Vivre
« Et si c’est cela vivre ? »
A «A ce qui n’en finit pas »
« Non », dit Ousmane : « c’est pas-ma-la-vie ».
C’est au moins la deuxième fois que je transcris ces mots qu’Ousmane, Darfouri habitant chez nous depuis trois ans, a dits un jour, assis dans la cuisine :
ils n’auront jamais fini, ces mots-là, de grelotter… (même si ces derniers temps – mai 2010 – il m’arrive de sentir chez lui, sifflotant en repeignant en blanc, après l’avoir nappé d’enduit, un mur de la maison – des élans d’allégresse).
………..
cette poignée de notes est prise d’une masse mouvante qui est et restera en cours
(plus qu’une succession ces notes devraient former une ou des sphères de possibles pulsatiles)
………..
Pour qui, et où, et quand, c’est… « pas une vie » ?
Il faut leur rendre la vie impossible, a dit un fonctionnaire de Préfecture – organisant, en effet, l’impossibilité glaciale et haineuse de tout soutien aux migrants, détruisant toute amorce d’une quelconque existence qui leur serait vivable.
………
« Auswandern » – émigrer – : titre d’un unique et incomparable (parmi ses œuvres) dessin de Klee daté de 1933.
Un couple fait de ratures dans du blanc, de rides dans un air plâtreux, d’incisions dans tout possible élément commun.
………
Vite ! c’est une guerre infime et sale.
Serait-ce ma guerre, attendue depuis toujours ? Ramasser en peu de phrases – sinon des vies, du moins des instants de « l’entre »-vies. Condenser, rageusement… Que des instants (chair à vif) de vies intersectées se disent en projectiles…
Contre quoi ?
…………
Après une démarche pour essayer de sortir de l’impasse où restent bloqués les « papiers » d’Ousmane (établissement d’un « certificat de notoriété » chez un notaire) début 2010 ; nous (Ousmane, trois Français – les « témoins » soudanais ont repris en hâte le chemin de leur travail) allons boire un café au « Quick » non loin de la gare, dans le centre commercial (où je vais compulsivement tous les jours)… Chaleur (après le froid très vif du dehors, la neige gelée, etc.), vapeur des vêtements ou des corps. L’ami journaliste parle, inopinément, de conversations longues et intimes avec tel ami musulman – Afghan ? j’ai déjà oublié. « Il m’a expliqué, dit le journaliste, qu’il ne fallait pas parler de sa mère ». Ah oui ? Ousmane (brusquement joyeux – du fait, me dis-je, du soutien que nous nous sommes réunis pour lui apporter –, disert, dans son français où il a désormais beaucoup de vocabulaire, mais qu’il prononce mal en particulier du fait que – faute de se faire une représentation des phrases écrites ? – il segmente mal les mots, ne repère pas les articles, etc. – « l’équipe » (une de celles avec lesquelles il a travaillé en banlieue, par exemple, à couper des arbres dans la Loire) devient pour lui « les quipes » et ainsi naît un singulier privé de sa première syllabe, comme il arrive, il est vrai, à d’autres mots dans sa bouche) confirme : il en va également ainsi chez lui.
« Tu vois », dit-il (il me dit souvent, à la maison, « tu vois »), « la mère, c’est comme un dieu ».
Ai-je eu peur à cet instant ?
…………
Le lendemain de la mort de ma mère (février 1996),
j’ai essayé, engourdi face à la baie vitrée
– nappes de perce-neige devinables avant le lever du jour
(mais comment formuler ce que deviennent, dans la nuit
leur blanc, leur vert, si naïvement crus – perçant comme de minuscules clous très aigus?) –,
de
« me dire » (obscur repli du soi à soi)
quelque chose.
Ai-je alors essayé de simplement « noter »
le semi-silence de cinq-six heures du matin ?
Grésillements ou coups externes-internes
se propageant,
sang dans les oreilles, échos dans les
murs, chaudière grondant derrière le mur,
ou, en enveloppes-pelures rose-sombre d’horizons auditifs,
voitures, roulements de poids
lourds ou de trains sur un pont sur
la Loire, avions parfois…
Soudain : brutalement (rêvée dans la somnolence gelée ?), une sonnerie
– appel ou injonction ?
Quel tracé de sang mental a sinué-perlé
griffant le temps plâtreux ?
Rien qu’un sifflement des narines noires-écailleuses du chien
qui, dans la cuisine, sur sa couverture sur le carrelage, avait dû s’enrouler, massif, et se serrait contre lui-même en cherchant à se protéger du froid vif affluant sous la porte du jardin ou par les interstices des fenêtres.
…………
Est-ce que je voudrais – trop naïvement ? grossièrement ? – capter par instants et retenir – ici par exemple, dans un minime réseau de phrases déjà grises –
ce qui fait l’envie de vivre ?
Cette brûlure réindéterminante qu’on se passe les uns aux autres (entre qui et qui ? à quels instants précis?) comme une chose qui n’existe qu’autant qu’elle glisse comme de main en main?
(Non…, c’était déjà, il y a un instant, dans les trois lignes qui précèdent, trop dire.)
…………
Un jour de printemps 1995, chambre à « Sainte-Cécile »,
où – temps torpide –
ma mère survit.
Assise dans l’unique fauteuil (molesquine verte) où, incapable désormais
de marcher, elle passe des heures (jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un la lève, la soulève), semble endormie. Ses paupières
ne sont pas tout à fait closes : j’entrevois
par les minces fentes des yeux noyés.
Je regarde vaguement par la fenêtre rectangulaire (cadre métallique).
Rideaux de rayonne, fade odeur si familière,
de cela qui répond presque exactement aux prévisions
(sauf la poussière, ou la fatigue des matières
et l’affaissement des formes).
Me retournant vers elle : « je vais partir » lui dis-je.
« Je vais travailler »
(Travailler ? amère – comme en traces de doigts noirâtres de charbon sur la pâleur du passé – l’ histoire de ce mot… entre nous. Ce qu’elle avait plusieurs fois raconté : sa mère mise en maison de retraite … et disant : « J’ai tant travaillé et vous me mettez là. » une sorte de malédiction ? l’horreur du travail sans fin sinon dans cette sorte de cul-de-sac. ).
Elle entr’ouvre les yeux : « Pourquoi ? », souffle-t-elle.
« Tu voudrais que je reste ? – Oui ! »
« Pourquoi ? » lui dis-je à mon tour, trop vite, presque méchamment
(avec l’impulsion de lui glisser, vainement, un : « A quoi bon ? »
ou : « Dans deux minutes tu auras oublié ! » ).
De ses chuchotis égarés, j’ai alors entendu surgir, faible, un seul mot intelligible :
« Personne ».
……….
Un autre jour note d’avril 1991 sur laquelle
je suis tombé hier soir 21 nov 09, en prenant et feuilletant au hasard un vieux cahier avant d’essayer de dormir,
ma mère n’étant pas encore dans une maison
de retraite (mon père l’avait déposée ici pour quelques
heures et on s’affairait en l’oubliant un peu), je l’ai entendue
– avec, sur le fond vert sombre du fauteuil, de petits
volètements de mains, puis, soudain, un index tendu –
marmonner (entre autres phrases folles et sombres, menaçantes) :
« et il y en a qui mourront ».
………….
Ces notes… les dé-théâtraliser (les délivrer des inévitables minuscules poses et mises en scènes du soi notant) ?
Ou les déballer continument de leurs protections contre ce dont (à travers tout «objet » momentané ) elles parlent…
Et puis qu’elle ne subsistent que durement étalées : insectes écrasés sur quel mur ?
…………..
« Et si c’est cela vivre ? »
Virginia Woolf, Journal, 25 nov 1928
« […] Ainsi passent les jours et je me demande quelquefois si nous ne sommes pas hypnotisés par la vie comme l’est un enfant par une boule d’argent ? Et si c’est cela vivre ? C’est très rapide, brillant, excitant, mais peut-être aussi superficiel. J’aimerais prendre la boule dans mes mains ; la palper doucement, ronde, lisse et lourde, et la tenir ainsi, jour après jour. Je vais lire Proust je crois, et revenir en arrière, puis repartir en avant. »
………..
29 juillet 2007 20h45 – A travers la vieille baie vitrée sont visibles des entrecroisements de branches, tiges, feuilles : ils ruissellent de pluie, plus ou moins loin, et diversement éclairés (avec des nuances de vert-brun, de mauve ou violet) par le jour qui baisse.
Ce hasard des végétaux et de leurs croissances respectives (ou celui de mon regard, de ma position)
– tout est soudain si juste, à la dérobée, vibrant,
accordé.
Elle brûle, dans l’air tendrement acide (Pérugin), cette musicalité arbitraire, toujours neuve :
elle est – plus qu’elle ne le fut jamais pour des humains, dans « notre » mais, nez contre la vitre, ce « nous », dans ce que je « me » dis, m’étouffe comme du biscuit fade acosmisme –
une surprise
incompréhensible.
………….
1949-1950 ? quelque dimanche soir… :
Vitres peintes en bleu (contre ce qui avaient été juin 44 attaques aériennes en pleine nuit)… demeurées longtemps comme aveuglées, éblouies par la lumière du soir.
Odeurs – troublant le temps – de couleurs, souffles de sihouettes en ciment écorché, ou en métal noir et par places rouillé.
Se découpent, dans la hâte de rentrer à la maison, sur le ciel orangé,
un château d’eau, un gazomètre...
Graffiti – apparus sur quel support ? – d’une dévorante séduction infantile : l’éblouissement de la guerre.
………….
et du jaune velouté : les flancs irrégulièrement arrondis voire
grumeleux de quelques coings encore sur l’arbre
… sensations (nov 09) dont aucune n’est vitale ni nécessaire mais qui, à travers leurs hasards, donnent ce dont il est terrible d’être (et spécialement par la haine organisée) privé …
……………
« une merveille infiniment chère et douce »
(une merveille à faire surgir en décrivant rien qu’allusivement ?)
Leopardi, Zibaldone, (8 ?) j’ai noté ce passage dans un
cahier de 91-92 il y a donc (aujourd’hui, en 2009) au moins
dix-sept ans, et, sottement, sans autre identification…
« … Décrivant en peu de touches, ne montrant que peu de chose de l’objet, [les Anciens] laissaient l’imagination errer dans le vague et l’indéterminé de ces idées enfantines qui naissent de l’ignorance du tout. Et une scène champêtre, par exemple, peinte par un poète antique en quelques traits et, pour ainsi dire, sans horizon, suscitait dans l’imagination ce céleste ondoiement d’idées floues et brillantes, d’un romanesque indéfinissable et d’une étrangeté, d’une merveille infiniment chère et douce, semblable à celle qui faisait les extases de notre enfance. »
……….
Reçue, l’adhésion à la vie – même si elle prend l’allure d’une simple et minimale apparence d’auto-approbation, même si elle n’est qu’un négligeable redoublement
comme un ressaut vif-figé de pierre truitée sous de l’eau courante
qui se sera formé jadis et qui doit se recréer, s’il se peut, tout au long d’un existence.
Cette adhésion s’est engendrée et se réalimente dans la si fruste certitude qu’on fut et peut-être qu’on est encore fût-ce en dormant, joue contre quelque appui soutenu dans la vie et porté, dans la clarté, comme par une paume,
: désiré, oui – d’où ? par qui ou quoi ? –, être en vie
……….
De plusieurs femmes qui, à peine adolescentes, furent déportées (Anne-Lise Stern ?), je crois avoir lu ou entendu qu’elles eurent la certitude (avec confiance ? avec douleur ?) d’avoir à rapporter quelque chose à leur mère : leur vie.
………..
« Quelque chose de blanc, d’infiniment blanc » : couleur de la terreur ? de la mort de tout lien, de la plus élémentaire confiance ?
Je n’ai pas, me dis-je, la place, ici, de recopier un poème de Ritsos, qu’on ne peut lire sans ravage : un de ses poèmes de détention dans des camps. Il dit, s’infiltant entre les prisonniers, la perte de la confiance la plus élémentaire… Et c’est une pâlissement de tout
Le poème a d’abord dit comment l’un d’eux parut désirer parler :
[…] Personne
ne le croit plus ; ne le regarde plus – qu’il dise ce qu’il veut.
Mais quand le poème en vient à former-formuler le non-rapport, c’est dans l’invention la plus précise, en images qui se moulent, avec une cruelle exactitude, sur l’impossibilité (« masque de verre » !)
Non que nous ayons eu peur de cet apeuré – pas du tout. Une vitre
plus haut, du cinquième étage, jetait sur lui une douce lueur ;
lui éclairait le visage comme s’il portait un masque de verre.
Et nous
alors nous portions les mains au visage comme pour nous cacher
ou comme pour soutenir un mur qui penche. Entre nos doigts
tombaient des morceaux de plâtre, des pierres, de la poussière, des pièces cuivrées ;
nous nous baissions et les ramassions ; sans nous agenouiller devant lui.
Alors vient le « blanc » : un calme affreux?
Et dans le miroir, en face, quelque chose de blanc, d’infiniment blanc –
un vieux peigne en os dans un verre d’eau,
et la lumière sereine de l’eau dans le verre, dans le miroir, dans l’air.
Yaros, 24.05.68
…………
Ousmane me parle de son grand-père maternel (celui qui, après la mort du père à Nyala, avait accueilli la famille à la campagne, celui aussi – autres bribes de récits dans la cuisine – qui parlait avec la mère dans une langue qu’Ousmane ne comprenait pas, ce grand-père, enfin, qui mourut peu après la fuite d’Ousmane… d’où l’angoisse d’avoir laissé des femmes seules exposées à … quoi ?)
et ce qui vient dans ses propos lents du temps, à la faveur des difficultés linguistiques, s’introduisant dans ses pensées, c’est une présence souvent silencieuse – mais qui parfois racontait des décennies anciennes, des parcours à travers l’Afrique.
………..
Ousmane, lui ai-je demandé un jour, qu’est-ce qui est beau pour toi ?
(C’était avant qu’il repeigne ici avec presque des méditations préalables, avec tant de goût : nuances, plusieurs blancs, et de l’ocre pâle…)
« C’est quand j’ai fait une chose, en bois, en terre, qui peut rester là dans la maison, et qu’on peut voir plusieurs fois, chacun, ma mère, mes sœurs... »
………..
Sortir dans le jardin – dans une aube de mai pleine de brume.
Vieille petite utopie d’une attention-bientôt-écriture lilliputienne : se ramifier dans le tout connu en rigoles de curiosité enfantine mi-sexuelle parmi de tendres chairs végétales, brillantes, perlant…
afin de mieux guider, dans tous les rapports, replis, éboulis, des cohortes de petits insectes noirs identifiables mais toujours surprenants,
afin d’insinuer des mots – pour… disparaître
absorbé (comme s’il allait se refermer, lèvre contre lèvre, tel qu’on pourrait enfin n’avoir jamais été)
par le réel
………
Depuis le seuil d’une maison crument éclairée au-dedans, quelqu’un
crie
crie à qui ?
à un(e) enfant partant à vélo (phare de travers sur le garde-boue un halo ocre-rose va se mettre à à tressauter sur le gravier luisant d’une route apparaissant à mesure cliquetis de chaîne qui déjà se fond dans le bruit d’une pluie noire battante)
crie, d’une voix de colère :
« Au moins, rentre vivant(e) ! »
Aube perpétuelle ?
... les heures de la nuit d’avant le jour, les étirer... et qu’elles craquèlent en fissures blanches – perlant alors de possibles notes, de micro-libertés (qui vont s’évaporer)...
.........
Des ébauches – mais en quoi impossibles à réellement reprendre ?
.........
Il n’y a pas de mots, quand le jour se lève, en mars , pour l’évidence de
la fraîcheur du ciel ou pour sa matière (presque une chair) la plus réelle – et donc introuvable
c’est une chance
ou de l’irréfutable
entre les arbres échelonnés
dans l’air rouge
cerisiers nus (des bandes d’écorce se sont enroulées pendant l’hiver, gouttelettes de suc orange), ou branches s’élevant au-dessus, tout au fond, théâtrales et poudrées, du cèdre...
.............
Notes de pré-aube : en elles, quel dur de fait ?
les écrire – les « fixer » –, c’est les retrouver telles qu’elles n’ont jamais existé,
et cependant comme déjà là,
telles qu’elles se sont (graffiti virtuels dans le sommeil, ou entre moments et états dénivelés de la journée, ou dans la rue, ou en s’occupant de tout autre chose, etc.) précédées elles-mêmes.
............
Matériaux, encore en attente, un certain nombre de ces notes ?
à « reprendre » un jour ?
quel geste faudrait-il alors, quel rabattement quasi transcendant (comme un pli voûté de lourde étoffe bleue brune), ou quel retournement d’une main soudain libre dans une inaccessible quatrième dimension ?
(aujourd’hui, ici, rien ne glisse sur ces phrases ébauchées sinon – les réduisant à ce qu’elles sont – une lame.)
..............
Voici qu’en s’astreignant à se fixer ici ces notes (comme se cherchant réciproquement, se palpant l’une l’autre de phrases-antennes) tendent à se lier : tentation de narrativité, ici, ou, là, tentative d’interrogation plus continue...
Renoncent-elles alors à leur autonomie, à leurs multiples micro-libertés ?
.........
Mais aussi : par certaines notes – comme celles-ci – , y aurait-il à délivrer, à déverrouiller et déclencher, une plus mordante et broyante activité (comme de mandibules chitineuses, noires orangées, d’insectes constamment au travail)
susceptible de devenir celle, quasi insue,
de notes futures?
de leur minime activité perpétuelle ces notes à venir attaqueraient
elles sauraient s’en prendre directement aux tenues des choses réelles
s’agrippant aux emprises vitales transperçant les consistances-croyances
elles en feraient s’exprimer les sucs vitaux-rêvés
............
Ce fut souvent, des années durant, sous l’effet et par l’effort d’autres tentatives se consacrant à des « sujets » déterminés (avec une obstination comme butée ainsi ma récente – mais vieille de combien d’années ? – tentative sur la puissance de la bêtise),
qu’auront suinté certaines notes...
surcroît, alors, bleu de prusse,
sueur qui perle...
Et pourtant c’est celles-là même qui seront restées en connivence avec l’indolence ordinaire ; elles n’ont pas cessé d’incorporer du temps sans but, le plus vitalement fade.
.............
A l’aube, mais si tard, reviennent (pour n’avoir jamais été notées ?) – comme des odeurs, des chuchotis ou des parasitages de l’immédiat – de marmonnantes « sensations politiques » ...
... constitutive fut, dans les années d’immédiate après-guerre (deuxième guerre mondiale), contre la joue,
l’odeur-souffle d’un poste de radio, chaude:
bakélite et poussière, elle émanait d’une petite demeure derrière un rectangle de toile verdâtre tendue (auprès de la petite vitre portant les noms des stations) ;
une minuscule ampoule, filaments orangés, y brûlait
des voix, peut-être des micro-personnages logés là, tressautaient bougeaient ...
voix nasillardes dans la cuisine mesquine d’alors : elles venaient du fond de l’espace comme aujourd’hui de celui du passé
aride, ce fut bientôt le temps de la guerre de Corée, 1950-53 (« Temps du monde : la Corée » écrivit à l’époque Vittorio Sereni),
il s’insinuait comme une odeur en trop dans dans celles de l’entre-soi familial
..............
... et l’Indochine ? l’Algérie ? énormes masses, pressions inflexions courbures orangées de tout le passé
les faire venir... dans quelle attention d’après-coup,
les dilater nuages-terres sanglants
les dilacérer enfin, rageusement, dans un coin, suppléant l’enfant qui ne pouvait...
.........
ah ! (8. h., début mars) : qu’est-ce qui vient de cligner dans la minute précédente, au-dehors ?
aux ramifications noires qui sur fond du ciel pâle de l’aube paraissent, vues d’ici (à travers les vieilles vitres, verruqueuses par endroits), aussi fines
que des mailles
s’est pris ... quoi ... une palpitation – un battement, probablement, d’aile (à contre-jour), ramier ou corneille...
et tout le senti a été, vibrant comme une toile,
brièvement sûr
rien de « nécessaire » ... mais ... si cela
n’arrivait plus
jamais... alors... quelle
mort ?
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C’est tout simplement qu’elles sont infixables, ces notes : dès qu’elles se saisissent, si peu que ce soit, de ce qu’elles désirent, elles perdent toute stabilité.
..............
Une vie durant : de la « poésie-peut-être » ?
bien sûr, pas de nom pour ça, jadis, dans l’enfance, après guerre (en rentrant le soir, dans la rue grise orangée... décombres blancs béants)
impossible, en ce temps-là, d’en parler ou de s’en rien dire...
poésie, cependant, comme arrachement ?
espoir de jadis... à reconnaître enfin ?
avoir prise
en certains instants (dans les odeurs d’herbes agrippantes au pied des murs), par la seule faiblesse-force du sentir
sur quelles puissances mouvantes qui
se retournant sur « moi » – sur la charge qu’il se révélait impossible de ne pas être pour soi-même
m’aurait arraché de ma place,
ou auraient ressaisi ma propre réalité
– pour la refondre et
me faire substantiellement devenir ce qui ne serait plus, enfin,
un « soi » que mêlé de souffles libres, d’éclaircies, d’altérités palpitantes ...
...........
Rien, dans ces notes, ne se sera réellement mis en mouvement si elles ne se simultanéisent pas sensiblement (dans quels éclairs d’évidence ?)
avec
ce qu’il doit en être pour les autres
– c’est-à-dire encore pour moi (la question me revenant plus vive d’être passée « au-dehors » –
du désir ou de l’espoir, vague peut-être mais tenace, de « se restituer » ...
Que puis-je en savoir, en percevoir, en deviner, dans la rue par exemple ? Quoi d’autre que de pauvres idées, de grossières représentations (il n’y aurait, chez « les gens », que résignation à de l’effondrement lent, ou une décomposition vague du « soi »... – mais non... peut-être pas... ) ?
...........
Politiques, certaines au moins – depuis toujours – des sensations ? N’auront-elles pas plutôt été des résistances ou objections à toute politique (effective ou possible) ?
Moussant rageuses dans le plus familier, souvent impuissantes, ces sensations ... : rebelles ? « petites bourgeoises » ?
Non non... je défigure bêtement... comment retracer ce qui là se refuse et fuit ?
...........
Réalisme brusque (au réveil) des liens ou liaisons et connexions :
une douche dans la nuit ( fouillis de branches de glycine vaguement éclairées par le vasistas) ( gel dehors?) :
l'eau chaude dans le bruit du chauffe-eau, sa chaleur je la sens soudain comme
soustraite à quoi ?
et puis tout, brusquement, l’eau, le gaz, les fils électriques, se rappelle comme ce que c'est : abouchements, prises sur des forces, des réalités ailleurs préparées, du temps soutiré, une sorte de suc circulant s’échappant et ...
dégoût, soudain, de cette sensation multi-ombilicale
dans la vapeur ?
dangereuse la tentaculaire dépendance ainsi réalisée tout pourra toujours – voire voudra – s’éteindre ou se tarir
...........
« What do we depend on to make us feel alive, or real ? Where does our sense come from, when we have it, that our lives are worth living ? »
Adam Phillips (qui cite Winnicott : « If you show me a baby you certainly show me also someone caring for a baby, or at least a pram with someone’s eyes and ears glued to it. One sees a « nursing couple ». »)
Dépendances, oui, à jamais ? Consubstantialités de vies... (Henry Moore : liens réalisés – en bronze).
.............
Se défaire, enfin ... de quoi ? Se faire plus que nu ?
Hwang Ji-u : « Quand j’enlève mes vêtements dans la salle de bains, il y a quelque chose d’autre que j’aimerais enlever. »
.........
Une doublure-attention continue et indéchirable pour tout ce qui pourrait arriver... : ces notes seraient-elles autant de traces morcelées de la recherche d’une réalisation à quoi en général on renonce (se contentant de rêveries diurnes) ?
Du « mien » ou du tout autre, vibrant au fil des minutes ?...
Une altérité translucide s’étirant pour chacun tout le long du jour, se moulant sur les événements de toute espèce, collée en une tunique contre les moindres instants, et les consumant à mesure...
Utopie intime... sourdant, par moments, irrépressible, pour chacun ? – dans la fatigue de la rue, dans le train ou au fil des occupations obligatoires...
de l’inévitable chez quiconque
et, simplement, s’exposant dans les présentes notes ?
...................
Ou des notes, vite, au moins virtuelles, vivement abouchées aux coupures, aux intersections du temps
et surtout buvant
entre sommeil/rêve et
réveil
: il faut qu’elles dérivent leur vie là
où les attentes ou doutes de la veille, se réouvrant
(dans la brusquerie des gestes pour se rhabiller..., luttant avec les tubes ou embranchements à odeurs que sont les vêtements...),
ne peuvent,
vaisseaux tranchés dans l’air,
que sangloter de la substance psychique
..........
Des fourmillements soudain réapparaissent, dans la lumière d’aube, ou sous le néon de la cuisine, et grouillent (alors que je croyais avoir fixé quelques phrases : ce peu de notes)
micro-terreur...
plus que n’importe quelles autres, les phrases des « notes » devraient ne jamais faire oublier celles, à demi formées, multiples, fuyantes, contradictoires, qui les ont précédées...
Tout achèvement unifiant-broyant donnerait-il à ces notes un goût de mensonge..., une odeur d’insectes écrasés ?
...........
Renaissent-elles toujours, ces notes
... proliférantes ébauches comme une végétation d’emblée sèche ?
pour se dérober, à toute puissance d’un tout en formation et qui exigerait que chaque esquisse locale se donne à l’ensemble, se sacrifie ou, du moins, se laisse précisément contenir par ce qui lui mesurerait sa place... ?
Cette instance d’un « tout » : l’œuvre au sens « absolu » de Flaubert – et « reçue » par Kafka – se trouverait-elle tacitement confrontée à l’appartenance sociale au sens moderne, à l’état-nation et (projetée massivement par exemple dans Salammbô) à sa monstruosité sacrificielle ?
(Qu’est-ce qui peut en être sensible dans les dérobements constants de ces notes ?)
..............
Et cette autre prolifération, celle des paroles dans la conversation ?
Porc, me suis-je dit en me voyant (m’étant arraché un instant, presque malgré moi, à la conversation à l’étage au-dessus) dans la glace sale au-dessus du lavabo des toilettes du café, tu es rosâtre d’excitation verbale.
Qu’est-ce qui m’a pris ? pourquoi cette volubilité démentant instantanément tout ce à quoi j’aurais voulu croire tenir ?
Cette excitation (chaleurs des joues) se retrouve-t-elle dans mes notes ? me suis-je demandé, écoeuré, dans le train, la rue, la nuit, au-dessus de la Loire.
..............
« Plus que tout j’écarterais ces paroles que les lèvres plutôt que l’esprit choisissent, ces paroles pleines d’humour, comme on en dit dans la conversation, et qu’après une longue conversation avec les autres on continue à s’adresser facticement à soi-même et qui nous remplissent l’esprit de mensonges, ces paroles toutes physiques qu’accompagne chez l’écrivain qui s’abaisse à les transcrire le petit sourire, la petite grimace qui altère à tout moment, par exemple, la phrase parlée de Sainte-Beuve, tandis que les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Proust, Recherche, Pléiade, t.IV p.476)
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Le bavardage intérieur : inévitable – ou même quasi corporel, et moussant, vital ?
alors... se découvrir continument en train de secréter un flot de quasi mots ? est-ce le matériau nécessaire pour tout ce qu’on peut tenter de penser/dire ? comment s’allier, formant des phrases, à cette production crépitante ?
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Qu’est-ce qui, avant toute parole (ou après elle, la ravalant),
bouillonne et clapote « dans la tête » de chacun au milieu même de la rue
quelles ébauches de phrase anticipées, mal formées, se refondant, cuisant...
pour laisser place soudain à ce qui, irrémédiablement, se trouve dit
............
... d’un poème (auto)railleur de Zbigniew Herbert : « La voix intérieure »...
(cette sorte d’existence mythique du dedans... dont on ne sait ce qu’elle est avant qu’on parle et se fasse entendre des autres ou de soi comme autre,
cette présence plus réelle que tout, et néanmoins constamment virtuelle... )
« [...] elle est peu audible/presque inarticulée// même en se penchant très profond/ on n’entend que des syllabes/ dénuées de sens [...]// parfois même/ j’essaie de lui parler/ – tu sais hier j’ai refusé/ je n’ai jamais fait cela/ je ne vais pas commencer// – glou – glou // – alors tu crois / que j’ai bien fait // –gua – guo – gui // c’est bien qu’on soit d’accord // – ma – a // – repose-toi maintenant/ nous reparlerons demain// elle ne me sert à rien/ je pourrais l’oublier [...]»
.............
La justesse : ne saurait-elle venir qu’après de la prolifération d’abord vaine ou plus ou moins grotesque ?
Faut-il qu’elle soit appelée, et rendue douloureusement nécessaire, par des phrases d’abord étouffées-étouffantes... et à ... guérir ?
...........
Quand vient-il opportunément, ici (ou quand viendrait-il, s’il venait) le moment de fixer des phrases : d’un féroce regard-écoute, s’abattre sur du trop abondant
se recourber, fouiller du bec, dilacérer...
aérer de vides perçants...
... trouver le rythme en un second temps ?
...........
Comme induite par des ébauches trop épaisses (soupe verdâtre),
il arrive soudain – il faut ? – que s’insinue et que rage, seconde,
une spatialisation intense
(animée de quelles forces ?)
... de l’espacement, oui, alors, des souffles, du jugement tacite-tactile, des déroulements qui se libèrent brusquement, ou de l’en même temps qui s’impose non unifiable,
(se crée-t-il alors
– comme sous les pesées de pas qui se poseraient/lèveraient, trouant le blanc de brun-mauve –
des places, des possibilités de « compter »... ? )
.........
... quoi, alors, d’analogue à de ... la « loi » (au sens Lefort) ?
une force-souffle d’espacement ou de soulèvement de toutes les positions de mots dans une phrase ou un vers
analogue (non, davantage : c’est sans doute le même élan ) aux positions-poids des vies dans l’ « entre » ?
chacun se révélant n’être soi que par le passage de l’être-soi en qui que ce soit, indéfiniment
......
« lois brûlées dans l’éclair du silence » (Nelly Sachs)
......
A reconnaître aussi, dans ces notes, des matériaux possibles (pour un temps qui ne viendra que douteusement ?) ...
des tas de terre mentale, des amas de confusion, des chantiers abandonnés sous quel vent de panique (fuite...)
et restés à béer sous la pluie
dans l’air blanc… ?
..............
Parfois, encore et encore, furieusement, s’acharner sur le déjà fait, sur le trop formé-formulé
– et le redécomposer en micro-entités s’évadant, se perdant dans le brouillard ?
...........
Revenir (en retraversant parfois des années, parfois quelques jours ou simplement deux ou trois heures) sur ce que, en général, j’ai écrit, serait-ce me couler contre mon propre cadavre ?
Peau encore vivante contre peau glacée pas tout à fait morte ... Sueur froide dans l’entre corps, dans le contact mi-vie/mi-mort...
... devant le poste de garde d’une cour de caserne (en Lorraine),
en pleine nuit, dans cette camionnette de la gendarmerie où je n’avais pu entrer qu’en rampant à tâtons,
c’est d’un coup,
et de tout mon propre corps,
que je découvris que ce jeune soldat (vingt ans comme moi)
dont on venait de me dire qu’il était blessé et attendait des soins
était en réalité déjà froid
alors il fallut ...
...............
Trop de notes-papier : retrouvées vieilles et sales ?
Oubliées et conservées ... à ne plus savoir qu’en faire... Trop « matérielles ». Terreuses.
Papiers accumulés (cahiers, carnets, feuilles volantes) :
ils demeurent là, près du lit,
c’est un encombrement... un étouffement... ou d’innombrables micro-gémissements, des odeurs qui réclament
c’est comme si, des morts de la famille, on avait conservé, depuis des décennies, les vêtements, les sous-vêtements, divers objets à usage plus ou moins personnel,
tout ce qu’on n’aurait pu se décider à jeter
(et pourquoi pas des objets de vieillards d’il y a deux cents ans ? ou plus ?)
ou comme si, par exemple, on cohabitait intimement avec les chaussures usagées des morts, cuites au dedans par la sueur des pieds, ouvertes au vide comme des bouches.
...............
... le désir de penser : où, chez qui, en quels endroits (jointures internes d’un individu ou jonctions grinçant-saignant entre plusieurs) de la vie naît-il ou s’insère-t-il – parfois jusqu’à la folie ?
...........
« Penser » ! enfantinement... :
le désir fou ou idiot de « penser »
je n’aurai pas cessé, toute ma vie, de me réaboucher à un instant vécu à l’âge de cinq ou six ans dans la cour d’école
il me fallut alors,
en proie à un éblouissement morne, et pour éviter
ou du moins retarder je ne savais quoi,
m’acharner à compter le plus loin possible
– c’est-à-dire à décomposer le temps
en une immédiatement sensible puissance grésillante
du continu
............
Lenz Les Soldats (j’avais jadis plongé dans ce texte après avoir vu à la télé, en 1992, l’opéra, comme en fusion, de B.A. Zimermann) II 2 :
« Pirzel [Bilboquet] lui [l’aumônier Eisenhardt] prenant la main avec véhémence : D’où cela provient-il, Monsieur le pasteur ? De ce que les gens ne pensent pas. (Il se lève et prend une pose très théâtrale, à demi tourné vers le groupe des officiers.) Il y a un Etre parfait. Cet Etre parfait, je peux ou bien l’offenser, ou bien ne pas l’offenser.
L’un des officiers, se retournant : Tiens, le voilà qui recommence…
Pirzel, tout à son affaire : Si je peux l’offenser (il se tourne tout à fait vers le groupe des officiers), alors il cesserait d’être parfait.
Un autre officier : Mais oui, Pirzel, tu as raison, tu as cent fois raison !
Pirzel, se retourne rapidement vers l’aumônier : Si je ne peux pas l’offenser…
Il lui prend la main et reste figé, plongé dans ses pensées. »
Un peu plus loin, derechef : « cela provient de ce que les gens ne pensent pas. »
(Lenz, l’auteur des Soldats, deviendra le personnage en proie au délire, errant dans la montagne, béant sous le ciel et face à la terre, du Lenz de Büchner.)
..........
Chez Platonov (à la faveur de la possibilisation fictionnelle de la révolution, de la guerre ou la terreur, dans la misère, l’épuisement) surgit et revient, chez tel personnage
(dans La Fouille ? Le hameau des cochers ? )
un désir exorbitant de penser…
penser sans jamais savoir quoi ou à quoi…
ou encore (dans des moments où Platonov glisse à une certaine science-fiction utopiste – Le chemin de l’éther – ) surgit l’enfantin espoir d’une toute-puissance des pensées (celle, par exemple, qui rendrait les pensées capables d’agir à distance sur la réalité matérielle).
...........
Comprendre enfin comment c’est en jumeau de ma bêtise constamment reconstituée – masse gélatineuse du soi/faux-soi –,
qu’il renaît toujours le désir indéterminé (si souvent débordé) de sentir-penser... ?
...........
Parler-penser : dans cet ordre ? Oui, je pourrais revenir là indéfiniment...
c’est bien là qu’il est, tout l’espoir...
les plus gauches, voire épaisses et complaisantes, ébauches de formulations se révèlent parfois pouvoir (en quels instants ? ) céder et induire une marée doucement lumineuse et crépitante qui déjà les soulève, les fait danser...
et c’est alors l’afflux d’une spatio-temporalité qui devient l’élément le plus reconnaissable et le plus infixable
ou bien faudrait-il se rendre compte que la parole d’emblée présupposait mais rejetait aussi (mais pourquoi ?) cet élément… de l’entre, la fluidité entre plusieurs – plusieurs personnes ou moments ou états
...........
Parler/penser ?
Rythmes entre positions se multipliant de qui espace ses propos ou s’espace de lui-même...
Possibilisations et résistances… Elasticité... Tressautements... Ah ! la danse où il faudrait oser...
Faustin Linyekula, quelques minutes... (Ou... Uwe Scholz ?)
...........
« Je me dis » ... que tout moment, fût-ce ou surtout le plus « intérieur », est baigné dans de l’ « entre », est irrigué de cet élément
mais c’est un entre qui est le plus souvent virtuel, qui est comme un manque, une famine en chacun,
et qui demande à être actualisé,
oui, qui cherche à se réaliser « dans la vie », dans les rapports…,
dans l’entre-présence, dans le don (l’élémentaire recevoir/donner, recevoir la force de donner, etc.),
dans le soutien à d’autres (les enfants)
Je « me disais » ça (mais qui déjà se dilue)… dans la nuit d’avant le jour... celle où on ne sait si les sons résonnent au-dedans ou au-dehors (de la pièce, de la maison, de la tête, de la poitrine, du monde).
............
Féroce, soudain, il y a des années, fut la croyance qu’il me fallait, pour obtenir une réalité sui generis des choses pensées/écrites, minutieusement happer, travailler, résorber dans mes phrases toute visibilité que j’aurais pu jusqu’alors, comme quiconque, comme tout humain toujours, désirer...
A Illiers, il y a des années (bien avant la virtualisation-vaporisation par l’ordinateur), dans la semi-solitude à deux (ou à deux demi-deux ) au bord de la Beauce (noire sous le plus vaste ciel), j’ai intensément espéré, sans trop le comprendre – et, bien sû, sans y parvenir –,
approcher d’une puissance, là sur la table,
sur la feuille
de sentir-penser-dire ou, concrètement,
de former des phrases
qui trouveraient
(avec la complicité – des pressions sensibles comme un grand rabattement – du vide si réel sur la terre des champs déroulés, ou, parfois, la neige, ou les bruits... cris d’âne ou, au printemps, rouge-queue, et les grincements constants des planches d’une énorme porte de ferme)
une part, mais décisive, de
leur matière
en happant (en le rattrapant au vol sous la lampe)
tout désir, tel qu’il pouvait émaner de la moindre ébauche,
d’obtenir de l’attention
ou qui se nourriraient de toute luisante faim de
quelque, oui, visibilité pour d’autres,
pour des regards à distance dans
l’espace ou
le temps,
etc.
.........
Un grand regard rayonnant d’en-dessus ou d’en face pour nous distinguer ou nous préférer...
terrifiant le désir – que je crois sentir chez beaucoup (mais par quelles perceptions ? celle que procurent les journaux ou la télé ? ou simplement dans la rue, dans les magasins ?),
chez tout « nous », probablement, en tout « soi » –
d’être vu de quelque part, d’être su
d’être comme vêtu de
l’éclat d’une attention à « soi » (« moi », « nous »...)
réservée
se défaire par instants de cette emprise ?
il suffirait de réaliser
que, sensible ici dans le détail de ces phrases, se prenant à elles,
elle pourrait leur être – comme par un saut qu’il leur suffirait
de faire en débordant infimement
leur propre contour –
accessible ...
proie, dès lors,
et soudain
à flairer, à goûter en lambeaux violacés ...
comme une chatte mange des placentas
..........
Sensations politiques, vraiment, aujourd’hui plus clairement que jamais ?
Pourquoi y associer ce qui suit ?
(Est-ce de pouvoir qu’il s’agit chez Walser ? ou de la force secrète de l’ « en bas » ? ou de l’ambiguïté féroce de tout respect ?)
Une citation de Walser copiée (de L’institut Benjamenta, p110) il y a plus de vingt ans :
« Nous commandâmes encore de la bière et mon interlocuteur reprit : « Espère encore sans rien attendre. Regarde au-dessus de toi, bien sûr, car cela convient à ton âge. Tu es jeune, Jacob, honteusement jeune, mais aussi avoue-toi toujours que tu méprises ce vers quoi tu regardes avec tant de respect. Tu approuves encore ? Diable, quel auditeur compréhensif tu fais. Positivement, un arbre ployant sous les fruits de la compréhension. »
: je n’ai jamais écrit ni ne saurais écrire des phrases de cette liberté, de cette force
c’est une question de position (qu’on ne s’invente pas, qu’on ne peut se donner) dans la vie, dans le sentir-penser, la parole
on ne saurait s’arracher soi-même ... pour se livrer à un vide sifflant et ne se réinsérer que ... que pour...
donc : faire tomber le haut par la ruse de l’humilité ? décrocher subrepticement les plis de ce qui se voulait s’imposer magistral-majestueux ? faire s’effondrer ces représentations en lambeaux, en débris retentissants et en pans qui tombent en soulevant de la poussière ?
... et alors des éclairs de rire courent au ras du sol inévitable, et se libère une énergie sui generis
.........
... boire dehors, avidement, aux vols tranchants de transparences dans la ville
tournoiements de glaces et vitres et corps-visages s'appuyant sur l'air, pris à des images d'attente,
chairs redoublées moins de leurs reflets (dans des vitrines) que de leurs projections pauvres et délirantes
laper continument ces présences invisibles mais constamment devinables dont quiconque désire s’envelopper
les happer au vol sur le pont (à la fin du jour au-dessus de la Loire ... saules ...)
...........
... s’abreuver surtout, dans la rue, à ceux des visages qui sont entrevus émaner là où ils renoncent –
oui, alors, lécher les attentes sur eux – où là on sent qu’elles décrochent
mâcher les existences fripées en plaies ou
celles gaufrées brûlées de cicatrices
..........
Des « avec » devenus vitaux !
Avec Ibrahim, avec Linda, Kim, Pedram, Laura, Ousmane
tant de notes réelles – ou virtuelles et autrement actives (comme des scarifications dans la substance de la vie) – de plusieurs « avec »...
traces des « avec » qui furent hémorragiques...
il faudrait, il faudra, (pauvre formule) « y revenir » – jusqu’à la fin...
.........
« Et comme ça, je n’ai pas répondu à ton appel, je n’ai
pas frappé à ta porte ?... mais toi, toi m’as-tu appelé,
vraiment ?... et tu m’aurais ouvert la porte, vraiment ?...
Et tout le monde peut dire : je n’avais pas d’autre voie et là
j’ai rencontré qui j’ai pu !... »
De Signoribus
..............
... et le droit même
aux souvenirs d’enfance de «quelqu’un comme moi » est-il (doit-il rester) toujours suceptible de se révéler,
sous le coup de telle autre présence (brutalement interjetée)
douteux
– blessable,
soudain ensanglanté ?
Parlant lentement dans la cuisine,
il est arrivé que les sensations d’ « Ousmane » (telles qu’il n’a pu – se griffant aux mots, aux syllabes – que me les faire entre-sentir) s’insinuent,
à son insu,
dans le plus familier pour « quelqu’un d’ici » :
par l’instant (tel qu’il a essayé de me le dire) où,
après avoir été remis par la police à la gendarmerie
puis gardé quelques jours en centre de rétention,
il fut
jeté sur la route
– « allez va-s-y » –
entre forêt et champs
le nom même de l’endroit
où se retrouva égaré,
sans rien :
Cercottes
ce nom
«Cercottes »
à odeur de lapin, de crottes de lapin,
ou à saveur de fruits d’églantiers (« grattecul »)
hiver gel cristallisé sur de petits fruits rouge-orangé ovoïdes
dans les buissons sans feuille
des épineux…
gouttes, de pluie ou sève, rougeâtres
est définitivement défiguré
............
et lui, « Ousmane »
... marcher des kilomètres
se réfugier un moment, debout, dans une petite cabane
de cantonnier en béton (objet de rêveries d’enfance miennes)
au bord du fossé
route humide dans la forêt d’Orléans
(là où George Sand fillette avait vu, pendue à un arbre,
vêtements noirs claquant au vent, chevelure voltigeant,
une grande femme – une voleuse ?)
allez va, allez va-s-y, allez dégage
........
A ne pas oublier, jamais, du très loin tout près, l’une des « choses » à quoi le consentement est l’énigme la plus calcinante:
« … l’inspiration d’un plan quadrimillénaire disant que le paradis humain commence tout de suite après l’enfer réservé à son prochain… »
La formule est de Karl Kraus, dans le passage suivant de la Troisième nuit de Walpurgis (trad. de l’allemand par Pierre Deshusses, Agone).
...........
Ecrire désormais avec des « avec » qui eurent lieu ici (maison, famille), mais restèrent séparés, ou presque, de la possibilité de phrases.
..........
Avec... ? Des souffles de cauchemar, parfois...
Mes prétendus poèmes – voire tous mes écrits – auraient-ils de toujours voulu demander ... (hurlant soudain... , affreux...) qu’on leur donne ce dont ils (s’) étaient privés...
– quoi ?
un contour, une enveloppe... ?
Comme si un mendiant excorié, dans l’air acide de la rue, réclamait qu’on lui accorde, enfin, là, une peau...
(on rencontre des insomnies au milieu de la rue)
comme si un passant, se laissant longuement arrêter, devait,
à ce quelqu’un sans contour,
secréter-donner,
de toute la substance de son attention,
ce qui deviendrait, enfin
– pour lui, sans mots ou presque, à vif–
l’enveloppe de son être...
Est-ce donc là ce qui aura rapporté le mode d’existence de mes tentatives de poèmes à, par exemple, cet homme gelé debout
au milieu de la rue ?
Il s’est fait, me dis-je en pérorant intérieurement pour me calmer,
une brève identification entre ce corps d’homme dissimulé-exposé
et le poème cherchant, pour exister, la matière de son bord n’importe où alentour.
..........
Le perpétuel « etc. »
25 déc. 2011, 9h45. Temps étrangement doux. A travers la baie vitrée : les cèdres tout au fond, vus à travers les branches dépouillées des autres arbres, sur le ciel lumineux nuancé. Le mur à droite.. ou plutôt, visible comme elle ne l’est pas dans les autres saison, une complexité étirée en imbrications de plusieurs murs sans âges.
A décrire, soudain, minutieusement ?
Former des phrases pour ce qui a été fait « de main d’homme ».
Des détails se mettent à rayonner sourdement.
La partie la plus proche qui, à droite de la baie vitrée, monte jusqu’à la hauteur du toit, est en pierres non taillées, irrégulières... ; les joints ont été refaits il y a plusieurs dizaines d’années et sont rongés voire évidés par endroits (des moineaux viennent en fouir les cavités)... ; de cette partie en pierres (manifestement la plus ancienne, très épaisse, et ayant dû appartenir à un édifice de jadis) le sommet s’abaisse en une pente incurvée (convexe) jusqu’à la moitié de la plus grande hauteur du mur...
Etc. : je n’ai pas maintenant le temps, ou la place, de poursuivre... : « il faudrait » détailler les différents matériaux, leurs textures à nu, leurs couleurs ou nuances du gris au brun, les végétaux – vigne vierge desséchée, mousses aux nuances de soufre jaune-verdi, etc. :
etc : est-ce le temps qui, là, s’érafle et suinte ?
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prose-poésie ? terreuse, trop douce terreur, de la prose brisée – et par là réelle... prose qui en brisant réalise
maints « avec », nuit et jour : la rue, des gens, la maison, la radio ou la télé, l’internet ... Tout ce qui se redresse, souffle, donne, demande
..........
Dimanche 21 août 2011.
Au crépuscule d’une journée extrêmement chaude, je pars dans des rues voisines. Dans l’une d’elles, que j’arpente depuis plus de quarante ans, des constructions nouvelles sont apparues depuis peu, et d’autres continuent à pousser ou sont annoncées (panneaux). Tout se donne pour de l’exactement prévu, du pur « fait pour ».
Des murs anciens, longs et déroulés, qui m’étaient jadis, par leur continuité, une aide grise et grondeuse, ont été partiellement abattus. Il y a des entailles blanches dans des déroulements gris probablement séculaires, et des blessures couleur de calcaire fraîchement cassé dans ces ténacités aux rases mousses couleur de cuir...
Tout, à cette heure, dégorge de la chaleur dans l’air. Les choses ont une intensité qui ressemble à du désir. (On ne sent pas, on sait, bien sûr, que tout va bientôt s’effacer dans l’obscurité.)
Sortant d’un des petits immeubles tout récents (en pierres synthétiques), un vieil homme, courbé, corps quelque peu difforme, chemisette blanche, cheveux tout aussi blancs, et mal peignés, se dirige vers une voiture.
Il est accompagné d’un petit garçon – huit, neuf ans ? – un peu gras.
Le garçon parle au vieillard. Sa voix claire et fragile est raisonnable – à faire se fissurer l’instant.
« On est le 21. Maman revient dans deux jours. Tu pourrais l’appeler... »
Pas de réponse.
Son désir d’articuler clairement ce qu’il a dit ou les choses mêmes de la vie dans les heures ou jours qui viennent, n’aura pas trouvé de soutien.
La voix – blanche ? oui, à faire peur –
de l’enfant subsiste
en arrière de moi qui
m’en vais.
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Lire, vite, vite !
Quand un texte commence à exister « pour moi »..., il se met à me regarder autant que je le regarde.
Je ne peux ouvrir un texte sans être ouvert par lui.
Il faut que par lui, obscur et réel, je me sente décomposé en zones dissociées d’où, sans doute, rejailliront des faisceaux actifs, allant fouiller en lui.
Mais une chose qui arrive, des gens... ont-ils le même pouvoir ?
..........
... la rue : comme pour tout le monde, un impératif-impulsion insatiable
la route-rue, l’entre comme liquide, l’élément commun – temps entr’arraché, visibilités projetées, halos mi-rêvés... Rien que du disputé, de l’écumant souillé ...
...........
19 octobre 2011, 21h15, revenant dans la nuit humide de la gare par la rue de la République, je passe près d’un camion d’éboueurs vidant les poubelles des commerçants. L’un des deux éboueurs est un noir grand et mince, et porte une veste jaune fluorescente ; il est accroché au camion, il parle – très fort, dans le bruit du camion et avec une certaine volubilité, mais non sans douceur – à une jeune femme, noire également ; cette dernière, souple, écoute avec inquiétude, voire de l’anxiété.
Qu’est-ce qui se passe, est arrivé, risque d’arriver ? Impossible de faire la moindre conjecture. Un jeune garçon (cinq ans ?) regarde, visage tourné vers le haut, l’air grave, l’homme et la femme. (J’ai eu peur pour eux ; j’ai ressenti, tout en quasi courant, de la tendresse pour leurs têtes latéralement éclairées.)
Je ne sais pas ce que je fais d’une chose pareille dès lors que je la note (mais surtout pas en « observateur ») ...
En tout cas, je ne pouvais que ... Peu importe.
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« Je suis un loup »
(Ce fut à la télé... autre fleuve, énormes bribes détachées terreuses filaments nacrés croquants...)
Donc, je recopie (d’un cahier de 2006-7) un « avec » spécifique :
ce couple vu à la télé, par hasard, désormais persistera, comme un possible, un embranchement de la réalité ordinaire/tout autre...
Reportage sur Arte, mardi 22 août 2007, 14h. On suit un camionneur en Chine, avec sa femme et occasionnellement son beau-frère.
Coment tout cela a-t-il été tourné, quels moyens de divers ordres, quels soutiens, quel désir ?
Ce que nous pouvons voir dépend aussi, bien entendu, de toutes sortes d’aspects financiers, techniques, administratifs, voire politiques.
Organisation de « notre » vu-entendu, de ce qui nous est donné à recevoir.
Le souvenir global est d’un élément d’aube ou de crépuscule. Comme dans de l’eau.
L’homme, avec son long camion de transport, parcourt (apprend-on) des distances considérables. Sa femme l’accompagne, assise à côté de lui ou, parfois, dormant derrière lui.
Je ne sais pas évaluer les âges… L’homme : entre trente-cinq et quarante ans ? Et sa femme ?
Leur fils de 8 ans vit chez les parents de l’homme.
L’attachement entre l’homme et la femme est sensible dans sa gentillesse à lui, et dans des gestes affectueux qu’elle a par instants. Elle explique qu’elle a voulu partager sa vie à lui : son souci de cet homme-là prime sur celui de l’enfant.
On aura vu cet homme de profil alors qu’il conduisait, visage constamment tourné vers l’avant, présence immobile-mobile, fendant, à travers le pare-brise, le vent dont on entrevoit qu’il souffle sur des plaines immenses.
Soudain un cylindre casse. Il faut réparer, trouver une pièce de rechange. Le camion va être gardé par le beau-frère (dont on découvre qu’il était lui aussi, depuis le début, dans le camion). L’homme et la femme tentent le stop pour gagner la ville la plus proche, à 70 km. Ils sont de retour en pleine nuit. Les deux hommes, sous le camion, changent la pièce…
Plus tard, coup de téléphone aux parents de l’homme (et à l’enfant). Le père de l’homme dit qu’il voudrait vendre le camion (il ne veut plus contribuer au remboursement de l’emprunt qui a été contracté pour l’acheter). L’homme résiste…
« J’ai mal à la tête », dit-il après avoir raccroché. A qui parle-t-il alors ? A la caméra ? A « nous » , où que nous soyons ? Au futur ?
Le camion arrive (après des milliers de km) dans le Xinkiang. Montagnes couvertes de neige, splendides. C’est, dit l’homme, le pays où ses parents ont lutté jadis pour survivre. L’homme se rattache donc à ces parents qui voudraient le faire renoncer à cette vie de camionneur, celle qui précisément lui permet de revenir voir ses parents.
Point ombilical douloureux (nœud d’intenabilités, comme chez quiconque).
« J’aime cette vie, dit-il, j’aime aller là où je veux. » Et il ajoute : « Je suis un loup. »
Je pense un instant à tout le dispositif qu’on ne voit pas : regard-écoute à qui le camionneur peut s’adresser, réalisation momentanée de ce à quoi il aura toujours rêvé de pouvoir parler ou de ce par quoi – des étrangers, des Occidentaux – il aura été heureux d’être vu, ou su, être.
Et qu’est-ce que j’espère, « moi », de phrases comme celles-ci ?
.........
A l’aube parfois, sur le quai (aux Aubrais), parmi tous les gens partant au travail
face aux voies jusqu’à l’horizon... aires caillouteuses mauves...
barres de trains de marchandises à l’arrêt (rappelant des barres de chocolat d’autrefois), voûtes des toits des wagons, certaines comme givrées, et .. planches et barres de métal ... et...
les mi-choses que chacun se disait, se dit, semblaient, semblent encore aujourd’hui, juste au-dessous des maigres bribes de conversations audibles, flotter couler... dans l’entre
et c’est comme si, pour quelques minutes, elles venaient soudain former « en moi » des tourbillons se recreusant bruns-argentés et affamés...
Avides, à leur insu, et de quoi – que je ne saurais, écrivant, leur donner ?
..........
Entre tous en attendant le train ... têtes-bouches sources écumant d’ombre si commune et néanmoins divisée ...
surfaces de cailloutis mauves
trop réelles, en tant que (problématiquement) séparées, les intériorités – mais se rêvant elles-mêmes... et paraissant alors béer, évidences obscures dans le soleil levant.
........
Sur le quai... Dans les reflets de nuit-aube, d’humidité, parmi les haleines..., des volutes d’odeurs des pensées...
D’où viennent-ils ces choses qu’on se quasi-dit ?
Elles n’appartiennent à chacun qu’en apparence...
Comment durent-elles ? Où vont-elles filer, avec quels effets ? A quel prix doivent-elles continuer de bouger en ne cessant, comme des vagues, de se reprendre ?
..........
Oui : où vont-elles, les choses qu’on se dit ? reviendront-elles autres ?
Courants, latences, lacunes, reflux...
J’y « pensais » alors que le train longeait la sucrerie d’Artenay – vapeurs puantes (betteraves brûlées ?) montant en torsades enflammées par le soleil d’aube de décembre qui rasait les chaumes
...........
Hélas oui, me suis-je (« quelqu’un comme moi ») dit parfois, après une nuit mauvaise : ce qu’on croyait avoir su « garder pour soi », dans la vie à la maison ... : voilà qu’on découvre que c’est passé chez les enfants...
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De la terreur qui s’ignore ?
Qui, soudain, comme en rêve, entame le voir être vu de la rue.., fend les nappes humaines, ouvre les houles du réel ou de l’halluciné... ?
Rue de la République, un jour de mai, 9 h du matin (je cours à la gare). Vent froid après des jours précocement chauds. Passe, à la plus grande vitesse (ou à la moins grande lenteur) possible, un véhicule balayeur (brosse ronde inclinée pivotant continument)...
Quand il arrive vers moi, je discerne, derrière le large pare-brise, une rangée bigarrée de jouets, peluches, quasi corps en plastique, gestes et visages minuscules et figés. Probablement, des objets perdus par des enfants, prélevés parmi les débris qu’auront triés les deux hommes du véhicule.
Quoi de doucement effrayant ? Jouets cadavérisés exposés ...
Une vision rappelant curieusement quelque chose
ou faisant soupçonner quoi ?
Une exposition machinée avec férocité, quoique probablement à leur insu,
par ces deux hommes (dont on ne voyait pas les visages, effacés par des reflets sur le verre protecteur) ?