Faim
Par hasard, par erreur (flottements de/ dans l’ordinateur), j’ai réouvert ce matin un fichier de notes qui devaient être en préparation, en 2010, pour une publication dans la revue de Vincent Pélissier Fario.
faim
notes ou bribes, photos mentales,
douceur-idylles,
couleurs
Gens à la caisse chez Carrefour. Tous les jours. (Ou bien quand j’en suis privé, j’éprouve un manque spécifique.)
Je ne me contente pas de les regarder. Je les ressens au creux de « moi-même » (moi parmi et comme eux) : leur extériorité brutale m’est (comme si j’avalais un violent alcool) soudain tellement intime, interne. Ils sont, dans un éclair tiède, plus moi-même, en moi, que moi-même.
Il « se précipita dans la rue, comme fou, affamé de nourriture et de gens ».
Cette phrase de Thomas Bernhard (lue dans Le naufragé) me bat comme un pouls au tympan.
« … affamé … de gens » : ces mots me disent-ils, pour un instant, l’impulsion qui me fait écrire ces notes (qui s’acharnent à chercher ce dont elles parlent) ?
« dans la rue… » Ou, jour après jour, je retourne dans le même centre commercial si laid, espaces difformes ou d’une pauvreté qui transit chacun, lumière intérieure jaunâtre, chair de méduse, substance de la bêtise globuleuse… de la ville même ?
« il se précipita » : la hâte me tient : je ne suis « sorti », je ne me suis rendu à Carrefour que pour être, avec frénésie, ralenti (allées pleines de monde), voire bloqué (file à la caisse),
et là…
*
Affamé ! De quoi, traînant-courant ? Ouvert
comme une bouche sidérée bleuie de vide,
ou comme un rasoir de jadis
(« Woyzek !... tu cours à travers le monde comme un rasoir ouvert ! ») ?
Ahuri de vies – en traversant les « gens » croisés, ou sus, ou imaginés ?
Ou trouant grossièrement rageusement mes propres « réactions » – que j’ai besoin de laisser se lever en vagues (irritation, perplexité, désir) – aux présences des « gens », à ce que je crois sentir de ce qu’ils sentent, à ce que je projette férocement dans l’air de ce que je peux deviner de ce qu’ils projettent de leurs vies, de l’attention à quoi ils croient être en proie ?
Débouchant gueule ouverte, par et malgré les gens, dans de « l’entre » soudain méconnaissable : orageux, mercuriel.
****
Ou bien : au bord de ce chemin si connu (éclats blancs entre des trembles détaillés dans la lumière oblique : rien là, dès lors que reçu, ne brille qu’allusif)
@qu’est -ce qui, en-deça de moi, si vieux, si fatigué,
usant du fait que je suis là (équivoquement : me doublant pour me dissoudre)
pour venir s’amasser là, plus sombre que l’obscurité,
(face à cette haie…)
en-deça de tout, mugit,
presse – demande … à tout … quoi ?
du trop – par défaut… par affaiblissement de « moi »
recul dans de l’inenveloppable – où le temps pointille
il y a un masse qui double peut-être chacun, qui le déborde, qui s’étend en arrière en deça,
et bée à travers lui
(absolument commune – et pourtant sentie comme un souffle
qui sépare,
qui livre chacun à « son » soi)
Masse qui a besoin de ce que je peux recevoir
Faim de tout ce qui peut, ce soir, au bord (à travers la haie) de ce champ ouvert
tomber dans mon attention
rien dont on ne sente-sache, dès lors qu’on vit,
intenable pour « un », la pression
(impliquée, comme un fond décomposant, par la moindre sensation)
comme elle a faim !
sa faim va me survivre…comme une tache de déconsistance errante et déformable (la mort de milton) et je le redoute
c’est a elle qu’il faut que je donne, vite…
A son hurlement silencieux, en arrière (mais qui va te rejoindre te traverser ou te métamorphose en béance sans fin)
jette, par-dessus ton épaule, des bribes, des détails arrachés aux vagues du temps qui affluent
les choses les plus pauvres qu’on se disait et qui soudainse révèlent attendues, en arrière, dans le temps latéral
donner celles mêmes qu’on se marmotte de peur
bribes qui lancées dans le vide
s’ensanglantent légèrement, brillent,
trajets vers l’en-deça
avant de
…………..
Faim libre… errant ouverte… ne sachant pas ce dont elle a faim
: n’ayant-n’étant faim qu’en ne sachant pas
Faim de la libre faim, soudain…
Oui, au sein même de tant de forces et pressions qui s’exercent,
« c’est aujourd’hui le sentir même de « qqun comme moi », dans la rue, qui est attaqué par la bande au pouvoir en France. » voilà ce que je marmonne, enragé dans les rues.
Haine : en politique ?
Elle brûle là où la « sphère » politique ne peut être contenue en elle-même.
Car les décisions d’un gouvernement, la manière de « faire la loi » d’un pouvoir, fût-il élu ( c’est-à-dire sortant d’un consensus… vite douteux),
soudain ne sont plus pour moi limitées à la vie politique,
ni même à la vie économique (aux répartitions etc.).
Elles m’attaquent dans le sentir,
la vie immédiate,
l’air même de la Loire, les regards de députés « représentant » des existences aggloméréres en une majorité
décident aveuglément
de ce que je pux voir ou non,
de ce à quoi ou à qui
je peux être exposé,
non pas au sens de « l’insécurité », mais des vies plus ou moins hétérogènes,
dece qui peut couper ou non ma route…
…………
Ce qui compte usant de moi là,… ce qui, passant par ma respiration, s’il se peut , ce s’élance à travers le vide devant moi, et ne cesse de tenter de compter,
mesure, bat, fait hémorragiquement – pointillements irregardables – des comptes à travers le large de l’air du temps,
trajectoires de comptes jamais faits, égrénés en pointillements
ce qui compte à d’autres moments en refluant dans l’en-deça de soi
les ravalements perpétuels dans des sillons ou crêtes se formant simplement (sans garantie aucune, sans rien qui affirme) au sein de ce qui se trouve là, mais qui n’a rien d’une cohérence, rien à qui appartenir.. rien que du non orienté, rien que du brusquement dénivelé, ou troué, chutes soudaines, absences pures (Jahnn)
…………
Bords formés ; à la main ? jadis ?
Haies comme gencives (« l’enclos de ses dents »)
*** Haies : pourquoi l’attention s’y accroche, s’y fixe, s’y absorbe ? ou s’en sert, s’y appuie pour voir à travers elles, par elles…
pour voir ce qui est là ou pourrait y être ciel vert
levées de terre (de la boue sèche, des cailloux ici et là – silex ?) pleine de racines.
Souvent dissimulées par des ronces ou autres plantes caduques.
Vies et morts secrètes, incalculables, de végétaux dans ces levées. Des racines desséchées comme des ossements, mais d’où semblent avoir pu rejaillir des tiges ou troncs revivant.
Animaux ? qu’est-ce qui se cache les trous ou minuscules cavernes s’enfonçant dans la terre relevée ?
J’aimerais les photographier… violemment… dans une lumière crue, mordante, blafarde. En particulier dans les endroits où elles ont été mises à nu, voire verticalement (sur le flanc) tranchées par les machines venues brutalement débroussailler.
Minuscules taches violacées de lichens sur des racines fibreuses peut-être mortes.
Beaucoup de haies, depuis plus de trente ans que nous venons en Vendée, ont été arrachées, en particulier par Marc lui-même. Leur absence, dans les champs voisins, n’a pas cessé de m’être sensible.)
Qu’est-ce qui, là, a ou avait été fait de main d’homme ? Quand ? Des arbres ont-ils été jadis plantés ? replantés ? se réengendrant, racines sur racines ? La terre a-t-elle été amassée (boue, cailloux) et élevée en murets par les plantes seules ou par des paysans ?
Qu’est-ce qu’un « talus » ? Simplement le bas de la haie ?
Sentir-et-« Photographier » (fixer – mentalement ? – en un instant, dans une lumière violente) le trop proche, l’ultrafamilier contre lequel on s’écrase,
flasher en brûlant
Dilater, surchauffées de lumière, les plus petites distances, d’infimes dispositions.
Le point de vue ne serait pas celui d’un œil, mais d’un appareil appelant à plus de regard, réalisant un « plus » qui affluerait de l’avenir et saisirait le vu comme inondé d’une évidence soufrée au plus que présent.
…………..
Immobile plusieurs minutes durant, regarder un champ bordée de haies à travers l’une – quelque peu raréfiée à cet endroit – de celles-ci : est-ce dérober une visibilité sans témoin ?
C’est peut-être là un substitut pour le désir humain de capter la « nature » telle qu’elle serait exempte de l’intervention de « la main de l’homme ».
Bonnard, lui, ne cherche-t-il pas à capter ce qui, tout entier fait de main d’homme (intérieurs, jardins), voire tout de présences humaines (autour d’une table par exemple), ne se trouverait soudain exposé qu’à une absence pure de regard ?
C’est ce qu’on sent dans la verticalisation de ce qui est présenté – et en quoi on peut reconnaître un jardin, un intérieur, etc. –, dans une frontalité (un panneau) sur quoi passe (dans l’instant infini où tout cela devient peinture et jouissance de matière colorée) un souffle de non-regard
……….
Affamé de… ?
De toute chose construite la tenue, après les bombardements de 44
et encore
à la sortie (années quarante) de la guerre
par moments … une nostalgie enfantine de la guerre ?
alors qu’émergeaient exsangues dans quel temps « nouveau »
les restes des rues, des maisons…
… le pain était orange… il flottait du brûlé dans l’air on dégermait les pommes de terre entassées dans la cave
étriqué l’appartement, sans le moindre (ni même l’idée de) « confort »
(pas de sdbains ; cuisine, évier, bassines ou cuvettes… savon noirâtre…
WC de l’autre côté de la cuisinière à charbon : ce recoin obscur, du papier journal à un clou , une planche percée d’un trou,– au-dessus de quel vide… pour quelles chutes d’excréments depuis le premier étage ?) –
de tout
la stabilité
ne put que rester longuement… définitivement
suspecte…
tension des murs irrigués de sang de nuit, peinture
décollée d’une respiration
cloquée d’un souci
(haleine – rongeant songeuse, sous le bleu –
du plâtre)
le réel fut toujours ce qui ne durait
que gauchement tendu du plus aveugle secret
– le halètement d’un « pour rien »
inhérent la vie ordinaire, à sa continuation
( un pouls sourd,
battement dans les oreilles comme un pas qui approcherait toujours).
Qu’est-ce qu’elle coûtait, cette vie – cette poignée plumeuse de vies –
qu’arrachait-elle à qui ou quoi ?
Affamée, soudain, féroce, oui, la substance de la réalité, folle,
de la présence de volaille aveugle souillée de sang et de fiente…
– prédatrice, mais de
quoi ? réclamant quoi, enfin ?
Aujourd’hui encore
ces mots sont attirés là où
le réel a faim
quel aliment cherche-t-il à demander par – ou à trouver déjà dans –
ces phrases qui béent ?
Et cela en même temps que dans la réalité des vies sans nombre
(ici simplement sue-lue – autre, trop)
d’aujourd’hui
dans cette terre mal déroulée
la vie inenveloppable
la faim rampe
*
La faim ? J’ai honte soudain. Je pense à la faim réelle, omniprésente dans l’espace et le temps.
Que ce qui anime ces notes me soit venu à dire comem « faim » soudain me déprend d’elles.
« Mais tout cela n’était que littérature»
écrit Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises(p.25) :
« Entretemps, la Faim, au milieu de la population, gagnait du terrain, faisait des ravages considérables. Elle progressait en rampant, impitoyable comme un python à deux têtes. Elle se lovait dans les ventres pareille à un reptile particulièrement hargneux creusant le vide total autour de sa personne. Ses victimes avaient à subir sa loi. »
Voir la suite ! et les retours de « la Faim » dans ce roman.
Si le romancier fait de la faim une figure mythique… , rien n’efface là le caractère trop réel.
Oui, je prélève trop brutalement
le geste de prélever est mis enscène
je ne parviens pas à faire autrrement
des collisions … de carraefours voudraient sou’vrir
je n’ai ni le temps ni les forces ni les « capacités » de suivre les directions
Manger chez Antelme ?
…………….
*** Ces notes perdent-elles leur objet ? « Vie ordinaire/douce et terreurs… » : voilà qui se disperse, se dissout en n’importe quoi, mais peut-être est de nature à se ressaisir en un geste de forme mouvante refaite au sein d’embruns qui ne semblaient qu’aveugler…. Saisies faites de la même substance que ce qu’elles désirent saisir, elles-mêmes, donc, fluentes et répétitives.. . Replis de brume, prises brumeuses
Ou bien : des condensations instantanées de ce qui afflue à sentir,
rien qui soit autre par rapport à ce qu’il faudrait dire-penser-donner,
des zébrures effectuant, noires comme des tracés allusifs, l’atmosphérique de toutes parts fluctuant…
Notes, réalisations d’évidences instantanées, mais aussitôt traversées de « problèmes », de pôles passant latéralement, s’échappant ailleurs…
………….
Chaque tâche dont, dans ces notes, s’esquisse la direction et le contour apparaît aussitôt comme une de celles qui, chacune à sa manière et en concurrence (toutes se disputant l’attention), devraient accaparer exclusivement tout l’espace-temps « mien » disponible.
Elle gronde… redoutable et vaine.
Mes limites seraient à chaque fois détruites, broyées… : visions naïves (« images reçues », égarantes) de don de soi…
Et…(et puis, et c’est pourquoi…) : plus rien, j’ai tout perdu
………….
Décrire (en détournant dans quelques phrases le suc du désir de vivre) :
croire se lier à … ?
Davantage : se délivrer de soi, du « soi », en phrases appelées-désirées par les sensations imposées par les choses là ?
Ce soir (fin avril) le tronc, tout proche dans le jardin, du magnolia baigné par les rayons obliques… S’absorber dans les nuances grises-brunes, mauves, pâles exsangues (lichens) jaune soufre, les formes dans l’air, les tensions et bossuages quasi musculaires (temporalité lente et tenace)… Brûler (délivré un instant) dans ce goût des choses… Flamme bleue-dorée de sucre.
………..
Ces notes ne se réaliseraient qu’en ne cessant d’être rongées d’une combustion plus réelle que tout
.
Ou que ne cesse de travailler leur « entre »… ou plutôt
que rougoie et se calcine ce qui me reste de substance vitale…
que désormais disparaissent, comme des clartés étouffées tardives au ras de champs obscurs (divisés/déroulés), toutes mes forces happées enfin
(et comme… sans moi ? cad sans idée de moi , sans images de moi, sans ce moi absurde dès qu’il revient sur lui-même, dès qu’il croit à lui-même, dès qu’il « se croit »)
en chacune d’elles et, avec un surcroît de verte évidence, entre elles.
……….
*** retour d’une croyance d’enfance, voire de quasi petite enfance (souvenir de cour d’école au début de l’école primaire ?)
le long du trottoir
en suivant le ruisseau, le caniveau
au temps où y affluait les eaux des maisons,
flux savonneux: il ne serait rien qu’on ne puisse traverser dès lors qu’on penserait continument
sûreté bizarre… une corde qu’on tient alors même qu’elle ne cesse de s’enfoncer dans la nuit la plus épaisse
Platonov
……….
Caverne que se fait soudain la maison !
de la violence infuse dans l’eau jaune de l’entre ! Forces arrachées entre proches. Pour les tâches-corvées, oui : comme jadis avec les esclaves ou les domestiques (qui se charge du répétitif usant écoeurant ?).
Mais aussi, en même temps, et plus criminellement (avec quelles courtes haines, jalouises, places disputées), pour le droit (oui, un quasi tribunal bougeant dans l’ombre et la lumière électrique, plis d’air, d’existences ) à être de telle partie-portée de chacun… ou, en deça de l’un et l’autre, là où il y a à nourrir ou laisser dépérir (ou écraser, nécroser) certaines inflexions de l’entre – comme des vaisseaux déployant leur réseau rutilant ou bien se rétractant déjà noircis dans le « milieu » densifié redoutable du dedans de la maison, ce goût de liquide à couleur de péritoine).
………..
L’attention, la faim de réel
Il est surprenant, d’un autre côté, que j’en sois venu à désirer incarner (« effectuer », selon le mot qui me vient, me revient, comme un vœu) de l’attention pour d’autres œuvres, comme aussi pour d’autres personnes… Avec les œuvres coréennes, ou avec K., ou, possiblement, avec l’Afrique.
Voudrais-je réaliser par et pour d’autres ce que je me serai indéfiniment refusé ?
N’y a-t-il pas qq ch de corrupteur dans l’attention que je prétends porter à d’autres et réaliser dans un type d’écrits spécifiques ? Par exemple : pour Faustin Linyekula (mais pourquoi alors toujours repousser le moment de réellement réaliser ? ).
Il est intéressant aussi que des auteurs sentent cette disponibilité étrange chez moi. Le dernier en date : Lee Chang-dong – puisque c’est bien lui qui a pris l’initiative soudaine (sans « avance » de ma part, sinon cette attention à des œuvres coréennes dont il a peut-être appris quelque chose par Hwang Ji-U)
De ce constat, je ne sais quelles conséquences tirer. S’il y a dualité, il ne faut pas reculer, il faut s’avancer davantage
oui, il y a là, à l’évidence, des contradictions ou des cloisonnements bruts, infantiles, grossiers : il est temps, enfin, de les « effectuer », sans plus rien craindre.
Une autre version de cet « orage problématique » (tourbillon d’inconciliabilité)… :
(j’y pensais en marchant dans le jardin, ce dimanche matin 2 mai 2010, l’air soudain froid, la vivacité là… )
ce que j’aurai désiré, ce que je désire plus librement que jamais peut-être : (me) rendre sensible immédiatement qulque chose qui serait dans l’espace-temps et que concrétiserais de manière à ce que ça « m’arrive »…soit dans un instant où je serais presque anéanti soit dans une continuité jusqu’à la mort…
et certes, je ne saurais (me) dire pour autant que je peux me croire ou me vouloir insensbile aux regards autres sur ce que je peux former,
mais cette visibilité même, pour autant qu’elle serait parfois obtenue, serait comme par un coup de vent rabattant des flammes ou une fumée repliée en substance se faisant celle de la chose même à sentir et à accepter comme interruptrice.
Il y a bien là qq ch de ce que je cherche dans « Mur de fer + concerto »
Non, ce n’est pas cela encore… ce n’aura été qu’une chose que je me serai dite un instant
qu’y a-t-il qui ne va pas dans cette formulation ?
… un aspect essentiel… : c’est de recevoir, faire venir… au sein de l’ordinaire, c’est de l’interruption dans la continuité
Autre aspect : dans quelle mesure il y a à sentir, déceler, latéralement, chez ou entre les autres, des interruptions, des résorptions, des avalements…
………
*** Un violoniste dans un orchestre (scandinave ? peaux très blanches de plusieurs musiciens, et du chef d’orchestre ?) … hier soir, à la télé, vu brièvement en gros plan… L’intérieur de la main qui, arrondie, tient l’archet se voit un instant : comme une rougeoiement interne, une quasi lanterne… (Hwang Ji-U, dans quel poème ? , compare sa main incurvée autour d’une flamme de bougie à une lanterne faite d’un potiron.)
Ce rose-rougeâtre dans creux de la main : c’est le sang visible à travers ou dans la peau, dans la chair… Je pourrais avoir une légère nausée. Du comestible.
SI j’étais noir – et même asiatique – je pourrais me dire que le « vécu », le rapport à soi au creux de pareilles chairs m’est forcément inapprochable.
…………….
*** En attendant le train à la gare d’Orléans, je vais prendre un café à une machine…
A un distributeur voisin, un homme âgé ( de mon âge ?) ne glisse pas d’argent dans la fente, n’appuie pas sur un bouton, mais explore d’un doigt l’endroit où on récupère la monnaie ou les pièces refusées.
J’ai soudain vu ses pieds non loin de moi. Deux chaussures différentes : l’une en toile beige, m’a-t-il semblé, et l’autre, plutôt une pantoufle, rouge.
Ses cheveux sont blancs et assez longs. Son visage est rougeâtre. Il n’a pas de lunettes ; se yeux semblent voilés (l’un au moins aurait-il une taie ?). Sa bouche a une expression d’amertume ou d’égarement. Il porte une veste en toile claire, avec un col brun – un vêtement qui a dû être plus que convenable. Il n’a pas l’allure d’un de ces clochards qui dorment dans des recoins aux abords de la gare.Je le vois aller d’un distributeur (le mot soudain fait comme une tache, dans ma tête, dans cette phrase écrite) à l’autre (ils sont assez nombreux) et refaire le même geste. A contre jour je vois ses jambes qui, à travers le pantalon sombre, m’apparaissent très maigres. A-t-il faim ? Je n’ai pas osé m’approcher, je n’ai pas su lui adresser la parole.
…………..
*** Le temps risible terreur (fin mai 2010).
Tout à l’heure (mais c’est ce qui m’arrive en maints autres instants) dans le jardin ensoleillé et agité de vent, j’avais soif de revenir en arrière, de reculer de plusieurs heures, jours ou années… Non pas pour revivre ce que j’ai vécu dans ces temps écoulés. Mais pour ouvrir dans ce temps, alors même que je n’y puis plus rien changer, une énorme liberté du vent du soulèvement de tout, chaque moment n’étant pas autre que ce qu’il fut, sinon qu’il serait descellé, lavé par en-dessous de lames liquides sauvages… , à laquelle je n’aurai pas su accéder.
……….
Des notes deviennent-elles poèmes dans la mesure où elles se concentrent davantage sur leur effectuation propre – suspendant, voire ravalant quasi intégralement leur geste interrogatif ou leur orientation référentielle (pour dire ce qui arrive ou ce qui est là) ?
Du contenu politique est-il incompatible avec la tenue – le présent – propre de quasi poèmes ?
Il se trouve que, dans l’ordre social ou politique, mes notes ou mes textes (ceux de Qui si je criais…) ont souvent (centralement, en fait) trait, via des lectures de textes, à des situations où tout présent est rendu intenable ou impossible. Si du présent propre (dans les phrases que j’ébauche) cherche, fût-ce timidement, à s’y réaliser, c’est en se rapportant à une nécessité du même ordre, mais s’imposant alors comme radicale, dans les textes lus et dans leur rapport à ce qui est arrivé.
**La question n’est plus alors celle d’un présent propre de l’œuvre au sens de la peinture (par exemple de Newman), mais celle d’un présent créé par le poème (ou la prose, comme chez Chalamov) sous l’effet (à distance, le plus souvent) des présents détruits en même temps que de manière à les faire (re)venir tels qu’ils n’avaient pu être effectivement vécus, sentis… (Mais ces présents détruits ne reviennent pas quasi restaurés et de manière à être intégrés à une mémoire individuelle ou collective, mais tels qu’ils continueront, présents-absents, indéfiniment à brûler le tissu de tout ce qui se fait liens de l’un à l’autre ou de soi à soi à travers le temps.)
……….
*** C’est étrange d’avoir à négocier, jour après jour, une vie durant, avec son propre « soi » dans ses aspects les plus imbéciles : jalousie, vanité offensée, souci de son apparaître, et d’abord : croyance à soi, ou soi comem croyance.
………….
La musique comme attention.
Qu’est-ce qu’elle essaie de capter ?
Trop facilement : l’analogie s’est faite avec l’observatoire à Yonsei…
Mahler : faim de monde ?
la 7ème symphonie… Sans voix … sans incarnatiion de promesse ?
ouvert voire perpétuellement privée de
………..
Ces notes : elles-mêmes dévorantes…
Elles pourraient m’absorber quasi continument.
Que mangent-elles ? Quoi de mes forces ?
Essayer de penser à la manière – attitude, style de don, consentements momentanés à de l’arracheent qui s’impose quand ? – je leur « donne »…
Ou c’est comme si ces « notes » étaient dans l’air des bribes
flottant dans l’haleine affamée de qq ch qui demande
le « réel » même (rêvé ? entr uit et jour, dans des préaubes, entre sommeil et veille, dans les ruptures et raccordements, dans le liens rompus [‘jaurai échoué à être proche de cet ami qui glisse dans le sans retour, qui ne peut plus « donner »)
Dans le baîllement vorace du réel, jeter ces bribes si insuffisantes… ou si pu capables de répondre…
« Glace, la rue reluit grise de glace, lèvres et corps ombres
muettes
Sous le dur présent ici et maintenant gît une autre
chronologie, l’atemporalité noire, l’autre couche,
le dépôt de la masse originelle de mort »
Birgitta Trotzig, Contexte matériaux
L’à côté, aussi, affamait –
les voisins, les autres, vies agitées comme des leurres où, gueule de poisson soudain formée dans l’espace quasi liquide entre maisons, fenêtres, cours
j’aurais d’un coup pu mordre
pour savoir enfin
ce qui ici même, dans la maison, m’échappait.
il fallut, très tôt, dans l’haleine de la guerre (44-45)
apprendre à se laisser capter ou à rester gueule ouvert dans le vide …
attiré, repoussé, séduit… la latéralité comme des coups de gongs sur des surfaces de brumes
ce fut sentir toute chose pulsatilement
attention captivée mais traversée de doutes comme neige rayant de lambeaux le temps
ou le désir de dérober à ce qui précisément n’était pas fait pour « moi », « nous », l’appartement, ses murs à ausculter, les vitres tendues
à côté du prévu, du « fait pour », de ce qui devait tenter de répondre exactement à…
Incrédule, dans l’enfance,… la joie dans un hiver
d’immédiat après-guerre :
surprendre ce qui n’était fait pour personne
ou en totu cas pas pour nous
le grand sapin au-dessus des murs en briques
si libre soudain à écouter les
petits bruits délicieux) des mésanges bleues venues sautiller sur le
rebord de la fenêtre (sur un fond de ciel rougeâtre barré – musique
de conte – du grand sapin,
d’en face) et
y crever le papier du beurre mis au
froid…
Ou, dans la maigreur de tout, à l’approche de Noël,
la hantise (menace : « tu tomberas là si tu… ») d’une famille
qui habitait une maison voisine
(quand on ne la voyait pas, on pouvait l’entendre)
cour centrale (porte cochère marron : bouche d’enfer)
parsemée de flaques d’eau sale,
des enfants amochés ? peaux gercées,
et, pendantes, des culottes
en tricot…
le père cantonnier
(image de déchéance que ma mère brandissait : un avenir comme ça !)
sous le ciel qui paraissait s’incurver pour la sculpter
avec le calcaire du seuil où elle se tenait,
la mère grasse, cheveux grisâtres
épars jusqu’aux épaules,
aboyait…
Que dérober dans les zones où
tel ou telle est difficilement
(et, y parvenant, serait aussitôt, trop)
« soi » ?
Tout à l’heure (samedi 21 novembre 09), vers 15 h., je
sors de Carrefour, et dans une allée du centre commercial
(bondé), sur le bord, j’effleure du regard et aussitôt suis capté (attention dense)
un couple arrêté près d’un pilier épais,
avec une poussette (et donc, probablement, un petit enfant
dedans, mais qui je ne vois pas), derrière un poteau. L’homme, je ne l’entrevois que
de dos. La femme, maghrébine (vêtement long, capuche), une trentaine
d’années, plutôt grosse, est en train
– s’isolant (par le pilier) un peu de l’homme, et de son enfant –
de porter quelque chose à sa bouche.
Que réalisaient alors
tout est là rien n’est là
les contacts et tensions entre elle (regard – timide…
se perdant sur quoi flottant dans l’air ?),
ce qu’elle mangeait,
et ses proches – ou n’importe qui de passage, moi à cet instant…
J’ai eu follement, tout d’un coup, faim de ça, là.
faim de savoir sa faim
de son plus et moins que faim
sa bouche
tout est là rien n’est là
Un poème de Hwang Ji-U (je déplace la traduction) voit-dit un vieil homme assis sur le sol
en train de s’introduire dans le corps
un morceau de réalité :
mangeant
(il parlait aussi, je crois, de la nuque de l’homme vu de dos,assis par terre,
des petits cheveux dans sa nuque)
tout tout tout est là tout échappe:
l’évidence bat toutprès trop loin tambourine mat sur tout
partout dans les « grandes surfaces » obsédantes
l’ahurissant ordinaire
tout et rien
Une contradiction dans la position-tenue-consistance de ces notes dès lors qu’elles visent la publication. (Mais c’est absurde : dès lors qu’elles se forment, elles visent à subsister, et dont à être, potentiellement au moins, données à du regard autre… de qqun d’autre ou de moi décalé.)
Elles voudraient être faites, à l’approche de la mort, pour aller dans du « sans retour » (pour s’y immerger) – mais je sens qu’elles louchent de côté sur des attentions se portant sur elles.
Cherry Brandy (Mandelstam, Chalamov).
……………
Quand une justesse furtivement rayonnante vient-elle
du dehors s’écraser sur ou dans le tout proche ?
…depuis l’autre côté de la vitre
elle est comme un regard ambigu
de l’air …
29 juillet 2007 20h45 – à travers la vieille baie vitrée
se voient des entrecroisements de branches, tiges, feuilles :
tous ruissellent
d’une récente averse ;
plus ou moins éloignés, ils sont diversement
éclairés (en vert-brun, mauve ou violet) par le jour qui baisse.
Ce hasard des végétaux et de leurs croissances-spontanéités
qui, au rythme des heures jours ou années
se sont différenciées
combiné avec celui de mon regard, de ma position
tout est soudain si insaisissablement précis,
vibrant, à la dérobée, d’exactitude :
accordé – à quoi ?
Elle brûle trop, acide (Pérugin), cette musicalité
arbitraire, à chaque fois neuve :
elle n’émane de rien
et pourtant – ou plutôt : précisément
elle est devenue – tout autrement qu’elle ne le fut jamais pour des humains –
dans « notre » acosmisme actuel,
une surprise
(un mensonge ?)
que plus rien, fût-ce de plis translucides,
ne contient
jaune velouté :
les flancs irrégulièrement arrondis voire
grumeleux de quelques coings encore sur l’arbre,
les toucher !
… sensations (nov 09) dont aucune n’est nécessaire, ni vitale
mais elles sont, à travers leurs hasards, ce dont il est
terrible d’être privé …
Méfiance, pourtant !
Bonnard, Méditerranée… 1941-44 !
Cette douceur (voudrait-on y plonger, brièvement – exposition, foule ) :
comment ? « à cet âge ? » « à cette époque ? »
(… « grand âge » musical – Chateaubriand, Verdi,
Strauss : entrer dans l’horizon de sa propre oeuvre,
y refondre cette visibilité qu’on n’a plus à désirer) ?
… de la délicatesse monumentale miniaturisée… dans l’un de
ses derniers tableaux, de petite dimension : des baigneurs
dans le soir.
Quelles allusions ultimes, impossibles… à quoi, filant
fondant dans toutes les directions ?
Humains nus foyers de vies en pures taches lumineuses dans le soir,
confiées à de la matière.
Corps signaux qui nous seraient encore adressés ?
Et enveloppes vitales qui vont laisser, béantes, s’écouler
le réel dans… quoi ?
ce qui se laisse encore un instant imaginer
comme la nuit la plus froide ?
Bonnard-douceur ? … d’autant plus irréfutable l’irruption (si lente :
toile commencée en 1936, terminée en 1946 !)
réaliste et onirique au premier plan, d’une terreur…
allégorique-historique :
le cheval blanc, « Le cheval de cirque » .
Ou Bonnard : terreur de l’œuvre (celle de Mallarmé : « mon vers… blesse
comme du fer »), mais refondue continument
dans du lumineux?
Une Hérodiade (« un baiser me tuerait
si je n’étais la mort »), cette femme nue dans la baignoire ?
… doucement glorieuse
dans des flamboiements refusifs où se continuent la peau, l’eau,
l’émail et la faïence…
1er septembre 2010,14 h rue de la République, grand soleil. Un homme se dresse dans le flot des passants. Un noir, grand, maigre, monumental ?, chargé de vêtements plus ou moins dépenaillés, portant une espèce de guitare blanche (un jouet ?), et peutêtre d’autres choses autour du cou
et surtout il est coiffé d’un tissu, un grand foulard, noué dressé dans l’air – comme par et pour une femme africaine…
comme un signal aussi…
Il a arrêté un jeune, qui ne l’envoie pas promener, mais, manifestement, refuse de rien lui donner. Je le dépasse à ce moment, me retourne en cherchent une pièce dans ma poche ; il voit ce geste pourtant pas très spectaculaire, et il tend la main, l’allonge ; je lui donne un euro. Je le regarde ; il a un goutte qui pend à sa lèvre inférieure et tremble, plus épaisse que de l’eau… Malade ? « Fou » ?
Quelques pas plus loin, je regrette de ne pas lui avoir donné davantage… J’hésite à revenir sur mes pas… Je me dis qu’en revenant de Carrefour par la même rue il sera temps. Mais quand je reviens, moin d’une demi-heure plus tard, il n’est plus là. Tout le long de mon trajet de retour, je le chercherai des yeux : personne.
Flics partout : voitures de police nationale, police muncipale… glissant entre tous, comme des poissons… je n’ai pas vu une seule fois où ils servent à autre chose qu’à faire fuir des gamins tendant la main.(je sais : ça devient presque rituel de dénoncer l’omnisurveillance… ; et des intellectuels plus chics – surtout pas… orléanais ! – [esprit libre disait un jeune ambitieux à prpos de Glucksmann !) (la liberté en ce sens…) trouveront avantage à retourner cette dénonciation…, etc. Pour moi la question est si je suis empêché de croiser surr mon chemin des exitsneces… ou plutot s’il n’est pas interdit que je sois parfois intercepté, interrompu, désorienté…alors que … etc. Je sens ces raabttements de l’ai du temps, ces fumées qui se retournent… Je ne peux pas simpelemtn me dire que je n’ai rien à faire avec ça, même si j’ai fait beaucoup d’efforts pou garder ma liberté avec al tyrannie du désir d’être vu dont ces gens sont la proie tout en jouant de ce même désir chez les auters.°)
Etait-ce le même homme que « l’homme gelé » dont je parlais dans Papiers !
Me reste son visage vu en hauteur, sombre : dans les minces fentes des paupières, les globes oculaires légèrement révulsés ont brillé aussi blancs que le fond froid que, l’espace d’une seconde, lui faisait le ciel
– grande et révulsante présence,
comme quand une tête-cou de cheval devient l’image d’un désespoir qui en tous est ignoré mais, redoutablement, agit, manoeuvre.
Il a vu ma main fouiller dans ma poche. Il ne m’a pas vu le voir. Il na pas voulu, pas désiré, pas pu me voir. Il n’aurait rien eu à faire, s’il avait pu le percevoir (mais s’il avait pu le percevoir, je n’aurais soudain plus rien eu à lui deamnder), de mon désir de lui demander…quoi ?
L’instant m’a paru, une minute plus tard, avoir été aussitôt dévoré par du passé pur, de l’obscurité absolue.
Avoir capté ce dont on ne sait pas ce que c’est
une chose de vie A Thing of Life
Et pourtant j’ai besoin, dans ces lignes que je n’arrive pas à former, de revenir à cette présence plantée là dans l’espace et le temps
Quand je note, il me faut oser exposer sans savoir de quoi il s’agit…,… ce qui me vient à (me) dire. Il faut trouver le courage de former ce qui ne peut attendre de retour, aucun reflux enveloppant venu d’en face.
Et quand je reprends, pour la fixer comme je m’astreins à le faire ici, une note : il me faut avoir affaire à une enveloppe de non attente, devenue rayonnante, à ce froid qui me glace, que je voudrais tant fuir.
Citer les Comaroff : un zombie ?
« Il y a plus de trente ans, à Mafikeng, aujourd’hui capitale de la province du Nord-Ouest de la « nouvelle » Afrique du Sud, nous avons rencontré un fou. Ou plutôt, nous avons renconté un prophète en vêtements de polyéthylène que l’Etat avait enfermé dans un asile psychatrique sous le régime de l’apartheid. Ce qui caractérisait sa présence sur la scène locale avant son « admission » à l’hôpital, en plus de son accoutrement aux couleurs extravagantes, c’ était sa propension à se tenir debout pendant des heures près de dépôt ferroviaire, en témoin silencieux. »
Tel est le début d’un texte intitulé : « L’échelle inconfortable de l’ethnographie : antrhopologie postcoloniale et violence de l’abstraction ».
Je suis accroché là, à ma manière…
Un peu plus loin, les Comaroff écrivent :
« Trois décennies plus tard, après la fin de l’Ancien Régime, nous sommes passés à l’endroit même où le fou muet avait l’habitude de traîner. Il était décédé quelques années auapravant d’une mort anonyme. Nous y sommes retournés un samedi de juillet en début d’après-midi, par un éclatant jour d’hiver. Nou straversions la route pour rejoindre le poste de police local, lorsque nous aperçûmes un petit amas d’uniformes non loin de là. Ils entouraient un personnage résolument étrange : un homme adulte, vêtu d’un simple caleçon éculé et couvert d’un enduit blanchâtre. Ses yeux creusés n’exprimaient rien. »
Il est amené, avec une « prévenance » qui étonne les Comaroff, au « Centre de services à la communauté de Mafikeng ». Là « il put manger et vaquer à son aise. » Et les Comaroff ajoutent : « Ce qu’il fit […] tantôt montant sur une chaise ou un bureau, tantôt se recroquevillant en position fœtale. »
Et à l’énigme de cette présence s’en ajoute une autre qui aura été le point de départ de toute une recherche :
« Nous avons demandé aux policiers de service qui était cet homme, ou ce qu’il était.
– Un zombie, nous a-t-on répondu.
– Que va-t-il lui arriver ?
– Nou sespérons que l’un des siens, peut-être un oncle maternel (malome), vienra le chercher », a dit l’un des policiers.
– Comment en est-il venu à rôder aux alentours de la gare ?
– Qui sait ? Son propriétaire l’aura perdu ou l’aura laissé partir par erreur. »
Un « zombie » ? son « propriétaire » ?
C’est la suite qui donnera quelque sens à tout cela.
Il reste que les Comaroff ont tenu à écrire en tête, comme en toute nudité, ces deux rencontres.
Citer comme je fais ici. Juxtaposer, par exemple au personnage vu rue de la République – et à celui (le m^me ?) décrit dans Papiers ! n’ests-ce pas complaisance ? En quoi ces moments ou citations flottent-ils ? Ces « notes » s’en font-elle le réceptacle rêveur ? mélancolique ?
Ou peuvent-elles soutenir sans l’édulcorer ce qu’il y a d’acéré dans ces morceaux ?
………
Un peu plus loin, dans la même rue très « passante », une asiatique – c’est exceptionnel – fait la manche. Elle attend, presque chaque jour.
Elle se tient en général dans l’une des entrées d’immeubles bourgeois – toujours la même.
Elle est petite mais massive, vêtue d’un haut de survêtemnt bleuâtre et d’un jean. Tête ronde, casque de cheveux gris, regard tourné au-dedans et pourtant épiant, peut-être une certaine fureur rentrée. Elle tend la main. Longtemps j’ai hésité à lui donner : fatigue de la retrouver là presque chaque jour. Puis…
Et depuis, dès qu’elle me voit elle appelle. Sa voix est aigre, légèrement repoussante. Est-ce le timbre, la hauteur de la voix, on sait aussitôt qu’elle ne parle pas français…
Si je passe de l’autre côté de la rue, elle traverse, elle me prend l’avant-bras, s’agrippe.
J’essaie de sourire ; elle essaie aussi – mais tout cela tombe en miettes comme du plâtre.
Tout est là rien n’est là.
Hier 13 septembre elle m’a vu venir de loin, et elle a aussitôt fait un signe. Quand je suis passé près d’elle, elle s’est collée à moi. Pour la première fois depuis des mois, je lui ai parlé. Quelle question lui ai-je posée, je n sais plus. Elle m’a répondu avec véhémence et difficulté. Elle m’a dit qu’elle habitait à Saran (Michel Robert) et qu’il fallait payer… le bus, à manger, je crois ; le reste de l’énumération s’est perdu… J’ai écouté, je lui ai dit : « en revenant ». En revenant, j’avais (tenant de la main gauche mes sacs en plastique pleins) une pièce dans la main droite, que je lui ai donnée, après quoi j’ai posé ma main sur son bras droit.
……..
1er septembre 2010
Faim de réel…
Réel dévoré dévorant..
La dévoration du réel
Je viens de regarder le début (la première heure) de A l’ouest des rails. L’impulsion me vient d’écrire : trop vite, trop tôt. Mais j’ai déjà peur de ne pas être capable de réaliser l’impact de ce début, de cette première heure…
C’est trop difficile de tenir.
Oui, comme Bela Tarr ?
S’interroger sur ce à quoi le film fait attention ? Ce qui, au début, le polarise. Cette avancée, cette entrée dans de l’entre… Puissance de l’avancée… qqch d’irrésistible… Le mouvement même est rendu sensible, et cela même qui s’enfonce (vitre : la neige qui s’y abat)
Matières du réel… On sent que le film éveille en nous une faim de ce qui serait à voir si nous étions plus « regardant »…
Le film nous fait voir du fait de main d’homme incroyablement réel, aabsolument non visé… enparticulier dans la destruction, ou en tout cas dans l’affaissement sur soi
Le film nous fait voir (ce) que nous ne savons pas voir, que nous n’avons pas le loisir, la force de saisir… ,
ce qu’on ne saurait reprendre dans une grande construction ramassant, relevant tout cela, le lavant comme ce homme nu qui va à la douche
Un énorme « de fait »… que la beauté (celle des images faites) n’apaise pas.
« Nous » ? Qui voit ? qui est vu ?
Ceux qui sont pris là-dedans, qui risquent leur santé, qui s’inquiètent pour leur avenir, que voient-ils ?
Ils sont pris dans ce qui les colle là…ou va les rejeter. Sont-ils le moins du monde alliés à ce en quoi nous les voyons se mouvoir ?
ET nous que voulons-nous voir enfin ? La caméra trouve son bien… Lequel ?
Ils s’intéressent par moment à nos regards. « La prise est bonne ! Coupe ». A un moement, quand l’un d’eux est nu…(scènes de douche, les sexes sont floutés)Etc.
………….
Je ne sais plus ce qui attend de recevoir ou d’être donné…
Rien n’attend et pourtant… il faut de toutes ses forces
efectuer lentement aveuglément de la faim
pour pouvoir lui donner ce qu’on capte au vol dans des instants
Il y a des tournoiements, des réversibilités bizarres
Sombres comme du fer, soudain les choses, les feuillages sur le ciel encore vaguement lumineux, les masses des choses plus proches dans la pauvre clarté de l’écran de l’ordinateur (alors que je n’ai allumé aucune lampe) :
qq ch sembl demander, appelle, exige, émet deloin, de tout près
jamais je neserai prêt poru le plus que familier, pour le tout connu…
Où est, où glisse, pôle inquiétant, jaune globuleux, ce qui va susciter l’intérêt, un désir d’une certaine nature, de l’attention folle
soudain fixée durement …
elle-même soudain durcie vibrante, sonnant comem du métal frappé.
Lucidité de la peur ?
…………….
Détestable, le moment où je décide de m’intéresser à… s’il reste à peser sur lui-même, s’il n’est pas happé et ne s’arrache en se retournant et en me transformant
La décision de me rendre une chose « passionnante ». Suscitation maigre d’un désir hésitant…
Non ! Pas ça… Je veux avoir affaire à travers tout « objet » d’intérêt ce dont je ne décide pas, ce que je ne saurais « choisir ».
……….
Absurdes ou vaines, ces notes, qui ne peuvent qu’aveuglément se prendre et se brûler (confusion d’attachements et arrachements) à ce qu’elles ne voient pas (à des moments d’auto-combustion de masses du temps intime-collectif) et qui voudraient en même temps demander
à quelques-uns – des tout proches (qui n’ont jamais le temps ni le désir) ou n’importe quel lecteur improbable (Mandelstam : « un lecteur ! » … mais c’est honteux de citer ici ce cri d’un persécuté alors que je ne suis menacé que par mon insuffisance et par l’âge…) – comme en accrochant (d’un agrippement de ronce) de l’attention au passage,
de leur dire
ce qu’elles disent !
……
Un « grand prosaïsme » : c’est la formule qui m’est venue à propos de Yu Jian.
La poésie devenant l’organe de la réalisation d’un irrésistible « même ». D’une non altérité généralisée.
Plus d’Autre transcendant. Plus de cosmos, plus d’ordre de l’ensemble du réel dans quoi inscrire la destinée des hommes, de chaque individu dès sa naissance. Plus de fins immanentes-transcendantes (philosophies de l’histoire) où le temps se transfigurerait. Plus de grande transcendance du pouvoir. Plus grandes divisions religieuses ou naturelles de l’humanité.
(Reprendre encore et encore L’espèce humaine sur ce dernier point : bassesse (« connerie », chute u ras du sol, fût-elle imaginée) pure de ce qui se veut « tout autre »)
Et un réel traversant tout un chacun et d’autant plus énigmatique. Violence intrinsèque ?
…………………
« Il a accepté le risque d’être maintenu longtemps sur le bateau, voire d’être asphyxié ou écrasé … »
« Lorsque le clandestin est à bord, c’est un intrus, un délinquant, c’est une personne nocive qui peut briser des clôtures, mettre le feu. Il a accepté le risque d’être maintenu longtemps sur le bateau, voire d’être asphyxié ou écrasé … » (enquête de terrain, avril 2006) »
Ce sont des propos d’un « responsable de l’Association française des capitaines de navires (AFCAN) » rapportés par Olivier Clochard, « L’interminable errance des passagers clandestins maritimes », dans L’asile au Sud, La Dispute 2008.
C’est, dit plus haut O. Clochard, que « la précarité du statut et la déréglementation des conditions de travail des marins ne facilitent pas l’amélioration de la situation des passagers clandestins. »
Et encore : « En France, parexemple, il arrive que des armateurs doivent, le cas échéant, payer l’amende. Et ce système peut avoir des conséquences sur les salaires des marins travaillant sur le bateau à bord duquel il y a un (ou plusieurs) passager(s) clandestin(s). Selon le commandant Jean-Paul Decler : « Lorsqu’il y a un clandestin à bord du navire, c’est l’équipage qui interroge le(s) passager(s) pour enregistrer les différents éléments. Non seulement les autorités n’aident pas les équipages à débarquer les gens ; mais elles demandent aux marins de faire leur travail (traduction). Elles peuvent aussi infliger des amendes très lourdes qui sont parfois retenues sur les salaires des marins. Nous avons eu des collègues qui ont reçu la Légion d’honneur pour avoir sauvé des boat people au cours des années quatre-vingt dans la mer de Chine ; et aujourd’hui les autorité criminalisent l’aide qui peut être apportée aux migrants. […] Le fait de manger avec les passagers clandestins, de parler avec eux peut nous conduire à être considérés comme complices du point de vue des autorités » (enquête de terrain, avril 2006). »
Je ne peux « accepter » ces situations, me dis-je. Dérisoirement ?
Je pense à Khaled, bien sûr, et à sa traversée de la Méditerranée.
J’imagine soudain ce qui pourrait arriver, à la suite de je ne sais quelle catastrophe, à Jean ou à Daniel. A eux coincés quelque part soudain sans plus de recours…
Que des gens puissent être sans recours aucun déchire toute tenue d’un « monde »…
Mais ces propos que je « me » tiens sont aussi futiles que pathétiques.
Ne comportent-ils pas la revendication d’une impossible continuité…, d’une attention humaine nourrie par les uns et les autres et qui ne laisserait personne tomber hors ?
………….
D’où me vient la conviction que les poèmes de De Signoribus, qui pourtant ne paraissent pas intégrer de données factuelles (à la différence, donc de ce que je tente souvent de faire à partir de ce que j’ai vu, dans les rues, ou d’écrits ou de films plus ou moins documentaires que j’ai lus ou vus) sont liés à la télé, à la vision de documentaires ou de reportages multiples, en pleine insomnie, des nuits durant ?
Comment expliciter ce que je sens là, chez D. S., si proche et tout autre ?
Que « fait-il » de ce que, à son corps plus ou moins défendant, il a vu ou appris?
………….
Au lever (26 juillet 2010) – réveil trop tardif (à peine avant 6 h.) – , par la petite fenêtre du premier étage, masses calmes de feuillages sombres à des distances diverses, ciel gris laiteux à peine éclairé. « Que sais-je ? » Je sais que dans cinq minutes je serai de nouveau devant ou dans mes notes, amas éparpillés agglomérés s’autodévorant. Et je devrai m’efforcer de ne pas me laisser paralyser par la honte de ne pas savoir ce que je pense.
Faudrait-il simplement reconnaître que je ne pense rien, que je ne pense pas ?
Et pourtant il y a cette perpétuelle activité, morbide peut-être… sans rien qui puisse revenir sur elle, en devenir le savoir, ou la transfomrer en savoir…
……………
On se réchauffe:
on se raconte des histoire d’animaux, ou de métamorphoses.
On se re-lie les uns aux autres en riant
d’hommes changés en animaux ou l’inverse.
Et l’histoire de la poule ? raconte !
la poule nue dans un matin d’hiver…
La nuit avait été glaciale. Plus précisément, la soirée avait
été d’abord plutôt douce, pleine de brouillard (entre les vieux buis
ou les cerisiers bruns violets ou…). Puis, durant la nuit, la
température avait dû tomber très brutalement. A l’aube, on
avait pu voir, par les fenêtres de la cuisine, que le brouillard
avait gelé en manchons de glace qui, alourdissant les petites
branches déjà durcies par le froid, en avaient cassé un certain nombre, ici et
là.
Soudain, alors que le jour était à peine levé, une appari-
tion étrange nous fit pousser à chacun son exclamation.
Par la chattière ouverte sur le sol givré bleuâtre-ondulé
comme une tôle (le chat, d’ailleurs, n’avait pas voulu sortir,
comme s’il craignait de se brûler les pattes), une créature
venait de se précipiter comme de force dans la chaleur et
la lumière de la cuisine. C’était une poule que nous avions
dehors. Elle s’avança nue, rose mauve, dans la clarté élec-
trique. Le brouillard avait gelé également sur ses plumes,
et l’en avait dépouillée. Elle s’avança effarée de souffrance,
sous nos regards, sous celui même du chat, qui ne bougea
pas.
(Nous la gardâmes plusieurs jours dans la maison ; je
lui composai les nourritures les plus grasses possibles, sur
lesquelles elle se précipita ; en peu de jours, des moignons
de plumes apparurent ; elle survécut.)
Cette histoire, maintes fois redite (enfants impatients)
dans la cuisine, m’est revenue à lire, de Holan (La Douleur) :
LE POULET
D’ELLES-MÊMES, les portes s’ouvrent
devant un ange… Une autre fois, c’est un poulet
qui vient de la cour jusqu’à la cuisine
et jette autour de lui un coup d’œil si sévère
qu’aucun n’attend ici de voir comment cela va finir,
mais pour geste de se défendre fait vite le signe de la
croix…
………..
Czapski, op. cit.
« Dans les années 50, j’ai visité une exposition à Paris
avec un ami de Pologne. Parmi nombre d’autres toiles, nous
nous sommes arrêtés, comme pétrifiés, devant un tableau
de Matisse lumineux, plein de joie, de fleurs, de palmes, de
mer bleue, de soleil et d’’oiseaux.
– C’est de quelle année ? me demanda mon ami ;
– De 1943.
– Ce n’est pas possible ! s’écria-t-il, puis se tut. Nous
nous tûmes tous les deux. 1943 était pour nous l’année de
la découverte de Katyn, l’année de l’anéantisseemnt du
ghetto de Varsovie, c’était l’Europe dans ses déchirements
les plus cruels. »
« Chacun … » il sourit, le gars du Darfour
(celui auquel un vieillard obscène, commandité, de l’OFPRA a dénié, il y a qq années, cette provenance,
son passé, sa vie, sa famille… désormais introuvable).
Je suis en train de le soigner, dans la cuisine… O. , arrivé du Darfour il y a peut-être cinq ans, et qui depuis plus de trois ans vit chez nous.
Qui voit cela ?
16 juillet 2010. K. essaie de changer la lame de la tondeuse ; elle s’est cassée alors qu’il tondait le jardin du fond envahi d’herbes hautes et touffues. Ecrous soudés par la rouille.
Il se blesse, saigne. Je le soigne dans la cuisine. Gestes de jadis… Du temps des enfants petits. Ou, plus brutalement, de l’armée : un an et demi de mutisme intérieur, temps blanc.
Nous parlons. QU’est-ce qui entend ? est marqué par nos paroles ?
Il évoque les machines dont, avec deux ou trois autres, il se servait quand il travaillait à la régie de Saint-Jean-le-Blanc. Comme des petits tracteurs, dit-il. (Avec le chef d’équipe, on allait les chercher dans un hangar, on les chargeait sur un pickup.)
On travaillait assis, avec « un clope », etc.
Le souvenir lui revient d’un homme d’un peu plus de soixante-cinq ans qui venait travailler là le matin, quatre heures par jour. Un retraité, qui vivait avec ses deux fils, « de mon âge » (dit K. et il précise : l’un pas marié, l’autre divorcé) dans son pavillon en bordure d’Orléans.
Cet homme avait travaillé quarante ans dans la même entreprise ; il n’avait pas besoin de travailler, expliquait-il, ses huit cents euros de pension lui suffisant largement. Mais que faire chez lui, après la vaisselle, le jardin ? Quand il restait à la maison, il avait à s’occuper des petits-enfants… Il préférait revenir au travail.
K. a vu, écouté, cela : il le dit aujourd’hui, en souriant. Pourquoi a-t-il envie de le dire à cet instant ? Il assiste, il aura assisté, à d’autres vies. Et la sienne ? « Chacun sa chance », a-t-il dit un jour, sans amertume.
Sa voix est grave et lente. A son passage les mots s’éboulent toujours un peu ; il supprime les premières syllabes de certains d’entre eux. A chaque fois quel est l’effet dans mon ouïe ? Une compression ? Ou un espacement, un souffle de vide ?
Les notes où j’évoque (en proie à une sorte de faimpar choix que par une nécessité spécifique) des gens, ou des bribes de vies, me font parfois penser à des photos. En tant qu’elles découlent d’un instant où j’étais (ou bien, dans le cas qui précède, où K. était) réellement là, regardant ou écoutant, devant ou dans (ou sur le bord de) ce dont il s’agit. Prises – comme une pellicule décollée par un passage de lame – à des vies qui poursuivent leur cours.
………….
Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin
Olivier Jobard
Texte de Florence Saugues
d’après le journal de Kingsley Abang Kum, Marval, 2006
Olivier Jobard explique dans une postface dans quelle condition il a fait ce reportage. Les liens se sont approfondis : « Des liens plus profonds se sont tissés au fil des épreuves que nous avons affrontées. Une confiance inébranlable s’est installée. ce que nous avons vécu ensemble et le respect mutuel que nous éprouvons nou sengagent indéfectiblement l’un envers l’autre. Je reconnais que j’ai oscillé en permanence entre le rôle d’observateur et d’acteur au cours de cette histoire. Jusqu’à l’obtention de son titre de séjour. »
Beauté des photos : équivoque ? (C. Coquio a émis une réserve sur ce point : il faut y penser)
Beauté du monde, de l’œuvre faite et/ l’interruption si réelle.
La colère… contre qui ou quoi ? les Européens, leurs gouvernements – j’ai un dégoût radical pour le gvt frçais –, contre moi ? nous, les humains ? qu’est-ce qui rend possible ces situations absurdes , non seulement cruelles mais stériles, ne nourrissant que ce qu’il y a de plus inintéressant dans la vie… La poésie c’est ici l’imagination à réinsinuer ou à appeler, induire (sans vouloir en être la source
L’itinéraire de Kingsley depuis le Cameroun, à trvers plusieurs pays d’Afrique. Désert et océan. Il arrive non loin de Melilla, enclave espagnole. il se joint à un groupe. On cherche du pain, de la viande dans une décharge d’ordures « De cetet décharge d’ordures, on peut voir Melilla, l’Espagne. Les camarades vienne tlà, et ils rêvent. L’une des façons de gagner l’Europe est de franchir les barrirèes de quatre mètres de haut, dont on peu voir les lumières. Mais les passeurs prennent très cher pour emprunter cette filière. »
Il décide de gagner le sud du Maroc et de passer, en bateau, par les îles Canaries. « Le trajet est plus long. L’océan Atlantique est plus tumultueux que la mer Méditerranée. »
« Le 26 septembre à 2 heures du matin, nous avons tenté une première traversée. Nou sétions trente-six hommes à monter dans le « panier » come nous avions surnommé le bateau troué. […] Le capitaine avait dit […]que le moteur n’était pas suffisant pour tracter trente-six hommes. Mais ils s’en moquaient… Nous avons poussé la « panier » à la mer. L’eau était glacée. Quand j’ai sauté à l’intérieur, les autres étaient déjà assis les uns sur les autres. Le capitaine a démarré et a réussi à passer au-dessus des quatre première vagues mais la cinquième a retourné le bateau. J’ai coulé puis j’ai nagé aussi vite que possible pour sortir de l’eau. Les autres criaient. Ils se noyaient. J’étais l’un des seuls à savoir nager. Certains n’avaient jamais vu la mer de leur vie. Je suis retourné deux fois à l’eau pour les aider à regagner le bord. Puis, je me suis écroulé, épuisé. Aucun des Marocains ne nous a aidés. Après de longues minutes, nous nous sommes regroupés autour du bateau qui avait fini par s’échouer sur le sable. Nous étions gelés. Il manquait deux personnes à l’appel… »
Dans le reportage consacré par la télé à Kingsley après qu’il ait eu ses papiers (aide de Jobard ?), après qu’on (Klapisch) lui ait proposé de faire un film – retour en Afrique, au Cameroun, chez lui, famille… argent, maison, petit miracle)… (je rapporte ce que j’ai simplement capté au vol… avec mes moyens médiocres individuels, mon attention, mon ordinateur), on le retrouve ayant eu une formation d’électricien. Il travaille avec une équipe, avec laquelle on le voit assis pour une pause ou pour déjeuner. Il est le seul noir. Le plus âgé - le chef, je crois – est un homme, blanc, donc, de plus de cinquante ans, épais, ou même gros, un peu rouge, petits yeux. Je serais tout prêt à attendre d’un homme avec ce physique, cette allure, qu’il soit raciste (je m’expose, voire me dénonce moi-même). Cet homme regarde les photos du livre Kinglsey. Il avoue qu’il ne savit pas que cet homme avec qui il travaille avait subi ces choses-là. Soudain il a les larmes aux yeux. Et Kingsley le regarde. Kingsley dira un peu plus tard, seul, à la caméra : « je ne savais pas que cet homme m’aimait autant ; ça m’aide de le savoir. »
(Bien entendu au moment où il est filmé, sa situation est de ce fait même en train de changer de nouveau : il passe au statut d’acteur, fût-ce de sa propre vie.)
Voix autres : nombre de mes textes seront nés du désir de faire place à la voix de qqun d’autre,ou de s’écrire comme écoute.
Cependant, aujourd’hui, ce qui s’impose dans certaines de mes notes, c’est la captation en mots d’un autre ou de quelques autres (ou de lieux de vies autres) vus ou recréés selon un geste d’intervention (il faudrait penser-réaliser cet aspect avec infiniment plus de précision…).
Telle serait, récente, la tentation « photographique » – non sans analogie avec la manière dont certains photographes font sentir (dans ce qui en principe montre autre chose, un bout de réel, un lambeau d’événement) leur geste propre, ou leur rapport à ce qu’ils ont saisi et montrent.
……………
Quelqu’un bondit
dangereusement, in extremis, en coup de vent
(glissement-choc, aussitôt, des portes) dans le wagon du RER …
Expression, alors, fugitivement sauvage
devant ou dans
les regards des autres.
Visage, face à tous, comme plié d’une ride blafarde de vitesse
– ou d’une marque de mort qui, même si déjà elle s’efface,
aura été, entre tous, évidente.
Car, avec ce bond, s’est engouffré
fugacement – en moi ou peut-être en d’autres
parmi les passagers engoncés dans des vêtements d’hiver –
ce que seraient des sensations de
voyageurs – ou, surtout, de proches (ses parents…) –
à voir celui qui bondirait soudain
louper son saut…
et se trouver alors arraché à tous,
déchiré, sur le quai, du « dans » où ils n’auraient, eux,
qu’à être
emportés…
………..
Ecrire « sur » Nadj, hier soir, ce fut soudain trop « sur »..
Trop écriture à objet ?
qq ch de trop « consacré à » ?
La faim à dire dans certaines de ces notes n’est pas un objet dont il faudrait parler… Elle est réouverture permanente de ces notes, de leurs prises sur.. quoi ?
La faim de ce qu’il y a , de ce qu’il peut y avoir se recreuse ici
……………..
Au Jardin des Plantes (à peine sorti de la gare d’Austerlitz – juillet 09):
pour noter … n’importe – je me suis assis sur un banc.
Passent des troupes d’enfants (flottant
autour d’eux, souples-fragiles, les « dans »
sans quoi ils ne vivraient pas).
L’un de ces groupes (des petits de cinq-six ans) est
guidé par un grand jeune homme noir à tee-shirt rouge
(il tient le premier enfant par la main, il est calme, lent, dis-
ponible, sans mauvaise humeur) ; en queue (et tenant égale-
ment un enfant par la main) une jeune fille d’ «origine maghrébine »
(il est significatif que je ne sache plus quel mot employer).
Chacun des enfants porte un sac en toile brune. Ils vont
deux par deux, en se tenant par la main. Un minuscule gar-
çon, métis, cheveux hérissés, hurle, de sa petite voix per-
çante, et répète (redisant ce qu’on a dû leur dire au départ) :
« Doucement, doucement ! Il y a des gens ! » La jeune fille
lui crie : « Mais tu fais encore plus de bruit ! ». Je ris, tout
seul. Passant devant moi, elle me voit rire et (peut-être aussi
parce qu’elle se rend compte, soudain, qu’elle a elle-même
ajouté au bruit) elle sourit.
Anecdote ? Trop cantonnée en elle-même ? Pourtant, elle – ce qu’elle raconte – est, aura été, esquisse de prise sur ce qu’elle ne savait pas, et qui aussitôt glisse, passe ailleurs, se reforme de côté pour d’autres prises.
Réengendrement d’à côté.
aliments pastorales ? idylles marshmallows ? Arcadie, Age d’or, paradis terrestre palais de guimauve étirée
Sérieusement, gravement, en « chercheur » ! (lire Empson !)
Théocrite, Virgile, Monteverdi, Poussin, et dans le Bourgeois gentihomme
voire Khaled ! hélas...
Quel tourbillon est venu se réduire en se calcinant quand j’ai découvert
les Eglogues de Radnoti
(et cette bave de bœufs…)
ah alors le souffle se coupe
on ne continue plus
« Souvenirs du Valois », dans Zbigniew Herbert,
Un Barbare dans le jardin :
En épigraphe, une citation non identifiée, mais que je
crois de Sylvie :
« Adieu Paris. Nous cherchons l’amour, le
bonheur, l’innocence. Nous ne serons jamais assez loin de
toi. »
Chap. « Ermenonville », « La théorie des jardins »…
« Ce jardin est l’œuvre du marquis René de Girardin […] »
Herbert évoque plusieurs jardins comme autant d’œuvres…
« Ces entreprises s’accompagnent, dans la littérature,
d’une renaissance d’Hésiode, Théocrite et Virgile, que
viennent rejoindre de nouveaux poètes comme Thomson,
Gessner, Young et Gray. En France, c’est l’éternel Fénelon qui
patronne cette littérature bucolique : « Parmi les peupliers
et les saules dont la délicate et fraîche verdure abrite les nids
innombrables d’oiseaux qui chantent jour et nuit coule la
Xanthe. Toutes les vallées sont couvertes de blés dorés, les
collines plient sous le faix des vignobles et des arbres frui-
tiers qui y poussent en amphithéâtre. La nature entière y est
souriante et avenante, le ciel doux et calme et la terre prête
à faire jaillir de son sein de nouvelles richesses en échange
de la peine du laboureur. »
Le paysage sentimental est un décor pour l’économie
sentimentale et l’on peut dire sans exagération qaue c’est
en Arcadie qu’ont jailli les sources du socialisme utopiste.
Virgile s’y promenait en compagnie de Proudhon. La pay-
sanne Proxinoé « faisait d’excellents gâteaux. Elle élevait
des abeilles dont le miel surpassait en douceur celui qui à
l’âge d’or coulait des troncs des chênes. Ses vaches venaient
d’elles-mêmes offrir leurs ruisseaux de lait… La fille imitait
sa mère et chantait avec le plus extrême plaisir pendant son
travail, lorsqu’elle conduisait ses agneaux au pâturage. Et les
tendres agneaux dansaient sur l’herbe tendre au rythme de
ses chansons. » »
Cette prose fait mal aux dents comme du sucre.
« Et les tendres agneaux dansaient sur l’herbe tendre au rythme de
ses chansons. » Que des phrases pareilles aient pu être écrites, et lues, génération après génération, on a du mal à le croire.
… « tradition pastorale », « idylle », « Arcadie » : versions indéfiniment
transportées (en poèmes, romans, peinture, musique, danse, à travers
lieux et langues) de « la vie douce » ?
« Célénie m’apparaît souvent dans mes rêves comme une nymphe
des eaux, tentatrice naïve, follement enivrée de l’odeur des prés, couronnée
d’ache et de nénuphar, découvrant, dans son rire enfantin, entre ses joues à fossettes,
les dents de perle de la nixe germanique. Et certes, l’ourlet de sa robe
était très souvent mouillé, comme il convient à ses pareilles. »
Ce passage du chapitre « Chantilly » de Promenades et souvenirs de Nerval
est cité (plus longuement, en fait) par Inoué Kyûichirô dans un livre où
il évoque des promenades faites sur les traces de Nerval (et
sous le signe de Proust) – par exemple dans les phrases suivantes :
« Au retour, la voiture traversait la forêt de Chantilly.
Le vert des arbres qui avaient à peine commencé à bourgeonner s’exhalait en une
brume légère, le chemin dans la forêt continuait interminablement dans un air
froid où l’on ne pouvait savoir si le temps était dégagé ou couvert.
Au bord des étangs allongés de Commelle, la voiture s’arrêta près des ruines
du vieux château de la reine Blanche, quand un gamin de village à l’air
rebelle a jailli vers nous ; il a tendu ses deux mains pleines de jonquilles
qu’il avait cueillies au bord de l’eau en nous suppliant de les acheter.
La couleur claire de ces fleurs était, entre les marais noirs et les troncs
des bouleaux blancs, indiciblement belle. »
Le livre d’Inoué a été suscité par la mort (en 1975) de Robert
Gallimard. C’est ce que précise Ishibashi Masataka (traducteur
de ces fragments), qui ajoute : « Inoué a choisi le mot
mono-gatari (comme Genji monogatari [Le Dit de Genji]) pour qualifier
son texte […]. « Mono », ce sont les âmes désolées et égarées des morts.
Le mono-gatari est un genre littéraire ancien : celui où l’on vise à calmer
les âmes en leur racontant ce qu’elles auraient pu faire. »
…………
Radnoti, qui m’est devenu central… si
« Prisons paisibles de jadis, Eglogues… »
Qu’advient-il de la tradition pastorale ici ?
Comment recevoir (après avoir découvert Radnoti s’est
formé par ses tout derniers poèmes écrits, avec une ténacité
inouïe, lors d’une ultime « marche forcée »)
un poème – la « Cinquième églogue » – qui témoigne
d’une disparition :
« Toi, mon ami ! ô comme j’ai tremblé du froid de ce
poème,
j’avais si peur desmots que je biaisais encore.
Je commençais des vers… Je m’efforçais d’écrire à
propos d’autre chose,
en vain, et la nuit, cette terrible nuit qui s’embusque
me commande :
C’est de lui qu’il faut parler ! […] »
Qu’est-ce qui est repris, dans ces « Eglogues », de Virgile
– dont les bergers n’ignoraient pas la guerre !
En épigraphe de la « Première Eglogue », Radnoti cite
les Géorgiques (I, 505) :
Quippe ubi fas versum atque nefas :
tot bella per orbem, tam multae scelerum facies…
Et, dans cette première Eglogue (datée de 1938, et qui
va parler de la mort de Lorca), « le poète », à un moment de
son dialogue avec « le berger », déclare:
[…]A force d’habitude en ce monde d’horreur
je finis parfois par n’en plus souffrir, je n’ai plus que la nausée
…………..
Absorbé, soudain
Toujours l’éclat, voire l’explosion, d’une couleur pure laisse intrigué
– voire décontenancé.
Pourquoi ? Rouge du coquelicot : la jouissance-joie courte
qui en naît est une énigme.
Croit-on se découvrir « naturellement » fait pour recevoir
cette évidence ? A quoi, par sensations, espère-t-on appartenir ?
……..
Par immédiateté abstraite – par arrachements et refusions sensitifs ou sensuels –, n’y a-t-il pas une appartenance moderne au réel ?
(En dépit de ce que Taubes – « Notes sur le surréalisme » (dans Le temps presse ) – voit, après d’autres, comme un acosmisme de la poésie moderne, qu’il dit quasi renouvelé de la Gnose en même temps que lié au déterminisme qui est celui de la science et de la technologie.)
……..
Tieck, cité par Béguin dans L’âme romantique et le rêve :
« Quelle chose merveilleuse que de se plonger dans la
contemplation d’une couleur, considérée comme simple
couleur ! Comment se fait-il que le bleu lointain du ciel
éveille notre nostalgie, que le pourpre du soir nous émeuve,
qu’un jaune clair, doré, puisse nous consoler et nous apai-
ser… »
………..
J.M. Pontévia, Ecrits sur l’art III, p 253
« On sait bien que, depuis Cézanne, la couleur a cessé
d’être traitée en vassale de la lumière. Ce qu’on a moins
remarqué, c’est que la fin de l’hégémonie de la lumière
avait laissé un vide et suscité une sorte d’appel d’air. Le
plein air des impressionnistes et peut-être déjà la perspective
aérée des classiques traduisaient un besoin profond, dont la
méconnaissance menace d’asphyxie toute peinture. A cela
répondent les « bleutés » de Cézanne ou, tout aussi bien, les
vides de Sam Francis ou d’Olitski ou les blancs de Hantaï :
au medium de la lumière, ils substituent celui de l’air et
de sa respiration. « Je respire, disait Cézanne, la virginité du
monde. » »
« Appel d’air » : quel rapport (il faudrait aussitôt aiguiser
cette question si pauvre) avec « L’air » de mon titre
ou de mon recueil ancien… ? Et avec « l’élément », ou l’
»entre », que depuis si longtemps je ne parviens pas à réel-
lement effectuer-interroger ? Ou encore avec ce rapport de
l’œuvre au monde par ce qui la tend si loin si près (cimes
bleuâtres de Flaubert), la disjoint du dedans (le non-peint
de Cézanne) et la repossibilise en se retournant sur qui
peint ou écrit comme une chance mais aussi, radicalement,
une menace.
Et encore : « … la splendeur des couleurs pures, qui
embarrassait Kant, et qui nous embarrasse par ce qu’a de
paradoxal sa promesse d’immédiateté. »
Oui, la couleur…, la stupéfaction – l’énigme : pourquoi
cette évidence ? cette joie ? – du rouge d’un coquelicot, c’est
ce que j’avais ressenti (comme une question sans réponse)
un jour de fin de printemps, en 1962, dans l’Yonne (à un
moment de ma vie où … presque plus d’attaches),
depuis un petit pont de pierre grise. Et je ne pouvais me
contenter d’y voir la profondeur d’un souvenir d’enfance.
Toute épaisseur de temps était trouée par cet éclat pur.
………
De Kooning, Ecrits et propos :
«… rentrer à la maison avec l’impression de faire partie
du monde, avec ce gris. Les couleurs sont plus intéressan-
tes quand elles sont douces, et le vent qui souffle de toutes
parts, c’est la vie qui respire. »
………….
Noir urbain… Pulsatile. Surfaces, reflets… Ou obstinées émanations… Capté détourné dans la peinture. Manet ? Kline. peindre à New-York.
Qui s’allie à ça ? Peinture réamorçage de circulations élémentaires,
flaques affluent
ou…
………..
Nuit du « fait pour »,
dans le trop exactement adapté des produits
une feuille liquide de dévoration noire est glissée
…………..
Noir dans le port de Baltimore (et ses alentours). Dans la nuit, silos à grain abandonnés (on n’a pa d’argent à mettre pour les détruire), des gris plus ou moins blafards, cadvériques sous le ciel. Tas de charbon : noir condensant le noir. Machines énormes, compliquées et enfantines, laissant voir, comme des écorchés, leur anatomie.
Que font ces énormes débris que nul n’aurait profit à éliminer ?
Trop « faits pour », naguère, désormais inutilisés… , ils ne disparaissent pas ; réels, ils dévorent de l’espace bleu ou obscur.
……………
Lorsqu’on l’interrogeait sur la signification de Gluts, Rauschenberg répondait: «Nous vivons à une époque de surabondance. L’avidité est sans limite. Je ne fais que l’exposer, j’essaie de réveiller les gens. Je veux simplement confronter les individus avec leurs ruines […] Les Gluts sont des sortes de souvenirs sans nostalgie. À mes yeux, elles doivent permettre aux gens de regarder tout objet du point de vue des potentialités qu’il contient.»
me sentir immensément insuffisant sous le ciel dans la rue la plus connue juste en sortant est par moments plutôt une joie une sorte de vérification
simplement, dans le passé, ce pouvait être une promesse la certitude brève d’un lien avec le réel une incitation à…
mais aujourd’hui, si tard ? sans avenir ?
: serait-ce encore aujourd’hui la certitude que j’aurai eu, ne serait-ce que dans des instants, affaire à qq ch de réel et de non enveloppable qui demandait et demande encore excessivement ?
demandait ? demanderait ?
qu’est-ce que ça veut dire ?
« qui demande » : tout le problème se ramasse là…
D’où et quand s’impose l’évidence d’une demande ?
de quelle « chose même » qui serait là ?
ou bien… dans quelle zone mince invisible, dans quel trop proche… la demande se met-elle, mince et ramifiée à sourdre en ruisselets de feu qui attirent ou devraient attirer mon attention ou mon « faire » dans mille directions simultanées…
A Illiers 1966-67 (rue de Beauce, ou avenue plantée d’arbres, bordée de villas en pierres meulières) (le minime libre-service, son halo pelure d’oignon sur la neige du trottoir au crépuscule?
J’ai rêvé là – bovarysme inversé – d’une vie où il n’aurait été besoin d’aucune « distinction »,
de n’être « reconnu » par aucun regard
(j’ai déjà écrit, réécrit des choses comme ça).
Devenir, peu à peu (jours, années), capable de
n’attendre aucune rétribution !
Vivre intensément le fait brut que rien ne « me » ou ne « nous » préfère, ne me/ nous distingue
c’était rêver
d’être continu avec les surfaces de sable que nulle attention ne soutenait dans leur être, ou des nappes couleur de soupe brûlée
liberté pure, alors ? liberté elle-même en fuite aussitôt… (le long des deux voies de chemin de fer… plages s’oxydant)
temps velouté
fécondité secrète en deça de l’espoir
…………
Pourquoi m’aura-t-il fallu n’ébaucher jamais des phrases qu’avec la sensation (certitude ? garantie ? peur ?) que mes tentatives, sûres d’être douteuses, seraient à mesure bues par je ne sais quelle terre altérée dans l’air ?
Rien ne subsisterait que des taches sombres dans de la terre se faisant pâle nappe dans le vide, de l’étendue flottant sans contour, de la « terre mal déroulée » (Gu Cheng)
Un soulagement bizarre…
Arte, 28 juillet : « Brume de guerre »
Film documentaire d’Errol Morris : The Fog of war : Eleven lessons from the life of Robert S.McNamara, USA, 2003. Musique : Philip Glass. 105 mn
(On entend la voix de McNamara distinctement ; mais elle est doublée, au premier plan, par une de ces voix françaises qui ont beaucoup servi pour traduire-doubler des voix d’hommes américains, une voix stupidement sentencieuse, archaïsante…)
Le programme Télérama parle de « l’ancien secrétaire à la Défense de John Kennedy puis de Lyndon Johnson, qui échafauda le programme d’armement nucléaire américain et envoya les premières troupes au Vietnam. »
Le vieil homme apparaît étrangement « humain ». Pensant, s’interrogeant. Ne cherchant pas à se justifier sur tout. Insérant dans les situations qu’il évoque des doutes rétrospectifs. En particulier pour ce que les Américains n’auraient pas compris du Vietnam : son entrevue, bien après la guerre, avec un général vietnamien, qui lui demande comment il est possible que les Américains n’aient pas compris que les Vietnamiens défendaient farouchement leur indépendance nationale, en particulier contre la Chine ? (Alors que les Américains étaient persuadés de livrer combat contre « le communisme »…. est-ce de cela que relevait la théorie des dominos ?)
Comment regarder un individu, là, par rapport à ces monstruosités sans dimension (il évoque les bombardements sur Tokyo, les bombes incendiaires, hommes femmes enfants brûlés, 100 000 morts en une nuit, dit-il… mais n’est-ce pas pour rappeler ce dont, bien entendu, il n’eut pas la responsabilité ? cherche-t-il à se justifier ?)
Sa « sagesse », soudain, est si… commune. Trop partageable. N’a rien d’un véritable savoir qui serait issu de tout ce qu’il a traversé ou voulu-pensé, ou…
Moi-même ne finirai-je pas par fondre, ou brûler, oh je ne veux pas dire forcément dans les flammes, non, simplement réduite petit à petit en cendres noires, toute cette – chair visible.
Oh le beau jour encore que ça aura été !
Oh quand même !
Oh Willie, tu ne vas pas l’avaler
Après avoir vu ce film, je suis désemparé. Comment penser, en tant que quiconque (voilà ce à quoi je devrais toujours revenir… Pachet, au début de nos échanges, à Orléans, m’avait parlé du « qualunquisme », ou qq ch comme ça…), à ce qu’on a vu entendu là ?Ce quiconque fait de cela…
Alors…
me revient le temps de la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie. L’impuissance consentie. Des jeunes soldat allaient mourir, ou tuer, ou devenir des tortionnaires (Muriel)… Et l’énorme (présences opaques des vies en grappes) passivité des parents… Acceptant ? Avec l’idée toujours virtuel du « sacrifice »… Non pour qq ch (non pas un « mourir pour, qui n’existait pas)… Mais le béénfice qu’on tire aussi de la mort de qqun, qqun de très proche…
Alors…
en allant dormir, il me vient alors la plus pauvre des « idées ».
Une chose à « me dire » comme j’en aurai traîné toute ma vie, un de ces quasi objets transitionnels dépenaillés et sales, mentalement resucés, dont chacun, je suppose, s’accompagne des décennies durant.
Je me dis, donc, que je devrais – même ou surtout si tard – ne pas être, dans mon pauvre coin, moins constamment « mobilisé » que ne le fut le secrétaire à la Défense MCNamara.
Jadis, je m’étais dit (cet autre « me dire » me revient brusquement dans la tiédeur de la petite pièce où je vais essayer de dormir) que, faute de m’engager politiquement, je devais au moins travailler autant qu’un prolétaire… voire (mais j’avais honte de me dire cet enfantillage, bien sûr) qu’un déporté.
…………….
Masque de chien
Carrefour centre, 30 juillet 2010. (Dans el Centre, à l’extérieur du magasin, mais dans la même surface, devant… , une sorte de vendeur amublant, depuis des mois, vend des petits avions télécommandés, deux ou trois vendeurs, noirs… se succèdent…)
(Aux caisses, il y aurait trop à voir, à recevoir, exaspéré de ce peu de temps libre, vacant…
je suis comme un travailleur – y compris du fait de ces notes que je sais fixer et qui me dévirent trop et trop peu de temps – soudain, pour dix minutes, sans travail, inquiet, vite indigné qu’on me prenne mon temps de travail, qu’on me force à cette vacance)
Un homme de peut-être quarante-cinq ans, « maghrébin », teint brun, passe avec son chariot dans la file à la caisse voisine de celle où j’attends. Un autre homme passe au long, pour aller, sans passer à la caisse, attendre de l’autre côté. Je regarde l’homme qui paie ; il a une barbe pas très longue, l’air soucieux, il porte une belle chemise qui flotte, de couleur prune et au col blanc. Parmi les choses qu’il achète, voici un masque. La caissière n’en trouve pas le prix, s’énerve (je la connais, elle est jeune, très grosse, très nerveuse) ; l’homme, d’un mot et d’un geste, renonce à l’achat. Après quelques autres achats, apparaît (ramassé d’un geste excédé, sur le tapis roulant, par la caissière) un autre masque (de chien, je crois), et cette fois la caissière trouve le prix ; aussitôt le plus grand des deux garçons, d’un air farouche, l’attrappe et passe dans l’espace libre de l’autre côté des caisses (là où attend l’autre homme) ; je pense que le plus jeune sera déçu, voire, si petit et pris intégralement dans l’instant, désespéré.
Le bonheur du masque (je n’ai pas oublié l’excitation enfantine… ). Se sentir autre, dans quels regards – son propre souffle contenu ou rabattu humide et tiède par le moule de carton ou plastique.
L’air chaud humide devenant la zone de tous les possibles… , avant de surgir face aux autres, méconnaissable et fascinant.
………..
Photo mentale :
7h 15, 9 août : sur la très vaste surface des chaumes du champ légèrement bombé que je vois de la porte de la chambre, le soleil levant, très bas encore, crée, en passant à travers la haie, un léger damier, irrégulier, de deux couleurs (ou luminosités) – l’une blonde doucement flamboyante, l’autre plus cendreuse… Mais tout cela ne dure qu’un instant : bientôt le champ est uniformément rayonnant.
Expliciter quelques-unes parmi les innombrables perceptions dont on est soutenu en vivant, au fil des heures… : est-ce l’un de mes efforts dans ces notes ?
Capter ce dont on ne sait pourquoi… Enigme d’évidence – bien connue.
……….
Photo mentale… par mémoire immédiate – et anticipation d’écriture.
Capter ce dont on ne sait pourquoi on s’y est soudain arrêté.
Fixer (dans sa tête, sur-le-champ, au moment de voir ou, un peu plus tard, par écrit) ce dont on peut espérer qu’un regard ultérieur en ouvrira l’énigme.
(Une histoire de photo chez Antonioni… Blow up ?)
Capter-réaliser ce qu’un autre regard, croit-on, saura pénétrer.
(Une forme de liaison, de lien…)
………
Affamé de quoi ? , « photographier » (fixer – mentalement ? – en un instant, dans une lumière violente) le trop proche, l’ultrafamilier contre lequel on s’écrase.
Dilater, surchauffées de lumière, les plus petites distances, d’infimes dispositions.
Le point de vue ne serait pas celui d’un œil, mais d’un appareil appelant à plus de regard, réalisant un « plus » qui affluerait de l’avenir et saisirait le vu comme inondé d’une évidence soufrée au plus que présent.
…………..
Immobile plusieurs minutes durant, regarder un champ bordée de haies à travers l’une – quelque peu raréfiée à cet endroit – de celles-ci : est-ce dérober une visibilité sans témoin ?
C’est peut-être là un substitut pour le désir humain de capter la « nature » telle qu’elle serait exempte de l’intervention de « la main de l’homme ».
Bonnard, lui, ne cherche-t-il pas à capter ce qui, tout entier fait de main d’homme (intérieurs, jardins), voire tout de présences humaines (autour d’une table par exemple), ne se trouverait soudain exposé qu’à une absence pure de regard ?
C’est ce qu’on sent dans la verticalisation de ce qui est présenté – et en quoi on peut reconnaître un jardin, un intérieur, etc. –, dans une frontalité (un panneau) sur quoi passe (dans l’instant infini où tout cela devient peinture et jouissance de matière colorée) un souffle de non-regard
………….
31 juillet, 6h30, je vois, sur la table, à côté de l’ordinateur, un bout de ciel qui s’éclaire à travers des feuilles noires : c’est ce qui se reflète (à travers la baie vitrée) dans l’étui en plastique dur d’un DVD de Yu Jian. Voilà qui entretient encore un peu d’espoir, le désir clair et vide de sentir-penser-dire-former.
………….
Thomas, à la fin des Exaltés :
« Ce sont les rêveurs qui paraissent insensibles. Ils cheminent de par le monde, ils regardent faire les gens qui se sentent chez eux dans le monde. Et ils portent en eux quelque chose que ces gens-là ne devinent pas. Une chute à chaque instant et à travers tout dans l’abîme. Sans périr. L’état de création. »
S’allier à ces phrases ? J’aime tant l’essayisme de Musil. Le lire, c’est recevoir de l’oxygène, c’est sentir suscitée par lui une ondée en soi, un rougissement de son sang mental…
Mais ce qu’il dit là, non, il ne faut pas s’y allier.
« Une chute… » ? Cette dernière formulation est trop puissante.
Et ce qui précède – l’opposition entre « rêveurs » et gens ordinaires – me fait, évidemment, me rétracter.
Ces phrases évitent, précisément, tout ce à quoi je chercher à m’attacher, à m’agripper de mes propres phrases-griffes.
………….
Il faudrait (toujours cette formule comme un fouet mou et pourtant blessant)
percevoir les emprises politico-religieuses là où (ou quand) elles exploitent la terreur nue du réel…(et d’abord de l’exposition en fantine radicale : Winnicott)
J’ai peur honte de me dire ça dans la « vie ordinaire »
L’art, en « formant », dénude… les moments où l’envie de vivre est à vif et… balayée de vents de terreur.Plages terribles… nécessaires…(vieillesse, maladie, ruptures, arrachements…) A ne pas seulement vivre comme ce quqi ne devrait pas avoir lieu ? cf Staline contre Chostakovitch : Lady Macbeth…)
Il le fait en se formant comme quasi regard en face, ou comme ce qui suggère que ce qu’il montre en peut être donné à aucun regard…
La terreur nue… comme perpétuellement sentie comme possible, ou comme plus réelle que tous les possibles.… rampant en plis de pierre fondue (le dernier mvt de la sonate funèbre de Chopin joué par Pollini).
……….
Ce qui me passionne en fuyant a quelque chose à voir avec les différenciations de positions, les diverses expositions, les multiplicités des rapports des uns et des autres à des pôles glissant dans l’ »entre », dans la fluidité …
Sentir l’autre là où il reçoit, dans sa singularité (dans ses sensations-émotions propres), ce qui va refuir (en laissant ses sensations-émotions incomplètes, déchirées ouvertes sur la fuite).
Les œuvres d’aujourd’hui, s’il en est, ont-elles plus nument que jamais rapport à ce tout proche, voire à cet intime, en tant que râclé par de l’inappropriable ?
………
Pour « Terre déroulée » – à écouter…
L’écoute latérale : de tout près, très loin… Le tout près et le très loin s’ouvrant réciproquement.
Le plus près, l’ »ici », en proie à un pulsation : ce qui semble être saisissable, ce qui devrait se détenir soi-même est précisément ce qui s’échappe à soi-même avec une intensité singulière. Cette dernière peut être dangereuse : faux semblants (« images de soi ») qui s’enragent. Elle peut, à d’autres moments, avoir la force d’envoyer au loin.
…………
Faim d’attention
Faire attention ? Etre objet d’attention ?
Induire de l’attention autre ?
Ocre-grise étendue de sable et poussière (plutôt végétale) scarifiée d’innombrables traces – particulièrement visibles sous les rayons du soleil bas rasant le sol, et soudain désespérantes… – de pattes de pigeons :
ai-je pu croire une seconde, l’autre soir – assis, fatigué (« débordé » de choses à faire… dont chacune, munscule, devenait énorme), sur un banc place des Invalides –, la voir (la respirer visuellement) comme « du bord » ?
Une pareille position du bord – sentir le fait de sentir ? respirer le simple « de fait » – , me suis-je fugitivement demandé, est-elle possible ? Pourquoi désirer la créer ou la rejoindre ? N’y a-t-il là qu’une illusion ?
Le désir de se mettre au bord m’a paru soudain être (contradictoirement ? ) celui d’obtenir (ou plutôt de pouvoir halluciner) pour ma propre attention aux choses une attention autre – affluant d’où ? – , intime, délicate, désintéressée et tendre (induite, marée rosâtre, par cette position banale-improbable, fragile, prête à s’effacer)….
…………
Au bord ? pas du tout..., soudain .
Plutôt : « dans »
Sentir-former n’a lieu, n’est effectif, qu’au milieu, dans l’entre (alentours devenant monstrueux). Former des tracés dans. Oubliant tout « autour », tout contour qui circonscrirait le « dans ».
Sentir comme quasi dissolution. Former au vol.
Plus follement, plus aveuglément, dans l’entre que n’importe quoi
… y disparaissant
………….
M'interrompre (comme des afflux bourrasques retours de sensations, comme si les mouvements de la pensée, les inflexions du dire, des paroles échangées, s'enneigeaient, visibles, prises dans un espace fourmillant scintillant froid vivant autrement)
Parfois, après une conversation importante, intense, où du jugement crépitait, où chacun apparaissait, éclairé comme de profil, dans ses gestes de pensée les plus nets, dans des positions et des liens (alliances) fondamentaux, et où soudain j'avais eu l'impression d'être incapable de me faire comprendre,
j'ai éprouvé le besoin, en rentrant, de me mettre devant une feuille de papier, de m'expliquer, d'écrire une lettre, en prenant le temps...
et, de fait, j'ai écrit quelques phrases, formulé quelques caractérisations pour les autres, en m'adressant à eux, et puis à chaque fois tout s'est vite alourdi, enseveli doucement, paralysé, tu...
pourquoi ?
Dans le carrefour des arguments qui s'échangeaient, ou qui me semblaient le faire, qui révélaient vraiment des attitudes, et qui avaient affaire au même, là, lucidement, sûrement (première illusion ?)
déjà je m'étais senti séparé, arrêté ( bêtise ? paralysie ? blocage, ce qui ne veut pas entrer dans la confrontation, est au plus près, résiste)
peut-être comme chacun à certains moments,
mais c'est là que j'avais commencé à trop ... tenir à ce qui m'interrompait, trop accordé de crédit, (comme si ça exigeait à mon oreille, se plaignait, avait peur d'être oublié, d'être tué)
et en rentrant (train, pont, couloir, nuit, sommeils)
tout était déjà enclenché, l'interruption,
le ralentissement,
et écrivant (dans la nuit, ou le lendemain à l'aube) voilà qu'il me fallait décrire tout le sensible n'importe quoi qui était là, ce que je voyais, sentais, cerisiers dégouttant de gel, etc.,
comme pour renouer autrement le lien , pour séduire ? offrir des phrases d'une autre nature ? non discutables ? à prendre ou à laisser ?
mais aussi pour remonter vers le moment où les arguments, les pensées ne m'apparaissaient plus soudain, dans l'éblouissement, la fatigue de la conversation, sueur, décrochement, grésillements noirs, que comme sensibles, douloureusement, gestes trop réels s'imposant à mon attention en faisant oublier les arguments
et je ne pouvais reprendre, sur l'instant ou maintenant dans cette lettre qui allait s'arrêter je le savais,
qu'en décrivant, amassant les plis du sensible, comme si tout était chargé de neige, de cendres, et trop substantiel ne se laissait plus confronter
et mes propres amorces de pensée me devenaient ce qu'il me fallait me rendre sensible, dernière chance, vite, avant que.. tout ne s'égalise, ne se fasse inerte, sans choix, sans ressort, sans désir...
…………..
Former des ébauches de pensées ne se fait pas seulement face à ce qu’on voudrait – à ce qu’on croit vouloir – capter…
L’obstination frontale ne suffit pas. Par une prise excessive sur ce qu’elle croit être son objet, impatiente, elle écraserait, éteindrait…
Il est indispensable de s’arrêter, de laisser revenir quoi … ?
quelque chose de vital, circulant de côté, tel du sang dans de la terre, viendra crépitant mousseux réimprègner les coexistences de l’entre où se reconstituera,
plus nette, à un instant non programmable,
la force du bond, la chance de la prise formatrice (sur ce qui n’apparaîtra qu’alors)
quelque chose de latéral, oui : suc du plus-que-connu, lymphe de la vie ordinaire, acide rongeuse fluidité des vies liées, tresses liquides franchissant dans des rigoles inaperçues des à-côté dénivelés, voire béants
…………
Rôle de la rue (notes traînées pendant des années … refusant de se refermer… déroulées)
Des lieux libres..., par surprise, brusquement clairs, rosis de soleil, où ?
lieux liés (comme l’eau verte mauve l’eau liée dans les vacuoles des plantes)
– dans les façades à l’aube comme des visages inattendus ?
ou sur le sol – entre elles, devant elles (entrées) –, y glissant, se déchirant fluides à des détails d’asphalte, de pavés, du sol fait un jour…
taches de rapidité et de dissolution luisante
se révélant rythmer pas en-dessous les places des choses telles que posées là, retrouvées dans l’aube,
ou comme sous les plantes des pieds, les semelles, les décollant comme nous devons être décollés (ete le « se donner » n’en est qu’une evrsion)
et surtout fauchant (d’une flambée odorante comme, par exemple, sous mes chaussures alors que j’avance) toute position de regard, de humage du réel…
ou même – avec cruauté – celles des gens (les rares passants à cette heure, un dimanche matin de décembre).
…………….
energie de la rue ?
renaissant continument de la refusion des désirs et des peurs des uns et des autres, des faces soufflantes des magasins, des halos des sois projetés…
elle décolle arrache remêle ce qui la nourrit , elle est (parallèlement à ce qui se fait – est su se faire en vitaux remâchements – dans les dedans des maisons) le dehors
jusqu’à des intants de terreur lumineuse ?
y reboire en mi phrases immédiates ou retours tardifs le soir le lendemain
phrases qui déroulées ne peuvent être reprises
Sortir dans le jardin (20 mai 2010) à 7h30
Fraîcheur presque agressive… Clarté..
Jardin trop grand ?
Fleurs plus ou moins inattendues – parmi tant d’herbes. Il faudrait trier… etc.
Jamais ne sera venu (pour moi ? pour quiconque arrive à la fin de sa vie) le temps d’avoir le temps, un temps perpendiculaire au temps, une dilatation bleutée où se tourner retourner sans fin.
Y a-t-il qq ch de ce temps impossible chez des peintres aussi différents (voire opposés) que Cézanne ou Bonnard
……….
10 juin 2010
Cueillir des cerises sous la pluie, dans l’humidité, la vapeur, voyant à travers les branches le ciel gris perle.
Arbre récent (quelques années) et bas (variété naine) du côté du coin nord de la bibliothèque : j’ai accès à une bonne partie ds fruits sans échelle.
Autre arbre récent, un peu plus haut, dans la partie médiane du jardin : longues branches horizontales et souples… : il n’y pas à monter bien haut (quand aux vieux cerisiers, j’y renonce, ou presque).
Tout ruisselle de pluie. Feuilles en petits bouquets venant avec les fruits (et qui parfois ne se laissent arracher qu’avec un petit lambeau d’écorce : je suis réticent, un petit peu, à chaque fois à blesser l’arbre). Restes de fleurs crispés brunis comme des brins de tabac ou de thé : humides ils se collent à la peau des cerises, entre les gouttes d’eau.
Regret de ne pouvoir faire partager toutes ces petites choses. (Enfants…) Est-ce là ce qui me fait les noter ?
Notes brindilles. Notes incisions minimes comme sur des branches coupées dont on détachait des lanières, notes épluchures pelures etc.
Ca ne fait rien
8 août 09. le client qui me précède à la caisse (Carrefour) est un homme âgé, peut-être plus jeune que moi, mais quasi miséreux, et plus abîmé que je ne le suis. Il est vêtu d’un pantalon de bleu de travail et d’une quelconque tee-shirt (il fait chaud). Cheveux assez rares et assez longs, ébouriffés, blonds-blancs. Visage plutôt rouge « marqué » (c’est le mot qui me vient sans que je sache trop ce qu’il dit dans ce cas), dents certainement – à voir les plis de sa bouche – en mauvais état. Il est en train de parler avec la caissière, une fille jeune, avec laquelle il paraît avoir une certaine connivence. Je n’entends qu’une ou deux bribes. On dirait qu’il s’agit d’une anniversaire, d’un événement plus ou moins privé, mais qui serait à partager entre quelques-uns. « Ca ne fait rien, dit-il (et à cet instant il me semble que je comprends trop bien ce qu’il dit), je reviendrai même si je n’ai rien à acheter ». Je remarque d’ailleurs qu’il n’a presque rien acheté. Il n’est pas le seul dans ce cas : dans une même file peuvent se succéder des mères de famille (noires en particulier) poussant un plein caddy, ou bien des retraités aisés et, d’une autre manière (se sentant eux-mêmes autres et le faisant sentir), gros acheteurs – et puis des jeunes ou des pauvres qui achètent « des bricoles »…
Vérité d’élément
Qu’est-ce que la fluidité verte – une manière, oui, de vérité d’élément – qui s’insinue entre, qui enveloppe, baigne, transit,
mais ne devient sensible, effective
que sous l’effet de phrases qui se seront cherchées depuis longtemps, épuisantes, remâchées, maintes fois déplacées, infimement, réorientées, à peine, mais au prix de forces comme dans de l’épais étouffant, et qui, en fin de compte, à certains moments, seulement à certains moments, cèdent (mais uniquement à leur manière), renoncent, se laissent fixer figer telles qu’à cet instant elles se trouvent être dans, ne pourront pas être vraiment ce qu’elles semblaient devoir devenir... et pourtant ont atteint un certain point de réalisation, sont réelles aussi par leur renonciation, leur décrochement léger, productif autrement
Illusion d’élément ? pour guérir de l’inquiétude de l’irréalisation ?
Ilusion liquide, bien sûr... élémentaire, oui...
Cependant quelque chose résiste à ce doute, élément qui resuinte vert fécond de partout, soudain, dans l’aube
alors une source inattendue a jailli dans l’air
vers (à travers ce centre commercial affreux) puis dans les supermarché (Carrefour), vendredi en fin d’après-midi (mi-novembre 2004)
gens … joyeux ? peut-être pas exactement mais…
Bébés qui crient, garçons, filles en vêtements synthétiques bon marché… Comment chacun mesure-t-il ses achats (sous l’effet de tout ce qui est exposé, brille)?
Dans la rue de la République, il y avait un groupe de jeunes filles face à quelques garçons (une partie au moins étaient probablement maghrébins, mais il me semble qu’il est de plus en plus difficile de distinguer)… Elles avaient l’air de se moquer d’eux, les apostrophant, et eux répondant en partant, en se retournant – humiliés ? L’une surtout avait quelque chose d’éclatant, grande, corps délié, habillée de manière singulière, du rose synthétique qui moulait sa taille, beau visage maquillé mais incroyablement vivant… Visible dans la rue, elle atteignait là, grâce aux ressources de son corps, mais aussi par sa manière de s’habiller, de se maquiller, de se coiffer, de se mouvoir, de parler, d’oser…, quelque chose qui devait lui donner une espèce de joie : de l’imagination dans le donné et le stéréotypé, une fontaine de visibilité, comme quelque chose d’un faire-œuvre…
……………
De la faim de visible – du désir spécifique, ce qui m’envahit à voir « du » Wang Bing, la joie, même, est-elle idiote ?
Accablé de ma propre grotesque nullité, j’ai mis le DVD de … ;
Vendeurs de charbon…, de tonnes de charbon,
avec d’énormes camions, remorques, etc.
et des étendues de sol.. de l’ocre rosâtre tant d’empussièrements sous le cile pâle
et l’intensité du charbon… des blocs parfois déplacés à main nue
Désirable : soudain, pourquoi tout ce qu’on voit le devient-il? Ce qui n’est pas du totu fait pour être vu, ou plutôt donné à voir…, on le voit…, on y cherche quoi on ne sait plus ce qu’on y cherche
est-ce ça un « documentaire » ?
C’est plus compliqué. Je ne sais pas quel est le rapport des gens filmés au fait qu’on les filme, à la caméra.
Jouent-ils parfois, surjouent-ils leur propre théâtralité ordinaire – dans de l’ »entre » qui s’épaissit – celle des affrontements, des négociations sur les prix du charbon
(Je sais bien que Gôzô filme parfois les gens sans qu’ils le voient… moi-même dans la voiture… j’ai été capté disant des sottises…)
(soudain je me demande si mes notes mêmes ne sont pas abusives à vouloir donner à lire ce que n’importe qui peut « se dire ».. Elles ont qq ch d’un documentaire que chacun pourrait être pour lui-même)
W B filme un type en train de pisser
Par instants, on voit le dehors depuis le dedans du camion (comme dans à l’Ouest des rails, du dedans d’une locomotive)
parebrise s’interpose … sensible. taches, gouttes poussières
et alors les choses vues à travers le verre tressautent au rythme du camion
Bien spur, il y a totu ce qui s’étale, les choses, les paysages : pas du tout destinés à des regards qui pourraient en jouir…
Pas non plus la transformation en peinture abstraite d’énormes pans de coques de navires dans Le Désert rouge
Des mines à ciel ouvert
Mais totu de m^me, il y a composition au vol, angle choisi…
Pourquoi les couleurs se mettent-elles à sonner avec une justesse certes allusive mais énorme…
des verts, des rouges de camions soudain se répondent
W B a-t-il su en un instant voir que là, sous cet angle, il se formerait, pour, dans l’image quelque chose qui donne, oui, une jouissance brève ?
Pzrfois même, une ligne de crête d’un petit relief (créé par les arrachements à la terre), un sinuement de routes, des souèvements plus lointains : qq ch évoquant pour moi des tracés « chinois », lignes incurvées se relevant comme des gestes etc.
Film arrêté, dans la cuisine, je revois la lente nervosité de celui qui n’arrive pas à vendre les tonnes qu’il a dans son camion et sa remorque. « Trop depierres » lui dit-on. Ou le charbon est trop dur, il ne se laisse pas casser à coup de masses. Tout est si fruste soudain.
Sentimentalement peut-être, j’imagine ue seconde, dans la cuuisine, sa vie après avoir échoué, rentrant « chez lui » ? amer, honteux… Femme, famille ?
Ou bien tout cela est-il « comédie » ?
Dans le jour qui baisse, je vois, devant la cuisine, le sol cendreux humide, les plaques d’herbe courte, leur vert métallique… de minuscules émergeneces de nos propres débris… des pierres, du calclaire à demi taillé, que j’ai jadis logées dans le sol… contre la boue, etc. Voir, du seuil… Etre quiconque voyant.
Notes sursautent. ne sont ni essai ni poèmes. essaient leur position … dans quoi ? entre tout et n’importe quoi ?
L’étudiant Tchétchène qui dort dans la rue en novembre (2004), ainsi que plusieurs autres, dit à Hélène : « De toute façon, c’est mieux que chez moi. »
………
Ce soir de mi avril 2007 – la date est importante –, dimanche fin d’après-midi, à ce carrefour tout proche d’un libre-service « arabe », là où conflue une rue à l’ancien tracé, sinueux, avec des restes de murs, de maisons basses, et des grands espaces qui ne sont même pas des rues le long d’une barre d’imeubles, il y a une atmosphère de vacances… enfants dehors… minuscule square…, mais aussi je ne sais quoi de potentiellement tendu, un vieux à sa fenêtre, des éclats de voix ici et là.
Nuances de l’entre, de l’air du temps, dangers…
…………..
Alcool de rue
La rue, la rue à…voir ? pas exactement – est-ce qu’on regarde ?
il y a quelque chose qui est de l’ »entre » à demi contenu, c’est à boire
« Le sirop de la rue » : c’est, me dit Hélène, une expression pour parler du bonheur des enfants dans les rues.
être ivre d’alcool de rue, des rues les plus connues et toujours emplies d’on ne sait quoi qui afflue…
……………
Juste avant le réveil :
il a pris ce tournant et
une rue familière s’est ouverte dans un crépuscule qui se grisaillait en points pulsatiles à mesure qu’il avançait juste au-dessus des pavés soudain élastiques
alors en croisant deux groupes, l’un trop proche à le frôler, l’air fut si doux qu’il était impossible d’avoir peur
mais l’amour même de cet air-là alors
l’a expulsé (hors du sommeil ? dans un autre cercle du sommeil ?)
à l’instant où il s’est rappelé avoir senti la veille que c’était là, que c’était ça (spumas salis aere ruebant)
le libre goût de l’air, la saveur de l’espace meuble et cédant à l’avancée,
ce dont, précisément, l’un de ses enfants était, par quelle violence, privé
et alors… une douleur qui, dans les cercles du sommeil ou dans ceux de la veille,
devait ne plus finir se répandit – en qui ? entre qui ?
Vie douce et violence en poésie
Les « Eglogues » de Radnoti
La première Eglogue (1938) porte en épigraphe :
« Quippe ubi fas versum atque nefas :
tot bella per orbem, tam multae scelerum facies…
Virgile [Géorgiques, I 505]
Dialogue entre le berger et le poète.
Au début, le berger parle, et le poème semble dans le ton bucolique, voire idyllique :
« Le berger :
Depuis longtemps je ne t’ai vu ; le sifflement du merle a-t-il fini par te séduire ? »
Le poète :
« […] A force d’habitude en ce monde d’horreur
je finis parfois par n’en plus souffrir, je n’ai plus que la nausée. »
Le poème parle de la mort de Lorca (comme le feront d’autres poèmes de R.)
La deuxième Eglogue (27 avril 1941)
Dialogue entre l’aviateur et le poète…
………
Aller et venir dans la maison quand tout dort (la seule lampe allumée est celle auprès de ma table).
Premières lueurs du jour, reflets bleuâtres orangés.
Je me sens déjà mal employer mon temps.. . Déjà commencent à se former les plages inertes qui envahiront entièrement la mi-journée, banquises de graisse durcie…
………
De Kooning Ecrits et propos ed ENSBA (j’ai trouvé cette citation dans Telerama …)
« rentrer à la maison avec l’impression de faire partie du monde, aavec ce gris. Les couleurs sont plus intéressantes quand elles sont douces, et le vent qui souffle de toutes parts, c’est la vie qui respire. »
Une vie et ses traces, ou ce qu’elle aura ou non « donné » ( au sens du don qui l’aura fait sortir de soi, se déverser hors … ou simplement au sens de l’effectivité – comme dans les formules d’évaluation : « ça donne bien » (ou « ça rend bien »), ou « ça ne donne rien »).
Tissu (brûlé de terre ou de sang calciné) des vies se possibilisant et s’oubliant les unes les autres (au bout de, tout au plus, deux générations : les arrière-grands-parents, c’est déjà la nuit des temps). Continuités très vite (et vitalement) mangées d’ombre, délitées, effilochées.
Faire œuvre voudrait-il être un legs-lien (et un don de tout « soi »), une chose en laquelle la continuation s’exalterait, se … justifierait, soudain brûlant ?
Dans la rue (hier 13 déc 09) qui arrive à la très large avenue qu’il faut traverser pour se trouver à l’entrée du campus Yonsei, ou plutôt à l’entrée du passage sous une espèce d’arche …, dans la foule (composée pour une grande part d’étudiants) une voix m’a paru m’appeler, j’ai entendu « hé » ou, et ce fut aussitôt une inquiétude, « help ».
J’ai tourné la tête. Un petit homme (plus petit que moi - alors que tant de jeunes coréens sont grands, comme étirés en hauteur) de peut-être cinquante ans me regardait avec une espèce de curiosité (pourtant, les étrangers dans le coin ne sont pas rares, même si, il est vrai, ils sont très minoritaires, et, souvent, jeunes, avec l’allure d’étudiants). Visage d’homme « du peuple » ; un peu brun (dans quelle mesure les caractéristiques corporelles, ici, taille, couleur de la peau, ont-elles quelque chose de social – par filiations et sélections… comme je crois qu’on peut l’apercevoir en France ?). je l’ai regardé moi-même avec une certaine curiosité, en souriant ; j’ai plongé mes yeux dans les siens ; son expression était naïve, presque enfantine, légèrement suppliante. Qu’espérait-il ?
(Je me suis demandé si mes habits, en particulier mon blouson kaki, ou presque, et ma casquette achetée aux Etats-Unis, ne lui avait pas rappelé des souvenirs d’Américains…)
Bord naïf –
tout l’apparemment énorme (le monde humain, avec ses lenteurs de monstre multiforme et monotone ou ses convulsions qui claquent venimeuses) , tout ce que nul n’enveloppe de son attention,
n’est pas séparable d’un minimum – un à ras ….permanent, aussi pauvre qu’un déclic commutateur (en milliards répétitions
de l’ « inframince » être là/pas là,
du fait brut que le réel est tout dans n’importe quelle respiration,
n’est que comme implicitement mais durement goûté-touché
le simple fait brut du vivre / n’être plus ?
est-ce que « mourir dans » est si important ?
C’est par chacun, le moindre corps, que passe le bord du vol opaque et démesuré qu’en masses nous (« nous ») ne pouvons que former, que contribuer, chacun clignant oui/non minusculement décisivement, à faire tenir à travers ce dont nous avons toujours secrètement besoin de penser la réalité sans nous (chacun, tous)…
…………
Là dans la rue
l’odeur soudaine d’un soi béant dans la rue comme celle d’une bouche ouverte de dormeur dans un train de nuit ?
…………
trop vite au bord… et à un bord toujours dérobé, ne donnant nul appui, ne renvoyant pas d’écho, ne permettant pas de reprise…
évidences partielles survenant n’importe où, taches pâles liquides se glissant dans la vie : on glisse, on ne s’y tient pas…
mais si l’impulsion vient de leur obéir c’est aussitôt trop
et penser-former pour répondre à telle d’entre elles devient sur-le-champ et pour des heures, des jours, des mois non pas exclusif mais absorbant, sans dehors, sans confrontation, sans dehors, et surtout livre à une dilatation interne externe qui fait toucher à quel bord (de quel espace commun, de quel temps) où on perd vue ou souffle, et toute possibilité de rien achever
…………
au fil de la journée, voire de la nuit, à travers les instants, ou peut-être aussi à la faveur de leurs intervalles, de leurs dénivellations (minuscules chutes froides brûlantes),
se concentrer sur (non, plutôt : ne pas perdre rapport, latéralement… à … quoi ?)
quelque chose pôle se déformant reformant faiblement lumineux ou s’étirant en barre fluide de retournement reflux fécond boue argentée
qui ne cesse de se reformer sur l’autre bord de tout ce qui se présente
et qui rendrait possible, malgré la diversité ou la répétitivité, d’en… « faire » quelque chose
(du moins si enfin, au lieu de différer, je répondais)
Herbes sanglantes… qui a vu ça ? dans les propos de qui se dressaient-elles ?
j’ai entendu, il y a quelques années (une rencontre organisée par Catherine Coquio), un Rwandais raconter les deux morts de son « petit frère » :
il y avait assisté depuis le fond d’un fossé.
« Coupé », abattu une première fois, l’enfant – son frère – s’était un peu plus tard relevé…
Et…
j’ai cru sentir à travers ce qu’il disait des détails à …
……..
Chez Darty, 12 juillet 2010, tous deux – pour acheter une machine à laver ( la nôtre est en panne). Le vendeur, disert, mais précis, efficace, est un noir (grand corps, dans un pantalon noir et une chemise rouge).
Nous discutons des conditions.Nous demandons des explications sur divers modèles.
Il tourne la tête et soudain, je vois… quoi ? Mon attention se fixe, je guette le moment où l’autre côté de sa tête me sera visible. Oui, j’ai bien vu : des deux côtés, sinuant sur les tempes, près des oreilles, des maxillaires, se gonflent d’étranges et inégales excroissances.
A gauche – si je me souviens bien et soudain, à l’instant où je le regardais, cet endroit, ce lieu de chair, j’ai tellement désiré … « photographie » mentalement (flash nerveux) … pour ensuite me souvenir ? ou, d’abord, pour être, pour lui au présent – et même ou surtout s’il ne le percevait pas – pure attention , c’est un monstrueux bourgeonnement. Tous ces reliefs, cependant, sont noirs : moins effrayants qu’ils ne le seraient, rougeâtres, congestionnés sur un visage de blanc. Des chéloïdes, me dis-je (souvenir de ma formation d’infirmier à l’armée). J’aurais pu penser à des « « écrouelles », des ganglions tuberculeux – ce que les rois thaumaturges touchaient…
Mais non, la position ne correspond pas…
Il a été « coupé », me dis-je, et pas soigné, pas recousu.
On est là, entre une rangée de machines à laver et une rangée de sèche-linge (tout luit de ce sempiternel mail blanc qu’il fallait ne pas toucher quand, en juillet 1964, chez Thermor, j’accrochais des pièces enduites de frais à l’entrée du four dans une chaleur infernale).
Je le regarde et j’imagine – trop volontiers ? – des coups de machette en pleine figure de l’adolescent qu’il devait être, et le sang, la chair vomie par les lèvres des blessures – et l’absence de secours, des heures ou même des jours durant… Et nous voici à discuter « performances » des machines ; on négocie, on défend nos intérêts, on, nous couple ordinaire, convenable, plausible là où nous sommes, avec toutes nos caractéristiques, est de notre propre côté.
………
Noirs/blancs
Ce n’est pas à moi de…
j’ai honte…
etc.
Peu importe « moi ».
Comment, français de longue continuité, ne serions-nous pas, encore aujourd’hui, perplexes ?
Comment (sans culpabilité hystérique) toute une part de ce que nous sommes en tant que nous nou s recevons de passés incernables, ne serions-nous pas faits aussi de ces doutes sur ce qui vaut et ne vaut pas ?
K. et moi avons une course à faire chez Bricorama. Je n’aime pas conduire. On imagine de partir sur la mobylette de K. Lui conduisant, moi derrière, et, songeant aux casques qu’il faudrait trouver, on pense à Minette qu’on emménerait elle-même casquée. K. éclate de rire : « Un noir, un vieux, un chat ! » ; il mime le geste d’un flic qui nous ferait ranger au bord de la route : « Allez Monsieur, dit-il d’un ton grave et désabusé, allez Monsieur, ça va pas… »
La peur m’est revenue hier soir : avoir à constater que tout ce que je fais ou aurai fait est mort.
Tout est-il mort ?
Hier soir donc (18 juillet 2010), avant de dormir, j’ai ouvert un cahier de 1988 – et… une sorte de sécheresse m’a saisi… Du brunâtre fripé me collait et me fragmentait en me traversant au plus intime, du goût d’aile d’insecte friable… Je me suis couché altéré décomposé, nu dans la chaleur, et si vieux, vieux d’une vie inutilisée, sur les draps pas changés depuis trop de jours, pas frais…
Ecrire les quelques lignes qui précèdent, c’est encore entretenir l’espoir de les « confier » (quelle tristesse) à une attention… qui.. me donnerait de quoi les soigner ?
en quoi est-ce lamentable ?
du fait de la pauvreté de ces ligne précises qui ne méritent pas d’être « confiées » à quelque attention que ce soit ?
ou parce que, beaucoup plus généralement, toute croyance à une attention de cet ordre est justement ce qu’écrire, ici, devrait défaire…
défaire… au profit de quoi ? dans quel non-dans ? dans quelle évaporation totale à mesure où on ne verrait plus – où je ne vois plus – pourquoi continuer ?
***********
Voltaire
J’ai trouvé cette phrase sur internet. Je cherchais le mot « sachant » – me sentant soudain surpris de ce participe présent… Pourquoi pas « savant » ? « Sachant » restait et reste encore là comme une formation singulière – archaïque – une chose verbale épaisse, couturée.
Mais soudain c’est la phrase de Voltaire qui m’a attiré dans son propre sens. L’idée, toujours, de la vie douce ? Sans doute. Mais aussi l’esquisse d’une image de rues de jadis où titubent des ivrognes guidés par une idée de maison.
…………..
*** A dire-former ?
Est-ce ce que je vois en face… ? Ce que je désire soudain capter en « photographies mentales », flashes de réceptivité s’actualisant sur-le-champ (en l’air dans le temps) et après-coup ( en écrivant, mais avec un rebond d’immédiateté excessive).
Est-ce ce qui me tient comme en affluant d’en-deça de tout je » que je peux me trouver être ?
Peut-être l’en face communique-t-il avec l’en-deça du fait de l’énigme que je sens tendre ce que je désire inopinément « photographier »…
Quant à l’en-deça… , il est aussi fait d’un de côté. Il ne se soulève qu’avec la puissance de la latéralité (celle que déjà je cherchais à (me) rendre sensible dans mon « Puissance de l’indéterminable »… un de ces textes dont, comme de quelques autres – Fuite et fusion, La boue, mon texte sur Zanzotto…, celui peut-être sur Holan – , je n’ai pas su tirer les conséquences).
Il faut que je travaille cette latéralité dans l’en-deça pour les rapports à d’autres positions… – à travers domaines ou langues…
Voilà ce qui doit trouver place dans Terre mal déroulée (Gu Cheng).
…………
La place de l’autre ?
Certains criminels seraient, dit-on, dépourvus (privés ? affranchis ?) du sens de la place de l’autre senti comme un foyer subjectif. Livrés à l’attraction de leurs buts (réalistes à la folie) de manière autistique, ils ne vivraient tout rapport à un autre individu que comme une instrumentalisation.
Quant à moi, n’ai-je pas une perception excessive de l’autre ? A quels moments, dans quels rapports précis serais-je prêt soit à m’effacer (en un sens plus effectif que celui de la politesse), soit à me laisser instrumentaliser (devenant par là corrupteur pour la personne en qui je laisserais s’éveiller cette tentation) ?
…………
Jusqu’à quel point ce que je pense est-il d’emblée dans « l’entre » ?
La moindre de mes pensées, même naissante, même pas encore formée-formulée, est-elle déjà dans l’élément vital d’une attention-altérité non seulement supposée par moi, mais reçue d’avant moi comme inhérente au fait de ma propre naissance (et de ma survie et de mon émergence toujours en cours) ?
En quel sens, alors, une pensée est-elle mienne ? dans quelle mesure en suis-je, cependant, et nécessairement, la source – et comment me reste-t-elle attribuable ?
……………
La mort comme faim
« et la MORT grimaça horrible un sourire épouvantable, en apprenant que sa faim serait rassasiée ; elle bénit ses dents réservées à cette bonne heure d’abondance. »
C’est vers la fin du livre II du Paradis Perdu.
(la traduction de Chateaubriand… audacieuse dans de la qusi création linguistique, parfois sous la pression de l’anglais ou du latin dans l’anglais) (problème de genres, qui s’ajoute au chaos sexuel… ou génital) (Chateaubriand, si virtuose, se laisse embarrasser là ; il y a de l’aporie, du râclement linguisitique)
De la Terreur… C’est le nom donné (un peu plus haut) pour un instant à la mort même :
« Ainsi dit la pâle Terreur ; et ainsi parlant et ainsi menaçant, son aspect devient dix fois plus terrible et plus difforme. »
La Mort (entité dite au masculin en anglais) fils de Satan et du Péché (Sin, au féminin) elle-même fille née de Satan comme AThéna sortie du crâne de Zeus …
La Mort (dont le nom « Death » naquit lui-même comem un cri se propageant en échos dans les cavernes sans fond de l’enfer) se tient , aurpsè du péché, aux portes de l’Enfer. Une « figure » – « si l’on peut appeler Figure ce qui n’avait rien de distinct en membres, jointures, articulations, ou si l’on peut nommer Substance ce qui semblait une Ombre… »
(Burke et le sublime…)
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Martin Rueff : préface à Sofri :
« Francesco Guicciardini dans un texte écrit voilà près de cinq siècles (le Dialogue sur la façon de régir Florence, 1521-1525) invitait « à ne pas se laisser tromper par la douceur des mots ».
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*** Le concret du poème et le soulèvement-arrachement …
La réalisation du poème… dans un ici-maintenant propre, où chaque trait deviendrait exactement ce qu’il a à être, dans un hapax absolu ?
Ce n’est qu’un mouvement en quête de ce qui va le rabattre
C’est dans la plus spécifique réalisation (toujours en cours) du poème, que la langue, voire le langage, gardent, ou réactivent, leurs généralités énormes et refuient dans tous les sens…
Qu’est-ce alors que la tendance à la refusion Hopkins/Mallarmé…. comme si une autre langue surgissait à travers la langue ? Ou un état de la langue, du langage même…
Rapport à la musique – ou à la réalisation plastique.
Puissamment, les poèmes (mais aussi les œuvres plastiques ou musicales) se condensent autour de (ou sur) ce qui les repousse : ils ont affaire au non-appropriable, en plein cœur de l’espace-temps humain, l’ »entre », la place pour des places, la possibilité de recréer de l’ »entre » toujours…
Si les poèmes ont affaire au « soi »,
c’est toujours selon le désir de se donner entièrement, de se consumer (rabattements d’une flamme liquide)
pour – voire dans –
un ici-maintenant en lui/autour de lui,
c’est dans la formation (océan minuscule) d’une
instantanéité avaleuse d’ « entre »
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Pour Mary ? ] 1er août 2010
Un aveugle, que je vois depuis des années dans le quartier, et qui vient de l’établissement dont j’ai parlé dans « Aveugles » (un des poèmes publiés sous le titre « Dans quoi ? » dans je ne sais plus quel n° de Po&sie), arrive au cul-de-sac-final de la rue Tudelle. Là, seuls les piétons peuvent passer, en gravissant l’escalier qui s’élève au-dessus d’une sorte de rond-point où se garent des voitures. Descendant cet escalier (en revenant de Carrefour… sacs, etc.) , je le vois (lui qui connaît le coin d’une manière différente mais peut-être plus intime que la mienne) non pas commencer à affronter les marches, mais, tâtonnant de sa canne, suivre l’arrondi que forme le mur au-dessus duquel s’enlève ledit escalier. Il tourne en tapotant… Absurdement ? Comment a-t-il pu manquer l’escalier ? A moins que…
J’ai l’impulsion d’aller vers lui… Le guider ? Je ne suis pas sûr qu’il aimerait ça. Qu’a-t-il en tête, là, juste « en-deça de » son visage rond rosâtre, ou sous son crâne mi-chauve (mèches collées), que recèle-t-il au fond de son perpétuel demi-sourire ?
Un peu plus tôt, en bas de la rue Royale en travaux, j’avais croisé un homme entre cinquante et soixante ans, chauve, lunettes, cheveux noirs sur les tempes, un bras ou plutôt tout un côté légèrement tordu. Hémiplégie ? Récente ? Ou bien a-t-il vécu toute sa vie comme ça ? Il est plutôt maigre, un peu rouge, un bout de cigarette aux lèvres.
Qu’est-ce que rentrer chez soi, quand on est lui ?
L’aveugle, H. me dit, quelques jours après, qu’elle a eu l’impression, à plusieurs reprises, en le croisant, que son pantalon était trempé de pisse.
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Il y a quelques mois on m’a demandé, en Corée, de revenir, et d’y parler, avec d’autres, de la mer. Pourquoi la mer ?
N’ai-je dit oui que pour retourner en Corée où l’âpreté du voyage, des moments, en particulier, où on vous oublie ou presque, où tout cela prend une réalité spéciale, affrontable ? Océan, poésie : voilà que je n’aurai donc pas résisté à amasser, avec un enthousiasme hirsute, des bribes de lectures et de savoirs hétéroclites et déchiquetés. Pour faire effet – (début octobre 2010) ?
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… les idées qui me traversent l’esprit (si je peux employer ce mot) sont parfois si médiocres, si mesquines (marmonnements-bulles sales du « moi » réel-irréel mais si souvent blessé et comme fait pour l’être) que je n’ai pas le cœur de les noter (dégoûté que je suis à l’idée que quelqu’un pourrait ensuite lire ça – ce qui révèle que j’ai encore le souci de l’image de moi)…
Et pourtant, celles-là justement…
oui un peu plus tard, reprenant, dans un état d’esprit différent (météo mentale), ces notes – celles, donc, que j’aurais osé écrire en des moments obscurs – au moyen d’autres notes actives et joyeusement cyniques, effilées, sifflantes, n’y aurait-il pas, après incision des phrases qu’alors je relirais, à extirper dans l’air mes ruminations vieilles de quelques heures ou jours, mais pantelantes comme de micro-intestins encore chauds, fendus, puants … (car n’est-ce pas là une des composantes essentielles de la « vie ordinaire » ? de son inévitable infection ?) – et quelle fécondité espérer alors ?
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*** Photo mentale… par mémoire immédiate – et anticipation d’écriture.
Capter ce dont on ne sait pourquoi on s’y est soudain arrêté.
Fixer (dans sa tête, sur-le-champ, au moment de voir ou, un peu plus tard, par écrit) ce dont on peut espérer qu’un regard ultérieur en ouvrira l’énigme.
(Une histoire de photo chez Antonioni… Blow up ?)
Capter-réaliser ce qu’un autre regard, croit-on, saura pénétrer…
(et par là espérer, voire imposer une forme de liaison, de désirable lien…)
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Le soutien et le vide ?
C’est seulement chez Mozart que j’aurai cru rencontrer, si inévitablement, de la musique alliée au vide.
Ainsi le piano tombe-t-il dans le vide (concerto K 488, deuxième mvt, adagio – Sicilienne), s’égrène ; la ligne qui se déroule n’empêche pas une verticalisation, comme une attention admirablement ambiguë : indiscernablement tendre ou glacée. Et si le soutien survient de l’orchestre, au bord, ou par en-dessous, c’est sans réduire le vide.
Envelopper, impossiblement, par quelques gestes musicaux de l’orchestre (pendant que le soliste s’y livre, s’y laisse flotter), le vide ? L’accepter, l’offrir, le transmettre autrement que tout le reste ?
Ce n’est pas seulement un vide de privation. C’est aussi l’élément où (personnage, voix) s’avancer – ou, simplement, tracer. Mais par instants seulement. Le support même est toujours en voie d’autodévoration.
Don Juan et le Casanova de Fellini : le vide chez ce dernier. Ou le fébrile et le creux ?
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Maintenant, il faut s’avancer jusque dans ce bord au-delà duquel … rien
il faut ne pas attendre de retour, d’enveloppement se rabatnat sur le senti-pensé-dit-formé
renoncer à ce jeu rassurant qui consiste à croire pouvoir, écrivant, susciter un rabattement de regard qui ferait bord
Bord du temps : crevé… toute substance va là se perdre
… rien là qui renonce, mais…
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In extremis : Yu Jian
Regardant Gare de jade chez moi, (écran télé), cela aussi m’affame…
Le désir de voir, la faim de visible.
Dans le quasi même.
Ce que j’ai appelé « le prosaïsme déchirant de Yu Jian » : inciser ce en ou plutôt pour quoi il n’y a pas de grande altérité.
Réentrer, de tout près (caméra) dans cet entre qui fut jadis dominé cruellement (l’exécution du chef de village), qui ne devait avoir aucune spontanéité, dont tou devait passer par le « haut », être non seulement vu, mais su, mais reformé d’en haut.
Ouvrir l’entre. Avec une tendresse impitoyable.
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Il faudrait percevoir les emprises politico-religieuses là où (ou quand) elles exploitent la terreur nue du réel…(et d’abord de l’exposition en fantine radicale : Winnicott)
L’art, en « formant », dénude… les moments où l’envie de vivre est à vif et… balayée de vents de terreur.Plages terribles… nécessaires…(vieillesse, maladie, ruptures, arrachements…) A ne pas seulement vivre comme ce quqi ne devrait pas avoir lieu ? cf Staline contre Chostakovitch : Lady Macbeth…)
Il le fait en se formant comme quasi regard en face, ou comme ce qui suggère que ce qu’il montre ne peut être donné à aucun regard…
La terreur nue… comme perpétuellement sentie comme possible, ou comme plus réelle que tous les possibles.… rampant en plis de pierre fondue (le dernier mvt de la sonate funèbre de Chopin joué par Pollini).
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Un autre mur, à essayer, dans le même coin peut-être, à quelques centaines de mètres...
non plus de maison, devenu un peu sinueux, brun comme du cuir, béant ici et là
et comme faiblissant (pour la passion d’enfant de s’allier
à ce qui supposé tenir pouvait soudain se défaire)
il s’abaissait, s’abaisserait
dans une fluidité d’air blanc où soudain découvrir
un terrain mi-vague mi cultivé
où certains carrés - parmi des monticules de débris -
devaient être plus minutieusement soignés (poireaux, choux, ou plantes plus moins exotiques)
mystérieusement aussi ? terrain de jadis aujourd’huimétamorphosé par qui ?
sacs transparents pendus à des
branches mortes (noires) fichées
à intervalles à peu près réguliers,
des vêtements ou sous-vêtements aussi séchant,
dans les rameaux nus horizontaux tordus
blancs
cuvettes bleues qui pleines d'eau brillaient
au ras du sol
déjà sombre
(ces choses s’imposentà dire
comme une vérification de l’« entre »
des mots se perçant eux-mêmes jusqu’à une translucidité noire
qui réessaie localement ce qui se cherche dans les rues)
et ça et là, veillant ? dormant ? , des silhouettes d’hommes accroupis
têtes aux cheveux noirs hérissés
- guettant les oiseaux ?
hanches pliées flottant sous les pantalons larges pieds nus chevilles nues, semblait-il... (rayonnantes)
dans un flottement d’odeur de sols humides
celle-ci se modifiant doucement
dans la lenteur du soir
––cela, me demandais-je, non sentais-je que j’aurais à me demander,
qu’est-ce que cela donne ?
qu’est-ce que ce qu’il y a là pourrait à qui dans quel commun prendre, recevoir, faire se perdre ––––
Ou encore
tout se déforme- il faut reformer_
ponctuer les flottements emportés en déroulement
en réesquissant ici quel mur encore
- vieux, armé de restes de tessons de bouteilles percés de lumière bleue-verte -
peut-il s’effectuer
là, oui, maintenant, dans ces mots, par ces choses
en une vraie question
qu’une porte
faite de bouts de planches et de tôles noués de fil de fer
s’entr’ouvrit?
deux femmes
peu distinctes, monumentales,
dans le demi-jour
(des cabas ou des sacs en plastique noir débordant de feuilles de légumes inconnus aux odeurs pénétrantes)
têtes redoublées
d’un gros chignon vertical
hautes jupes
comme de la terre sèche
émergèrent
parlaient-elles ? riaient-elles ?
éclat de leurs dents
face au soleil
elles se turent soudain
méfiantes, revêches
( non sans que s’entendent,
venus de derrière elles,
en bouffées de vent,
les froissements et bruits légers
de maints détails
branches d’arbre ou
cordes tendues,
herbes crêtes d’ornières, sons scintillants, touches
chuchotis de droits
humides herbes revendications de quoi envers quoi ?
vent,
...du droit ...?
à quoi d’inconnu ? ....absurde !
pourquoi cela vient-il ici
stéréotype...
communiquant cependant avec des souffles du temps ancien
enfance (jadis)
du non droit bleu remis à sonner dans le vent
l’ici maintenant
(celui d’apèrs guerre jusqu’à...)
réouvert labouré par là...son odeur propre
... lamelles de tout
d’entre tout
s’épluchant
claires humides
odeur encore
s’interposant
dans toute peur,
sonnant secrètement)
aussitôt
- autre qu’elles... entre elles ? devant ? les écartant.. -
un petit enfant fut là,
immobile, frontal
bonnet de laine brun
avec trois gros oignons pâles, l’un dans une main, deux dans l’autre,
feuilles retombant cassées de part et d’autre
de lui
yeux
sans curiosité - mais justement: pleins d’une cécité vitale
puissance dangereuse
émanant
(qui a pensé: tuable ?)
lorsqu’elle
fusa
dans l’ultra-court
deux gouttes tremblaient de noir
pur
au milieu de la lumière alors toute horizontale
il fut un instant
ce sans quoi
rien
…………..
***Douteuse attention (un titre pour un regroupement de notes pour Fario 9 ?)
Folie de l’attention…
Attentiion dévorée (notes encore… , sans fin)
Attention ? Est-ce bien le mot ?
il s’agit aussi d’être pris par surprise, intercepté, traversé, labouré
Photos mentales :
capter selon un point de vue qui… ne suffit pas par rapport à ce qui est vu
Ce qui est vu contient-ils qq ch qui le fait se dérober, qui voudrait une autre attention ?
le pôle d’attention est-il fait pour laisser place à d’autres ?
« Choses vues » ? Mais la précision ne fait qu’amorcer l’orage : celui où on ne sait pas ce qu’on voit et on ne sait pas qui voit…
et qui est « on » alors que tente de réaliser cette note ?
Mes propres évidences y compris mentales (« internes », comme des paysage soufrés… un des rares paysages de Rembrandt, sous un lumière d’oage rasante, blâme, altérante) : les flasher dans des notes…
pour plus tard ? un plus tard qui ne viendra jamais…
Ou pour un autre regard.. .plus tard … ailleurs … ou déjà usant de moi ?
En lisant aussi : soudain un passage immobilise, fixe, rend comme déconsistant… on n’est plus que nuées grésillantes de possibles, de points qui ne peuvent se recomposer quasi mêlé à ce qu’on lit-voit.
………
Photos frontales
Ce qui est à voir est évident, absolument banal, et recèle pourtant ce qui devrait être vu par du regard plus que ce que je peux lui donner… il faudra il faudrait qu’allfue là de l’attention supplémentaire, dans le futur ? dans le passé ?
ou bien de l’à côté, de la latéralité… cela échappe autrement nous tressautons ensemble comme des bribes des bouchons et c’est le rythme de l’entre qu’il faudrait capter les ondes luisantes qui dérobent réécartent, se dérobent, son absolument banales