelle (est-ce l’autre face de l’abstraction démocratique ?)…
Chaque attitude est soudain ressentie, orageusement, comme risquant d’informer qq ch de commun, de l’étirer, de le solliciter presque érotiquement, vulgairement, en le déterminant dans notre propre intimité, de le plisser charnellement, de déformer une opaque masse substantielle nécessairement à partager, quelque chose qui est plus que de l’entre individus et vient se mouvoir, glissant, inarrêtable, dans les espacements intérieurs de chacun.
..........
De Signoribus, Ronde des convers (trad. M. Rueff), p23…
je recopie deux poèmes (fragments ?) successifs:
et pourtant continuer dans le 2, rien qu’un battement de
cœur, un bloc dans la respiration, un sanglot jailli… A
remonter en arrière dans la bobine pour chercher une
identité, on risque de ne plus jamais s’arrêter… même le
photogramme vital semble hésiter… Tout est à la lumière
de l’après.
Et comme ça, je n’ai pas répondu à ton appel, je n’ai
pas frappé à ta porte ?... mais toi, toi m’as-tu appelé,
vraiment ?... et tu m’aurais ouvert la porte, vraiment ?...
Et tout le monde peut dire : je n’avais pas d’autre voie et là
j’ai rencontré qui j’ai pu !...
Mais que de fraternité perdue pour un rien, et combien
de néant nous a envahis pour nous laisser sur les arbres,
dépouillés et éloignés !...
dans un instant, demain.
à chaque angle ou croisement, à chaque couloir habité, à
chaque dépôt d’âmes, quelqu’un sera là pour nous contrôler
et nous défendre, ou pour reconnaître seulement ceux
qui nous auront frappés au moment où ils nous frappent…
Le salut ne se trouvera pas à ce moment même ni à l’instant
d’après. La société des actions engendre des spirales sans fin,
et que jamais elle ne mette un terme à aucune d’entre elles
à bon droit. Il est clair que je ne saurai pas briser la mienne :
mais c’est pour la figuration d’une idée que je veux être,
pour tous les instants qui précèdent, et qui pourraient être
tournés vers le bien.
Un tel texte (comme bien d’autres de De Signoribus) a la force faiblesse de laisser affluer… , de former tout en se trouvant disjoint, phrases ou représentations coupées par des souffles…
.........
Il n’aura jamais lieu, ce regard « mien », actif, lucide-réalisant, qui saurait discerner, dans ces phrases mêmes, amassées, ce qui... quoi ? je ne sais même pas ce que je pourrais en espérer...
De totue façon, il ne viendra jamais. Parce que je suis trop vieux et n’ aurai plus le temps de revenir à tout cela ? Pas seulement… Me revient l’image de la quatrième dimension. De même qu’il n’y a pas de dimension dans laquelle la main gauche puisse devenir superposable à la main droite, il n’y aura jamais de moment dans le temps où pouvoir enfin revenir sur ce qu’on a pensé.
..........
*** J’aurais voulu ce soir-là, ce soir crépitant de rage (après être rentré... d’une journée...)
me suis-je dis-je dans la nuit qui a suivi, ouvrir
oui : réaliser en moi, pour le dérouler, étaler, tout ce à quoi on tient – ou ce à quoi on se cramponne, s’attache furieusement, se précipite, ce qu’on veut arracher aux autres, ce qu’on veut protéger, couver en s’enroulant autour…
Forcer le « on » à s’ouvrir, à relâcher son geste de prise, étal, alors, exposé… comme ventre nu de hérisson ou de chenille sous un criblage de clarté nocturne.
pourquoi me suis-je dit « on » plutôt que « nous »? Dire « on », c’est déjà (par opposition à tout « nous » possible) reconnaître un étalement sans rassemblement, sans recouvrement
(déroulement Michaux : « La Ralentie »)
« tenir à »… qu’est-ce que cela ? … soudain les phrases qui se cherchent ici frissonnent de dégoût, de tendresse, d’accablement
étaler le geste de tenir avec la diversité infinie et monotone de «… ce à quoi on tient » ? y compris le pire ?
… oui…
y compris l’abject
oui
que tout cela s’évapore ensemble… dans la nuit
tenir à… et soudain lâcher …
qu’en renaisse .. .quoi ?
.........
...........
un visage…, oui,
dans les choses semble s’être détourné(e),
mais pourquoi faut-isl qu’il soit toujours susceptible de se retourner soudain plein de haine ?
le souffle de cette éventualité hantait les murs mêmes, ceux de la maison de banlieue un peu lasse
une rumination sanglante, sous le lierre, dans la poussière acide de crépi et ciment,
une onde aveugle
........
Voudrais-je aller (reculer), encore et encore, au bord de l’entrevisibilité,
la sentir depuis ce bord,
la rendre, de là, sensible comme jamais ?
Ce ne peut être qu’une illusion…
Il n’y a rien d’autre, nul hors,
à quoi exposer l’entrevisibilité …
Et comment
sentir-penser-formuler quoi que ce soit
– et singulièrement de l’ »entre » même –
sans sentir ou croire sentir
que
ce qu’on sent pense dit
est enveloppé dans de l’entre
est reçu
dans des attentions, des écoutes et regards
clignant luisant bruissant
nuées réceptives à tout le moins potentielles
……..
Perdre ...
Ritwik Ghatak, cité par Marianne Dautrey, dans Ritwik Ghatak, Des films du Bengale, p 152
« Mes souvenirs regorgent de vie, d’intensité. Ils sont tout ce que je possède. S’il m’avait été donné d’écrire, d’être poète ou peintre, j’aurais pu accéder à la maturité en m’appuyant sur eux. Mais je suis cinéaste. Personne n’a autant perdu que moi : ce que j’ai vu, je suis dans l’incapacité de le montrer.[…] une œuvre qui est privée de passé et de fondement, une œuvre qui n’est « rien [que] de l’air » n’est pas une œuvre. Seulement, qui me rendra mon passé ? »
La langue dont rêvait Ritwik Ghatak (cité par Marianne Dautrey, « Le temps d’une fugue » dans Ritwik Ghatak Des films du Bengale) :
« Une langue qui dit peu de choses ; une langue qui possède, en elle, un pouvoir d’illumination. Ses allusions sont légères mais tranchantes. Si bien qu’elle ne pèse pas, mais rafraîchit la mémoire. »
Et, écrit encore Marianne Dautrey : « Et il ajoutait : « Il me faut retourner dans le ventre de ma mère pour en chercher la source. » »
...........
Prosaïsme ?
Ritwik Ghatak, « Une longue série d’obstacles », dans Des films du Bengale
« Il existe des films qui pourraient faire une petite carrière si on consacrait un peu d’enthousiasme et beaucoup de travail à leur promotion. En supposant d’emblée que ce sont de drôles d’oiseaux, par conséquent sans avenir, en les envoyant au diable, on les condamne à finir à la décharge. Dans le monde des affaires, c’est la seule ligne de conduite : ne pas réaliser le plus grand profit possible, tout de suite, signifie « perdre ». Dans ce monde, on ne tient aucun compte des perspectives. Les rêveurs qui rêvent d’art immortel sont totalement inadaptés à ce paradis prosaïque ».
Fouir ce paradis ?
...........
Séduire par l’attention ? C’est un de mes plus vieux fantasmes, probablement. Dès l’enfance – à l’égard des autres qui devaient me paraître exister plus « naturellement », plus légitimement, plus charnellement.
Se faire sentir – aux autres, voire aux événements ou choses mêmes – comme indispensable. Etre désiré comme regard. Susciter le désir de devenir l’objet de mon désir ?
Séduire les choses mêmes ?
Cette évidence, pourquoi m’est-elle venue ce matin (6 juin 2011) en faisant la vaisselle (6h30) ? Clarté soudaine et, presqu’aussitôt, équivoque ... dans la lumière électrique (aube orageuse couleur de plomb)
Séduire par l’attention est ce qui m’égare aujourd’hui. Je me laisse sans cesse aller au rêve de devenir une attention vitale aux autres. Et, dans bien des cas, c’est ce qui ne marche que trop bien. Un donjuanisme ?
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*** Aurai-je rêvé (depuis mon enfance) d’autre chose que de « reconnaissance » ? D’amour ?
Plutôt : de ce qui aurait pu me transformer substantiellement ou, plus exactement, de ce qui m’aurait délivré du « de fait » d’être un soi séparé.
Chaque fois que j’ai senti en moi du désir de reconnaissance, j’ai aussitôt éprouvé du dégoût. Ou, pour peu qu’on m’ait accordé un peu, tout de suite trop, de cette fameuse « reconnaissance », j’aurai été mordu, et comme envenimé, de l’évidence d’un décourageant malentendu.
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Devrait-on distinguer (mais peut-être le fait-on toujours, sans y penser) entre les différentes « demandes » des oeuvres ? Lecture ou écoute, reconnaissance, amitié, amour, fusion, déchirure ?
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Incapable de fixer les « sensations politiques » en phrases qui puissent tenir, voire se déplier assez vastement sans devenir inintelligibles, sans se recroqueviller soudain, absurdement crispées... feuilles noircies.
C’est comme si aucune de mes ébauches ne pouvaient inspirer , amasse en elle autour d’elle ou au-dessous d’elle, assez d’élément pour que ses tracés y trouvent une évidence sui generis.
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En quoi sur quoi rétrospectif, rétroactif... ?
Ramasser quoi dans le passé qui ne put être choisi – pour en donner quoi au présent, à l’avenir là, à ce qui est en train d’arriver…
Courbures ferreuses-orangées de l’espace-temps : traces de la guerre, nervures du ciel.
France ou Europe des années quarante, temps d’ »après-guerre », d’après ce que l’Europe avait engendré.
Est-ce qu’on revivait (et bientôt allait commence à vivre autrement
arts ménagers… : une grande foire à Paris… un aspirateur…
la torture de la lessive…
quand vint la machine à laver
puis la cuisinière électrique
pas encore le frigo),
dans ces années où d’autres, survivants, revenaient, accueillis ou ignorés ?
Des décombres blancs ouverts comme d’un coup de bêche sous la pluie.
Un gazomètre énorme et noir rouillé sous le ciel du soir.
Du vert sur le métal … ? pourquoi me semblait-il contenir la guerre même ?
Quelles rémanences de soumission ?
était-ce pour « les gosses » qu’il fallait – avait falllu, fallait encore – accepter le pire, la cécité, l’indifférence ?
(le père de famille : le criminel des temps modernes, dit Arendt – mais elle avait fait son choix… impossible en général… les gosses, oui, soit… gosses réels, plus que tout, et en même temps devenus détranges otages de ces lâchetés)
Mousses rosâtres de colères … vaines.
Dans de l’entre, des recoins
j’ai peur de tout ce qui fut
de ce qui se plaint dans le passé
de ce que cela devint
Sensations dévorantes, des taches affamées rampent dans tout le senti
: faire passer faire glisser dans, hors... dans le vide
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re-sentir les sensations de l’autre
irruption imaginative entaillant le passé
ce qu’Ousmane eut à sentir ce matin où il fut mis dehors sur la route (jeté par des gendarmes hors du centre de rétention de Cercottes..., et soudain seul sur la route – dans la forêt d’Orléans ? )
je ne l’ai pas re-senti mais dès lors qu’il en a dit … fût-ce si peu, par blocs terreux de mots mal prononcés –
cela existe dans mes sensations s’éboule en elles comme de l’altérité inassimilable
les chemins dans la forêt d’Orléans (familiarités d’enfance, vélo) soudain changent
la route est rupta
entailles entaillures ruptures
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Les fragilités vitales paquets de sensations émotions qu’à coups de bêche les décisions politiques tranchent
j’essaierai jusqu’au bout et jamais je ne verrai un résultat
Documents hétéroclites décochés de loin de tout près
la cible se reforme toujours alors qu’ils l’atteignent elle est surface réceptive exposée en-deça de tout institué (économie, politique, etc.)
elle subit faiblit se décompose se recompose
***je me force à « réaliser » ici :
les sensations d’un autre ? je les imagine… imaginer l’autre
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Européen en Europe Français en France « chez moi » ?
héritier ?
... et de ce que l’Europe (dans l’entredéchirement) a réalisé en Afrique ?
Territoires, frontières… génératrices de violences ?
tâtonnant dans avec ces lignes (dans la nuit d’avant le jour), m’autocritiquant à mesure, critiquant sourdement ma complaisance dans la dénonciation, comme si j’étais d’un autre côté, du bon côté
j’entends Mozart à la radio
comment ceci, que je sens ici, existe pour un non européen qui ici soudain
n’a pas le droit d’être en France
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la division des « universalisables » : rationalité scientifique/ rationalité philosophique/ littérature (elle-même divisée)/arts (spécialement : musique),
divisions qui joue dans les rapports aux autres cultures...
***... division des domaines…
la littérature recrée du divisé en un sens singulier –
du non unifiable non recouvrable (voir mon « Cicatricielles »)
ses réalisations unifiantes ne se laissent pas ramener au savoir au discours sur…
l’intelligence poétique la plus vive refend à vif (comme d’une feuille fluide de nuit) tout ce qui voudrait (en particulier en idéologisant la rationalité scientifique) se prendre en une unification translucide gélatineuse despotique
la poésie comme ce qui nous rappelle soudain joyeusement que les rationalités be s’unfient jamais, sciences techniques, philosophies, et la littérature toujours recréant du àdécouvert ce qui ne peut être su
c’est par ses divisions qu’une sociéét ou une « civilisation » ( ?) se rapporte à son dehors
les sociétés européennes et leurs autres
quand elles ne prétendent plus dominer :
circulation d’ »entre » ?
la vie « interne » des positions créatrices et de leur irréductible division se rapportant à de l’ailleurs, à des divisions créatrices ailleurs
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***renifler l’air du temps… émotions politiques… bribes
je me rappelle la France du temps de la guerre d’Algérie c’était comme s’il tombait constamment de la bruine grise rosâtre – empoisonnée
des lambeaux de linge-neige descendant lentement dans l’entre, frôlant dangereusement les uns les autres
(L’oeuf du serpent de Bergman)
atmosphères… « airs du temps » en Europe… espaces
frontières poreuses pour certains, barbelés ou murs qu’on voudrait de fer pour d’autres
des bribes reviennent… flottant dans quel élément dedans dehors
la haine et la honte disait Reck Malleczewen
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*** Un appel dans la nuit. Au téléphone, un proche, un de « mes enfants » (adulte), pris dans... quoi ? menacé... l’entendre, lui, sa voix, s’amenuiser sans pouvoir la retenir ... le cœur manque et...
ce n’était qu’un rêve
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*** La consistance de la réalité s’impose à moi comme tyrannique en même temps que très faible. Faudrait-il enfin l’affronter dans son ambiguïté cruelle ? Devrais-je la soutenir grotesquement à l’instant où elle semble près de se dissoudre ?
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*** Sur la Beauce des nuages enflammés. « Ciel Poussin », me dis-je, somnolent. Est-ce Proust, me dis-je encore, qui parle ? Dans le train, personne ne parle. Un peu plus loin une vieille femme aux cheveux orangés. Avant le départ du train, à Orléans, on entendait les craquements de l’emballage en cellophane d’un paquet de biscuits cylindrique, puis ceux des biscuits sous ses dents, et je pensais à ses organes internes, des reptations de muqueuses, etc. : à quoi bon, me disais-je, ces fonctionnements... Puis, un peu plus tard, donc, dans les bruits du train, et en une bouffée d’un désir soudain brûlant de délivrance : « Poussin ». C’est le désir d’une transformation-altération toute évidente ... Il capte, me dis-je (en un présent trop caractéristiquement oratoire), et projette le sensible (ou des parts, mais valant pour le tout, du sensible) dans une sphère autre: celle où tout doit pouvoir faire sens, et va compter, entrant à jamais dans les mesures d’une musique picturale pour y rayonner – d’harmonie ou de terreur.
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Corps de l’autre. Soudain est-ce lui qui se fait absolument dense – tout autre au plus près – ou « l’entre » même ?
Si réel, ce corps-ci, pour ce corps mien en suspens, soudain comme déréalisé...
Dans le désir... Ou la répulsion... ?
Corps d’un être singularisé soudain (avec son nom chuchoté) entre tous ? Ou corps quasi anonyme ?
Corps un ou morceaux ou zones du corps autre ?
Corps en tant que réel, là – ou en tant qu’images ?
Cet entre « inframince », contact et radicale dénivellation, se propagera-t-il soudain, secrètement dans les rapports aux choses (dans la rue même), effleurements du regard ou (sans, presque, que je le sache) de l’odorat ?
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*** « Tout brûle... je brûle... »
Ritwkik Ghatak.
Détresse, sans doute – liée à ce qui est arrivé au Bengale, à son unité même, aux catastrophes – guerres, famine – qui ont frappé les populations. Mais aussi une joie qui crépite : celle, au moins, de la réalisation des films, fussent-ils mal accueillis .
Le « Je brûle » dit sans doute l’état de qui est pris dans une catastrophe de masse. Mais peut-être aussi, dans quel contact entre une violence énorme qui s’abat et une violence minime, qui a été désirée, comme condition d’une œuvre- combustion ?
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« Sensations politiques » : un paradoxe ? une erreur ?
Eclairs (comme pour un nerf soudain à vif) révélant du politique en lui résistant, en le redissolvant en une seconde.
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Comme j’ai peur, par moments ! De la mort ? Peur centrale, toute la vie : à côté, au-delà de moi, pour des proches, pour des enfants, pour « mes enfants ».
Mais la terreur c’est aussi la peur de la peur. L’imminence du temps où il faudra à tout moment avoir peur.
L’horreur d’avoir à découvrir (ou à deviner qu’un jour, après ma mort) dans les rues et jusque chez soi régnera le rayonnement d’une haine froide se donnant tous les droits et jouissant de tous les pouvoirs
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Pulsations vitales de l’attention et de l’inattention...
Notes – nées d’une extrême attention ? (Ou de plusieurs moments et modes d’attention ? Celle, attention-liberté, accrochée soudain dans la rue ou arrachée libre dans le vide du temps... Puis celle attention-mémoire en notant au retour...) et soudain à ne retrouver qu’au hasard, ici, papiers ou « fichiers » à faire défiler...
Des yeux ou en se marmmonant des ébauches de phrases, vite, frôler des
débuts ou désirs de notes (mentales ou sur le papier)
les voici comme des entrées (couloirs luisances d’eaux, etc... os internes de maisons petites)
il faut aussi les négliger... effleurer égratigner... réécrire un peu –dessus sans vraiment les re-coprendre.. les graffiter...égratigner peau-crépi blessée en blanchâtre ou perlant de sang psychique.
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**** Soulèvements : rien qui ne soit (senti) décollé dans l’aube
vent... du vent passe continument en-dessous (comme les feuilles plus que mortes, crispées grisâtres qui tresautent les unes après les autres) (comme ? ce qui est décollé ce sont les positions des humains... le rapport, à cet égard, avec les choses, n’est-il que de comparaison ? )
y croire, presque
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février
merles tressautant rissolant (retournant par instants des galettes de feuilles perlant de givre) me donnent-ils un instant le pouvoir de comprendre ?
voir les soulèvements du vent pour penser à ce qui soutient et perd les vies
sentir ce qu’on ne sait dire mais
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ce qui fait (donne le désir toujours renaissant de) sentir-former-formuler c’est comme un coup de faux sifflant sous ce qui pèse..., du tournoiement bleuâtre...
oui les positions des choses aussi (le vieux mur, à droite, ou le cerisier aussi...) : en tant que sentis/sus... non intégrées à rien...
nappes se perdant... dans un hors sans contour ... nous renvoyant à nous-mêmes (ou les uns aux autres) comme non réellement enveloppés dans rien
souffles non pas du vent mais...
non pas nés de nous... vie de l’entre
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*** Ce qui naît, souffle tournoyant, continument de nous – quel « nous » ? – mais n’appartenant à rien, à personne... Faisant l’objet de tant de tentatives d’appropriation ... Mais re-courant sous, arrachant, soulevant...
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« Soulèvements » : le mot qui m’est venu tout à l’heure, en écrivant une note beaucoup plus loin dans ce fichier, j’ai envie de tenter d’en faire un titre (et c’est pourquoi j’insère cette pauvre remarque en début de ce fichier) pour « mes », ou « des » notes...
Soulèvements
de révolte, emportements, rabattements brusques... extinctions... cendres soyeuses frissonnant
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Début décembre 2011, retour des Etats-Unis, attendant, deux heures durant (9h30-11h30), un train à Austerlitz, je vois, à travers la vitre du café face au quai, passer un petit véhicule aux parois faites de feuilles de plastiques translucides qui, doucement battantes, s’ouvrent par moments ; l’homme qui conduit est noir, la femme à côté de lui est maghrébine, pas très jeune ; son visage impassible et sculpté est soudain illuminé de soleil blanc poudreux. Ils me calment.
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***L’ « imprenable » de l’homme selon Benslama ?
... si je comprends bien... : toute appropriation ou définition d’une essence de l’homme, ou d’un telos..., tout cela tourne aussitôt... faut-il dire au mensonge ? ou à l’engendrement de formulations (avec du prétendu savoir et avec des mots d’ordre : des paroles qui sont des passages à l’acte) meurtrières et/ou imbéciles.
Voilà qui se joue au sein d’une société ou entre sociétés, dans l’entre ou dans la tentative de domination de l’une par l’autre (colonisation)...
.........
***
Un autre... je ne le vois pas dans sa vérité... et le mot de « rencontre » me paraît excessif...
Un autre, je n’ai affaire à lui que dans la mesure où ma propre position est également en jeu.
Les moments où l’un et l’autre (l’un par l’autre ?) en tant qu’individus (mais désunifiés alors, chacun à sa place, et striés de phases) nous émergeons-disparaissons dans une montée d’élément d’ « entre »,
voilà ce qu’il me faut réeffectuer toujours autrement...
Comme l’ « entre » alors devient réel en même temps qu’inappropriable !
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***Quel tenaillant désir de décrire quoi ? tout, rien... Jamais rien sans la pression de l’afflux...
Aurai-je par là été (partiellement, ou par moments, mais ma vie durant, depuis l’enfance) orienté ?
Ce désir nu aura écarté des déterminations qui auraient été imposées par des appartenances diverses, par des positions ou postures identifiables...
Liberté de s’écraser contre... des choses ? des gens ? des œuvres ? mais aussi, toujours, contre un remêlement (celui dont il fallait préserver la possibilité en ne devenant pas un spécialiste universitaire...) ?
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Afflux, remêlement, indétermination... tout ce qui, depuis cinquante au mois, sera revenu si souvent, essayer aujourd’hui de le préciser – non sans paradoxe ?
(Revoir mon article sur Queneau : « Puissance de l’indéterminable » ? Ou « La boue » ?)
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*** ... pattes souples, haleine chaude, prunelles encore dilatées, la gueule tenant quoi d’arraché où ... dans le vaste dehors (pulsations vertes-violettes ou barres de vide éblouissant)...
– revenir, en hâte, oui,
rentrer à la maison, fiévreux de
rapporter, donc, ce qui aura dû tout au long (gibier obscur odorant)
demeurer (quoique de plus en plus précis) un
quoi... ?
et... cœur battant,
le donner
à partager... ne serait-ce qu’à
l’ordinateur
fait pour paraître affamé,
laiteux
........
Masatsugu (traçant ce qu’il dit par gestes dans la lumière électrique de la cuisine) : tu te rapportes aux œuvres de manière perpétuellement mouvante. Il faut que tu les sentes comme traversées de forces et que tu te livres toi-même à ce qui , multiple, te traverse.
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*** Devenir restituable... Faire revenir, par gestes, l’incirconscriptible immersion vitale d’où l’on aura quelque peu émergé... ; la reverser métamorphosée en ce à quoi se donner – c’est-à-dire en l’œuvre se faisant (et à quoi « je » en tant que sentant parlant pensant se donne) et en ce à quoi l’œuvre se donne
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Dans le geste de se donner qui lui est interne-externe, « l’œuvre » (la chose faite pour elle-même..., sans autre « pour » ?) espérerait forcément, l’anticipant à tâtons, une libre communauté, ne serait-ce que celle qui continuerait à se rêver à travers tous les états sociaux se réalisant... ?
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Bd de l’Hôpital, 14 juin 2011, 21h40, soirée très douce, je suis à la terrasse d’un café presque en face de la Pitié Salpêtrière – dans une sorte d’écoeurement après la conférence Coccia (cette impression désastreuse de faux semblant qui m’attaque intimement) ...
Passe un grand type très maigre. La peau de son visage creusé est sombre. Par misère ? Est-il noir, métis, arabe ? Cheveux noirs sales – crépus. Il marmonne. Le garçon s’approche, prêt à le chasser. Le type fait des gestes peu intelligibles. Demande-t-il une cigarette ? Je me lève impulsivement (je viens, cela m’arrive rarement au café, de manger une quiche... et soudain j’éprouve une minime honte), je m’approche de lui et lui donne deux euros. Il s’en va, sans remercier. Je me suis rassis. Mais il revient, veut me dire quelque chose, et de tout près,il se penche vers moi ; je tends l’oreille – et il chuchote : « Je demande toujours à des blancs, jamais à des noirs. »
.........
Morbide, compulsif, dangereux, mon rapport aux « mendiants » (est-ce qu’on emploie encore ce mot ?)
C’est un constat qui risque de s’imposer à moi en reprneant certaines notes que j’avais oubliées, ou en retrouvant par elles des moments que je n’avais enregistrés que pour m’en défaire
Difficile de ne pas re-songer à un fil de l’histoire familiale... Est-ce céder à cette complaisance si courante, si bien vue aujourd’hui ?
Oui. Hé bien allons-y totu de même.
Le père de mon père. Il est mort, m’a-t-on toujours raconté, sans que je l’aie jamais connu. Pourtant il est mort de mon vivant, peut-être avais-je une dizaine d’années.
Il n’avait guère que vingt ans, m’a raconté ma grand-mère, quand il a été blessé à la guere de quatorze. Il est resté une nuit entre les lignes. Ramassé enfin, il fallu l’amputer d’une jambe.
Il devint dessinateur pour je ne sais quelle entreprise. Travaillant à la maison. Trois enfants. Alcoolique, de plus en plus violent (il faillit étrangler mon père, me racontèrent mes tantes). Il se retrouva seul : « cheminaud ». Mourut à l’hôpital.
Très tardivement, peu avant sa propre mort, mon père me montra – avec une fierté qui trancha soudain sur tout ce que j’avaias etendu dire de celui qu’il m’est difficile d’appeler un « grand père » – une lettre que son père avait écrite à ma mère pour l’accueillir dans la famille. « Il écrivait bien », dit mon père. Cette lettre brève me parut grossièrmeent emphatique, et d’un histrionisme que je crus être celui que je ne connaissais que trop chez mon père. Je tus mon dégoût.
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Nos vies protégées, celles de tous les membres de la famille que nous formons à quatre : tous fonctionnaires, n’ayant jamais risqué de se trouver sans travail, sans ressources...... vies incroyablement protégées ! (Nous le constations une fois de plus, H et moi, l’autre matin, en entendant des informations... Et dans cetet maison, héritée, vaste, confortable...)
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Simmel, Les pauvres
« Ce que nous observons ici est une caractéristique très importante de la sociation humaine (Die menschliche Vergesellschaftung) , un trait que l’on pourrait appeler induction morale : bien qu’un geste d’assistance, quel qu’en soit le type, puisse être spontané et individuel et ne répondre à aucune obligation, le devoir de le perpétuer émerge dès lors qu’il est effectué. Ce devoir n’est pas seulement une demande de la part de celui qui reçoit l’assistance, mais aussi le sentiment de celui qui donne. Il est très commun que les mendiants à qui l’aumône est donnée en viennent à considérer celle-ci comme leur droit et devoir du donneur, et si celui-ci échoue à cette supposée obligation, ils l’interprètent comme un refus d’une contribution qui leur est due et ressentent une amertume qu’ils ne ressentiraient pas contre celui qui leur a toujours refusé l’aumône. »
Ici je pense à la femme asiatique aux cheveux raides, gris acier, qui fait la manche rue de la République. Elle est presque toujours en attente dans la même entrée d’immeuble (un de ces immeubles modern style). Des mois durant, je ne lui ai rien donné, et, d’ailleurs, elle ne m’adressait pas une demande précisément adressée à moi. Du jour où je lui ai donné un euro, il a fallu ne plus jamais manquer de le faire. Souvent elle me voit de loin, quand j’arrive, me dirigeant vers le centre commercial et Carrefour. Son regard (si dur quand on la regarde sans qu’elle le sache) soudain s’éclaire ; et c’est toujours le même appel (une voix désagréable), le même petit bout de course vers moi, la même manière de remercier, etc. Je n’imagine pas ce qui se passerait si, un jour, je lui refusais la sempiternelle pièce. Il est arrivé que je n’aie pas un euro en allant faire mes achats. Je lui ai fait comprendre par gestes (elle ne parle manifestement pas français) que je lui donnerais « sa » pièce en revenant. Et, au retour, j’étais sombrement attendu.
« De même, celui qui, étant plus aisé, vient pour un certain temps à l’aide d’une personne dans le besoin après avoir établi à l’avance la période pendant laquelle il le ferait, garde, lorsqu’il met à ses donations, un sentiment douloureux, comme s’il était coupable. »
C’est ce qui m’est arrivé, au fond, lorsque j’ai arrêté mon soutien à ce jeune cambodgien dont j’avais, pendant deux ou trois ans, financé mensuellement les études.
Et Simmel aura ajouté :
« Ce fait est reconnu en toute conscience par la loi talmudique du code rituel Jore Deah : celui qui a assisté un pauvre trois fois avec la même somme d’argent, bien que n’ayant eu aucune intention de poursuivre l’assistance, acquiert tacitement l’obligation de la poursuivre ; son geste prend le caractère d’une promesse, de laquelle seules des raisons irréfutables peuvent le dispenser, tel, par exemple, son propre appauvrissement. Le cas dont nous venons de parler est bien plus compliqué que le principe auquel il est lié, homologue au odisse quem laeseris, qui proclame que l’on aime celui envers qui l’on a été bon. Il est compréhensible que l’on projette la satisfaction procurée par notre propre action sur celui qui a rendu celle-ci possible : dans l’amour que l’on ressent pour celui pour qui l’on a fait un sacrifice, c’est en essence nous-même que l’on aime, tout comme dans la haine contre celui à qui l’on a fait du mal, c’est nous-même que l’on hait.Le sens de l’obligation que la bonne action laisse chez le bienfaiteur , cette forme particulière de noblesse oblige, ne peut être expliqué par une psychologie aussi simple. Je pense qu’en fait une certaine condition a priori est impliquée ici : que chaque action de ce type, malgré sa liberté apparente, malgré sonr air visible d’opus supererogationis , dérive d’une obligation ; que dans un tel comportement,une obligation profonde, rendue visible par l’action, est implicite. »
Et un peu plus loin :
« Ainsi, il doit exister un instinct moral qui nous dit que le premier acte de charité correspondait déjà à une obligation, et celle-ci exige un deuxième geste pas moindre que le premier. »
Dans mon inquiétude pour Khaled, à qui, depuis quelques mois, nous réservons deux logements, son studio à Orléans, et le petit deux-pièces de Paris, et qui envisage de quitter ce dernier appartement pour louer (puisqu’il a désormais un salaire) une chambre (éventuellement chez quelque ami africain), je m’étais dit que, selon les principes mis à jour par Simmel, nous ne pouvions que désastreusement faire moins pour K que ce que, depuis janvier 2011, c’est-à-dire de puis six mois, nous faisons... Mais hier, légèrement, sans amertume, K m’a paru balayer tout cela... Il n’avait pas oublié qu’il n’était rue M.le Prince que provisoirement.
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Questions de Simmel : assistance fournie par l’Etat ou par des particuliers ?
(Les pauvres p66 « la tndance [...] qui consiste à considérer l’assistance aux pauvres comme un propos concernant le plus grand cercle politique, alors qu’initialement il était basé partout dans la communauté locale. »)
Asssistance aux pauvres comme individus ou à « la pauvreté » ?
*** J’ajouterais une question d’aujourd’hui. L’assistance a-t-elle à s’exercer au sein d’une socité (voire d’une communauté) à laquelle appartiennent assistés et « aidants » ? Qu’en est-il des immigrants, des étrangers démunis et se retrouvant là, dans l’espace commun d’ »une » société ?
Puis-je tenir, faire durer ici cette question ?
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« La République des clandestins » vu hier soir (18 juin 2011) à la télé...
Des Africains – Sénégalais... Camerounais aussi ? – qui veulent absolument aller en Europe – et qui en « pirogues » tentent d’arriver aux Canaries. De là ils comptent passer en Espagne, trouver du travail, gagner de l’argent – et en envoyer à leurs familles...
On voit des barques rudimentaires arriver (barques très colorées – et par là quasi joyeuses ? –, mais, en même temps, abîmées, rapiécées, prenant l’eau)...Des hommes à bouts de forces. Certains sont morts pendant le trajet (de déshydratation). Les autres ont jeté les cadavres à la mer. Ils sont recueillis, soignés, puis laissés en liberté, semble-t-il : est-ce la législation espagnole ?
On verra deux de ces jeunes hommes écrire en français sur un écran à des proches au pays pour leur conseiller vivement de ne pas partir.
On voit en un autre endroit des noirs (combien ? cent ? davantage ?) dans le désert – au sud de l’Algérie ? –, habitant dans des ruines, murs sans toits..., et organisés, expliquent-ils... (pour la cuisine, la police, voire avec des armes pour se défendre...). On verra à un moment un douanier algérien venir ... les racketter (il achète les portables pour une somme minime, qu’il reprend aussitôt pour prix de leur embarquement sur son pick up....).
On voit, au pays, des femmes de pêcheurs qui disent qu’il n’y a plus de poisson (il est question, fugitivement, de grands bateaux européens qui ont épuisé les ressources en poisson). Certaines mères qui disent accepter que leurs fils risquent leurs vies... car ici il n’y a rien à faire.
On voit un homme jeune, grand, calme, grand cou puissant, visage tragique, qui annonce qu’il va tenter l’aventure. Il explique qu’il doit vivre dans une surface minuscule avec sa femme et ses quatre enfants. Et il « nous » emmène voir la maison (murs et sol en béton : c’est, nous explique-t-on, un signe éclatant de réussite) construite par un homme relativement âgé grâce à l’argent qu’il a reçu de son fils.
Mais en un autre endroit, on verra des femmes, des « mamans », qui se réunissent pour tenter d’empêcher les départs. L’une va parler à un jeune homme pour essayer de le convaincre de renoncer... L’autre s’obstine. La femme parle bien... Quand le jeune homme conclut (alors qu’elle lui dit qu’il risque la mort) « c’est le destin ! » , elle remarque : « c’est bien vague, le destin ! »
Les barques, oui... on les aura vues à plusieurs reprises. Là où aux Canaries, des employés blancs gantés les vident après le débarquement de leurs occupants... (Gros bidons en plastiques, débris divers qu’ils jettent sur le bord, etc.) Ou bien là où, avant les départs, on les rapièce. (On aura vu un pêcheur relativement âgé se vanter : « avec ces barques ont peut aller jusqu’en Amérique ! nous on connaît !... avec un GPS, un cadran, [ et je ne sais plus exactement] »
A PROPOS DE CETTE VIDEO
Les documentaires offrent une autre appréhension du monde qui nous entoure et portent un regard différent sur la vie politique et ses acteurs.
Ils sont des milliers. Nous les côtoyons chaque jour. Les médias relayent régulièrement les difficultés auxquelles ils font face et les politiques ne cessent d’annoncer des mesures à prendre à leur sujet. Ils sont un enjeu, social, électoral, et même un problème pour certains.
Sébastien Deurdilly n’a pas perdu de vue que derrière chaque clandestin se cache un homme ou une femme qui s’est lancé dans l’aventure d’une vie pour atteindre l’eldorado européen.
Du Sénégal, à la frontière de l’Algérie et du Mali en passant par les Canaries, il a retracé le parcours sinueux et semé d’embuches que doivent emprunter les candidats … à la clandestinité. Il a recueilli les témoignages de ces aventuriers du 21ème qui racontent les sacrifices consentis sur l’autel d’un fantasme : l’Eldorado européen.
Réalisation : Sébastien Deurdilly, durée : durée : 52’
Je viens d’enregistrer – je crois (entièrement ? pour une certaine durée seulement ?) – ce reportage sur internet (voir le fichier Dailymotion –LA REPUBLIQUE).
Avec qui voudrais-je le regarder ?
*** Qu’est-ce que je « fais » de tout cela ? Pourquoi devrais-je en faire quelque chose ?
Et que vaut là la pauvre question Emerson : « Est-ce que ce sont mes pauvres ? »
Voudrais-je savoir tout ce qui se passe d’extrême dans le monde ? Par une sorte d’encyclopédisme catastrophiste ? (Se relançant par un « on ne parle pas de... », « on ignore... »)
A quoi bon se donner une pareille satisfaction ?
Qu’est-ce que je crois faire ?
A qui ou quoi suis-je moi-même en train de destiner tout ça ?
Quel rapport avec le regard ou l’écoute à qui s’adressent par moments ces hommes ou ces femmes ?
...........
Vittorio Sereni, cité par Franco Fortini dans sa préface à Etoile variable :
« Le livre... devrait exprimer cette présence simultanée de l’impuissance et de la potentialité, ma difficulté à comprendre le monde où nous vivons et en même temps le besoin impulsif d’y chercher de nouvelles significations cachées, la conscience d’une condition diminuée et malheureuse, et l’hypothèse d’une vie différente, aussi vague et fuyante aujourd’hui que prête à se représenter chaque fois que nous saurons en saisir les signes et les traces humaines. » (1980)
Ce qui est dit là est trop simple. Se sait sans doute tel. Est, par là, humble.
.......
Sereni Etoile variable (trad. Renard et Simeone)
Lieu de travail
Ces marches l’escalier fait un coude, tous
ces gens qui passent (et repassent chaque jour :
pour le travail) tournant au coin de l’escalier, de la vie.
Usé
par ces réitérants le tapis à cet endroit
sous une froid reflet de lumière. L’hiver comme l’été
et là se refroidit
dans le guet-apens d’une pensée depuis toujours semblable à elle-même
toujours prévue pour cet endroit
toujours pensée pareille
le regard qui là invariablement tombe
chaque jour chaque heure
d’années de travail d’années-lumière
de froid – comme toujours
là commence un automne.
Un poème où repasser indéfiniment
élimant l’évidence incrédule
jusqu’à une transparence grise
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Philippe Renard, dans « D’un seul lieu, de nul lieu », postface de Les instruments humains :
Pour Sereni, dit Renard, il s’agit « d’être fidèle à des sensibilités complexes et complémentaires que le poète ressent comme garantes de son authenticité. Nous disons sensibilités au pluriel car elles sont de degrés différents : elles vont de l’ébranlement des sens à l’attente anxieuse, de l’illumination immédiate à la recherche tâtillonne. A preuve ces cahiers de travail in progress où des poèmes achevés, des vers isolés, des bribes de prose et des titres attendent le lent mûrissement qui les complètera et les fera exister.Ainsi Sereni prévient-il dans un note aux Instruments humains que souvent il ne peut fixer qu’une date de départ et une date d’arrivée pour un poème : entre les deux s’étale le temps de la lente cristallisation de l’écriture. »
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Désir (de sentir, penser, dire)...
Il me faut revenir, pour ma part, à quelque chose de l’ordre de « l’indétermination »...
Ce terme, ne l’ai-je pas trouvé chez Lefort ?
N’est-il pas caractéristique de ce qui m’a attiré dans sa pensée ?
(Certains termes négatifs, chez lui – et, dans son sillage sans doute, chez Benslama – , ont une force propre d’affirmation...)
Il s’agirait de ne jamais rien capter-former-formuler qu’en sentant ou plutôt en suscitant la refuite en masse de ce à quoi on a eu affaire.
Cette refusion grise, là, juste devant, au plus près, réexiste toujours en se donnant-refusant (simultanément, au moins virtuellement) à d’autres, en même temps, dans un réengendrement permanent de latéralité.
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La peur des morts ? la terreur de ce qu’on pourrait devenir soi-même, errant, inapaisé, en colère ?
Les rituels à eux consacrés : ceux dont on peut se promettre qu’on sera le destinataire ?
Est-ce là une manière d’espérer qu’on ne sera pas abandonné à ce qui, dans la vie, sera resté inassouvi ?
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par moments on sent que cette chose à dire est prise réellement dans ce qu’on en dit, et qu’elle devient substance étirée dilacérée de vide dans l’effectivité verbale des phrases mêmes
ou n’est-ce pas, plutôt, le dire qui devrait être pris dans ce dont il est parlé ? qui en subirait la résistance, qui s’y perdrait mais en vivant comme jamais, qui, s’en arrachant par moments pour y replonger, s’espacerait dans de l’épais réel (herbes jaunâtres happées déroulées, mi-décomposées mais résistantes, obstinément tressées à de la boue), et y trouverait un rythme horizontal indubitable ?
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Notes, fausses notes, notes tenues
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Chacun de mes « textes » (ce mot... !) doit-il porter et révéler en lui/sur lui la plaie d’un arrachement... Violence constitutive... comme une odeur répugnante
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Dans l’enfance, il est si peu naturel de se ranger du côté de celui que les autres humilient.
Je me souviens des humiliés à l’armée (et l’habileté qu’il fallait pour ne pas tomber parmi eux).
Dès le début des classes, dans la chambrée, se trouvait un type à l’allure gauche, raide, avec ce nez toujours humide et comme translucide qui se voit chez ceux qui sont promis à être victimes... Lui et moi étions arrivés à la caserne avec huit jours de retard (j’avis eu une forte grippe). Nous venions, pour la première nuit, de prendre les derniers lits restant (en haut... des lits superposés... dans ce dortoir archaïque – avec un poële – où nous étions une trentaine). Une – la ? – grande gueule de la chambrée, sous les regards complices de tous, moi y compris, lui avait fait croire, au moment où nous nous couchions qu’il fallait dormir avec le casque qu’on nous avait donné avec notre uniforme, etc. Le premier mouvement, chez moi comme chez les autres, avait été de rigoler et de croire – sans même y penser – que ce type, vaguement disgracié, avait mérité ce qui lui arrivait, et qui n’était pas si grave.
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Chevrier parlant du travail d’un architecte (Jacques Herzog) :
« La concentration respire, comme chez Cézanne »
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Avec ? Parler avec ce poème ?
Comment dit-il, déjà, Hwang Ji-U, l’ami évasif, si courageux, si mélancolique ?
Alliée à une vision moderne (« désenchantée » , rationalisée, neutralisée par la science ?) du cosmos :
fin du poème intitulé « Temple Unju sur la mer de nuage » :
« Même si on faisait le tour du cosmos en larguant complètement les voiles,
Ce n’est que le cœur de l’homme qu’on peut aimer ;
L’ancre est jetée dans la boue d’ici-bas.
Un jour lourdement ennuagé
Les montagnes sont des îles très lointaines. »
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Chevrier (La trame et le hasard, p10) :
« Pour Benjamin, le hasard proustien, identifié aux révélations de la mémoire involontaire, est un correctif apporté à l’érosion de l’expérience fondée sur l’actualité d’une tradition : l’individu isolé, détaché des rites de la vie communautaire, réduit à ses seules ressources, doit s’en remettre au hasard pour renouer avec son passé et surmonter les discontinuités de son histoire, puisqu’il ne peut plus bénéficier des mécanismes d’intégration de la mémoire collective. »
Les « ne plus » de Benjamin sont les aliments de son utopisme...
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Ce que j’appelle poésie, dans et pour mes tentatives tous les jours recommencées, comporte nécessairement l’imprévisibilité, toujours recréée, de ce qui est à sentir-penser-dire-former . Cette imprévisibilité peut être celle du plus connu, du plus ordinaire. Ou plutôt elle comporte nécessairement une part d’ordinaire, de quotidien, de très connu. Dans la préaube, dans la nuit d’avant le jour (dans les instants où hésitent, l’une par ou contre l’autre, l’agitation interne du sommeil et des rêves qui déjà se ravalent dans un passé plus que proche et tout autre, la réapparition demandeuse et grouillante des préoccupations et interrogations de la veille, et la surprise de retrouver toutes choses au présent), quelque chose de massif arrive, puissant, comme si le réel totu entier se retournait, s’écrasait sur et dans mon attention, terreux, humide, aérien, atmosphérique... Tout ce qui va alors se préciser en traits formulables, en détails aigus, tracés brûlants (inscrivant des choses senties dedans/dehors, on ne sait plus), n’aura demandé à être dit que sur le fond de cette pression globale, de cette pesée énorme, vitale, nécessaire, sans laquelle... rien ...
avec ce qui précède, les notes descriptives, frontales, ne sont-elles pas contradictoires dans la mesure où chacune d’elles se consacre à de l’identifié et du circonscrit ( pex la note sur l’écureuil
Cependant, ai-je dit dans la cuisine en fin d’après-midi (air gris, ciel, vu à travers les vitres, celels du haut en particulier, orageux fécond),
aujourd’hui – c’est-à-dire selon une tendance toujours présente pour moi, mais plus décidément depuis quelques années –
toute une part de mes tentatives (que je crois « poétiques ») comporte une dualité singulière, sous des traits multiples.
Et c’est là qu’il me faudrait tenter d’expliquer ce qu’est, « pour moi » (mais c’est tout de suis autre chose qu’un « pour moi »), l’écriture poétique
– la formulation-formation (je conjoins ces deux termes pour ne pas laisser oublier que c’est aussitôt une question de forme, celle-ci pouvant ou devant devenir disposition visuelle, là où des espacements s’engendrent , là où sur la page des blancs divers, à la favuer de la typographie, s’imposent, coupent le souffle, font pression, comme si le support alors devenait une puissance singulière) –
telle qu’elle implique ou révèle ou convoque deux (deux au moins, deux au minimum, deux comme une amorce battante) vies-voix.
(J’appelle vie-voix une continuité entre l’existence de quelqu’un et l’émergence d’une voix dans l’écriture... – continuité à travers des écarts ou des sauts de styles divers et qui contribuent d’abord à constituer-reconstituer le genre selon lequel va se réaliser l’écrit – en particulier le roman, le théâtre, l’essai, le poème – ; c’est une continuation transformatrice..., mais à mes yeux, la voix du ou dans le poème – est-ce en ce sens qu’il faut le dire « lyrique » ? – reste le plus tenacement liée à l’existence continue de quelqu’un qui parle, elle impose, tout autrement que roman ou théâtre, la charge de cette continuité, la responsabilié peut-être de cette liaison... avec le fait d’exister... en tant que sujet individuel )
Deux, donc.
L’autre voix n’est pas moins réelle que la première. En un sens elle l’est – comme par suprise, par éclairs orageux – davantage. Ou elle renvoie par éclairs la première à sa propre réalité, la fait régresser instantanément dans sa propre existence-provenance.
D’où, à chaque fois, la formation d’un « avec », ou l’afflux d’un « entre » – entre deux, dans l’instant, mais et aussitôt entre beaucoup plus que deux.
L’autre voix, l’autre présence, se révèle réclamer – même si elle ne le sait pas ou ne le veut pas, ou plutôt même si elle ne le veut que comme le voudrait toute présence – de l’attention, et soudain la plus aiguë possible (dévorant brusquement toutes les forces de la première vie-voix).
(Il m’est clair que depuis des années, depuis toujours peut-être, mes tentatives critiques auront essayé d’être à l’écoute de vies-voix, auront désiré s’écrire selon une attention ou écoute prêtée à une voix autre, à une continuité transformatrice – et c’est ainsi que je pourrais relire même un essai aussi aride que mon « Flaubert critique ».)
La maison, grande maison, fut l’instrument de réalisations de dualités.
Et le « je » qui a tenté de réaliser ces dualités aura été toujours nourri ou irrigué, fût-ce conflictuellement et douloureusement (les malentendus sont innombrables, vitaux, et les désirs ou répulsions à l’égard des désirs des autres, grondent aussi là… d’une manière particulière) (Bunuel ? Viridiana) par les liens diurens-nocturnes dans la maison (dans la nuit, même en plein jour, de la maison, avec donc des raccordements à diverses continuité incirconscriptibles).
L’autre vie-voix fut présente, répétitivement et toujours autrement, par irruption inattendue. Une irruption résultant pour une part d’une décision, mais une décision aussitôt bouleversée ou débordée.
Ce que j’appelle ici »avec » aura toujours comporté une irruption faisant interruption.
Il y aura toujours eu cet étrange et cruel équilibre – en vivant, en écrivant – à trouver entre la continuité de la première vie-voix dans tous ses liens et l’irruption d’une autre vie-voix pour la première et pour tous les liens de celle-ci.
L’autre vie-voix n’a pas été choisie. Elle est et restera celle d’un quiconque. Un quelqu’un qu’on n’attendait pas et dont on n’aura pas spécialemetn désiré la présence.
Certes il y aura eu une décision, en quelque sorte constitutive. Et cette décision, dans bien des cas, a eu d’emblée une composante politique et administrative. C’est là, d’ailleurs, que les liens familiaux (spécialement : la position d’Hélène dabs la vie et dans le monde social ou politique) ont été impliqués.
Car il s’est le plus souvent agi, dans la maison, de la présence de quelqu’un qui « n’avait nulle part où aller » (formule de Jonas Meckas).
Depus Ibrahim l’ivoirien à Pedram l’iranien ou à Kim le cambodgien ou à (brièvement) Laura l’angolaise ou à Khaled le darfouri. Des exilés, des migrants, certains officiellement acceptés, d’autres clandestins.
Il y a eu une conjonction de l’imprévisible et de l’organisé. D’où l’implication, ici même, du social ou du politique (au sens de ce qui aura poussé ces individus à migrer ). Une présence des « papiers », de leur odeur même. Le sens des regards impersonnels et soudain très réels de l’admnitsration (Préfecture). Et puis, bientôt, la question de l’emploi, du travail...
Avec quelque autre. Et non sans une constitution spécifique d’ »entre ». Un entre deux , en parlant dans la cuisine (mais avec la présence-soutien-pression de toute la maison) ou dans l’acte d’écrire dans la préaube (en me rappelant ce que j’ai entendu la veille). Cet entre-deux ( si concret, de part et d’autre de la table de la cuisine) ne vaut, en un sens, que comme l’amorce d’un afflux sans contour : celui de l’ »entre » en géénral, océanique et aussitôt capté-différencié, l’entre des existences, individuelles mais en tant que rpises dans leurs appartenances...
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La même porte vitrée de la même chambre de la « grange » en Vendée… Ouverte, en août 2011, comme il y a peut-être vingt ans… Même ciment sur le sol. Quasi mêmes petites plantes qui poussent au long, etc. J’étais venu là, jadis, en automne – et même en hiver ? –, pour être seul, très seul…, avec cette sorte d’espoir en ce qui aurait dû être pure concentration, heure après heure.
Aujourd’hui, il faudrait accomplir une minime mais décisive conversion de l’atttention. Me percevoir – percevoir le moindre de mes efforts – dans de l’ »entre ».
Cet « entre » n’a que peu à voir avec les attentions que tant désirent captiver..
Il est à vivre solitairement le plus souvent… , mais il est bien ce qui est d’autant plus actif qu’en suspens.
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*** Laurent Olivier, archéologue, Libération 5 août 2011-08-06
« Nous ne contrôlons pas l’héritage du passé ; nous ignorons même en grande partie de quoi il est fait. Il s’impose seulement à nous, en ressurgissant sous unefore inattendue : un jour, on découvre que la terre autour de l’école est contaminée, ou qu’une grosse bombes non explosée de la Seconde Guerre mondiale vient de faire surface en pleine ville. Nous ne contrôlons pas non plus l’héritage que nous transmettons au futur. Ce que nous léguons à l’avenir ne dépend pas de ce que nous voulons lui communiquer, mais de ce que nous sommes et de ce que nous faisons : au lieux, aux choses, aux êtres. Ce que nous transmettons à l’avenir nous révèle, fondamentalement, dans notre être : nous sommes seulement cela ; le reste est ce que nous croyons être. »
Olivier cite Günther Anders : « Nous sommes tout-puissants parce que nous sommes impuissants. »
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« Entre », « dans », « avec »... Tenter de concentrer convertir l’entre dans un « avec »... ?
ET le redoutable « dans »... originaire...
les liens (Winnicott, Henry Moore, ce musée au Japon : liens s’évaporant sous le ciel... Non loin de quelques Bourdelles verticaux)
L’entre peuplé d’images dans la rue... obsédantes vc’est à elles que je me uehrte tout en croyant frôler des corps
Je regarde deux hommes se parler sur la place : je vois l’entre leurs profils ; ce qui les anime, ce qui est là que j’hallucine là dans l’air, est-ce que je le hais? voudrais en faire quoi ?
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Je me surprends souvent à imaginer une masse d’où seraient issues, par des partages déchirants ou par reflets, les positions les plus incompatibles.
IL y aurait un fond de potentialités... qui aurait une forme de présence à travers la diversité même (et à travers les étagement temporels de chaque position), en-deça de tout hermétisme des uns aux autres, en-deça aussi des pauvres images des uns pour les autres.
La phrase de Keats sur la masse originaire liquide
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Ou plutôt, me dis-je : chaque écrit, même de petite dimension, ne devrait se former qu’en allant de tout son contour fiévreux (comme une membrane) toucher, au bord de l’entre, l’enveloppe en quoi on parle pense sent désire... ah l’inévitable et vitale... jaune plus réelle que tout, mais glissante, inaccrochable ...
Ai-je quelque idée d’une pareille enveloppe? serait-ce celle en laquelle sentir-penser-parler ? celle en laquelle se sentir co-existant avec... qui ou quoi ? potentiellement : tout humain ? mais aussi... qui ou quoi ? s’agirait-il de ne pas exclure ... quoi ? les vivants ? la réalité même des choses, ou de l’espace-temps ? la généralité devient aveuglante – et pourtant... elle s’impose, réclame... tout en menaçant toujours, essentiellement, de se faire mensongère...
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*** Des billes de métal roulant sur des tôles surchauffées : telles étaient dans mes oreilles, dans mon cerveau, ces voix entendues dans le train une heure durant... rien dont je puisse rien « faire »...
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*** Mes notes-poèmes, leur prosaïsme par instanats quasi documentaire... : paumes nues palpant avidement et aveuglément, en s’y brûlant, en s’y collant, cloquées, tout ce qui se présente...
le passionnant De Signoribus, je le sens (et l’aime) à l’opposé. Ses poèmes ne cherchent pas à dire ce qui arrive. Ils y répondent, avec une justesse déchiquetée. Ils se placent dans un intenable « au milieu »...
Ce dont ils ne parlent pas à proprement parler est sensible tout autrement – comem souffles qui interrompent, comme puissances d’arrachements...
(l’entre, encore...)
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La peur, fondamentale. C’est elle qui, en 1976 je crois, s’est trouvée réalisée pure dans l’espace-temps devenu abstrait (sans contenu) et tendu comme de la vitre.
Je l’ai trop fuie. La déceler dans mon ultime désir de « penser »...
Est-elle distincte de ce que j’ai maintes fois appelé « terreur » ?
Elle est plus secrète. Elle n’est pas une interruption, elle ne constitue pas un changement d’ »état ». Elle est peut-être constante. Elle est la dureté même – ou l’immense fragilité – du réel.
Une autre fois, la nuit, je ne pus que me rouler en boule contre le mur du jardin du fond
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Peut-il être question de bêtise, sans savoir ce que veut dire ce mot ?
C’est un mot – ou un de ces mots, astre gris d’une certaine constellation répétitive – qu’on a besoin d’employer sans savoir, ou du moins sans fixer, ce qu’il veut dire.
Comme tous les mots ? Plus que les autres, car il comporte un risque de circularité, de retour rapide sans qu’on puisse plus rien fixer.
En particuleir dans les jugements radicaux qu’on porte sur les autres. « Quel con ! » : jugement facile et terrible, dans la vie en général, dans la vie politique, dans la vie intellectuelle… Des sortes de mises à mort symboliques, du désir de jeter hors…, d’expulser.
S’attaquant à ce qui serait l’être même d’un sujet. Sa position ? son « soi » intime comme source de pensée ou non pensée ?
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et aujourd’hui … non pas l’œuvre au sens Flaubert ou Mallarmé
mais du détail criblant arrivant ce qui cherche à se former et comportant un pôle, un double pôle parlant de réceptivité
et … adsorbant de l’entre qui ne peut être circonscrit en œuvre au sens Flaubert
(de l’entre dont l’état, l’être doit etre exposé essayé)
qq ch de constamment exposé y compris aux afflux journalistiques…
paroles dénivelées, hétérogènes
insinuations dans les accidents de l’entre
être quiconque recevant et pourtant soudain, au vol, s’acharnant , spécialisation , concentration de l’attention, lectures bribes
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Le jugement immédiat : savoir soudain trancher – sur la bêtise, sur la bassesse.
Bouveresse, préface à Kraus, La troisième nuit de Walpurgis, p.49 :
« Tilo Schabert rapporte la réponse mémorable de Voegelin à un étudiant qui tenait des propos indulgents pour les Allemands « séduits » par Hitler : « Parmi les droits de l’homme, cher Monsieur, ne figure pas le droit d’être un imbécile. Vous n’avez pas le droit d’être un idiot. » C’est une chose que Kraus aurait, je crois, très bien pu dire lui-même, en ajoutant probablement que, parmi les droits de l’homme, ne figure pas non plus celui d’être une canaille. »
(Dans la réponse de Voegelin, le « vous » (de l’anglo-américain traduit en français) est-il plutôt un « on » ? Et l’ »idiot » serait alors tout Allemand séduit par le nazisme... Ou l’imbécile serait-il l’étudiant lui-même, indulgent pour la séduction exercé par Hitler (voir séduit par elle) ?)
...... ;
Platonov, en temps de post-révolution soviétique ou de délire nazi que dans un texte (« Un vent d’immondices » – de 1934 ou 35, mais publié seulement en 1966, et traduit dans le recueil La ville de Villegrad ), il essaie de pénétrer… Dans ce dernier texte, le personnage de Lichtenberg : « personnellement, il n’éprouvait qu’avec peine le sentiment d’exister, ne retrouvait qu’au prix d’un grand effort chacun de ses souvenirs de lui-même, car d’ordinaire, il se perdait constamment de vue, peut-êre un trop-plein de conscience souffrante débranchait-il en lui la vie afin qu’elle se conservât quand même, ne fût-ce que dans son affligeante amnésie. »
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Platonov est infini, comme au-dedans... on peut s’y enfoncer... tout s’y fait élastique
Une sorte de terreur
« – Villegrad ! Y a-t-il des passagers pour Villegrad ? C’est la prochaine, dit le convoyeur en se mettant à balayer. Ces brutes-là, ça vous jette des saletés par terre comme si c’était aux champs. Vous mériteriez une bonne amende, seulement vous n’avez pas le sou. Ôte-moi tes pieds de delà, la mère !
Quand Chmakov eut quitté le train, une sorte de terreur s’empara de lui.
« Le voilà, mon lieu d’exil », se dit-il en examinant la gare silencieuse et les modestes humains qui s’infiltraient en toute hâte dans les wagons.
Bien que le lieu fût relié par des rails avec le monde entier – Athènes, la presqu’île des Apennins, les rivages du Pacifique – personne ne s’y rendait : nul n’en avait besoin. Et même si quelqu’un l’avait voulu, il se serait sûrement embrouillé dans son itinéraire : car les natifs du cru n’étaient pas très dégourdis. »
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Ai-je tendance à compliquer les choses ? Non pas par excès de pensée, mais par incapacité à organiser et éclaircir ce qui me sera venu...
Me vient-il trop de choses ? Par une faiblesse constitutive (si j’accueille, c’est peut-être que je suis vide, intérieurement effondré... béant comme une pièce aux murs percés, sans plafond, etc
Ces choses qui me viennent à tenter de dire sont, sans doute, toujours les mêmes, mais devenant ici irrésistiblement disparates, non assemblables, fût-ce à elles-mêmes (le même se faisant ici autre que lui-même, méchamment...)...
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cette fois-ci c’est au retour de Bruxelles
train de Paris à Orléans, il fait déjà nuit (il y a eu, un quart d’heure plus tôt, pendant une minute dans le crépuscule, s’écrasant sur les vitres, le brun rose délicieux des champs labourés hersés sous un ciel tendrement métallique... avec quelques points de lumière ici et là)
voix, donc...
voix dans le demi-sommeil quasi au ras de la plaine qui se déroule
elle, la voix, clapotant là au ras de tout, invite rituellement « les personnes n’ayant pas acheté ou composté leur billet à se faire connaître avant toute opération de contrôle »
mais voici que le contrôleur ajoute une formule apparemment de son cru et avec une sorte de pathos : « et ceci afin d’éviter tout malentendu »
au moment où résonnent ces mots supplémentaires, bizarres, et qui m’ont fait dresser l’oreille, un noir d’une quarantaine d’années, assez ventru mais musculeux, chemisette blanche, peau brillant de sueur, passe à côté de mon siège dans l’allée centrale du wagon
et il émet un ricanement sardonique
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Dans la rue pluvieuse soudain ... une évidence fugace, immédiate abstraite, tracés argentés au milieu du temps, voire des capillaires sanglants comme des mailles de moëlle dans la pluie fine et continue une quasi organicité découverte
celle du filet poétique jeté sur... ou plutôt dans ... en réalisation instantanée... pénétrant capillaire
sanglant le désir
en tant qu’il ne peut être objet de savoir
mais toujours en-deça de toutes les réalisations
possibilité retrouvée toujours en reculant
et non pas dans le sujet (dans une intériorité)
mais dans la fluence entre des positions, dans l’entre même pleins de disjonctions dans l’espace commun hémorragique ou dans le temps inenveloppable
selon des pôles partagés momentanément, fragiles, souffles lumineux dans de la neige
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Le point d’individuation de chacun... Comme une aisselle végétale animale qui se cache, se déchire, saigne... Là où une fourchure dangereuse se fait à partir de l’obscurité-continuité animale-humaine qui aura été nécessaire, en ou pour chacun, à la vie.
Est-ce de là, me dis-je en entrevoyant un couloir ouvert sur la rue, que sourd continument (imprévisiblement) pour chacun du désir qui se singularisera, le définira...(dans un passage de la continuité à la solitude insurmontable) , qui sera sa « position » non choisie, aveugle, parmi les autres...
De ce pli en-deça, de cette divergence intime odorante ... , banale et dangereuse, il reste une sorte de nécessité de moments de régression – là où on est ou a besoin d’être réaspiré ravalé en-deça de la différenciation individualisante... Ces moments de recul l’infra-individuel, malgré soi, se manifestent (s’imposent excessivement) aux autres comme ce qui, du soi, peut les choquer le plus, leur peser (quand l’intime du souci ou des soins de soi déborde indiscrètement comme une odeur)
Les traces indiscrètes qu’on laisse de soi, les empiètements dans ce qui devrait rester de l’ « entre » neutre... , bouts de choses représentantes de soi et suscitant le dégoût y compris ou surtout de personnes qui vous sont étroitement liées
Voilà le genre de choses que je ne peux que « me dire » en tant qu’un « moi » parmi d’ »autres »... Un moi obligé d’abonder dans sa propre direction ? Un moi sentant les autres moi encombrés d’eux-mêmes et par là tyranniques ?
« Empiètements » des uns sur les autres, ou plutôt des imaginations de soi des uns ou des autres... c’est le mot qui me venait en parlant à Masatsugu, ce matin.
Empiètements fantasmatiques mais se réalisant dans des choses matérielles... Ce en quoi chacun revit refond sa dépendance fondamentale
Empiètements, désir en chacun de ne pas être totalement en charge de « soi », continuer à impliquer quelque autre dans le rapport à sa propre intimité, indissociablement corporelle et psychique (d’abord : le contrôle des fonctions corporelles... qu’elles n’envahissent pas l’ »entre »).
L’ordre « adulte », bien entendu, n’est pas un bon ordre. Mais il semble toujours être le seul qui puisse tenir. Pour chacun et entre tous, il émerge, toujours momentanément, des dépendances infantiles ou séniles. Il ruisselle comme un roc dur et noir de regrets plus ou moins inconscients.
Et la vieille immense habitude d’asservir d’autres sur qui se décharger des rapports, d’abord corporels, de soi à soi...
Les machines qui se substituent aux esclaves ou serviteurs, et qui démocratisent la possibilité de se décharger des soins de soi.
La lessive (depuis Nausicaa) : l’intimité et ses traces les plus étouffantes (secrétions) confiées à d’autres, des femmes bien sûr.
Fin de la lessive : dans les années cinquante ?
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Traces taches empiètements : ce pourrait être un titre pour mes fausses notes
Erreurs ?
Dérapages
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Philip Guston, Conférence à l’Université du Minnesota en mars 78
« Franz Kline, dans les années cinquante, au cours d’une conversation de bar m’avait déclaré: « Tu sais ce que ça veut vraiment dire, créer ? » C’est accepter d’être mal à l’aise. » L’une des meilleures définitions de la peinture était celle de Kline ... : « Tu sais, disait-il, peindre, c’est avoir les mains prises dans un matelas. »
Les mains dans un matelas
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Petr Kral, dans une note de sa Postface à Vends maison..., « Hrabal ou le réel accepté », écrit :
« C’est la douceur elle-même qui est vertigineuse chez Hrabal, de même que les vertiges – les affolements – s’y font doux. Ainsi, entre autres, quand le sculpteur de La trahison des miroirs vomit juste un peu dans son auge, ou encore quand des cloches et la blouse d’un maçon, à la fin du récit, tremeblent légèrement dans la brise que déclenche l’explosion d’un monument géant (celui-là même, révélons-le en passant, que la Prague des années cinquante a érigé à la gloire du Généralissime).
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Le passage sous l’esplanade de la place d’Arc, sous le centre commercial, vers la gare
Il sert de refuge pour des sans logis.
Odeurs d’urine. Débris. Une espèce de longue cloison écroulée, un bour de barrière renversée. Des petits groupes dans la pénombre. Voix rudes : des « blancs » pauvres, plus ou moins alcooliques. Un autre groupe : des jeunes, noirs, maghrébins. Un autre groupe : des filles très jeunes, une pousse un cri perçant...
Désir de voir dire le sol.
Une femme « rom » (dirait-on), grosse, à genoux, fichu, jupe large : elle se balance légèrement, psalmodie une prière à peine audible.
Dehors, au début de la rue de la République (immeubles en pierre, modern style, qui, il y a un siècle, devaient (re)présenter la ville prospère aux arrivants de la gare), j’aperçois – pour la première fois (à la différence d’autres plus ou moins familiers qui, sur le trottoir, demandent) – un cul-de-jatte sur une chaise roulante. Un homme de peut-être cinquante ans ou un peu plus. Il porte devant sa poitrine un écriteau en carton. L’inscription, en capitales, commence par « NATION FRANCAISE » , et explique ensuite qu’il a besoin d’argent pour ses soins (j’aurais voulu déchiffrer en détail, enregistrer la manière dont les lettres étaient tracées... je ne pouvais pas lui laisser voir cette curiosité-là).
La curiosité que m’inspirent « les gens » – qu’est-ce qui les fait vivre ? – pourrait bien sûr se retourner sur moi-même (qu’est ce qui, si tard, me fait vivre ?).
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*** Ce à quoi (se) donner : est-ce devenu aujourd’hui introuvable, inimaginable – ou grotesque ou odeix ?
Il glisse hors de toutes prises, le don du poème.
(Confronter le « don » en/par œuvre et le « sacrifice suprême » que peut demander la société dans la guerre, le « mourir pour »...)
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***
lavé par la lumière qui pour s’étaler sur le sol coule par une porte entr’ouverte, ou seulement au-dessous de cette porte close
tout ce qui est là, tout ce qui pourrait arriver ici devra se décomposer-détailler
en myriades de points
grains de choses ...que chacun, enfin, enfin,
explose
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*** Se dire, non sans une exaltation cent mille fois vécue dans la rue le soir, que le plus connu est inintelligible... Et que pour cette raison c’est lui qu’il faut affronter ...
Le plus connu ? le plus massif
ce en quoi nous existons, ou ce que nous croyons désirer, ou ce que nous faisons être et que nous cherchons à faire durer... , ce qui se révèle
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« sans obole » : ces mots viennent à se marmonner dans la somnolence du début d’après-midi...
... des espaces troubles qui, sans dimension, égarent
voilà où
– croyant s’approcher réellement du plus proche, pour l’atteindre, l’obliger à devenir ce qu’il n’a pas su être –
le plus léger effort de pensée-parole ne peut que se perdre
marais, méandres... un Styx-Léthé sourd de quels sables trop connus, si médiocres
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« ô séparations qui un moment se sont servies de mon corps »
(Ki Hyungdo) p29
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« Je ne connais pas de monde meilleur »
Ce vers de Bachmann, dès qu’on l’a lu, hante, et fait, à travers tout ce qu’on fait, un roulis...
Est-il un constat désespéré ? une menace ? un geste de prise sur ce monde-ci, réel, présent tel qu’il est ?
Il ne veut sûrement pas dire que B. se satisfait de « ce monde ».
Mais elle refuse (je crois) le « savoir » (« je ne connais pas ») d’un monde tout autre, l’appui pris pédantesquement sur une grande alternative.
C’est là aussi que la poésie trouve sa place.
Anti-utopique, la poésie ?
Utopique à sa manière (en tant que s’incorporant des éclairs pâles rasant où se suspend toute position qu’on croit prendre dans la réalité) ?
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Voir manger !
Quel poème de Hwang Ji U sur un homme vu de dos (petits cheveux dans le cou) et « se mettant un morceau de réalité dans le corps » ?
Manger est si réel : ça fait peur. Enorme... ! Cruauté constitutive, ou en-deça ... ce broiement, cette ingestion, cette incorporation perpétuelle. Souffle coupé.
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Il faut créer, oui, ici, de force, soudain, du co-présent pâle ou furieux, rougeoyant soudain, là où la plupart des présents déterminés et appropriés excluent, ne veulent rien savoir des failles et du chaos des (entre) présents autres et quasi mêmes, simultanés
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Ecrire : réaliser... quoi ?
Je n’aurai pas pu ... dire ... quelque chose de ... l’air respirable du jardin, de la vie avec les plantes, de la réalité de la terre là, visible ou cachée.
Et à quoi bon ?
Pourrais-je, vieux, renoncer à toute visée de réussite ?
Si je décidais de m’absorber définitivement (pour finir) dans les choses proches, le jardin, pourrais-je éviter de me surprendre, par instants, à tenter de surprendre, par-dessus mon épaule, dans l’air, comme un souffle sur la nuque, une attention portée sur... moi ? quoi ? mes gestes ? mes pensées ? mes sensations ? mes phrases en formation ? ce que je sentirais penserais dans une apparente solitude et calme absorption ?
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... d’un poème de Herbert: « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle, s’exprime, etc., cette sorte de présence plus réelele que tout et constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
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Quel est le secret de la puissance de Yi Sang ?
Lire, lire vraiment, « Ma première fugue », dans Ecrits de sang ? Un voyage en train onirique-réaliste (états, veille/sommeil/rêve, besoins corporels... pisser, etc.)
L’idylle et la terreur dans des paysages qui semblent naître à mesure que dits et résorber l’attention qu’on leur porte
le plus doux est dangereux... dévorant...
Par exemple :
« Il n’y a là rien qu’on puisse appeler un paysage. L’immense tension hostile qui a tout englouti s’étend sans bornes.
Et ce qui me paraît brouillard doit être en réalité de la vapeur à très haute température. Nuit incommensurable, nuit sans fond !
La plaine aussi est engloutie. Et puis les monts, avec leurs herbes et leurs arbres. Et l’air. Qu’on dirait fin comme un plan.
C’est parce qu’il n’y a pas de relief. Il [qui ? l’air ?] empote [ emporte ?] déjà les distances incalculables du lointain. Où il n’y a que terreur.
Mon corps se reflète en rétrécissant comme une étoile sans lumière. Ce n’est déjà plus qu’une respiration imprécise semblable aux larmes.
Mais je me tiens fermement à la rambarde. Quelque chose de froid coule. Sans pour autant que je puisse la lâcher. L’origine de cette terreur incommensurable et de cette brutalité est sans aucun doute un petit pré, un petit bout de terre de pâturage où de petites fleurs de saison ont fleuri. »
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« Mort, aride rivière... » Ungaretti (Voir « La vie douce 6 »)
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N’y a-t-il donc rien d’autre ?
Quelles présences de ce à quoi se donner (selon – avec, contre, par reflux, rejets, distorsions – la manière dont on s’est reçu) ?
Créations (mais à partir de quels reversements ?) « en l’air » dans le temps... , consistances... capables de travailler l’entre – de telle manière que s’y prennent ou s’y donnent des « soi » ou des moments-soi, ou des liens
Comment les institutions, comment les choses faites pour tous... jouent avec les finitudes, enveloppent les vies/morts (cf la fin de mon article ancien sur Holan)
qu’est-ce que la position selon laquelle je formule ce qui précède ?
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**** QU’est-ce qu’avoir à faire effort pour accéder à .. quoi ? sa propre pensée ?
Cet effort n’a lieu d’être que parce que « ma pensée » n’est pas au fond de moi, mais est à atteindre ou former au bord de l’ »entre ».
Ce n’est pas seulement une question d’expression : ma pensée se constitue continument en s’exposant immédiatement à je ne sais quoi... Non : en renaissant toujours là où le « je » se quasi livre (plus encore qu’il n’expose) à l’entre, y retournant furieusement ses attaches, ses conditions obscures...
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« Mon vieux, que de passages se cachent dans l’air »
Ki Hyung-do
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** Images qui nous regardent, nous ou l’entre – posées, flottantes pour l’entre, ou comme face à lui, tournées vers lui et, quasi, l’éclairant.
Quel jeu avec l’être image de chacun (se sentir vu des autres, se désirer vu par des regards ou instances hallucinées, ou – Flaubert – « se voir en... ») ?
Images qui éclairent ceux qui croient les regarder
Jeff Wall
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*** De l’historique (re)possibilisé
comme une pluie (celle des traits de l’advenu ou de l’encore advenant) qui s’inverserait, remonterait, et regagnerait les masses mouvantes de l’au-dessus, de l’en attente
= telle m’est spécifiquement évidente La musique pour cordes... de Bartok =
ou bien ce sont des nervures ou veines qui s’élancent et soutiennent des voûtes tendues de transparences toutes de nuances variables et ces voûtes amples et puissamment soulevées quoiqu’allusives se révèlent être celles-mêmes, inaperçues, du temps « dans » lequel pouvoir malgré tout durer
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une immanence « totale » dangereuse (sans autre) (un terrible « dans » horizontalement déroulé sans rien au-dessus) ne saurait cesser de venir s’interroger, s’expérimenter et bouillir en moi – « en » moi ? non : me traversant, me submergeant (tête au ras je la goûte gorge qui s’asphyxie yeux noyés)... – en une surface liquide grumeleuse que rien n’éclaire, que nul ne voit ni ne sait
c’est seulement en maintenant cette permanente évidence que les « luttes » seraient à sentir et, si possible, à vivre
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Ungaretti ( Notes pour une poésie) :
Et jamais, jamais plus je ne pourrai, fou de joie,
M’oublier dans un cri
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Les œuvres travaillent-elles les rapports en général, les liens, l’espace où vivre-mourir les uns par ou pour les autres ?
Avec quelle liberté ludique (comme une fin par elle-même, ou comme un moyen – pour quel but)?
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« non pas une loi profane mais une loi d’art »
La loi du tableau est-elle active contre... ?
Paul Klee, Théorie de l’art moderne ..., Denoël/Gonthier, 1975, p10
« La prépondérance revient au squelette de l’organisme « tableau » dont il devient la vérité : pour s’intégrer à une armature plastique intéressante, les maisons se mettent à pencher (car nul ne songe à adopter un principe de construction restreint à des horizontales et à des verticales), la violence est faite aux arbres, les humains ne sont plus en état de vivre, l’objet devient méconnaissable au point que l’on croit à une mystification. Mais ici s’exerce non pas une loi profane mais une loi d’art. [...] De même que l’homme, le tableau a lui aussi un squelette, des muscles et une peau. On peut parler d’une anatomie particulière du tableau. Un tableau avec le sujet « homme nu » n’est pas à figurer selon l’anatomie humaine mais selon celle du tableau. »
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**Citations... Le fait de citer peut-il être ostentatoire ?
Il serait insupportable que les phrases recopiées servent à faire valoir le geste... , ou la série de gestes qui aboutissent à la citation.
Qu’est-ce qui peut, des citations, se retourner et travailler le geste même qui les aura trouvées et prélevées et qui, au risque de s’en parer, les donne à découvrir (ou redécouvrir) ... ?
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***Ces notes peuvent-elles devenir un projet ? Pas vraiment... IL me faut constater ce que je fais, ce qu’elles font... Réaliser ce qu’elles font...
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le temps, il y a vingt ans ?
... la substance même du temps soudain fut là
le temps , me suis-je quasi dit il y a peut-être vingt ans,
pas « mien » ou tien »,
qui n’a lieu qu’en liant les uns aux autres
la plus réelle intouchable substance
(ce en quoi – constate Van Veen – on ne rebrousse pas chemin)
l’inappropriable
la chair que je désirerais faire pointiller dans l’air
me suis-je dit il y a quelques minutes sur une esplanade grise de Saint-Denis
avant d’aller à l’université
(où dans un bureau, dérobant quelques minutes, j’essaie de noter cette évidence qui se décompose comme de la chair argentée)
elle ... la trop proche
par quels mots me faisant juste me déborder
dans l’entre
est-elle, là, matière trop réelle, ce
qu’il faudrait – par peu de mots, de syllabes, d’écarts – faire faiblir,
désorienter ...
blesser ?
perlant rouge
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Penser ?
Rilke à Annette Kolb, 23-1-1912
En français : « Mais moi, je ne pense guère au fond, j’avale mes pensées tout entières sans en détailler le goût, je les ai dans mon sang avant d’en tirer le profit immédiat qui s’impose... »
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Dans la rue, je repense à la Sinfonia de Berio...
Puissance d’intégration ? Mais celle-ci est elle-même (mouvement de Mahler, valse, etc.) « empruntée », « reçue »... pourquoi si merveilleusement ? soudain ce grand geste est pour moi comme l’air soulevé...
J’écoute soudain l’entre même, comme on regarde le ciel au-dessus des maisons ou entre elles, au fond...
Bruits si divers – qu’on aimerait détailler dans les instants où ils émergent et se perdent.
Découvrir-créer un certain ordre pulsatile, ou une composante du « dans » infixable ?
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« ... trop peu de réalité dans le monde. »
Karl Philipp Moritz (Essais de 1786)
cité dans le même cahier de 2000 ...
« Dans la soirée :
Si en Dieu le passé ne restait présent, il y aurait trop peu de réalité dans le monde. Car tout ce que nous voyons n’a proprement qu’une existence apparente. Ce jour s’est écoulé maintenant, il n’est donc plus réel, mais quand fut-il réel ? A proprement parler, il ne le fut pas. Il n’y a pas des jours et des années, mais seulement des instants qui, en un clin d’œil, passent inaperçus. Mais les images qui restent et reviennent en nous des choses qui passent font en sorte qu’elles reçoivent quelque chose de semblable à la réalité. »
Et :
« Sous le mot aujourd’hui nous comprenons les parties du jour passée, présente et future. Mais ce que nous nous représentons proprement comme réel, n’est donc toujours que l’instant présent. Que je me sois promené ce soir dans le jardin de B., cela ne pourra plus jamais arriver dans le même temps. – En Dieu, cela arrive encore, en Dieu j’ai encore la pensée que j’avais alors, et je pense en même temps ma pensée présente. »
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Soulever des banalités ? le vide s’engouffre, sifflant... et quel genre d’interrogation-réalisation se forme alors, comme des coagulations en suspens ?
Soulever..., oui : une sorte de savoir-faire... comme celui du merle qui du bec arrache du sol des feuilles ou des sortes de gâteaux de feuilles brunes crispées de givre et les jette épileptiquement de côté...)
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Soudain, la certitude dans l’incertitude... N’avoir qu’à accepter d’être – de sentir-penser-former – « en plein dans... », sans destination...
Depuis toujours – même enfant ? rue grise, air trop : trop peu : trop réel ... – s’imposa cette évidence d’avoir à réaliser ( seul) ce en quoi j’étais, à donner immédiatement toutes mes forces, à restituer ma substance même.
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Il y a ces moments violents où chaque individu me semble comme arraché à de la pâte commune.... Le voici visible dans sa particularité : nu, jusqu’à l’obscénité, ou écorché, visage plaie dans le vide...
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depuis plus de quarante ans, j’ai noué des pactes spécifiques avec de très laides constructions dans la rue. Est-ce du fait qu’elles sont là depuis longtemps ?
Ma répulsion ne s’est pas atténuée pour les immeubles prétentieux construits dans la rue Tudelle (ou, déjà, la rue du Lièvre d’or ?) il y a trente ans peut-être, et qui ressemblent à des chasses d’eau mussoliniennes.
En revanche, au bout de la rue (non loin de la confluence avec la rue longeant le Jardin des Plantes), il y a un petit immeuble de plusieurs étages particulièrement revêche, un bloc gris planté là... Et là, en effet, là seulement, les intérieurs éclairés que j’aperçois du dehors me donnent à imaginer, ou plutôt me mettent en suspens... Il y a deux ou trois jours, je me suis interrogé en constatant qu’auprès de cet immeuble, était fermée la porte d’une grille basse coupant en deux le terrain adjoint à l’immeuble et tout aussi inerte et terne que lui... : dépourvue de sens, cette fermeture ou coupure, puisque rien ne se trouve enclos, les deux moitiés de l’espace ainsi scindé étant chacune ouverte, l’une sur la rue du Lièvre d’or, l’autre sur la rue du Jardin des Plantes.
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*** Tout devrait devenir interrogatif. Manger, par exemple. Prendre soin de soi.
(Du moins ai-je désiré obtenir ce déverrouillement des gestes intimes...
spécialement quand j’ai écrit Ici.
J’ai échoué.)
Le moindre geste de la vie, le plus intime-dérisoire – cerné-mordu de lumière, silhouette noire à contre-jour –,
s’adresserait ... non... toucherait ... mordrait
(doigts, paumes, lèvres-dents pesant contre une vitre invisible)...
à un horizon qui ne pourrait qu’être
presque là, désormais (maintenant ou jamais !), à portée,
rayonnant oui, là, énorme, globuleux, orangé.
On lit, au début de « Quand la nuit sera tombée », poème de Lee Seong Bok (traduit dans Des choses qui viennent après la douleur), des vers qui sonnent comme une promesse ambiguë :
Quand la nuit sera tombée
Le chemin te conduira
N’hésite pas
Comme l’enfant mort qui flotte sur les vagues
Nous flottons dans le regard de notre mère.
Ces vers sont équivoques : ils unissent un enfant mort à un regard enveloppant dont « nous » avons tous besoin ; et c’est sur ce fond qu’ils ont, d’abord, esquissé la certitude d’un chemin dans la nuit… Lee Seong-bok s’attache à trouver et à affirmer la continuité – avec le sens du passé et celui des liens à travers les générations – là surtout où elle est douloureuse :
Ils sont passés les jours irremplaçables
Quand la rivière coule vers le ciel,
Quand les rayons de soleil se brisent contre le riz pour les gâteau de fête
Si nous souffrons
C’est que la vie nous aime
Et encore, dans le même recueil
Celui qui aura longtemps souffert saura
Que l’humiliation qu’il a tant voulu éviter était un dense,
Un dense amour
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***« quand et comment doit-on prendre la parole... »
Une lettre de Kafka à Brod, 25/10/1908, citée par Pawel dans Franz Kafka ou le cauchemar de la raison p205.
« ... une question seulement, si tu pouvais tout de suite y répondre. Quand huit personnes, par exemple, se trouvent à l’horizon d’une conversation, quand et comment doit-on prendre la parole pour ne pas avoir l’air taciturne ? Que diable, ça ne peut pourtant pas se faire arbitrairement, surtout lorsqu’on ne participe positivement pas plus à la chose que ne le ferait un Indien. Que ne te l’ai-je demandé plus tôt ! »
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Keats, lettre à James Rice 24 mars 1818..
Après une présentation semi-burlesque de Milton [ai-je noté en 1992] :
« And a certain bulk of water was instituted at the Creation – so very likely a certain portion of intellect was spun forth into the thin Air for the Brains of Man to prey upon it. »
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*** Masse opaque : comment reconnaître, comment nommer, la chose commune, celle à laquelle chaque individu ne pourrait qu’être lié ?
(ces mots eux-mêmes me viennent comme de l’écume non aux lèvres mais comme en plus de mes ébauches de phrases, en trop, évidences écumantes de crêtes de vagues)
... à elle, sur elle, dans de multiples registres (économique, politique, symbolique et qui
qui au demeurant se brûlent réciproquement les uns et les autres),
tous, se la disputant, la plissant, l’étirant et déchirant,
s’attachent et tirent, soutirent...
mais il faut qu’en même temps elle se ravale constamment en elle-même
car si elle ne se reformait toujours, cruelle, inerte ou furieuse,
en plein « entre tous »
(quelle substance ... – oui... il faudrait des adjectifs pour la freiner, la coller, la .... –
sanglante-écumeuse, vitale et mensongère, monotone-bariolée ?)
il n’y aurait plus rien sur quoi (avec et contre tous les autres)
désirer avoir prise
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Si mal rassemblables, ces notes. En fait il leur faut réaliser de l’inenveloppable, elles déchirent des plis...
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Dans un réseau des phrases lancées comme un épervier se déployant au-dessus de l’eau pour y retomber, on capte ce qu’on ne prévoyait pas..., ce qu’il faut, vivement, réaliser plus que savoir.... pour qu’il arrive ... quoi ?
Dans les évidences immédiates-abstraites et pourtant très concrètes, dans les plis du temps ou espace communs qui se prennent dans nos phrases, deviennent soudain sensibles des présences ou puissances, des pôles d’inflexion, des sphinx palpitant translucides – autant d’instances qu’on aura sans le savoir impliquées affrontées ne serait-ce qu’en prenant intérieurement (et alors les phrases ne sont que fils de suc psychique oisseux refusibles) la parole.
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En même temps, une part de ce qui fut capturé et plus ou moins dit dans le poème Papiers ! devait avoir (avec la présence de K., qui est déjà dans certaines de ces lignes, sans être identifié, ni même distingué) des conséquences très réelles dans la vie tout en réclamant bientôt d’autres tentatives d’écriture, d’un registre un peu différent
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Sensations politiques errantes...
Est-ce de pouvoir qu’il s’agit chez Walser ?
de l’ambiguïté de tout rapport au « haut », à ce qu’on regarde avec respect ?
Le faire tomber.. et alors de l’énergie folle se libère dans les phrases inarrêtables
Une citation de Walser copiée (de L’institut Benjamenta, p110) il y a plus de vingt ans :
« Nous commandâmes encore de la bière et mon interlocuteur reprit : « Espère encore sans rien attendre. Regarde au-dessus de toi, bien sûr, car cela convient à ton âge. Tu es jeune, Jacob, honteusement jeune, mais aussi avoue-toi toujours que tu méprises ce vers quoi tu regardes avec tant de respect. Tu approuves encore ? Diable, quel auditeur compréhensif tu fais. Positivement, un arbre ployant sous les fruits de la compréhension. »
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***What do we depend on to make us feel alive, or real ?
Winnicott, cité par Adam Phillips (Winnicott p.5) :
« If you show me a baby you certainly show me also someone caring for a baby, or at least a pram with someone’s eyes and ears glued to it. One sees a « nursing couple ». »
Et Phillips :
« What do we depend on to make us feel alive, or real ? Where does our sense come from, when we have it, that our lives are worth living ? »
Consubstantialités de vies... Dépendances, à jamais ? Henry Moore.
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Sans doute y a-t-il, en-deça d’écrire, de faire œuvre..., quelque chose de plus archaïque et plus réel que j’aurais voulu, un jour, vivre.
Et souvent réaliser des écrits aura été comme un pis-aller ou une trahison de ce que je ne sais, n’ai jamais su, nommer.
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***Empiètements...
Je n’ai rien, aucune richesse « intérieure » – ne possède « en moi »... non... rien. Seule vaut l’énergie, équivoque, de réaliser verbalement des pauvretés, ou des étrangetés douteuses – comem celles qui me font empiéter de côté... sur des territoires où je n’ai pas place... avec des raisons douteuses... : voir/-etre vu, être vu voir, être désiré..., se rendre indispensable, se faire regard dont on aimera être enveloppé
cela va de la relation longue avec K à la Corée (le mélange de sérieux et de visions se fabriquant en l’air) ou à des enchevêtrements brefs du voir être vu, sentir, être sentir essentant, etc. dans la rue
empiètements réciproques, mais toujours à contre-temps, contre-zone ou niveau dans la vie à deux – ou plusieurs ?
et en même temps la surprise sinistre : comme on peut être étranger l’un à l’autre... comme si jamais il n’y avait eu d’intersections...
Encroachments : le mot anglais m’est venu, expressif – ni plus ni moins, mais autrement... les deux langues justement là, sans se superposer, se redoublent, s’accrochent...
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Hier, 28 janvier... j’ai fait une chose un peu folle, une bêtise... J’arrivais vers 18h30, par le métro, à Austerlitz pour aller dîner avec Jean dans un restaurant japonais sur le Bd de l’Hôpital...
La nuit était humide et assez froide. Dans la cour de départ, que je traversais, un homme (jeune, guère plus de vingt ans) était assis adossé à un mur. Il avait un bonnet, une couverture sur les épaules, mais ses jambes, étendues sur le sol, étaient nues. J’ai eu peur... Je me suis approché (alors que tout le monde passait très vite) et je lui ai donné un euro. Il m’a alors attrapé la main, et a tourné vers moi un visage plaintif... Dans ses bredouillements, j’ai compris qu’il me demandait de l’argent pour acheter des chaussures... Je lui ai donné 20 euros ...Une folie par rapport aux aumônes habituelles. Une folie médiocre. Il a continué à supplier : il avait vu des chaussures à 40 euros place d’Italie. Si je lui donnais encore 20 euros, etc. Je lui disais que je n’avais plus d’argent... Il s’est mis à me dire qu’il y avait tout près un distributeur (il connaissait donc celui de la poste toute proche). Je lui ai donné encore 20 euros (je me disais : j’aurais aussi bien pu dépenser cette somme en livres, ou j’allais au restaurant et..., etc.)... Il a continué : cinq euros pour s’acheter à manger, etc.
A peine m’étais-je éloigné que j’ai pensé qu’évidemment tout cela était une mise en scène étudiée. Des vêtements, des chaussures, il devait en avoir, cachés non loin de là. Sans doute des « complices » attendaient-ils – et riraient de ce vieux sentimental que je m’étais révélé être, trop prévisiblement...
Je réentendais la voix : « Popa ! Popa ! » Mais oui, c’était le même mot que celui que des gamins avaient utilisé un jour sur la place d’Arc à Orléans (devant la gare)... (Deux enfants, pas même adolescents, Roumains... j’ai dû noter ça aussi, mais où ?
Je me suis sentis, je me sens risible...
Et en même temps : me revient l’évidence que pour en arriver là, à se mettre en scène come le faisait ce jeune, il fallait être contraint, poussé, etc. Par là ce à quoi j’avais eu affaire n’était pas une simple mise en scène dupant un « barbon », mais une réalité lourde aboutissant là, à cet endroit de la cour, pesant là...
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***Des choses arrivent – mais si rapides en leur réalité de projectiles que, braises sifflantes, il n’y a rien qui puisse s’en saisir : elles s’évanouissent dans la brûlure qu’elles provoquent.
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*** Cri
7h, mi-février 2012, je suis sorti en courant, le jour n’est pas levé, la nuit a été glaciale.. . La Loire est totue proche (animaux... il arrive que des oiseaux aquatiques se retrouvent dans l’aube les pattes prises dans la glace)
dans la rue traces blanches et noires de dégel, flaques plissées sur le trottoir où je cours ...
Du carrefour noir luisant jaune entre pont et quai de Loire arrive soudain, déchirant l’humidité, un cri inhumain – c’est-à-dire trop humain : terrifié-terrifiant, long, très haut et fort puis s’abaissant...
Les passants ou les silhouettes qui attendent à l’arrêt de tram se sont tournés d’un seul geste dans la même direction.
Un cycliste – le cri n’a pu venir que de lui – a été touché par une voiture. Touché, par renversé. La voiture a dû freiner brutalement in extremis (mais je n’ai pas entendu de crissement de freinage). Le capot, on le voit soudain comme un gros museau qui n’a pas blessé. Le cycliste tourne son vélo et, par la vitre que l’automobiliste a baissée, a un bref échange (inaudible de là où je suis) avec ce dernier. L’un et l’autre repartent presqu’aussitôt. Le cycliste a son phare qui clignote.
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Anticiper dans les rues ou là en passant d’une pièce à l’autre le fait ou l’éventualité que je vais noter... Ou –degré de plus – que je vais « publier » (si minusculement que ce soit) telle ou telle note,
voilà ce qui risque de s’insinuer dans les instants, dans leur rapport à ces imprévus dans le prévisible...
Ce n’est rien, c’est enfantin,
il faut simplement le réaliser aussi...
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*** A Carrefour –pourquoi certains achètent-ils des baguettes de pain par paquets de cinq ou six, voire plus, dans du plastique transparent ? Ce sont presque toujours des noir(e)s ou des « arabes ». Je voudrais demander à l’un de ces acheteurs ... ou à une caissière... si certains se nourrissent quasi exclusivmeent de pain...
QU’est-ce qu’en fait je voudrais « savoir » ou « comprendre » ? Il faut qu’il me suffise d’être livré à l’impact de « problèmes » que je sais pas – à des paquets d’intenable – filant dans l’espace-temps, déchirant au passage tout « soi » qui se voulait réceptif, et trouant tout « dans » possible...
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***J’ai envie de voir (ou de retenir de ce que je vois... , soudain alerté, et désireux de noter mentalement, au vol, de photographier d’une esquisse verbale) ce qui, partout, disjoint, rend non unifiable, impossible à envelopper dans toute idée qu’on aurait du « monde », etc.
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Quels genres de conséquences (me dis-je affolé) aurais-je dû tirer de ce qui arrivait ? Sur quels plans multiples ? Comme si, à travers ces derniers, chaque événement créait – ou aurait dû créer (c’est tout de suite trop tard) – une trouée, une cascade noire brûlante transperçant presque instantanément des surfaces gelées é
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La musique, omniprésente, s’écoulant dans les rues ou dans la maison, tout cela n’est-il que « suppléments», que l’huile de graissage permettant de mieux faire fonctionner les mécanismes économiques ?
Il faudrait, par les phrases-poèmes, se greffer là-dessus, détourner la substance de ces suppléments, leur nécessité dérivée, à côté de celle des fonctionnements massifs de l’économie.
Le « en plus »... toujours présent, partout... suintant là même où les contraintes se font très fortes...
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*** L’entrée commune de la maison est sale. Depuis ce matin (13 février 2012) il dégèle et le sol du couloir est boueux. Quelques bouts de papier – l’emballage d’un bonbon – sont tombés par terre et y restent plusieurs jours. Nous avons renoncé à faire venir la femme de ménage envoyée par une association : elle était si désagréable que c’était, à chaque fois, une épreuve. En dehors d’elle, j’aurai été, depuis des mois, le seul à laver, parfois, ce couloir ou à balayer l’escalier collectif. Faire le ménage pour d’autres ou pour la collectivité : est-ce une humiliation ? Hier soir, à 23 h., H. regardait à la télé un film sur les noirs en France, sur leurs vies à Paris ou à proximité dans ces dernières décennies. Vieilles images en noir et blanc. Un homme noir âgé, filmé aujourd’hui, après avoir dit que lorsqu’il était arrivé jadis en France il ne parlait pas le français, déclare, avec un sourire ironique – et ses paroles sont accompagnées de la photo, ancienne, en noir et blanc, d’un grand noir jeune couvert d’une cape imperméable, debout sur un trottoir luisant de boue et de pluie, et tenant un de ces rudes balais qui semblent faits d’un fagot – : « Au début je trouvais humiliant de balayer sous les yeux des jeunes filles qui passaient. J’avais tort. Il n’y a pas de sot métier. »
Je ne me suis jamais senti humilié par une tâche qui me tombait à faire. A guère plus de vingt ans, infirmier à l’armée, j’ai transporté la pisse et la merde de soldats isolés pour risque de contagion : sans problème, voire sans dégoût. (QU’est-ce qui me permettait de ne pas craindre d’être par là « abaissé » ? de ne pas me sentir avili ? Qu’est-ce qui me donnait la certitude d’avoir, au fond, affaire à une égalisation apaisante ?)
En revanche, il m’est souvent arrivé (depuis l’enfance jusqu’ à l’âge adulte – comme pion, comme prof) de me sentir brûlé, couvert de cloques, sans peau, à me découvrir intentionnellement ridiculisé.
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« Avec » : je repense à mes conversations avec K.
J’ai essayé à plusieurs reprises d’écrire l’entre, ou l’avec , ou ce qui se construisait quand nous parlions en tâtonnant...
Tout à l’heure, à propos de nos façons de converser à travers hésitations ou malentendus, j’ai repensé à un passage d’une lettre de Kleist que j’avais cité dans un article sur des correspondances d’écrivains que j’avais publié dans Passé présent au début des années 80.
« Rentrant en ville à la tombée du jour, Kleist [avais-je alors écrit] passe par une porte voûtée qu’il décrit (et dessine) pour Wilhelmine. » Et je citais Kleist : « Pourquoi, me demandais-je, la voûte ne s’écroule-t-elle pas, alors qu’elle n’a rien pour la soutenir ? C’est, répondis-je, parce que toutes les pierres à la fois veulent tomber – et je retirai de cette pensée une consolation indiciblement réconfortante... »
Lisant ce passage, j’ai (et j’avais déjà eu en 1982) l’impulsion d’y voir une image pour quelque « avec », par exemple pour sa relation à faire tenir avec Wilhelmine. Mais la suite de la lettre qu’il ne pense qu’à lui-même. « Ne songeant qu’à lui seul [avais-je écrit], il y trouve « l’espoir que moi aussi je me maintiendrais si tout venait à me laisser sombrer. » Peut-être a-t-il, un instant, vu dans ces pierres qui « veulent tomber » mais qui , du fait que leurs respectives aspirations à la chute sont simultanées, se maintiennent en l’air, une image encourageante des parties de son être en proie au risque d’incohérence.
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Bêtise constitutive de la filiation ?
Une fois, voyant une de nos chattes transporter l’un après l’autre ses petits dans le chemin le long de la maison, les laissant tomber de sa gueule sur le sol, les ramassant, je me suis dit qu’il lui manquait une main, un bras...
Hé bien, c’est aussi aux parents humains qu’il manque, pour vivre leur lien avec leurs enfants, je ne sais quoi dont on sent que ce serait absolument nécessaire.
Avec « mes enfants », je n’ai pas su, pas pu... Et cette impotence n’était pas seulement le fait de nos particularité...
Où ai-je entendu une histoire de père juif qui, en difficulté avec son fils bientôt adulte, s’était tourné vers « Dieu » en lui remettant la responsabilité de tout ce qui, désormais, pourrait advenir ?
Dieu, donc, en ce sens, oui, peut-être : un souffle de terreur, fraîcheur et soulagement, transit – pour dessaisir chacun d’une responsabilité croissant jusqu’à la folie – les rapports les plus constitutifs de la continuité de la vie.
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empiètements dépendances
bords rongés reconstitués aigres
Est-ce l’âge ? Je crois sentir bien autrement qu’auparavant les dépendances à tous niveaux...Bien plus largement que dans les besoins multiples et jour et nuit exigeant... Mais aussi dans ce qu e chacun croit lui être réservé, dans la réserve propre de quiconque...
empiètements accès cruels, féroces même, à l’entre
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Poèmes : c’est, disait l’autre soir l’archéologue, ce qui dure plus que tout. Plus que tout édifice (bois ou pierres).
Oui. Et on rêve. Se rassure ?
Mais c’est aussi bien, pour nous – en un autre sens ? – ce qui, peut aussi bien n’avoir pas été : ce qu’il y a de plus ravable par le temps (comme, dans un air surchauffé, de l’humidité sur un carrelage fraîchement lavé).
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Souffles : ceux qui régulièrement font que c’est comme si je n’avais jamais rien lu, rien écrit, rien pensé.
Est-ce du trop de déjà là que naît parfois un souffle qui balaie tout ?
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Notes échos notes-alertes notes nues notes terreuses notes opaques notes mortes notes qui vont s’écraser notes perlant de quel suc quasi organique notes ferreuses notes à heurter (comme d’un bloc-battant horizontal en bois) et ... qu’alors elles sonnent claires
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Souffles : ceux qui régulièrement font que c’est comme si je n’avais jamais rien lu, rien écrit, rien pensé.
Est-ce du trop de déjà là que naît parfois un souffle qui balaie tout ?
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*** liens
Matin: carrefour de liens, retrouvés dans la cuisine, au-dessus de la bouche noire de l'évier,
se renouer à la veille... à travers l'interruption de la nuit, du sommeil? non: avec son afflux autre, vital, fût-il de trois heures,
interruption et comme des vaisseaux tranchés
recoudre...
faïence, reflets de flamme de gaz, odeur de viscères
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L’entre tous et tout (corps, pensées, choses vivantes ou non) :
moins à savoir qu’à faire être, à ré-induire continument.
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Notes échos notes-alertes notes nues notes terreuses notes opaques notes mortes notes qui vont s’écraser notes perlant de quel suc quasi organique notes ferreuses notes à heurter (comme d’un bloc-battant horizontal en bois) et ... qu’alors elles sonnent claires
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*** Pouvoir être interrompu: Oui, ça a une allure de faiblesse, mais ça demande de la force. Une journée de travail universitaire peut m'en rendre incapable, m'ayant coulé dans une seule direction, dans un mouvement d'attention trop uniorienté. Alors que soudain, c'est une joie, une chance ( à l'aube, ou bien parfois dans l'extrême fatigue et le ralentissement du soir ), de pouvoir se laisser interrompre, intercepter, gifle d'air, puissance cruelle du sensible... (Oiseaux...) Même quand on est obligé de parler, d'être présent comme quelqu'un de fixe, de stable, de responsable, qu'on pourra retrouver comme même, continu, il est possible de se laisser interrompre... par les autres, dans la conversation, dans l'attention, soudain on les sent dans leurs gestes, leur envie de (vivre ? exister parmi ? être visibles ?), leur façon d'être de leur propre côté, et ils sont pris dans une énorme bouffée indéterminante qui est donnée là à la syncope qu'alors simplement pour une seconde non vraiment comptée dans la successions des instants j'aurai été.
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J’avais cru entendre un coup de sonnette
Je suis descendu.
Personne n’est venu.
Compteur à gaz grince dans l'ex-garage encombré, sentant le bois de cageot légèrement pourri et la sciure mêlée de vieille poussière d'excréments de rats peut-être, de pisse de chien en tout cas
comme jadis à Bourbous, dans la cave sous le poids de la maison sévère (aujourd'hui presque abandonnée), si massivement minérale ( tout était blocs de calcaire ocre gris, l'évier coulant dans la cour, les étagères ou niches où ranger le sel, etc.) (accumulation de ces grosses pierres calcaires qui, dans beaucoup des maisons voisines effondrées, se voyaient nues, soulevées par des racines, des pousses d'arbres, du buis, et sillonnées d'eau, entamées de gel, légèrement décomposées en argile orange)
la puanteur d'ammoniac des poulets qui (attrapés dans les volières - ou encore devant dans le plaisir de la tiède nuit tombante - un par un ou à la rigueur par deux, main passant sous les ventres tièdes, saisissant d'un coup les deux pattes, pépiement gloussement battements d'ailes) étaient restés là depuis, piétinant, piquant du bec, grattant,
et qu'à l'aube on égorgeait tête en bas (cri rauque à chaque fois aussitôt étouffé par un sanglot de sang s'écoulant puis doucement dégouttant)
et hâtivement plumait: couteau, caoutchouc, tôle maculée, paraffine chaude se tendant craquelant sur les corps jaunes hérissés, peau tiède faite sur peau là trouvée vive et déjà froide.
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Voudrais-je que des pensées ou des phrases ou des prises sur... quoi ...
agissent d’abord sur « moi » ?
Ou bien qu’elles se réalisent en descendant à travers « l’être soi » qui m’est échu dans sa pauvreté et ses mensonges, sa sottise constitutive, et alors le fendant, le disjoignant, le pulvérisant,
pour trouver et concrétiser : « Mort, aride rivière... » Ungaretti (Voir « La vie douce 6 »)
réaffronter enfin en lui l’opacité dans toute sa généralité
en y rayonnant explosant ?
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Qu’elles créent, ces notes-lames, des « états » qui n’auraient plus d’après, qui seraient des instants sans instants suivants... enfin !